Marguerite Porete

Marguerite Porete

Marguerite Porete, ou Marguerite Porrette, dite Marguerite des Prés, ou la Porette, est une femme de lettres mystique et chrétienne du courant des béguines, née vers 1250, brûlée le 1er juin 1310 avec son livre Le Miroir des âmes simples et anéanties.

Une béguine telle Marguerite Porete, imprimée à Lübeck en 1489

Sommaire

Biographie

Sans doute née au milieu du XIIIe siècle, on ne sait rien de sa famille, de son enfance et de ses études. Porette (la ciboulette en italien) pourrait bien être un simple nom d'emprunt. On la découvre adulte sous le qualificatif de béguine clergesse. Elle avait donc fait des études secondaires voire supérieures et maîtrisait bien le latin.

Une béguine

Marguerite Porete fait donc partie des béguines, un important courant de piété très actif en Flandres. À cette mouvance appartiennent aussi Hadewij d'Anvers et Heilwige Bloemart. Ces femmes pieuses se vouent à Dieu et aux bonnes œuvres, en évitant le scandale, sans forcément vivre en communauté ou obéir à une règle stipulée.

Porette vivait dans le Comté de Hainaut, sans doute à Valenciennes, où elle est habituellement présentée comme « clergeresse très savante ».

Une mystique

Elle exprime son mysticisme dans un livre intitulé Mirouer des simples ames anientis et qui seulement demourent en vouloir et desir d’amour. Il présente l'Amour de l'âme touchée par Dieu, et fait parler l'Amour et la Raison en des dialogues allégoriques. Rapidement ce livre et sa doctrine feront scandale.

Sa personnalité

  • Pour Sofie Sweygers : « Cette poétesse est une mystique radicale en conflit avec l'Inquisition... »

Ses démêlés avec l'Église

  • Gui II, évêque de Cambrai (1296-1305), avait fait brûler avant sa mort un exemplaire du Miroir sur la Grand-Place de Valenciennes, le déclarant : « composé en Flandre et hérétique ».
  • Sûre de son bon droit, elle persiste, mais l'évêque de Châlons à qui elle le présente l'année suivante, accuse l'ouvrage d'hérésie sans doute pour sa critique de l'Église. Le livre est brûlé en 1306 puis de nouveau en 1309. Marguerite Porete est condamnée par l'Inquisition le 31 mai 1310. Le motif est qu'elle avait prêché l'hérésie du Libre-Esprit, sorte de mysticisme non- ou plutôt para-chrétien.

Son procès

Le chef de l'Accusation fut l'inquisiteur Dominicain Guillaume de Paris. Secondé par le Franciscain Nicolas de Lyre, il dut réunir une « formidable armée » composée de religieux, d'universitaires et de juristes pour instruire le cas de Porete. Finalement c'est un collège de trois évêques –« experts en théologie » – qui rédigea le verdict. Elle fut brûlée au bûcher le 1er juin 1310 en place de Grève à Paris (avec son livre).

Voici ce qu'on retrouve, in Les grandes chroniques de France... (opus cité) : « Vers le moulin saint Antoine et pour voir après ce ensuivant, la veille de l'Ascencion de Nostre-Seigneur JC, les autres Templiers en ce lieu meisme furent ars (brûlés), et les chars (chairs) et les os ramenés en poudre ... Et le lundi ensuivant, fu arsé (fut brûlée), au lieu devant dit (In communi platea Gravi), une béguine clergesse qui estoit appellée Marguerite la Porete, qui avoit trespassée et transcendée l'escripture devine, et ès articles de la foy avoit erré; et du sacrement de l'autel avoit dit paroles contraires et préjudiciables; et, pour ce, des maistres expers de théologie avoit esté condampnée. »

Il est remarquable que Porete et les premiers Templiers à être brûlés le furent dans la même semaine.

Après sa mort des extraits de son livre furent produits au Concile de Vienne en 1312 pour condamner le Libre-Esprit comme mouvement hérétique.

Son livre sauvé par l'Église

Son livre lui survécut cependant, on pense que l'Inquisition l'avait traduit en latin (sous le titre Speculum simplicium animarum), et dès la fin du XIVe siècle d'autres traductions paraissent en italien, en anglais et en allemand.

Doctrine

Comme le seul texte connu provenant de cette mouvance, Mirouer des simples ames anienties... fut comme son auteure Marguerite Porete brûlé en place de Grève, c'est paradoxalement des sources inquisitoriales que nous pouvons nous représenter la doctrine des tenants du Libre-Esprit.

Quelques éléments de doctrine

Comme beaucoup d'autres mouvements de l'époque, persécutés (cathares, vaudois, turlupins ...) ou non (franciscains, anachorètes et autres), le Libre-Esprit prône un idéal pré-communiste fondé sur le trépied:

  • pauvreté matérielle et spirituelle. Certes, prônée également par l'Église, mais ici, cette pauvreté laverait l'homme de tout péché, et en le rapprochant du Christ permettrait de le ressusciter en lui. Ainsi,
    • la pauvreté matérielle est extrême et inclut la nudité et le jeûne.
    • la pauvreté intellectuelle (beati pauperes spiritu) doit rendre l'esprit vacant, vide afin de recevoir Dieu en lui.
  • communauté des biens (limitée du fait de la pauvreté recherchée), les biens étant produits par le libre-travail des femmes.
  • communauté des femmes : l'homme ne peut mal agir dès lors qu'en écoutant ses désirs il entre dans l'ère de l'Esprit libre (de l'Esprit vide) où il peut connaître les huit béatitudes dès sa vie terrestre. La charité se confond avec l'amour charnel qui se consomme sans restriction au sein de la communauté. Aussi une femme en état de grossesse ne l'est que par l'opération du Saint-Esprit.

Il faut cependant se garder d'un trop grand rapprochement avec le communisme ou la libre-pensée tels que nous les concevons aujourd'hui. Le Libre-Esprit, c'est avant-tout « le dénuement le plus complet, dénuement pouvant aller jusqu'au vertige » (Jacques Lacan)

Remarques sur « Le miroir des simples âmes anéanties... »

Article détaillé : Le Miroir des Simples.

Son titre complet, Le miroir des âmes simples et anéanties et qui seulement demeurent en vouloir et désir d'amour, par et dans chacun de ses mots, contient (quasiment) toute la thèse de Marguerite Porete. Elle y détaille :

« Seigneur, qu'est-ce que je comprends de votre puissance, de votre sagesse ou de votre bonté ? Ce que je comprends de ma faiblesse, de ma sottise et de ma mauvaiseté. Seigneur, qu'est-ce que je comprends de ma faiblesse, de ma sottise et de ma méchanceté ? Ce que je comprends de votre puissance, de votre sagesse et de votre bonté. Et si je pouvais comprendre l'une de ces deux natures, je les comprendrais toutes deux. Car si je pouvais comprendre votre bonté, je comprendrais ma mauvaiseté. Et si je pouvais comprendre ma mauvaiseté : telle est la mesure. »[1].

  • Reconnaissance de l'erreur (ingénue) et soumission à la Nature :

... « Et ce simple vouloir, qui est divin vouloir, met l'Âme en divin état. Plus haut, nul ne peut aller ni descendre plus profond ni être homme plus annulé. Qui veut entendre cela se garde des pièges de Nature, car aussi subtilement que le soleil tire l'eau hors du drap, sans qu'on s'en aperçoive, même en le regardant, pareillement Nature se trompe à son insu si elle ne se tient sur ses gardes grâce à sa très grande expérience. »

« Ah! Dieu, que Nature est subtile en bien des points en demandant sous apparence de bonté et sous couleur de nécessité ce qui nullement ne lui revient ».

Autres notions relevées dans cet ouvrage

La pensée de l'auteure, très avant-gardiste, du fait de son extrême originalité mais aussi de sa complexité réelle, malgré quelques essais individuels remarqués n'a jamais pu être étudiée dans sa globalité (comme pourrait le faire un institut de recherche ou une université et seules quelques extraits peuvent en être faits à titre documentaire. On y retrouve, entre autres :

  • le paradoxe de la liberté ;
  • le concept du "Loin-Près" ;
  • la mort: ce n'est que le dernier cri du quant-à-soi... la révélation ne tue point ;
  • la distinction des vouloirs : vouloir, vouloir-Dieu et Dieu-vouloir ;

Pratiques

Le jugement de l'Histoire

Le mouvement béguinal et celui du Libre-Esprit ont influencé la Mystique rhénane et Maître Eckhart, ce dernier, qui la rejoint sur un certain nombre de points, ayant pu connaitre l'œuvre de Marguerite Porete.

Certains auteurs considèrent comme excessif le rapprochement de Porete avec le Libre-Esprit, mouvement considéré à tort ou à raison comme excessif.

Il est en revanche clairement difficile de voir en Porete une précurseur du Protestantisme.

Réhabilitation ?

Certains, de plus en plus, comme Robert D. Cottrell pensent que la mystique de Porete interprétée au plan figuratif et poétique, peut être réconciliée avec la doctrine actuelle de l'Église.

Curieusement, certaines de ses expressions sont proches de celles d'autres mystiques, tels que Dante mais surtout Sainte Thérèse d'Avila mais là encore, un grand travail d'exégèse reste à produire...

Bibliographie

Textes anciens

  • Les grandes chroniques de France selon que elles sont en l'Église de St-Denis en France. Publiées par M. Paulin de l'Académie royale des Inscriptions et Belles-Lettres. En V tomes. Paris. Techener, Libraire. 12, Place du Louvre. 1837. pp. 187-188,
  • Revue historique. Paris 1894. Page 295. ... Cependant les pièces du procès de Marguerite Porete existent, aux Archives nationales, dans la layette J 428 4. Dès -1888, H.-G. Lea en a publié deux parmi plusieurs autres...
  • Histoire de l'Inquisition au Moyen Âge d'Henry Charles Lea - 1887. sl. Page 123.

Textes modernes

  • La nuit de Moscou, Louis Aragon. Recueil de poèmes. sd. sl. Au large, A Marguerite Porete et quelques autres :

Nous avons appelé notre cage l'espace,
Et ses barreaux déjà ne nous contiennent plus.

  • Le Miroir des âmes simples et anéanties, traduit par M. Huot de Longchamp, Albin Michel "Spiritualités vivantes", 1984 ; 1997.
  • Le discours hérétique de Marguerite de Porete par Robert D. Cottrell (Essai - hiver 1991): pp. 16-21. [Dans cet essai, Cottrell pense que le traité mystique de Porete, interprété au plan figuratif, peut être réconcilié avec la doctrine de l'église, mais argue du fait que le libre-travail des femmes, en remettant en cause la position de l'individu féminin dans l'ordre patriarcal, risquait de renverser la hiérarchie sociale chrétienne traditionnelle.]
  • Le Miroir des simples âmes anéanties, traduit par C. Louis-Combet, 1991 ; Jérôme Millon, 2001.
  • The Mirror of the Simple Souls... Traducteur Ellen L. Babinsky. Pochette artiste Marion Miller. Editeur (1993) Paulist Press.
  • Marie Bertho, Le Miroir des âmes simples et anéanties de Marguerite Porete, Une vie blessée d'amour , Nathan, 1999.
  • Luc Richir, Marguerite Porete, une âme au travail de l'Un, Éditions Ousia, Bruxelles, 2003.
  • Claire Le Brun, « Traduction et inquisition : le Mirouer des simples ames de Marguerite Porete », in J.-P. Beaulieu (dir.), D'une écriture à l'autre, les femmes et la traduction sous l'ancien régime, Ottawa, Presses de l’Université d’Ottawa, 2004.
  • Danielle Régnier-Bohler (dir.), Voix de femmes au Moyen Âge, Laffont "Bouquins", 2006.
  • P. García Acosta, Poética de la visibilidad en el Mirouer des simples ames de Marguerite Porete (Un estudio sobre el uso de la imagen en la enseñanza religiosa medieval), Universidad Pompeu Fabra, 2009 [1]

Références

  1. P.249

Liens externes

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