Ludger Labelle

Ludger Labelle

Ludger Labelle (7 avril 1839 - 29 décembre 1867) est un avocat, un journaliste et un homme politique canadien.

Petit corps grêle, surmonté d'une tête forte où le front occupait une place considérable, un visage long, pâle, des yeux que la pensée semblait pousser hors de leurs orbites, " une tête de Robespierre enfant," a dit, un jour, Hector Fabre. L'air, les manières, la physionomie et l'esprit d'un conspirateur, d'un alchimiste du Moyen Âge. Bien capable lui aussi de tout tenter pour trouver la pierre philosophale, le secret de faire de l'or ou de l'argent. De l'esprit jusqu'au bout des ongles, et avec cela un jugement solide et un grand tact.

Avec de l'étude, un régime de vie régulier et un caractère plus sérieux, il aurait pu devenir un chef de parti, et on dit que c'était l'opinion de Sir George-Étienne Cartier. Dans les années 1862, 1863 et 1864, il était avocat pratiquant à Montréal en société avec J.-A. Mousseau. Fils d'un ouvrier bien connu, J.-B. Labelle, ami de tout le monde, connaissait les noms de la plupart des ouvriers de la division Est de Montréal ainsi que de leurs femmes et de leurs enfants, il s'était fait en peu de temps une bonne clientèle qu'il négligeait trop.

L'homme le plus irrégulier du monde. Il se mettait au travail à une heure de l'après-midi, et quand il allait au bureau de poste, il revenait tard, bien tard, car il donnait la main et offrait un verre de vin à tous ceux qu'il rencontrait. Il commençait la journée quand tout le monde la finissait, à l'heure où le soleil disparaissait et il se couchait, lorsque tout dormait dans la nature. Il aimait la nuit, les ténèbres, il préférait la lune au soleil, les étoiles à la lune et la lumière du gaz ou de la bougie aux étoiles.

Il disait que plus le temps était noir, plus son esprit voyait clair. Aussi, c'est le soir, la nuit même qu'il ourdissait ses plans politiques ou municipaux, car il était membre du conseil de ville, qu'il rédigeait des articles pour les journaux. Il a été rédacteur de la Guêpe, petit journal humoristique dont il a fait le succès pendant un certain temps. Il a été aussi l'un des fondateurs du Colonisateur dont le but était, comme son nom le dit, de travailler à l'avancement de la colonisation. Les collaborateurs étaient J.-A. Mousseau, J.-A. Chapleau, L.-V. Sicotte, W. Tessier, L. Ricard, A.-N- Montpetit, U. Fontaine et L.-O. David.

Le journal était lu, mais peu payé; M. Pierre Cérat en était l'imprimeur. La grosse question, tous les samedis, était de savoir quel moyen Labelle trouverait pour l'empêcher de fermer boutique. Chaque semaine apportait la même scène : le père Cérat demandant de l'argent pour payer son papier et ses hommes et Labelle cherchant à le convaincre qu'il devait se contenter de rien ou presque rien. —Mais avec quoi, s'écriait M. Cérat voulez vous que j'achète, cette semaine, des têtes de bœuf pour mes enfants, si vous ne me payez pas. —-Patience, disait Labelle, ce n'est pas avec des têtes de bœuf mais avec des poulets que vous nourrirez plus tard vos enfants, quand nous serons ministres. Naturellement le père Cérat se fâcha, un bon jour, et le Colonisateur disparut.

Labelle fut le principal fondateur du Club St-Jean-Baptiste qui fit beaucoup de bruit avec peu de chose et finit par être considéré comme une société secrète. Les membres s'engageaient sur l'honneur à ne pas dévoiler les secrets des délibérations. Le mot de passe était "Marianne vient-elle ?" Le secret était facile à garder, car les membres du club passaient leur temps à jouer au billard, au domino et un peu aux cartes ; toutefois s'ils n'avaient pas de mauvaise intention, ils ne faisaient rien de bon. Le résultat le plus clair de cette association a été de faire élire Labelle membre du Conseil et de faire battre Chapleau, qui était pourtant alors déjà populaire, par J.-O. Mercier, marchand-épicier.

Cependant, il servit de refuge, pendant un mois, à l'un des jeunes gens qui après avoir volé une banque à Saint Albans avaient franchi la frontière et avaient été arrêtés et emprisonnés à Montréal. On sait qu'ils subirent un procès célèbre et qu'ils furent acquittés sur une question de forme, que de nouveaux mandats furent émis contre eux, à la demande du gouvernement américain, et que pour ne pas être arrêtés, ils se cachèrent comme ils purent. Ils n'eurent pas de peine à trouver des refuges au milieu d'une population qui était pleine de sympathie pour eux.

Le Club Saint-Jean-Baptiste ne fut donc pas sous ce rapport plus coupable que le reste de la population. Mais ses principaux membres voulurent pousser les choses plus loin, lorsqu'ils discutèrent le projet de délivrer les raiders avant leur acquittement. Le complot était pas mal avancé, lorsque l'un des conspirateurs reçut une lettre l'avertissant, ainsi que ses compagnons, qu'on les ferait arrêter si on les croyait sérieux.

Labelle a été le chef des jeunes conservateurs qui sur la question de Confédération jugèrent à propos de se séparer de leurs chefs et il fut l'un des principaux fondateurs de l'Union Nationale. Il ne s'entendait pas toujours avec Lanctot et se moquait un peu de ses façons d'agir, mais ils furent d'accord pour combattre la Confédération et se porter candidats contre Cartier aux élections générales de 1867, Labelle pour la Chambre locale et Lanctot pour la Chambre fédérale.

Labelle fut sensible à un échec qui ruinait ses espérances, à un moment où sa santé et sa fortune auraient eu besoin d'une réaction. Né faible de corps, il aurait eu besoin pour vivre d'un régime de vie sage et régulier. L'homme de talent doit à sa famille, à son pays tout le temps qu'il pourrait vivre en vivant bien. Labelle n'avait que trente-cinq ans quand il est mort, mais il avait en toutes choses l'expérience d'un homme de soixante ans, et il était blasé, ennuyé comme sont tous ceux qui font violence à la fortune pour lui arracher des succès prématurés. De ce qui précède on a dû conclure que l'originalité était un trait caractéristique de l'esprit et du caractère de Labelle.

Il vivait avec son père et une de ses tantes. Comme la maison était toujours pleine de monde et que les repas avaient lieu à toute heure du jour et de la nuit, la position de tante Théotis n'était pas gaie. Elle s'impatientait quelque fois et trouvait le fardeau un peu lourd. Labelle se faisait un plaisir de l'étriver, mais elle supportait patiemment tous ses quolibets et ses apostrophes. Un jour, pourtant, elle perdit patience. En imitant O'Connell, Labelle lui avait adressé les épithètes les plus saugrenues, il l'avait même traitée de concubine, de Messaline. Elle n'avait pas bronché. " Je dirai plus, s'écria-t-il, il est temps que je sois franc avec vous, je dirai que vous êtes une femme verticale." Elle bondit de rage et s'écria : " Ça, par exemple, c'est trop fort, je vais avertir ton père, ce soir, que je m'en vais, je quitte la maison." Inutile de dire si cette scène amusa et si le père Labelle se moqua de tante Théotis, quand elle lui fit, le soir, en pleurant, son rapport.

Au reste, le meilleur cœur du monde. Il n'avait rien à lui, et ne cherchait à faire de l'argent que pour donner à droite et à gauche, pour secourir tous ceux qui s'adressaient à lui. Il y avait toujours place à sa table et dans sa chambre pour celui qui avait besoin, pour l'étudiant aux abois. Il tenait de famille sous ce rapport comme sous bien d'autres, il avait l'esprit vif et le cœur chaud des Labelle. Il a beaucoup admiré Emma Lajeunesse que nous voyions souvent en 1862 et 1863 chez M. Jean-Marie Papineau, l'oncle de Ludger Labelle, le meilleur des oncles comme je l'établirai, lorsque je parlerai d'Elzéar Labelle.

Emma Lajeunesse n'avait que quinze ou seize ans, à cette époque, et, déjà, elle faisait présager ce qu'elle serait, si elle trouvait la protection dont elle avait besoin pour perfectionner son merveilleux talent. Labelle et Chapleau et David étaient ses plus dévoués protecteurs, mais Labelle surtout lui avait voué un véritable culte. C'était à qui de nous ferait dans le Colonisateur, organe libéral, l'éloge de la future grande artiste. C'est Labelle qui eut l'idée d'organiser, sous le patronage de la jeunesse, un concert pour lui donner les moyens d'aller à Albany où elle trouva une protection plus efficace.

Peu d'hommes ont été plus aimés que Ludger Labelle, mais il ne suffit pas d'être aimé pour faire son devoir dans le monde. Au contraire, il faut être capable, au besoin, de subir les injustices des hommes, de braver l'impopularité pour un principe, un sentiment, une œuvre utile à la religion, à la société. Il faut être assez fort pour commencer la vie humblement, pour se priver des jouissances que donne la fortune.

Références


Wikimedia Foundation. 2010.

Contenu soumis à la licence CC-BY-SA. Source : Article Ludger Labelle de Wikipédia en français (auteurs)

Игры ⚽ Нужна курсовая?

Regardez d'autres dictionnaires:

  • 1867 au Canada — Éphémérides Chronologie du Canada : 1864 1865 1866  1867  1868 1869 1870 Décennies au Canada : 1830 1840 1850  1860  1870 1880 …   Wikipédia en Français

  • 1867 au Québec — Éphémérides Chronologie du Québec : 1864 1865 1866  1867  1868 1869 1870 Décennies au Québec : 1830 1840 1850  1860  1870 1880 1890 …   Wikipédia en Français

  • L.-O. David — Laurent Olivier David Pour les articles homonymes, voir David. Laurent Olivier David Laurent Olivier David (Montréal, 24 mars 1840 …   Wikipédia en Français

  • L.O. David — Laurent Olivier David Pour les articles homonymes, voir David. Laurent Olivier David Laurent Olivier David (Montréal, 24 mars 1840 …   Wikipédia en Français

  • LO David — Laurent Olivier David Pour les articles homonymes, voir David. Laurent Olivier David Laurent Olivier David (Montréal, 24 mars 1840 …   Wikipédia en Français

  • Laurent-Olivier David — Pour les articles homonymes, voir David. Laurent Olivier David Laurent Olivier David (Montréal, 24 mars 1840 Outremont, 23 aoû …   Wikipédia en Français

  • Laurent-olivier david — Pour les articles homonymes, voir David. Laurent Olivier David Laurent Olivier David (Montréal, 24 mars 1840 …   Wikipédia en Français

  • Mederic Lanctot — Médéric Lanctôt Médéric Lanctot (7 décembre 1838 30 juillet 1877) est un avocat, un journaliste et un homme politique canadien. Dans le mois de novembre 1838, Hippolyte Lanctot, notaire de Saint Rémi, l un des plus ardents patriotes de cette… …   Wikipédia en Français

  • Médéric Lanctot — Médéric Lanctôt Médéric Lanctot (7 décembre 1838 30 juillet 1877) est un avocat, un journaliste et un homme politique canadien. Dans le mois de novembre 1838, Hippolyte Lanctot, notaire de Saint Rémi, l un des plus ardents patriotes de cette… …   Wikipédia en Français

  • Médéric Lanctôt — Médéric Lanctot (7 décembre 1838 30 juillet 1877) est un avocat, un journaliste et un homme politique canadien. Dans le mois de novembre 1838, Hippolyte Lanctot, notaire de Saint Rémi, l un des plus ardents patriotes de cette époque, était arrêté …   Wikipédia en Français

Share the article and excerpts

Direct link
Do a right-click on the link above
and select “Copy Link”