Lois mémorielles (France)

Lois mémorielles (France)

Loi mémorielle

Une loi mémorielle est une loi déclarant, voire imposant, le point de vue officiel d'un État sur des événements historiques. À l'extrême, une telle loi peut interdire l'expression d'autres points de vue.

On peut citer, par exemple, l'interdiction à la vente de Mein Kampf, en vigueur dans plusieurs pays, dont l'Allemagne[1], où il est par ailleurs interdit de commercialiser ou diffuser des objets nazis. Les lois ou résolutions votées dans de nombreux parlements pour reconnaître l'existence du génocide arménien appartiennent également à la catégorie des lois mémorielles.

En Israël, la Loi du souvenir des martyrs et des héros en 1953 s'est concrétisée dans l'érection du mémorial de la Shoah, Yad Vashem.

Les memorial laws[2] des États-Unis n'ont par contre rien à voir avec les lois mémorielles telles que conçues en France. Il s'agit en fait de lois de portée générale auxquelles le législateur a accolé le nom d'une victime. La Brooke Blanchard Law du New Hampshire, qui stipule qu'un conducteur mineur qui provoque un accident par négligence doit être jugé comme un adulte, porte ainsi le nom de la jeune victime d'un chauffard mineur en état d'intoxication alcoolique.

Sommaire

Belgique

La loi du 23 mars 1995 tend à réprimer la négation, la minimisation, la justification ou l'approbation du génocide commis pendant la Seconde Guerre mondiale par le régime national-socialiste allemand. Son extension a été débattue au Sénat en juin 2005 et a achoppé sur la qualification juridique du génocide arménien[3]. Un organisme de droit public, le Centre pour l'égalité des chances et la lutte contre le racisme, dépendant directement des services du Premier Ministre, est notamment chargé de veiller à l'application de cette loi en estant en justice le cas échéant.

Conseil de l'Europe

Un protocole additionnel à la convention sur la cybercriminalité, "relatif à l'incrimination d'actes de nature raciste et xénophobe commis par le biais de systèmes informatiques", a été adopté le 30 janvier 2003 par le Conseil de l'Europe et soumis à la ratification des États membres et observateurs. Son article 6 est intitulé "Négation, minimisation grossière, approbation ou justification du génocide ou des crimes contre l’humanité". La France l'a intégré dans sa législation le 19 mai 2005. Lors des débats en juin 2005 au Sénat belge sur l'intégration de ce protocole additionnel à la législation belge, la question de l'inclusion du génocide arménien a fait l'objet de vifs débats. Le protocole additionnel n'entrera en vigueur qu'après ratification par cinq États, au plus tôt le 1er mars 2006. Au 29 décembre 2005, 25 États (dont 24 membres du Conseil de l'Europe, plus le Canada) l'ont signé et cinq (Albanie, Chypre, Danemark - avec réserves-, Macédoine et Slovénie) l'ont formellement ratifié.

France

À l'occasion du débat sur la loi sur d'éventuels "aspects positifs" de la colonisation, à l'automne 2005, le concept de lois mémorielles a été forgé en France pour désigner essentiellement la loi Gayssot, la loi Taubira, la loi sur la reconnaissance du génocide arménien et celle précisément sur l'existence alléguée de ce qui fut qualifié d'"aspects positifs" de la colonisation. Le débat sur la pertinence d'une telle intervention législative a été relancé, divisant tant la classe politique que la communauté scientifique et le monde de la presse. Il faut toutefois souligner la différence entre une loi effective comme la Loi Gayssot, assortie de sanctions pénales, et des lois déclaratives comme les trois autres, qui ne font qu'imposer des principes sans assortir cela de sanctions pénales.

Le texte du 23 février 2005 a provoqué la colère des historiens qui n'admettent pas que la loi écrive l'Histoire, d'autant qu'en l'espèce l'ingérence du législateur a pu être qualifiée d'entreprise de falsification confinant au révisionnisme. Dix-neuf des plus grands historiens français ont co-signé un texte intitulé "Liberté pour l'histoire!" le 12 décembre 2005 demandant l'abrogation de cette loi, mais citant également les lois du 13 juillet 1990 réprimant les actes racistes, antisémites ou xénophobes, du 29 janvier 2001 reconnaissant le génocide arménien de 1915, du 21 mai 2001 reconnaissant la traite et de l'esclavage en tant que crime contre l'humanité. Les co-signataires de ce texte sont : Jean-Pierre Azéma, Élisabeth Badinter, Jean-Jacques Becker, Françoise Chandernagor, Alain Decaux, Marc Ferro, Jacques Julliard, Jean Leclant, Pierre Milza, Pierre Nora, Mona Ozouf, Jean-Claude Perrot, Antoine Prost, René Rémond, Maurice Vaïsse, Jean-Pierre Vernant, Paul Veyne, Pierre Vidal-Naquet et Michel Winock [4].

Pour les trente et un juristes, historiens ou écrivains signataires de la contre-pétition du 20 décembre 2005, une différence importante existe entre ces lois et celle du 23 février 2005 : tandis que les autres lois n'auraient qu'une valeur « déclarative » et dénonceraient des crimes contre l'humanité (donc affirmation d'un rôle négatif), la loi du 23 février, au contraire, affirmerait un rôle positif [5]. On se situerait dès lors selon des historiens comme Olivier Le Cour Grandmaison dans un "stupéfiant négationnisme".

En novembre 2008, les députés ont pris la décision de ne plus voter de lois mémorielles[6].

Loi du 13 juillet 1990, dite loi Gayssot

Loi adoptée malgré l'opposition du Sénat, et qui n'a pas été contrôlée par le Conseil constitutionnel. Son article 9 modifie la loi sur la liberté de la presse de 1881 en y introduisant un article 24 bis visant à interdire le négationnisme :

«  Seront punis des peines prévues par le sixième alinéa de l'article 24 ceux qui auront contesté, par un des moyens énoncés à l'article 23, l'existence d'un ou plusieurs crimes contre l'humanité tels qu'ils sont définis par l'article 6 du statut du tribunal militaire international annexé à l'accord de Londres du 8 août 1945 et qui ont été commis soit par les membres d'une organisation déclarée criminelle en application de l'article 9 dudit statut, soit par une personne reconnue coupable de tels crimes par une juridiction française ou internationale.  » 
Article 9 de la loi du 13 juillet 1990

Loi du 29 janvier 2001

Texte de la loi (Article unique)

«  La France reconnaît publiquement le génocide arménien de 1915.
La présente loi sera exécutée comme loi de l'État.  » 
Loi du 29 janvier 2001 (article unique)

Loi du 21 mai 2001 dite loi Taubira sur l'esclavage

La loi Taubira du 21 mai 2001 tendant à la reconnaissance de la traite et de l'esclavage en tant que crime contre l'humanité dispose que :

« Article 2.

Les programmes scolaires et les programmes de recherche en histoire et en sciences humaines accorderont à la traite négrière et à l'esclavage la place conséquente qu'ils méritent. La coopération qui permettra de mettre en articulation les archives écrites disponibles en Europe avec les sources orales et les connaissances archéologiques accumulées en Afrique, dans les Amériques, aux Caraïbes et dans tous les autres territoires ayant connu l'esclavage sera encouragée et favorisée.

 » 
Loi n° 2001-434 du 23 mai 2001

Cet article suit l'article 1 qui dispose que la république française reconnait la traite négrière comme un crime contre l'humanité, toutefois l'article 2 ne donne pas de directive sur l'orientation du traitement de cette page de l'histoire.

Suite à cette loi et au comité pour la mémoire de l'esclavage, présidé par l'écrivain guadeloupéen Maryse Condé, Jacques Chirac a annoncé le 30 janvier 2005 la création d'une journée annuelle de la mémoire de l'esclavage, qui se tiendra tous les 10 mai, date de l'adoption au Parlement de la loi Taubira. Le président a confié à cette même occasion à l'écrivain martiniquais Édouard Glissant la présidence d'une "mission de préfiguration d'un centre national consacré à la traite, à l'esclavage et à leurs abolitions". Ce centre s'ajoutera à la Cité nationale de l'histoire de l'immigration dont l'inauguration est attendue en avril 2007 au Palais de la Porte-Dorée.

Loi française du 23 février 2005 sur la présence française outre-mer

L'alinéa 2 de l'article 4 de la loi déclarait:

« les programmes scolaires reconnaissent en particulier le rôle positif de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord et accordent à l’histoire et aux sacrifices des combattants de l’armée française issus de ces territoires la place éminente à laquelle ils ont droit »

Cet alinéa a provoqué un scandale chez des historiens, dont certains ont qualifié ladite loi de « révisionniste ». Outre la question de l'existence d'une Histoire officielle, la polémique qui a remué l'opinion publique notamment dans les pays anciennement colonisés par la France, chez les personnes originaires de ces pays et résidant en France, ou encore dans les départements d'Outre-mer a entrainé le retrait de cette disposition dont le gouvernement a entendu se désolidariser. Elle a été déclassée par le Conseil constitutionnel (décision du 31 janvier 2006) sur demande du Premier ministre (25 janvier 2006), puis abrogée par voie règlementaire (décret du 15 février 2006).

Mais subsiste notamment l'alinéa 1 de l'article 1 qui dispose :

« La Nation exprime sa reconnaissance aux femmes et aux hommes qui ont participé à l'œuvre accomplie par la France dans les anciens départements français d'Algérie, au Maroc, en Tunisie et en Indochine ainsi que dans les territoires placés antérieurement sous la souveraineté française. »

Espagne

La loi sur la mémoire historique (Ley de extensión de derechos a los afectados por la Guerra Civil y la dictadura : loi d'extension des droits aux victimes de la guerre civile et de la dictature, ou Ley de la Memoria Histórica) a été approuvée en Conseil des Ministres le 28 juillet 2006. Le projet de loi [7] du gouvernement socialiste de José Luis Rodríguez Zapatero, visait à reconnaître les victimes du franquisme. Controversée, la loi a suscité la proposition de projets alternatifs comme celui d'Esquerra Republicana de Catalunya [8].

Notes et références

  1. En France, cette vente est autorisée sous condition d'une préface rappelant l'illégalité des propos tenus selon nos lois actuelles et le fait que cet ouvrage particulier ne comporte une dispense qu'en raison de son intérêt historique
  2. (en) In the Name of Love: Laws Named for Victims, Ruth Laird, été 2001
  3. Débats sur le négationnisme du génocide arménien - Belgique 1997-2005
  4. Pétition «Liberté pour l'Histoire» signée par 19 historiens du 12 décembre 2005
  5. Contre-pétition signée par 31 juristes, historiens et écrivains du 20 décembre 2005
  6. Mathieu Deslandes, « La fin des lois mémorielles », 9 novembre 2008, Le journal du dimanche. Consulté le 23 novembre 2008
  7. Proyecto de ley por la que se reconocen y amplían derechos y se establecen medidas en favor de quienes padecieron persecución o violencia durante la guerra civil y la dictadura
  8. Groupe parlementaire d'Esquerra Republicana, Proyecto de ley sobre Memoria Histórica Republicana i Antifacista

Annexes

Bibliographie

  • Remy Jacqueline, Thiolay Boris, « Faut-il abroger les lois mémorielles? », L'Express, 2 février 2006
  • Christophe Forcari, Didier Hassoux, " Quand le FN enrôle de force les historiens sous sa bannière ", Libération, 15 décembre 2005
  • René Rémond, « L’Histoire et la Loi », Étvdes, 2006/6, tome 404, p. 763-773. [lire en ligne]
  • Kenneth Bertrams, Pierre-Olivier de Broux, "Du négationnisme au devoir de mémoire. L'histoire est-elle prisonnière ou gardienne de la liberté d'expression?", in "Les propos qui heurtent, choquent ou inquiètent", Revue de droit de l'Université libre de Bruxelles, Bruxelles, Bruylant, 2008, pp. 75-134.

Articles connexes

Liens externes

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