Les contes de ma mère l'oie

Les contes de ma mère l'oie

Les Contes de ma mère l'Oye

Ma mère l'Oye en frontispice du recueil, illustration de Gustave Doré de 1867

Les Contes de ma mère l'Oye est un recueil de huit contes de fées de Charles Perrault paru en 1697, sous le titre Histoires ou contes du temps passé, avec des moralités, avec cet autre titre au dos : Contes de ma mère l'Oye[1]. L'œuvre est devenue un classique de la littérature enfantine, occultant tout le reste de la production littéraire de son auteur.

Sommaire

Présentation

Origine

Le Chat botté, page manuscrite et illustrée de la fin du XVIIe siècle.

Trois ans avant la fin du XVIIe siècle, le très sérieux écrivain Charles Perrault, alors âgé de soixante-neuf ans et adversaire de La Fontaine, Nicolas Boileau, La Bruyère dans la querelle des Anciens et des Modernes, fait paraître la première édition du recueil sous le nom de son troisième fils, Pierre Darmancour[2]. Elle comprend huit contes en prose, auxquels il faut ajouter une nouvelle et deux contes en vers parus antérieurement.

Les Contes de ma mère l'Oye paraissent à une époque où, de façon éphémère, le genre des contes de fées est en vogue chez les adultes des milieux bourgeois et aristocratiques[3]. Mais paradoxalement, aucune œuvre de ce genre n'existe pour les enfants. Seuls un fonds de récits est colporté oralement par les nourrices et les bonnes d'enfants venues de la campagne pour travailler dans les villes[4].

L'auteur n'« invente » donc pas à proprement parler les contes qu'il écrit, mais s'inspire de ces contes populaires et peut-être aussi du recueil de l'italien Giambattista Basile : il en sélectionne une infime partie et les transforme largement. Ma mère l'Oye est, quant à elle, un personnage fictif populaire, incarnant une campagnarde de qui viendraient ces contes[5]. Perrault serait ainsi l'un des premiers collecteurs mais comme il ne cite pas ses sources, on ne peut le considérer comme tel. Il est aussi un des premiers, sinon le premier, à édulcorer les contes populaires, dont les versions d'origines sont bien plus crues.

Oubli et succès

Les contes rencontrent dès leur parution la faveur du public, avec pour conséquence une deuxième édition lancée par Barbin la même année 1697, de nombreuses contrefaçons hollandaises inondant le marché et surtout, la prolifération de récits et recueils féériques[6]. Cet excès de mode finit par lasser et, quand Perrault décède en 1703, les fées discréditées laissent la place aux magies orientales. L'année 1704 voit la parution de la traduction d'Antoine Galland des Mille et Une Nuits. On s'entiche pour un cadre que le XVIIIe siècle adoptera pour ses romans épistolaires[7] et ses opéras[8]. Les grands auteurs du siècle des Lumières ignorent ainsi le Perrault des contes, en qui ils ne voient que le suppôt des superstitions dont le peuple s'abrutit[9].

Il faut attendre la seconde moitié du XIXe siècle pour que les contes de Perrault suscitent un nouvel enthousiasme : la mode est alors, dans les familles bourgeoises, de lire des histoires aux enfants. De splendides éditions des Contes de Perrault illustrées notamment par Gustave Doré sont alors éditées et offertes aux enfants à Noël ou comme prix de fin d'année scolaire.

Le succès ne se dément plus à partir de ce moment, et les contes sont repris sous de multiples formes : ballets, opéras puis, au XXe siècle, suite pour piano, films d'animation et longs métrages. Les contes intéressent désormais les adultes, même les plus sérieux : le psychiatre Bruno Bettelheim s'attache ainsi à les analyser pour montrer ce qu'il y a d'universel en eux, alors qu'ils contiennent tous les éléments qui forment les hantises, la difficulté des rapports familiaux et les peurs refoulées du psychisme de l'enfant.

Titres

Les Contes de Perrault, dessins de G.Doré, édition 1867

Le recueil comprend huit titres en prose :

Une nouvelle et deux contes en vers, rédigés antérieurement, y sont rattachés :

Chronologie

Le recueil des contes est un texte hétérogène qui ne s'est pas d'emblée présenté tel que les éditions modernes l'offrent.

Trois récits en vers

Une nouvelle : La Marquise de Salusses ou la Patience de Griselidis et deux contes : Les Souhaits ridicules et Peau d'Âne. Ils sont d'abord publiés séparément, tous accompagnés d'un texte préfaciel (épître dédicatoire) et signés de la main de Charles Perrault :

  • La Marquise de Salusses ou la Patience de Griselidis : parution en 1691. L'histoire est lue devant l'Académie française par l'Abbé Lavau et paraît ensuite dans Le Mercure Galant. Elle est précédée de deux épîtres dédicatoires : une lettre en vers à une demoiselle et une lettre en prose à un monsieur. Les destinataires ne sont pas identifiés.
  • Les Souhaits ridicules : parution dans Le Mercure Galant en 1693. Le texte est préfacé par une épître dédicatoire « à Mademoiselle de la C. ».
  • 1694 : parution d'un recueil d'une nouvelle et de deux contes en vers signés de Perrault, contenant Peau d'Âne ainsi que l'épître dédicatoire à Monsieur qui accompagnait Griselidis.
  • 1695 : nouvelle édition de la nouvelle et des deux contes en vers, augmentée d'une préface. L'ordre de présentation est modifié : Griselidis, Peau d'Âne, Les Souhaits ridicules. Cette édition est appelée la « quatrième édition ». Il y aurait donc eu une troisième édition, mais elle est perdue.

Ce corpus composé d'une nouvelle et de deux contes en vers est revendiqué par Perrault.

Huit contes en prose

Le Petit Poucet, illustré par Antoine Clouzier dans la première édition de 1697
  • 1695 : rédaction d'une copie manuscrite des Contes de ma mère l'Oye adressés à Mademoiselle. Le recueil est attribué au fils de Charles Perrault, Pierre Darmancour. Le recueil comprend alors cinq contes en prose : La Belle au bois dormant, Le Petit Chaperon rouge, La Barbe bleue, Le Maître chat ou le Chat botté et Les Fées. Il ne s'agit pas d'une édition dans le public mais d'une diffusion privée dans le cercle de la cour de Versailles.
  • 1697 : parution des Histoires ou contes du temps passé avec des moralités. Le recueil est précédé d'une épître dédicatoire signée Pierre Darmancour et d'un frontispice d'Antoine Clouzier. Il est accompagné d'illustrations et est augmenté de trois nouveaux contes en prose : Cendrillon ou la petite pantoufle de verre, Riquet à la houppe et Le Petit Poucet. Les cinq contes précédents subissent des remaniements.

Ce corpus de contes en prose est lui en revanche mis à distance par Perrault.

Le style

Les récits, empruntés à la tradition populaire, présentent un style charmant, où le réel se mêle agréablement au merveilleux, personnifié par les fées et d'autres personnages-types. La rédaction est simple et naïve, et perce par endroit la spirituelle malice de l'auteur. Mais derrière la fraîcheur de style, les contes mettent en œuvre une somme de violence et de cruauté, aussi bien physique que psychique.

Les personnages-types

Grâce à leurs caractéristiques très reconnaissables et très faciles à mémoriser, les personnages des contes de Perrault sont des stéréotypes comportementaux. En voyant vivre ces personnages dans un monde imaginaire simplifié, l'enfant fait l'expérience de relations qu'il n'a pas encore eu l'occasion de vivre, ou qu'on lui souhaite de ne pas vivre[10]. De ce fait, les personnages de conte ont donné lieu à de multiples interprétations liées à la morale et, plus récemment, à la psychanalyse[11].

L'Ogre

L'Ogre et l'Ogresse sont des personnages néfastes des contes. Ces êtres tout-puissants n'ont qu'un seul objectif : dévorer le héros. Par leur faim insatiable, ils symbolisent la pulsion orale destructrice et brutale. L'Ogre représente également la figure du père qu'il faut dépasser et abattre pour devenir un adulte.

La vieille fée

La vieille fée, marraine hostile à l'enfant, incarne la mère abusive et se confond parfois avec le personnage de la marâtre, qui détourne l'affection du père. Elle s'oppose au héros et souhaite sa perte : symbole de régression, elle entrave son développement ou souhaite tout simplement sa mort, comme dans La Belle au bois dormant.

La Princesse, le Prince

La princesse n'est pas encore initiée à l'amour. Elle doit passer par le stade de la puberté. La Belle au bois dormant saigne en se piquant sur une aiguille, comme saigne la petite-fille lors de ses premières règles, mais doit observer une période de latence, symbolisée par le sommeil de la Belle, avant d'être sexuellement mature. De plus, la jeune femme ne tente jamais de se rebeller contre son destin, elle attend patiemment que quelqu'un (en règle générale la marraine la fée) lui dicte ce qu'elle doit, ou ne doit pas faire. Le prince surmonte les obstacles qui le séparent de la princesse puis finit par l'épouser.

La fée marraine

La fée marraine est le mentor du héros, figure maternelle protectrice qui assiste l'enfant. Personnage auxiliaire, elle soutient le héros dans sa quête. Elle l'aide à réaliser ses souhaits grâce à ses dons ou en lui donnant un objet aux pouvoirs surnaturels, comme une baguette aux pouvoirs magiques, qui lui permettra de vaincre les personnages néfastes.

Le Loup

Le Loup est omniprésent dans les contes de fée occidentaux. Sa quasi-disparition n'a en rien anéanti sa force symbolique car, animal de la forêt, il incarne nos peurs nocturnes. Une certaine critique lui accorde volontiers l'image du père séducteur et du désir sexuel inavoué, par exemple dans Le Petit Chaperon Rouge. Mais, dans ce dernier conte, le loup et la forêt peuvent aussi représenter plus banalement les dangers que l'enfant doit affronter seul (mais muni des sages recommandations de sa mère) lorsqu'il quitte la sécurité de son foyer. Ces dangers peuvent effectivement prendre la forme d'un prédateur sexuel. Dans le Petit Chaperon Rouge, il peut être caractérisé comme un homme : par exemple, il marche sur ses deux pattes arrières, comme on le voit sur les illustrations de Gustave Doré.

Dans les traditions populaires africaines, le Crocodile a la même fonction que le Loup. Dans les contes asiatiques, c'est le Tigre qui est la figure animale la plus commune. Moins rusé que le Loup, il reste celui qu'il faut vaincre pour pouvoir acquérir la sagesse.

Les rapports familiaux

La Barbe bleue s'apprêtant à décapiter sa femme. Illustration anglaise de 1729.

La cruauté des rapports familiaux décrits dans les contes est un trait saillant des récits.

Le mariage et le remariage

Le mariage est souvent la conclusion heureuse des contes. Mais dans certains cas, la situation est toute différente : dans la Barbe bleue, il devient le cauchemar de la jeune épouse lorsqu'elle découvre les cadavres des femmes précédentes qui avaient mystérieusement disparu, dans Griselidis, l'autorité du mari est celle d'un tyran.

Les cas de remariage sont fréquents à l'époque de Perrault, en raison notamment du nombre élevé de jeunes femmes qui meurent en couche. Les belles-mères des contes se conduisent de la pire des façons envers les enfants : la marâtre de Cendrillon l'exploite comme une esclave et le père laisse faire. L'Ogresse, belle-mère de la Belle au bois dormant, ne souhaite plus qu'une chose une fois son fils éloigné : manger sa bru et ses petits-enfants à la sauce Robert !

Les parents

Les parents sont au mieux irresponsables ou incapables de protéger leurs enfants. La mère du Petit chaperon rouge n'hésite pas à l'envoyer dans une forêt pleine de dangers, les parents du Petit Poucet perdent leurs sept fils dans la forêt, l'Ogre égorge ses filles par méprise. Les parents de la Belle au bois dormant oublient d'inviter au baptême la fée la plus susceptible, quant au père de Peau d'Âne, il ne montre aucun scrupule à vouloir épouser sa propre fille.

La fratrie

Aucune solidarité n'existe non plus entre frères et sœurs, la jalousie et l'exploitation du plus faible sont la règle. Le Petit Poucet est le souffre-douleur de la famille. Dans Les Fées, l'héroïne est taillable et corvéable à merci, quant à Cendrillon, elle est humiliée par les deux filles de sa marâtre.

Adaptations

Voir aussi

Notes et références

  1. Encyclopédie Larousse du XXe siècle, Paris, 1932
  2. Pierre Darmancour (21 mars 1678 - mai 1700) tient son nom du domaine d'Armancour que Charles vient d’acquérir et lui offrir. Il se rend coupable en novembre 1697 d’un homicide dont les conditions restent obscures. Charles Perrault indemnise la mère de la victime, mais l’avenir de Pierre reste compromis. Devenu lieutenant au régiment Dauphin, il meurt en mai 1700 à l’âge de 22 ans.
  3. Madame d’Aulnoy est la première à introduire un conte de fée en 1690 dans L’Histoire d’Hypolite, comte de Duglas. Mademoiselle L’Héritier lui emboîte le pas avec les Enchantements de l’éloquence et l’Adroite Princesse dans ses Œuvres mêlées de 1696, de même que Catherine Bernard dans Le Prince Rosier et son Riquet à la houppe, insérés dans un roman de 1696.
  4. Mémoire de la France, éditions Larousse
  5. Jean Loret y fait référence dans La Muse historique (1660)
  6. L’année 1697 marque le début d’une déferlante, avec la parution des contes de Mademoiselle de la Force (1697), de Madame d’Aulnoy (1698), d'Henriette-Julie de Castelnau de Murat (1698), de François Nodot (1698), de Jean de Préchac (1698), de Madame d’Auneuil (1702).
  7. Les Lettres persanes de Montesquieu en 1721
  8. L'Enlèvement au sérail de Mozart en 1782
  9. Charles Perrault, Contes, (introduction, notices et notes de Catherine Magnien), éditions Le Livre de Poche Classique
  10. Isabelle de Kochko, Ça m'intéresse.
  11. Voir notamment l'ouvrage de Bruno Bettelheim, Psychanalyse des contes de fées
  12. À noter qu'en anglais, le terme mother Goose désigne, outre la traduction du recueil, des comptines enfantines.

Textes intégraux sur Wikisource

Charles Perrault

Charles Deulin


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