Makourrites

Makourrites

Makurie

La Nubie chrétienne à l'époque où elle comptait trois États. Celui de Makourie absorbera par la suite celui de Nobatie. La frontière entre l'Alodie et la Makourie n'est pas certaine

La Makourie (en arabe : مقرة) est un royaume situé dans ce qui serait aujourd'hui la région s'étendant du nord du Soudan au sud de l'Égypte. Il est l'un des trois royaumes Nubiens qui ont émergé après la chute du royaume de Méroé, qui a dominé la région de -800 à l'an 350. Le royaume de Makourie s'étend le long du Nil de la troisième cataracte à un endroit situé entre la cinquième et la sixième cataracte. Le royaume avait le contrôle des voies d'échanges, des mines, et des oasis de l'est à l'ouest de la région. Sa capitale est Dongola, et le royaume est parfois connu sous ce nom.

À la fin du VIe siècle, le royaume se convertit au christianisme, mais au VIIe siècle, la conquête de l'Égypte par les armées musulmanes coupe la Nubie du reste de la Chrétienté. En 651 la zone est envahie par une armée arabe, mais elle est repoussée et un traité connu sous le nom de bakt est signé et instaure une paix relative entre les deux parties, paix qui durera jusqu'au XIIIe siècle.

Le Royaume de Makourie s'étend en annexant le royaume voisin de Nobatie à peu près à l'époque de l'invasion arabe ou sous le règne de Merkurios. La période s'étendant de 750 à 1150 est synonyme de stabilité et de prospérité et appelée en conséquence âge d'or[1]. Les agressions grandissantes de l'Égypte et des dissensions internes provoquent l'écroulement de l'État au XIVe siècle.

Sommaire

Sources historiques

Page d'une traduction nubienne du Liber Institutionis Michaelis Archangelis du IXe/Xe siècle, découvert à Qasr Ibrim, conservé au British Museum. Le nom de l'archange Michel est en rouge.

La Makourie est de loin le mieux connu des royaumes de Nubie chrétienne, mais il reste néanmoins de nombreuses zones d'ombre dans son histoire. Les principales sources historiques de cette période sont les écrits de voyageurs arabes et d'historiens ayant traversé la région nubienne à cette époque. Ces témoignages sont cependant souvent problématiques à exploiter car le regard des musulmans de cette époque sur ses voisins chrétiens est biaisé. De plus ces écrits concernent principalement le conflit militaire entre Égypte et Nubie[2]. Une exception dans cet ensemble est constituée par le récit détaillé du diplomate égyptien Ibn Selim el-Aswani, qui voyagea à travers le Dongola à l'époque où la Makourie était au sommet de sa puissance, au cours du Xe siècle[3].

La société nubienne connaissait et pratiquait l'écriture, et une quantité intéressante de textes de cette période ont pu être conservés. Ces documents sont rédigés en ancien nubien, dont l'alphabet est basé sur l'onciale de l'alphabet grec enrichi de quelques symboles coptes et de quelques autres propres à la Nubie. La langue écrite quant à elle est proche de l'actuel nobiin. Bien que ces documents soient depuis longtemps traduits, la quasi-totalité d'entre eux traitent de questions religieuses, ou sont des notes légales, textes de peu d'intérêt pour les historiens. La collection la plus connue reste celle découverte à Qasr Ibrim, qui contient quelques documents officiels exploitables.

Ces dernières années, l'archéologie a représenté la meilleure méthode pour obtenir des informations sur la Makourie. La construction du Haut barrage d'Assouan en 1964 devait recouvrir d'eau ce qui avait autrefois été le Sud de la Makourie. En 1960, l'UNESCO engagea de nombreuses actions pour réaliser le plus de fouilles de sauvegarde possibles avant la mise en eau du barrage. À cette occasion, des milliers d'experts furent mobilisés de par le monde. Parmi les sites d'importance prospectés, on trouve la ville de Faras et sa cathédrale mise à jour par une équipe polonaise, les travaux anglais menés à Qasr Ibrim et ceux de l'université du Ghana dans la partie ouest de la ville de Debeira. Ces travaux apportèrent de très nombreuses informations sur la Nubie médiévale. Tous ces sites sont situés sur la zone conquise en Nobatie; le seul site archéologique important en chantier de Makourie proprement dit est celui de l'exploration partielle de la vieille ville de Dongola[4].

Histoire

Origines

Les origines du royaume de Makourie sont incertaines. Ptolémée mentionne toutefois une tribu nubienne portant le nom de Makkourae, qui pourrait être les ancêtres des habitants de Makourie[5].

Le royaume semble s'être constitué au IVe ou Ve siècle. La première mention qui en est faite se trouve dans un texte de Jean d'Éphèse au VIe siècle, qui s'élève contre l'hostilité de la Makourie envers les missionnaires monophysites voyageant vers l'Alodie. Peu de temps après Jean de Biclarum note dans ses textes la conversion de la Makourie à la foi melkite.

L'évènement le plus important de cette période de l'histoire de la Makourie est la déroute infligée à une armée arabe en 652. Les Arabes ayant conquis l'Égypte en 641, le jihad poursuit sa lancée vers le sud. Lors de la bataille de Dongola, les Arabes sont défaits ou au moins repoussés par les Nubiens. La manière dont les Nubiens assurent leur victoire n'est pas claire, mais les chroniqueurs arabes remarquent la grande habileté des archers makouriens. C'est la seule défaite d'importance infligée aux armées arabes durant le premier siècle de leur expansion. Cette défaite entraine la signature du bakt, qui garantit la paix entre les deux parties. Dans ce traité, les Nubiens s'engagent à envoyer chaque année à l'Égypte plusieurs centaines d'esclaves; en contrepartie, les Égyptiens doivent fournir de la nourriture et des produits transformés[6].

Dans certaines zones du nord, la Makourie et la Nobatie semblent fusionner[7]. Les preuves de cette fusion ne sont pas évidentes voire contradictoires. Les commentaires arabes sur l'invasion de 652 ne font en effet état que d'un seul royaume centré sur Dongola. Le bakt, négocié par le roi de Makourie, s'applique également à toute la partie nord de l'Alodie. Cela a poussé certains chercheurs à proposer l'hypothèse que les deux royaumes pouvaient être unifiés pendant cette période de trouble. Cependant un livre, rédigé en 690 expose de façon claire que les royaumes de Makourie et de Nobatie sont deux états séparés, voir hostiles l'un envers l'autre. Une preuve recevable de l'union des royaumes est apportée par une inscription effectuée sous le règne de Merkurios à Taifa qui montre bien que la Nobatie était sous contrôle makourien au milieu du VIIIe siècle. Toutes les sources postérieures à cette date indiquent également cette domination de la Makourie. Certains chercheurs en concluent que cette unification des deux royaumes s'est faite sous le règne de Merkurios, qui est également appelé "le nouveau Constantin" par Jean le diacre (Johannes Diaconus)[8].

La dénomination de ce royaume réuni n'est pas claire, que ce soit dans les sources contemporaines ou parmi les historiens modernes. La Makourie reste le terme employé en géographie pour désigner la moitié sud du royaume mais aussi pour désigner le royaume dans son ensemble. Certains auteurs utilisent même le terme de Nubie, ignorant en cela que la sud de la Nubie était toujours sous le contrôle de la partie indépendante de l'Alodie. Il est parfois aussi fait mention du royaume de Dongola d'après le nom de sa capitale. On trouve également parfois l'appellation de royaume de Makourie et Nobatie, ce qui implique peut-être une double monarchie. Enfin, on peut également trouver le terme de Dotawo qui peut faire référence à un royaume totalement indépendant[9].

Apogée

La Makourie semble avoir été stable et prospère pendant les VIIIe siècle et IXe siècle. À cette époque, l'Égypte, affaiblie par des guerres civiles fréquentes, ne représente pas une grande menace pour le nord du pays. Ce sont alors les Nubiens qui interviennent le plus dans les affaires des pays voisins. La majorité de la Haute-Égypte est alors encore chrétienne et envisage les royaumes nubiens comme des protecteurs potentiels. Il est même fait mention de la mise à sac du Caire au VIIIe siècle, dans le but de défendre les chrétiens, mais il s'agit sûrement là d'un récit apocryphe[10].

On ne sait que peu de choses de la Makourie pendant cette période. Un des faits les plus marquants est sans doute l'histoire du roi de Makourie, , envoyant son fils Georges à Bagdad pour y négocier une réduction du bakt. Plus tard, Georges Ier, en tant que roi, joue un rôle important dans l'histoire de l'explorateur arabe al-Umari. Les meilleurs témoignages sur cette époque sont archéologiques. Les fouilles menées montrent que la zone devait être stable et prospère. La poterie, la peinture et l'architecture nubienne atteignent leur apogée à cette époque. Il semble que cette période coïncide avec un cycle régulier du Nil : sans famines causées par de trop faibles inondations, et sans destructions occasionnées lorsque celles-ci sont trop fortes.

L'Égypte et la Makourie vont développer des relations fortes et pacifiques à l'époque fatimide. En effet, les Fatimides chiites ont alors peu d'alliés parmi le monde musulman et ils considèrent alors les chrétiens d'Afrique comme de bons alliés[11].

La puissance fatimide dépend aussi des esclaves noirs fournis par la Makourie, en particulier pour venir grossir les rangs de leur armée. Le commerce entre les deux états est donc florissant. L'Égypte expédie de l'orge, du vin et du lin, tandis que la Makourie exporte de l'ivoire, du bétail, des plumes d'autruches et des esclaves.

Les relations avec l'Égypte se dégradent lorsque les Ayyoubides prennent le pouvoir en Égypte en 1171. Très tôt au début de cette période, les Nubiens envahissent l'Égypte, peut-être avec le soutien de leurs alliés Fatimides[12]. Les Ayyubides repoussent rapidement cette invasion, et en représailles, Saladin envoie son frère Turan Shah à la conquête de la Nubie. Ce dernier défait les Nubiens et occupe Qasr Ibrim pendant plusieurs années avant de se replier vers le nord. Les Ayyubides décident alors d'envoyer un émissaire en Nubie afin d'évaluer son potentiel et éventuellement de la conquérir définitivement. Mais cet émissaire juge le pays trop pauvre. C'est pourquoi il semble que les Ayyoubides ignorent cette zone pendant tout le siècle qui suit.

Le déclin

Il n'existe pas de récits de voyages sur la Makourie de 1171 à 1272, et les évènements marquant cette période restèrent longtemps inconnus, bien que des découvertes archéologiques récentes fournissent quelques éclairages. À cette époque le royaume semble entrer dans une phase de déclin. La meilleure source disponible est Ibn Khaldun qui écrit quelques dizaines d'années plus tard un texte sur les invasions bédouines et le rôle qu'y jouèrent les Arabes. Les Ayyubides se comportent en effet de façon particulièrement agressive avec les tribus bédouines de déserts voisins, les poussant à un conflit avec les Nubiens. Les éléments archéologiques donnent des preuves évidentes d'instabilité croissante en Makourie. Les villes, autrefois ouvertes, se dotent progressivement de remparts, les habitants se déplacent vers des positions plus facilement défendables, comme le haut des falaises dans le cas de Qasr Ibrim. Les habitations se complexifient, intégrant en particulier des caches secrètes pour la nourriture ou les biens de valeur. Les travaux archéologiques montrent également une présence grandissante d'éléments arabisants ou islamisants. La liberté de commerce étant un des articles du bakt, les marchants arabes se mettent à occuper une place important à Dongola et dans d'autres villes. Il est même envisageable que le nord (l'ancien royaume de Nobatie) soit fortement arabisé et islamisé, cette zone, quasi autonome par rapport à Dongola, étant de plus en plus dénommée al-Maris dans les textes.

Bien que les tribus du désert soient les forces de destruction les plus actives dans ce déclin, les fréquentes campagnes des Mamelouks égyptiens sont beaucoup plus documentées. L'un des termes du bakt est que la Makourie doit assurer la sécurité de la frontière sud de l'Égypte contre les raids menés par des tribus du désert comme les Bejas. Ne pouvant plus assurer son rôle, l'État de Makourie doit laisser les armées égyptiennes intervenir, se laissant par la même affaiblir un peu plus. En 1272 le sultan mamelouk Baybars envahit la Makourie après que le roi David Ier a attaqué la ville égyptienne de Aidhab. Cette action marque le début de plusieurs décennies d'interventions des Mamelouks dans les affaires nubiennes. Mais des dissensions internes semblent également marquer cette période. Le cousin de David Ier, Shekanda, revendique le trône et se rend au Caire y chercher le soutien des Mamelouks. Ces derniers approuvent son action et lancent une invasion de la Nubie en 1272, mettant Shekanda sur le trône. Le roi chrétien signe un accord de vassalité avec l'Égypte et une garnison mamelouke s'installe à Dongola. Après quelques années de cette occupation, Shamamun, un autre membre de la famille royale de Makourie, mène une rébellion afin de chasser la garnison égyptienne de Dongola. Il propose à l'Égypte une augmentation des tributs annuels prévus dans le bakt en échange de l'annulation du contrat que Shekanda avait signé. Comme les armées mameloukes avaient fort à faire dans d'autres zones, le sultan d'Égypte accepte cette proposition.

Après une période de paix, le roi Karanbas ne règle plus les paiements prévus et les Égyptiens envahissent de nouveau le pays. C'est l'occasion pour eux de mettre sur le trône un membre musulman de la dynastie royale. Sayf al-Din Abdullah Barshambu commençe alors la conversion du pays à l'Islam, et en 1317 la cathédrale de Dongola est transformée en mosquée. Cette action est rejetée par les autres dirigeants de Makourie et le pays sombre dans l'anarchie. Alors que les campagnes étaient sous contrôle des tribus nomades du désert, la monarchie ne garde qu'un contrôle restreint sur la capitale et sa périphérie. La dernière preuve de l'existence de la famille royale de Makourie est un appel à l'aide datant de 1397.

En 1412 la tribu des Awlad Kenz ou Abu Kenz prend le contrôle de la Nubie et d'une partie de l'Égypte (jusqu'à la thébaïde). Ils règnent en maîtres jusqu'en 1517, date à laquelle ce territoire est conquis et rattaché au reste de l'Égypte par les armées ottomanes du sultan Selim Ier.

Gouvernement

La Makourie est une monarchie dirigée par un roi siégeant à Dongola. Le roi est également considéré comme un prêtre et peut dire la messe[13]. Les modalités des successions ne sont pas claires. Les premiers écrits indiquent une succession de la charge de père en fils. Après le XIe siècle, il semble pourtant que soit adoptée une transmission au neveu par l'oncle maternel, comme cela se pratique depuis des temps immémoriaux dans le pays de Kush. L'historien Shinnie propose que la forme tardive de succession ait toujours été utilisée, mais que les premiers écrits arabes l'interprétèrent mal en la rapprochant du système patrilinéaire classique qui est le leur[14].

La hiérarchie sous l'autorité du roi est très mal connue. Une grande quantité d'officiers, de généraux, faisant usage d'appellations byzantines sont mentionnés dans les textes, mais leur rôle n'y est jamais décrit. Un personnage est un peu mieux connu, grâce aux documents trouvés à Qasr Ibrim indiquant que l'Eparch de Nobatie semble avoir été vice-roi de cette région après son annexion par la Makourie. Les chroniques de l'Eparch montrent de façon claire qu'il est responsable du commerce et de la diplomatie avec les Égyptiens. Les plus anciens écrits indiquent que l'Eparch est nommé par le roi, mais des notes plus tardives semblent montrer que la charge était devenue héréditaire[15]. Cette charge se transforme peut-être en titre de Seigneur des chevaux, qui dirige par la suite la région d'al-Maris, région autonome qui passe ensuite sous contrôle égyptien.

Il semble que les évêques aient aussi joué un rôle dans le gouvernement. Ibn Selim el-Aswani relate qu'avant que le roi valide sa mission, il rencontre un conseil composé d'évêques[16]. El-Aswani décrit un État fortement centralisé, mais pour d'autres chroniqueurs il s'agit d'une confédération de treize royaumes présidée par le roi du Dongola[17]. Il est très difficile de discerner ce que pouvait être la réalité, mais le royaume de Dotawo, dont il est fait de nombreuses fois mention dans les écrits de Qasr Ibrim, a pu être l'un de ces royaumes fédérés[18].

Rois de Makourie

NB : les dates données sont incertaines pour la grande majorité des dirigeants connus.

  • Qalidurut (651 - 652)
  • Zacharie Ier (645 - 655)
  • Merkurios (v. 675 - v. 710)
  • Cyriaque Ier (v. 722 - v. 738)
  • Zacharie II (v. 738 — v.744)
  • Simon (v. 744 - v.748)
  • Abraham (v. 748 - v. 760)
  • Marc (v. 760)
  • Cyriaque II (v. 760 - v. 768)
  • Michel (v. 790 - v. 810))
  • Jean (v.810 - v. 822)
  • Zacharie III Israël (v. 822 - v. 831)
  • Qanun l'usurpateur (v. 831)
  • Zacharie III Israël (v. 831 - v. 854)
  • Ali Baba (v. 854 - v. 860)
  • Israël (v. 860 - v. 870)
  • Georges Ier (v. 870 - 892)
  • Asabysos (v. 892 - v. 912)
  • Stéphane (v. 912 - v. 943)
  • Kubri ibn Surun (v. 943 - v. 958)
  • Zacharie IV (v. 958 - v. 969)
  • Georges II (v. 969 - v. 980)
  • Simeon (v. 980 - v. 999)
  • Raphaël (v. 999 - v. 1030)
  • Georges III (v. 1030 - v. 1080)
  • Salomon (v. 1080 —v . 1089)
  • Basile (v. 1089 - v. 1130)
  • Georges IV (v. 1130 - v. 1158)
  • Moïse (v. 1158 - v. 1174)
  • Yahya (v. 1210 - v. 1268)
  • David Ier (v. 1268 - v. 1274)
  • David II (v. 1274 - 1276)
  • Shakanda (1276 - v. 1277)
  • Masqadat (v. 1277 - 1279)
  • Barak (1279 - 1286)
  • Samamun (1286 - 1293)
  • Amai (1304 - 1305)
  • Kudanbes (1305 - 1312)
  • Karanbas (1312 -v. 1312)
  • Sayf al-Din Abdullah Barshambu (v. 1312 - 1323)
  • Karanbas (1323)

Religion

Fresque de la Nativité, Chœur de la cathédrale de Faras. Musée national du Soudan, Khartoum.

Un des thèmes les plus débattus parmi les chercheurs concerne la religion pratiquée en Makourie. Jusqu’au Ve siècle, il semble que la religion de méroïtique soit restée prédominante, alors qu’elle disparaissait en Égypte. Au Ve siècle, les Nubiens lancent une expédition en Égypte, durant laquelle les chrétiens essayent de transformer les principaux temples en églises[19]. Les découvertes archéologiques pour cette période comportent de nombreux motifs chrétiens en Nubie, ce qui pour certains indique que la conversion évoquée ci-dessus était déjà en cours. Pour d’autres, ces ornementations sont plus le signe de la foi des fabricants égyptiens que de celle des acheteurs nubiens.

La conversion définitive au Christianisme se fait avec l’appui de missions au cours du VIe siècle. L’empire byzantin décide d’expédier des émissaires pour convertir les royaumes à la foi chalcédonienne, mais l’impératrice Théodora aurait, selon certains, conspiré pour retarder le départ de la mission pour permettre à un groupe de monophysites d’être les premiers arrivés sur place[20]. Jean d'Éphèse rapporte que les monophysites réussissent à convertir les royaumes de Nobatie et d’Alodie, mais que celui de Makourie reste pour le moins hostile. Jean de Biclarum affirme que la Makourie embrasse la foi byzantine plus tardivement. Les pièces archéologiques semblent montrer une conversion rapide soutenue par une adoption officielle de la nouvelle religion. Des traditions millénaires, comme la construction de tombes élaborées et l’enfouissement d’objet coûteux avec le défunt, sont abandonnés et les temples à travers toute la région semblent avoir été transformés en églises. Il semble aussi que de nouvelles églises aient été bâties dans toutes les villes et villages[21].

Après cette période, l’évolution du christianisme en Makourie est plus incertaine. Il est admis qu’au VIIe siècle la Makourie adopte officiellement la religion copte et reconnaisse l’autorité du patriarche d’Alexandrie. Le roi du Makourie devient le défenseur de ce dernier en intervenant de manière occasionnelle pour le protéger, comme le fait Cyriaque en 722. Cette époque voit aussi l’absorption par la Makourie melkite de la Nobatie copte et les historiens se sont longtemps étonnés que les conquérants aient adopté la foi de leurs rivaux. Il est clair que l’influence copte égyptienne dans la région était forte et que la puissance byzantine déclinait et cette opposition a pu jouer un rôle dans l’adoption de l’une ou l’autre des obédiences. Certains historiens sont également divisés pour savoir si ce fait marque la fin de l’opposition melkisme/copte car il existe des preuves de la subsistance d’une minorité melkite persistante jusqu’à la chute du royaume.

L’Église de Makourie était organisée en sept diocèses : Kalabsha, Qupta, Qasr Ibrim, Faras, Sai, Dongola, et Suenkur[22]. Contrairement à l’Éthiopie il n’existe pas d’instance nationale et chacun des sept évêques reçoit ses ordres directement du patriarche d’Alexandrie. Les évêques sont nommés par le patriarche et non par le roi, même s’il semble qu’ils soient pour leur majorité choisis parmi des Nubiens plutôt que parmi des Égyptiens[23].

Autre différence par rapport à l’Égypte, il n’existe pas de preuve d’un monachisme en Makourie. D’après Adams, seuls trois sites peuvent être identifiés de façon certaine comme étant des monastères. Tous trois sont de petite taille et offrent les signes d’une influence copte ce qui peut suggérer qu’ils ont plus été créés par des réfugiés égyptiens que par des originaires du Makourie[24].

La fin du christianisme en Makourie n’est pas claire, mais une pièce du puzzle est apportée par un récit de voyage de Francisco Alvarez, qui fait partie de la cour de l’empereur Lebna-Dengel d’Éthiopie et raconte qu’une ambassade de Nubie chrétienne vient demander dans les années 1520 la fourniture de prieurs, évêques et d’autres clercs afin de tenter de maintenir le christianisme dans leur pays. Lebna Dengel refuse l’aide demandée sous prétexte que les évêques sont nommés par le patriarche d’Alexandrie et qu’eux-mêmes doivent s’y rendre afin de lui demander assistance[25].

Économie

La principale activité économique du royaume de Makourie est l'agriculture, avec des récoltes annuelles d'orge, de millet et de dattes. Les méthodes employées sont sensiblement les mêmes que celles utilisées depuis plusieurs millénaires. Quelques ilots de terres irriguées s'étalent le long des berges du Nil, qui les fertilise lors de ses inondations annuelles. Une avancée technologique majeure est la saqiya (noria), une roue à eau permettant l'irrigation, introduite à l'époque romaine où elle permet d'augmenter les surfaces cultivées, les rendements et la densité de population[26]. Les traces de propriétés sur les terrains, indiquent que la terre est divisée en petites parcelles individuelles plutôt qu'en parcelles communes comme c'est le cas dans un système de culture seigneurial. Les agriculteurs vivent dans de petits villages formés de maisons adjacentes en briques crues.

La production manufacturée est essentiellement représentée par la poterie, en particulier dans la ville de Faras, et le tissage à Dongola. Des ateliers à vocation locale ou régionale travaillent le cuir, le métal et pratiquent le tissage de paniers, nattes ou de sandales à base de fibres de palmier[27]. Autre activité d'importance, l'exploitation d'une mine d'or dans les collines de la mer Rouge à l'est de la Makourie[28].

Le commerce est essentiellement basé sur le troc car l'État ne semble jamais avoir adopté de monnaie. Cependant dans le nord, les pièces égyptiennes sont couramment utilisées[29]. Le commerce avec l'Égypte est particulièrement important. De celle-ci sont importées des denrées précieuses et transformées. Les esclaves représentent l'exportation principale du royaume. Les esclaves expédiés au nord ne sont pas originaires de Makourie mais plutôt de zones du sud et de l'ouest de l'Afrique[30]. On ne sait que peu de choses des relations commerciales de la Makourie avec les autres régions d'Afrique. Il existe quelques signes archéologiques de contacts avec des zones de l'ouest comme le Darfour ou la région de Kanem-Bornu. Il semble y avoir eu en revanche de nombreux contacts diplomatiques avec les chrétiens d'Éthiopie du sud-est. Par exemple, au Xe siècle, intervient en faveur du dirigeant de l'époque (dont le nom n'est pas connu) et réussit à persuader le patriarche latin d'Alexandrie, Philoteos, de doter l'Église éthiopienne orthodoxe d'un abuna (évêque métropolitain). Cependant il existe peu d'indices d'un commerce développé entre ces deux États chrétiens.

Culture

La Nubie chrétienne a longtemps été considérée comme quantité négligeable en grande partie parce que ses tombes sont de petite taille et manquent de mobilier des époques antérieures[31]. Les chercheurs de l’époque moderne se sont rendu compte que cette situation était le fait d’une originalité culturelle et que la Makourie possédait en fait une culture riche et vivante.

Arts

Une des plus importantes découvertes du plan de sauvegarde d’urgence en basse-Nubie (avant la mise en eau du barrage d'Assouan) est la cathédrale de Faras. Cet imposant édifice, entièrement recouvert par les sables, a conservé une série de très belles peintures. D’autres peintures (bien que moins bien préservées) ont été découvertes dans d’autres sites de Makourie, dont des palais ou des résidences privées, permettant ainsi d’appréhender d’une manière plus large l’art de Makourie[32].

Le style et les thèmes sont fortement influencés par l’art byzantin ainsi que par l’art copte et palestinien[33]. En grande majorité d’inspiration religieuses, elles décrivent les scènes classique de l’art chrétien. On trouve également des peintures représentant des rois de Makourie, des évêques à la peau notablement plus foncée que celle de personnages bibliques.

Poterie nubienne médiévale provenant de Qasr Ibrim. British Museum.

La poterie nubienne à cette période est également remarquable. Shinnie la décrit comme « la plus riche des poteries indigènes du continent africain ». Les historiens différencient trois époques pour la poterie[34] :

  • la période précoce, de 550 à 650 (selon Adams) ou 750 (selon Shinnie), est représentée par des poteries assez simples et similaires à celles du Bas Empire romain. Elle est également caractérisée par l’importation de poteries égyptiennes. Adams soupçonne que ce commerce ait pris fin avec l’invasion de 652, Shinnie le relie à la chute des Omeyyades en 750 ;
  • la période intermédiaire voit la production locale augmenter, avec comme centre la ville de Faras. À cette période, qui dure jusque vers 1100, les poteries sont peintes de motifs floraux et zoomorphes et montre des influences Omeyyades et même Sassanides[35] ;
  • la période tardive, durant le déclin du royaume, voit de nouveau baisser la production locale au profit d’importations égyptiennes. Les poteries produites sur place sont moins ornementées mais un meilleur contrôle des températures de cuisson permet d’obtenir différentes couleurs d’argile.

Langue

Différentes langues étaient parlées en Makourie. Dans les premiers siècles, quand l’influence byzantine était grande, le grec est la première langue écrite et probablement celle utilisée par la cour royale. Le grec continue à être utilisé dans les époques suivantes pour la liturgie ou des buts cérémoniels comme sur beaucoup de pierres tombales. Cependant les inscriptions plus récentes montrent de nombreuses erreurs grammaticales et orthographiques, signes d’une maîtrise affaiblie de cette langue. On peut aussi supposer que l’ancien nubien, qui était la langue du peuple, devient la langue écrite principale. Les traductions de la Bible et d’autres textes religieux sont largement répandues. Un voyageur arabe affirme que la Nobatie et la Makourie parlaient des langues différentes. La plupart des documents disponibles viennent de Nobatie et la langue semble être l’ancêtre du nobiin parlé actuellement dans la région.

Adams note que les anciennes frontières entre Makourie et Nobatie sont proches de l’actuelle frontière linguistique entre le nobiin et le dongolawi. Une autre langue est répandue en Makourie, le copte. Les relations sont fortes avec les chrétiens d’Égypte et la Makourie semble avoir abondement utilisé la littérature religieuse copte. Elle reçoit également les afflux réguliers de réfugiés chrétiens d’Égypte parlant le copte. Dans les dernières années du royaumes, l’arabe se met à occuper une place majeure. Les commerçants arabes sont nombreux dans la région et l’arabe semble être devenu la langue commerciale. Au fur et à mesure de l’implantation de ces commerçants, chaque ville de quelque importance voit se développer un quartier arabe.

Notes

  1. K. Michalowski, The Spreading of Christianity in Nubia, p. 338
  2. P.L. & M. Shinnie, New Light on Medieval Nubia.
  3. William Y. Adams Nubia: Corridor to Africa p. 257
  4. Wlodzimierz Godlewski, The Birth of Nubian Art.
  5. Adams, Corridor to Africa, p. 442
  6. Jay Sapulding, Medieval Christian Nubia and the Islamic World: A Reconsideration of the Baqt Treaty, International Journal of African Historical Studies XXVIII, 3, 1995.
  7. Voir William Y. Adams, The United Kingdom of Makouria and Nobadia: A Medieval Nubian Anomaly pour un débat sur ce sujet.
  8. P.L. Shinnie, Ancient Nubia, p. 124
  9. Adams, The United Kingdom, p. 257
  10. Adams, Corridor to Africa, p. 456
  11. L. Kropacek, Nubia from the late twelfth century to the Funj conquest in the early fifteenth century, p. 399
  12. ibid, p. 401
  13. Shinnie, Christian Nubia, p. 581
  14. ibid. p. 581
  15. Adams, The United Kingdom, p. 258
  16. Jakobielski, p. 211
  17. Louis V. Zabkar, The Eparch of Nobatia as King, Journal of Near Eastern Studies, 1963.
  18. Adams, The United Kingdom, p. 259
  19. Adams, Corridor to Africa, p. 440
  20. Adams, Corridor to Africa, p. 441
  21. Shinnie, New Light
  22. Shinnie, Christian Nubia, p. 583
  23. Adams, Corridor to Africa, p. 472
  24. Adams, Corridor to Africa, p. 478
  25. C.F. Beckingham and G.W.B. Huntingford, The Prester John of the Indies, Cambridge: Hakluyt Society, 1961, pp. 460-462
  26. P.L. Shinnie, Christian Nubia, g. 556
  27. S. Jakobielski, Christian Nubia at the Height of its Civilization, pg. 207
  28. Shinnie, New Light
  29. Jakobielski, p. 207
  30. In fact, the Nubian trade in slaves from the southern Sudan centuries later was still viable according to Burckhardt's (1819) Travels in Nubia
  31. Adams, Corridor to Africa,' p. 495
  32. Wlodzimierz Godlewski, The Birth of Nubian Art, p. 255
  33. ibid p. 256
  34. Shinnie, New Light
  35. Shinnie, Christian Nubia, p. 570

Bibliographie

  • William Y. Adams, Nubia: Corridor to Africa, Princeton: Princeton University Press, 1977.
  • William Y. Adams, The United Kingdom of Makouria and Nobadia: A Medieval Nubian Anomaly. Egypt and Africa: Nubia from Prehistory to Islam, edited by W.V. Davies, London: British Museum Press, 1991.
  • E.A. Wallis Budge, A History of Ethiopia: Nubia and Abyssinia, 1928, Oosterhout, the Netherlands: Anthropological Publications, 1970.
  • Wlodzimierz Godlewski, The Birth of Nubian Art: Some Remarks. Egypt and Africa: Nubia from Prehistory to Islam edited by W.V. Davies, London: British Museum Press, 1991.
  • S. Jakobielski, Christian Nubia at the Height of its Civilization. UNESCO General History of Africa, Volume III.
  • L. Kropacek, Nubia from the late twelfth century to the Funj conquest in the early fifteenth century, UNESCO General History of Africa, Volume IV.
  • K. Michalowski, The Spreading of Christianity in Nubia. UNESCO General History of Africa, Volume II.
  • P.L. Shinnie,
    • Ancient Nubia, London: Kegan Paul, 1996,
    • Christian Nubia. The Cambridge History of Africa: Volume 2, From c. 500 BC to AD 1050, editor J. D. Fage, Cambridge: Cambridge University Press, 1979,
    • New Light on Medieval Nubia. Journal of African History VI, 3, 1965.
  • Derek A. Welsby, The Mediaval Kingdoms of Nubia, London 2002.

Voir aussi

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