Liberté de panorama

Liberté de panorama

La liberté de panorama (de l'allemand Panoramafreiheit) est une exception au droit d'auteur par laquelle il est permis de reproduire une œuvre protégée se trouvant dans l'espace public. Selon les pays, cette exception peut concerner les œuvres d'art ou les œuvres d'architecture.

Sommaire

Principe de base

Dans la plupart des pays, la protection du droit d'auteur est reconnue aux architectes et sculpteurs sur leurs œuvres quand elles présentent une dimension artistique. L'article 2-1 de la convention de Berne (signée le 9 septembre 1886) cite explicitement les « œuvres d'architecture, de sculpture » comme relevant de son application. L'article 9 du même texte réserve à l'auteur « le droit exclusif d’autoriser la reproduction de ces œuvres, de quelque manière et sous quelque forme que ce soit ».

Dérogation

Sauf à rendre très difficile ou impossible la réalisation de films, reportages photographiques, vidéo ou télévisés, images artistiques contenant des sculptures, architectures ou œuvres dérivées, ce droit est difficilement applicable pour les bâtiments et sculptures quand elles sont situées dans l'espace public. Certains pays ont donc introduit dans leur législation une dérogation au droit commun, autorisant la libre reproduction de l'image d'œuvres normalement protégées, dès lors que celles-ci se trouvent dans l'espace public, sans que l'autorisation de l'auteur doive être recherchée ou sans qu'un paiement lui soit dû. Les modalités de cette exception varient suivant les pays.

  • En Allemagne, pays où cette liberté est l'une des plus anciennes (loi de 1876), l'article 59 de l’Urheberrechtsgesetz allemande autorise la « reproduction par la peinture, le dessin, la photographie ou le cinéma d'œuvres situées de manière permanente dans l'espace public, la distribution et la communication publique de telles copies. Pour les œuvres architecturales, la copie ne peut porter que sur l'aspect extérieur »[1].
  • En Suisse, l'article 27 de la loi fédérale sur le droit d'auteur et les droits voisins dispose qu' « il est licite de reproduire des œuvres se trouvant à demeure sur une voie ou une place accessible au public ; les reproductions peuvent être proposées au public, aliénées, diffusées ou, de quelque autre manière, mises en circulation[2] » Cette exception est limitée à la reproduction en deux dimensions (dessin photo, gravure, vidéo...) de l'œuvre et « les reproductions ne doivent pas pouvoir être utilisées aux mêmes fins que les originaux » (ce qui exclu par exemple que des plans d'architectes puissent être légalement réutilisés pour copier un bâtiment).

En Europe

L'Europe a le souci de protéger les droits de l'auteur/créateur tout en autorisant l'expression artistique de tous : « La Cour [européenne des droits de l'homme] a souligné l’importance de l’expression artistique dans le contexte du droit à la liberté d’expression (article 10 de la Convention). De façon générale, elle lui a accordé un haut degré de protection lorsqu’il s’est agi d'œuvres d’art telles que les romans, les poèmes, les peintures, etc. »[3]

Une jurisprudence (1988) de la Cour européenne des droits de l'homme [4] a souligné « que l’article 10 englobait la liberté d’expression artistique – notamment dans la liberté de recevoir et communiquer des informations et des idées – ajoutant qu’il permettait de participer à l’échange public des informations et idées culturelles, politiques et sociales (§ 27) et elle concluait qu’il en résultait pour l’État l’obligation de ne pas empiéter indûment sur la liberté d’expression des artistes qui créent (§ 33) »[3]. La cour ne semble pas d'être clairement prononcé sur la gestion des situations de conflits entre le droit d'expression du photographe et celui de l'architecte, mais - en s'appuyant notamment sur la « Convention-cadre du Conseil de l’Europe sur la valeur du patrimoine culturel pour la société » - elle « a admis que la protection de ce patrimoine [culturel et naturel] était un but légitime que l’État pouvait chercher à atteindre en limitant l’exercice de droits individuels, s’agissant plus particulièrement du droit de propriété consacré par l’article 1 du Protocole no 1 »[5]. Si des œuvres d’art réalisées par des artistes étrangers et appartenant au « patrimoine culturel de toutes les nations » sont licitement accueillies par un État sur son territoire, cet État peut « privilégier la solution la plus apte à garantir une large accessibilité au bénéfice du public, dans l’intérêt général de la culture universelle (§ 113). La Cour a fait référence aux concepts de « culture universelle » et de « patrimoine culturel de toutes les nations » et les a associés au droit du public d’y avoir accès (voir plus haut, II. Accès à la culture) »[3].

La cour considère même que la protection du patrimoine culturel d’un pays constitue un but légitime propre à justifier l’expropriation par l'État d’un immeuble classé « bien culturel », pour des « impératifs de l’« utilité publique » » qui doit être argumenté sur des bases raisonnable[6]. « Cela vaut également mutatis mutandis pour la protection de l’environnement ou du patrimoine historique ou culturel d’un pays »[3]. Ainsi dans plusieurs cas, « la Cour a estimé que la protection de l’environnement ou du patrimoine naturel devait être considérée comme un but légitime de nature à justifier une ingérence de l’Etat dans le droit de propriété »[3].

En France

En France, le Code de la propriété intellectuelle protège toutes les « œuvres de l'esprit », dont les « œuvres d'architecture, de sculpture » (article L.112-2) dès lors qu'elles sont originales, c'est-à-dire qu'elles « portent l’empreinte de la personnalité de l’auteur »[7]. À cet égard, les œuvres d'architecture ont pour particularité que l'architecte ne peut pas créer librement ; il est contraint par la fonction de l'ouvrage et les demandes du maître d'ouvrage. La jurisprudence a donc reconnu deux critères pour déterminer l'originalité d'un bâtiment : « un caractère artistique certain » et le fait qu'il ne s'agisse pas d'une construction en série[8],[9]. L'article 40 de la loi du 11 mars 1957 dispose que « toute reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite. » Aucune disposition législative ne prévoit d'exception pour les œuvres situées dans l'espace public[10],[11].

Une jurisprudence ancienne a ébauché ce qui aurait pu être une liberté de panorama à la française. Ainsi, le Tribunal de commerce de la Seine considérait dans son arrêt du 7 mars 1861 que la protection d'une œuvre située dans la rue ne saurait porter atteinte à la jouissance commune de « l'espace naturel » dans laquelle elle s'intègre[12]. La même juridiction décidait le 7 novembre 1867 que « les aspects extérieurs du palais et du Parc qui sont livrés au regard et à l'étude du public sont par cela même susceptibles d'être reproduits par tous et de toute manière[13]. » Néanmoins, la jurisprudence actuelle n'a pas suivi cette voie[14]. En 1955, la Cour d'appel de Rabat affirme que « le fait d'édifier ou de placer sur la voie publique une œuvre architecturale n'implique en lui-même aucun abandon des droits de propriété artistique[15],[16]. » Ainsi, est condamnée comme contrefaçon une carte postale représentant la Géode de la Cité des sciences et de l'industrie, œuvre d'Adrien Fainsilber, qui a « pour objet essentiel la représentation de ce monument[17],[18] » ou encore une autre représentant la Grande Arche de la Défense, œuvre de Johann Otto von Spreckelsen, parce que l'œuvre figure « dans un panorama dont elle constitue l'élément central ou tout au moins, un élément essentiel, sans pouvoir être considérée comme simple partie d'un cadre naturel non protégé[19],[18]. » Dans ce dernier cas, le tribunal ajoute que « la jouissance du droit d'auteur ne saurait être battue en brèche par aucune des considérations (...) tirées de la vocation attribuée au monument ou de l'origine des deniers ayant permis son financement[19],[16]. »

Inversement, la jurisprudence français admet traditionnellement en droit de la propriété intellectuelle deux théories voisines dites « de l'arrière-plan », également utilisée en matière de droit à l'image des personnes, et « de l'accessoire »[20]. Ainsi, il n'est pas nécessaire de rechercher l'autorisation de l'auteur quand l'œuvre figure en arrière-plan dans la scène d'un film[21],[20]. La reproduction est également libre quand l'œuvre considérée occupe une place très secondaire sur une photographie[20]. La Cour d'appel de Paris fait appel à ce principe pour débouter, en 1980, Roger Saubot, Eugène Beaudouin, Urbain Cassan et Louis Hoym de Marien, architectes de la Tour Montparnasse, dont l'œuvre a été reproduite sur une carte postale montrant la rue de Rennes à Paris, de nuit. Elle considère en effet que « s'agissant d'un élément d'un ensemble architectural qui constitue le cadre de vie de nombreux habitants d'un quartier de Paris (…), le droit à protection cesse lorsque l'œuvre en question est reproduite non pas en tant qu'œuvre d'art, mais par nécessité, au cours d'une prise de vue dans un lieu public ; sur la carte postale litigieuse, la Tour Montparnasse n'a pas été photographiée isolément mais dans son cadre naturel qui ne fait l'objet d'aucune protection[22],[23]. »

La Cour de Cassation consacre ce principe en 1995 en arrêtant que « la représentation d'une œuvre située dans un lieu public n'est licite que lorsqu'elle est accessoire par rapport au sujet principal représenté ou traité » et le distingue explicitement du droit de courte citation[24],[25]. La jurisprudence ultérieure le précise en soulignant que l'œuvre d'art représentée ne doit pas avoir été incluse intentionnellement comme un élément du décor : « constitue une représentation illicite d'une statue de Maillol la diffusion d'un film publicitaire dans laquelle elle figure, alors qu'elle a été utilisée, non pas dans une séquence tournée en décor naturel, ce qui justifierait une apparition fugace de la sculpture, placée dans le jardin des Tuileries, totalement accessoire au sujet traité, mais comme un élément du décor[26]. » Le principe de l'accessoire a ensuite été étendu aux espaces privés[27],[28].

Place des Terreaux, Lyon

En 2005, l'affaire dite « de la place des Terreaux » reprend la théorie de l'accessoire. Elle vise la diffusion de cartes postales de la place des Terreaux, à Lyon, reproduisant l'œuvre d'art et l'œuvre architecturale du plasticien Daniel Buren et de l'architecte Christian Drevet. La cour d'appel de Lyon considère qu'« échappe au grief de contrefaçon la représentation d'une œuvre située dans un lieu public lorsqu'elle est accessoire au sujet traité. » La Cour de Cassation confirme l'arrêt : « ayant relevé que, telle que figurant dans les vues en cause, l'œuvre de MM. X et Z se fondait dans l'ensemble architectural de la place des Terreaux dont elle constituait un simple élément, la Cour d'appel en a exactement déduit qu'une telle présentation de l'œuvre litigieuse était accessoire au sujet traité, résidant dans la représentation de la place, de sorte qu'elle ne réalisait pas la communication de cette œuvre au public[29]. » On a souligné que, loin de mettre en œuvre une liberté de panorama à la française, cette décision « corrobore tout à fait l'idée que l'incorporation d'une œuvre dans le domaine public ne la fait certainement pas échapper au droit commun pour ce qui est des droits reconnus à son auteur[30]. »

Le droit à l'image du propriétaire d'un bien

Tandis que les architectes ont des droits sur les œuvres dérivées de leurs réalisation, ce n'est pas le cas des propriétaires d'immeubles considérés comme des œuvres d'art. Le résumé des conclusions de l'arrêté du 7 mai 2004 de la Cour de Cassation énonce que :

« le droit de propriété ... ne comporte pas un droit exclusif pour le propriétaire sur l'image de son bien ; il peut toutefois s'opposer à l'utilisation de cette image par un tiers lorsqu'elle lui cause un trouble anormal. »

Dans sa décision, la Cour exclut que le propriétaire de l'hôtel, qui avait fait des travaux de restauration coûteux de l'hôtel particulier, puisse réclamer des droits exclusifs sur les photos de l'hôtel : par ailleurs il n'a pas été démontré que la publication de photos constituait un trouble anormal.

La Cour a également statué le 5 juin 2003, "qu'il n'y a pas de droit du propriétaire sur l'image de son bien". Mais par contre elle met en avant le respect de la vie privée du propriétaire : dans ce cas, non seulement il y avait eu publication d'une maison (la photo d'une propriété, vue depuis le domaine public, est légale car ne fait pas partie de la propriété), mais le nom et l'adresse exacte de la propriété avaient été fournis ce qui constituait une atteinte au respect de la vie privée. Un décision précédente du (2 mai 2001) avait rejeté une demande basée sur la propriété qui n'avait pu justifier d'un trouble anormal.

Les autres droits liés à l'image de la propriété sont en fait ceux du designer/architecte de la propriété, de manière analogue au droit artistique qui relève du droit d'auteur mais ni du droit de propriété ni du droit d'usage. Cela signifie que même l'autorisation du propriétaire n'est pas suffisante pour faire une photo légalement utilisable, mais par contre le propriétaire ne peut pas s'opposer à la publication de la photo si l'autorisation en a été donnée par le designer/architecte, dans la mesure où il n'y pas atteinte à la vie privée (l'emplacement exact de la maison et les noms des propriétaires ne peuvent pas être cités dans l'image si le propriétaire est une personne physique, à moins que celui l'ait autorisé).

Voir aussi

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Articles connexes

Liens externes

Bibliographie

Notes et références

  1. « Zulässig ist, Werke, die sich bleibend an öffentlichen Wegen, Straßen oder Plätzen befinden, mit Mitteln der Malerei oder Graphik, durch Lichtbild oder durch Film zu vervielfältigen, zu verbreiten und öffentlich wiederzugeben. Bei Bauwerken erstrecken sich diese Befugnisse nur auf die äußere Ansicht. » Article 59.
  2. Article 27 de la Loi fédérale sur le droit d’auteur et les droits voisins.
  3. a, b, c, d et e Les droits culturels dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme (notamment relative au droit à la liberté d'expression, traduit dans l'article 10 de la Convention), Cour européenne des droits de l’homme, Division de la recherche / Research divivion ; Conseil de l’Europe/Cour européenne des droits de l’homme (Jurisprudence / Analyse jurisprudentielle / Rapports de recherche sur la jurisprudence de la Cour), janvier 2011
  4. Affaire Müller et autres c. Suisse (24 mai 1988, série A no 133)
  5. [1], voir Chap VI p16/22. Droit à la protection du patrimoine culturel et naturel
  6. Beyeler v. Italy [GC], no. 33202/96, ECHR 2000-I, voir , paragraphe 112
  7. Christophe Caron, Droit d'auteur et droits voisins, Litec, 2006, p. 65.
  8. CA Riom, 26 mai 1967.
  9. Caron, p. 124.
  10. Cf. Cour d'appel de Paris, 27 octobre 1992, SPADEM c./ Antenne 2.
  11. André Bertrand, Le Droit d'auteur et les droits voisins, Masson, 1991, p. 190.
  12. Cité par Philippe Gérard, François Ost, Michel Van de Kerchove (éds), Images et Usages de la nature en droit, Bruxelles, 1993, p. 389.
  13. Cité par Line Touzeau, La Protection du patrimoine architectural contemporain, L'Harmattan, 2011, p. 72.
  14. François Dessemontet, « Les constructions, leurs propriétaires, les architectes et leurs photographies », Mélanges Peter Gauch, Zurich, 199, p. 8.
  15. CA Rabat, 12 décembre 1955.
  16. a et b Cité par Bérangère Gleize, La Protection de l'image des biens, Defrénois, 2008, p. 74.
  17. Cour d'appel de Paris, 23 octobre 1990, Sté Fotogram-Stone et autres c./ la Cité des sciences et de l'industrie.
  18. a et b Cité par Gérard, Ost et Van de Kerchove, p. 390.
  19. a et b TGI Paris, 12 juillet 1990.
  20. a, b et c Caron, p. 290.
  21. Cour d'appel de Paris, 14 septembre 1999, Comm. com. életr.
  22. Cour d'appel de Paris, 4e chambre, 7 novembre 1980, CAP Thiojac.
  23. Cité par Michel Huet, Le droit de l'architecture, Economica, 1990, p. 105.
  24. Cour de Cassation, 1re chambre civile, 4 juillet 1995, Société Antenne 2 c./Spadem.
  25. Marie Cornu et Nathalie Mallet-Poujol, Droit, œuvres d'art et musées. Protection et valorisation des collections, CNRS éditions, 2006, p. 525-526.
  26. CA Versailles, 26 janvier 1998, Sté Movie box contre Spadem et a.
  27. Cour de Cassation, 1re chambre civile, 12 juin 2001, Société Campagne Campagne et M. C. c./ société Éditions Atlas.
  28. Caron, p. 291.
  29. Cour de cassation, 1re chambre civile, 15 mars 2005 [lire en ligne].
  30. Jean-Michel Huon de Kermadec, « La reproduction de l'image des biens du domaine public », Regards croisés sur les droits de la famille et du patrimoine. Mélanges en l'honneur d'Alain Le Bayon, L'Harmattan, 2005, p. 241 [233-250].


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