Marchandises

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Marchandise

Une marchandise est un produit de l'activité humaine, direct ou indirect, essentiellement déterminé à être un support à la forme d'échange qu'on nomme achat (ou corrélativement, vente). Cet échange s'opère au moyen de la marchandise des marchandises : l'argent sur la base d'un prix, parfois aussi appelé « valeur d'échange » ou « valeur marchande ».

Sommaire

Enjeux économique relatif au terme marchandise

Le terme marchandise est utilisé en économie pour distinguer les acquisitions d'immobilisation (de biens durables) aux achats de biens qui transitent dans l'entreprise afin d'être revendus, généralement sur la Place du Marché.

Approche politique de la marchandise

Pour Karl Marx, si une marchandise semble une chose tout à fait ordinaire qui se comprend d’elle-même, on constate en l’analysant que "c’est une chose extrêmement embrouilléee, pleine de subtilités métaphysiques et de lubies théologiques". (Le Capital, I.1.4.)

Caractère bifide de la marchandise et fétichisme

Dans le livre I du Capital, Karl Marx montre que la marchandise possède une double forme dans la mesure où elle est à la fois objet d’usage et porteur de valeur d’échange (1.1). Il établit donc, pour toute marchandise, la distinction entre sa valeur d’usage et sa valeur d’échange, celle-ci étant déterminée par la quantité sociale de travail humain abstrait nécessaire pour que cette marchandise soit produite.

C’est parce que les marchandises représentent les unes par rapport aux autres les caractères sociaux abstraits du travail des hommes, et notamment de sa forme aliénée, qu’elles sont pour les hommes objet de "fétichisme" (1.4). Dès qu’un produit du travail entre en scène comme marchandise, c’est-à-dire dès qu’il est introduit dans un marché d’échange, "il se transforme en une chose sensible suprasensible".

Nécessité des gardiens de la marchandise

Parce que, par lui-même, tout produit du travail reste un objet sensible ordinaire, il faut toujours, à côté des marchandises, et pour qu’elles apparaissent véritablement comme telles, des gardiens de la marchandise.

Dans Le Capital de Karl Marx & Friedrich Engels, les possesseurs de la marchandise [Warenbesitzern] empruntent la figure du gardien [Warenhüter] pour pallier une double impuissance de la marchandise : impuissance à se rendre sur le marché d’échange par elle-même ("Les marchandises ne peuvent pas aller d’elles-mêmes au marché, elles ne peuvent pas s’échanger elles-mêmes. Il faut donc nous retourner vers leurs gardiens […]." I,2) ; impuissance à exprimer son prix par elle-même ("Le gardien des marchandises doit donc leur prêter sa langue ou leur suspendre un bout de papier autour du cou pour communiquer leur prix au monde extérieur." I,3) ; double impuissance qui est au fond une unique impuissance de la marchandise à seulement être elle-même. Car par elle-même, la forme-marchandise est une pure tautologie. On l’achète parce qu’elle a de la valeur, elle a de la valeur parce qu’on l’achète.

Contre quoi la marchandise doit-elle être défendue à tout prix ? Il faut défendre la marchandise contre sa valeur d'usage, qui se donne hélas ! tout entière dans l’apparition phénoménale des produits du travail. Une pâtisserie se donne à nous comme devant être mangée, un livre se donne à nous comme devant être lu, un bâtiment vide se donne à nous comme devant être habité. Tout objet, par lui-même, par ses propriétés physiques immédiates — par sa forme, sa couleur, son odeur — dit seulement aux individus qui s’en approchent : « utilise-moi ». Pour Karl Marx, « on aura beau tourner et retourner une marchandise singulière dans tous les sens qu’on voudra, elle demeurera insaisissable en tant que chose-valeur ».

Entre le possesseur de la marchandise A et celui de la marchandise B, une tierce personne devra nécessairement intervenir pour assurer matériellement l’activation et le respect de la conversion de la valeur d’usage en valeur d’échange ; autrement dit, assurer le caractère contractuel, librement consenti, de l’échange lui-même. La marchandise, en tant que valeur d’échange, est fondamentalement hétéronome, c’est-à-dire elle n’existe qu’à la faveur d’un élément extérieur qui la produit comme telle.

Le problème des échantillons

Le statut de la marchandise est d’autant plus difficile à garantir que l’économie capitaliste se voit obligée d’inonder le monde d’une infinité d’échantillons gratuits, comme autant de fac-similés destinés à induire chez les consommateurs un sentiment de familiarité avec les produits de consommation et une certain reconnaissance à l’égard de ceux qui les distribuent. Pour le sociologue Jean Baudrillard, "la publicité est ainsi l'image prestigieuse de l'abondance, mais surtout le gage répété du miracle virtuel de la gratuité". Mais la nécessaire proximité sensible de ces échantillons avec les marchandises dont ils entendent diffuser massivement l’image a pour effet notoire de mettre les consommateurs bien en peine de distinguer efficacement entre ceux-là et celle-ci.

L’hétéronomie de la marchandise, voilà la malédiction que le capitalisme s’emploie jour et nuit à conjurer. On voudrait ainsi nous faire croire que l’économie de marché fonctionne grâce à un nécessaire et mystérieux principe de coopération ; comme si les hommes étaient naturellement enclins à l’échange marchand. Mais si la marchandise a besoin d’être gardée, c’est bien que son statut ne va pas de soi, qu’il n’est pas spontanément et universellement admis, qu’il est peut-être même contre-nature ; qu’il tient en tout cas à peu de choses. Malgré toutes les dispositions mises en œuvre pour assurer la sécurité des marchandises, le nombre de vols en magasin a augmenté de 3,9 % en 2007 en France, avec plus de 4,6 milliards d’euros de marchandises volées (Le Monde, 29/11/07). Pour Guy Debord, auteur de La société du spectacle, « le spectacle est une guerre de l’opium permanente pour faire accepter l’identification des biens aux marchandises ». Les gardiens de la marchandise sont eux-mêmes les fantassins de cette guerre de l’opium.

La supercherie de la marchandise

La présence redoublée de gardiens de la marchandise sur l’ensemble du territoire nous met sur la voie de ce que nous pouvons considérer comme la gigantesque supercherie de la marchandise. Les gardiens de la marchandise, par leur présence même, nous dévoilent finalement que le statut de la marchandise n’a jamais tenu qu’à cette présence. On connaît la célèbre phrase de Rousseau : « Le premier qui, ayant enclos un terrain, s’avisa de dire ceci est à moi et trouva des gens assez simples pour le croire, fut le premier fondateur de la société civile. » Mais comme les gens ne sont pas aussi simples qu’on veut bien le prétendre, la présence d’un gros bras à ses côtés lui aura certainement facilité l’affaire.

Car le "dilemme de la marchandise" est à chaque fois le suivant : comment apparaître à la fois comme un objet de tentation — il faut bien qu’on l’achète — et un objet d’intimidation — il ne faut en aucun cas qu’on la vole ? Les lois de l’accumulation capitaliste rendent toute forme de commerce essentiellement schizophrène.

La nouvelle énigme de la marchandise

Si Marx s’est intéressé à la constitution de la forme-marchandise, il a omis d’interroger les conditions de possibilité matérielles de cette constitution. Certes une marchandise existe bien dès lors qu’une séparation est introduite entre une valeur d’usage et une valeur d’échange. Encore faut-il que cette séparation, somme toute théorique, soit rendue effective. Une nouvelle énigme de la marchandise, éludée par Marx, nous saute maintenant aux yeux : comment se fait-il, du fait de son statut si fragile, si évanescent, si fatalement absurde, comment se fait-il que la marchandise parvienne à se maintenir aussi facilement comme marchandise ? Dit autrement, et pour paraphraser Gilles Deleuze et Félix Guattari dans l'Anti-Oedipe, comment se fait-il que les démunis, les affamés, les travailleurs pauvres, les exclus, comment se fait-il que ces individus ne volent pas toujours ?

Annexes

Voir aussi

Bibliographies

  • Karl Marx, Le Capital, PUF, Quadrige, 1993.
  • Jean Baudrillard, La société de consommation, ses mythes, ses structures, Denoël, 1970.
  • Jean Baudrillard, Le système des objets, Denoël, 1968.
  • Émile Zola, Au bonheur des Dames.
  • Guy Debord, La société du spectacle, Gallimard, 1992, première publication en 1967 aux Editions Buchet-Chastel, Paris.
  • Jean-Jacques Rousseau, Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité parmi les hommes, Garnier-Flammarion, 1971.
  • Gilles Deleuze et Félix Guattari, Capitalisme et schizophrénie I, L'Anti-Oedipe, Les éditions de Minuit, Paris, 1972/1973.

Liens externes

  • Textes sur les gardiens de la marchandise, sur [1].
  • Portail de l’économie Portail de l’économie
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