Martianus Capella

Martianus Capella

Martianus Capella est un auteur latin du Ve siècle ap. J.-C. dont la vie ne nous est connue que par quelques détails tirés de son œuvre, les Noces de Philologie et de Mercure (en latin, De nuptiis Philologiae et Mercurii) (entre 410 et 429) : en dehors des hypothèses biographiques fournies par quelques passages de cette grande encyclopédie allégorique en neuf livres, nous n'avons aucune trace historique de l'auteur [réf. nécessaire]. On sait par contre qu'il est natif de Madaure[1], commune de l'actuelle Souk Ahras en Algérie. Le cratère lunaire Capella est nommé en son honneur.

Sommaire

Quelques hypothèses biographiques sur Martianus Capella

Son origine géographique

Martianus écrivait vraisemblablement à Carthage, comme l'indiquent à la fois les manuscrits (par l'adjectif Afer Carthaginensis qui suit le nom de l'auteur dans la plupart des titres et des souscriptions), et le texte lui-même : dans les derniers vers de l'œuvre, qui servent en quelque sorte de signature, Martianus met en scène la divinité allégorique Satura (représentant le genre littéraire de la satire ménippée), qui est censée lui avoir inspiré tout ce récit ; Satura dresse alors une sorte de portrait de Martianus, dans lequel elle déclare : « toi que vit grandir l'heureuse cité d'Elissa » (c'est-à-dire de Didon, reine mythique de Carthage). Il semble que l'idée couramment admise selon laquelle Martianus serait né à Madaure, et ne serait venu que plus tard s'installer à Carthage, soit une erreur: cette affirmation remonte en effet à l'introduction de l'édition de Grotius (1599), qui croit reconnaître Martianus dans le Madaurensis dont parle Cassiodore à plusieurs reprises (Inst. 2,3,18; 2,4,7; 2,5,10), alors que ce dernier évoque invariablement Apulée.

Sa profession

Là encore, c'est le poème final des Noces qui nous renseigne le mieux ; en effet, dans le portrait plein d'ironie que dresse Satura, Martianus se plaît à se présenter comme un avocat sans grand succès, qui «déverse dans les procès ses aboiements de chien» (si l'on accepte cette traduction pour le vers ambigu iurgis caninos blateratus pendere), qui ne tire aucun profit de ses plaintes contre ses voisins (des gardiens de bœufs), et qui « sous l'effet de la fatigue, peine à garder les yeux ouverts ». L'hypothèse qui consiste à faire de Martianus un proconsul de Carthage (à partir d'un vers au texte peu sûr) ne semble pas devoir être retenue.

La question des dates de Martianus

Le seul indice certain permettant de définir un terminus ante quem pour Martianus Capella est la souscription, présente dans plusieurs manuscrits, qui indique une révision du texte par Securus Melior Felix (dont on connaît par ailleurs l'activité philologique) en 534. Toutefois, seuls des indices textuels permettent de donner un intervalle plus précis pour la datation de Martianus. On se fonde traditionnellement sur une description de Rome et une description de Carthage pour situer la rédaction des Noces entre 410 et 439 ; on trouve en effet au livre VI une évocation de la grandeur passée de Rome (« Rome elle-même, capitale du monde, lorsqu'elle tenait sa force de ses armes, de ses héros et de ses rites, méritait d'être élevée aux cieux par des louanges », 6,637), et de la prospérité présente de Carthage («Carthage, réputée jadis pour sa puissance militaire, et à présent célèbre pour sa prospérité» -felicitas, 6,669): ces deux aspects ont conduit certains spécialistes à penser qu'il s'agissait de la période entre 410 (prise de Rome par Alaric) et 439 (invasion de Carthage par les Vandales). Mais des études récentes tendent à montrer que Carthage avait retrouvé une certaine prospérité, et surtout avait connu une véritable renaissance culturelle, sous le règne vandale, aux alentours de 480. Si l'on peut affirmer avec certitude que Martianus écrivit au Ve siècle, il paraît en revanche impossible, dans l'état actuel de nos connaissances, de préciser plus la fourchette de datation.

Le contexte philosophique et religieux

Outre la question des dates, la question de la religion de Martianus a fait couler beaucoup d'encre. Certains se sont appuyés sur une mention de Martianus par Grégoire de Tours (qui le cite comme Martianus noster) pour affirmer que Martianus était chrétien. Toutefois, on peut repérer dans l'ensemble du texte de Martianus tout un réseau de détails permettant de faire de Martianus un représentant de ce que P. de Labriolle a appelé, dans un ouvrage désormais classique, la « réaction païenne ». De fait, Martianus semble très influencé par un néoplatonisme marqué par une tendance au mysticisme et aux pratiques théurgiques et magiques (dans la lignée de ce que l'on trouve par exemple chez Jamblique), et l'ascension de Philologie de la Terre à la Voie Lactée, présentée dans le livre II, semble reproduire les étapes d'une initiation aux mystères. L'intérêt porté par Martianus à l'etrusca disciplina confirme par ailleurs cette hypothèse (le recours à l'antique religion étrusque constituait en effet, dans l'antiquité tardive, un moyen de résister contre le triomphe du christianisme). On peut donc voir en Martianus un adepte du mysticisme, et d'une forme d'« hermétisme platonisant » intimement lié à la « réaction païenne » du Ve siècle.

Les Noces de Philologie et de Mercure

On caractérise souvent l'œuvre de Martianus par son étrangeté : Martianus Capella cherche en effet, dans les neuf livres du De Nuptiis, à présenter une somme de connaissances aussi bien littéraires que scientifiques, à travers une sorte de récit mythologique, tout en mêlant des développements en prose et des passages poétiques.

La structure d'ensemble

Le dieu Mercure a décidé de se marier, et a d'abord pensé à prendre pour femme Sophia, puis Manticé, puis Psyché, écartées pour diverses raisons ; finalement, Apollon lui propose Philologie, qui est une mortelle. Jupiter accepte cette union, à condition que Philologie reçoive tout d'abord l'apothéose, afin d'être élevée au niveau des dieux.

Le livre II est donc la mise en scène de cette apothéose de Philologie, qui prépare son départ de la Terre et son ascension vers la Voie Lactée où l'attend l'assemblée des dieux : pour être plus légère, Philologie commence par vomir les livres qui encombrent sa poitrine (le poids de la science…), puis elle boit un breuvage composée par Apotheosis, et monte enfin dans la litière qui doit la conduire à travers les sept sphères célestes (qui forment une gamme musicale, selon la théorie d'origine pythagoricienne, mais largement reprise dans les milieux néoplatoniciens, de l'harmonie des sphères) jusqu'à l'assemblée des dieux. Une fois que Philologie est arrivée auprès des dieux, Mercure lui offre sept jeunes filles, représentant chacune un art, et qui vont s'exprimer tour à tour dans les sept livres suivants. Avec le livre II se termine donc la partie « récit » (« Nunc ergo mythos terminatur », déclare Martianus en 2,220), et chacun des livres suivants présentera un contenu technique exposé par l'une des sept jeunes filles offertes par Mercure à Philologie. Ces sept livres ont une structure assez semblable : tout d'abord une présentation de la jeune fille-allégorie qui prend la parole, avec un portrait haut en couleur, puis le plus souvent une partie lyrique, et enfin un développement proprement technique.

On découvre ainsi, dans le livre III, Grammaire (dont le nom grec est Γραμματική, et le nom latin Litteratura). Le livre IV met en scène Dialectique, et le livre V Rhétorique. On a ainsi, dans les livres III à V, une présentation des trois matières que le Moyen Âge appellera le trivium. Ensuite, on assiste, dans le livre VI, à l'exposé de Géométrie, puis à celui d'Arithmétique dans le livre VII, d'Astronomie dans le livre VIII, et enfin d'Harmonie dans le livre IX (ainsi, les livres VI à IX reprennent les quatre sciences mathématiques que Boèce le premier appellera quadrivium, et qui auront une postérité très importante au Moyen Âge).

L'ensemble forme la seule encyclopédie antique et paîenne qui ait été connue au Moyen-Âge chrétien latin, auquel elle fournira ses personnifications des arts libéraux[2].

Aspects littéraires

À la lecture de Martianus Capella, on éprouve de prime abord une impression d'étrangeté, tant son style semble marqué par une recherche de l’hapax et de la uariatio. Cette « prose fleurie », souvent inspirée, comme l'ont fait remarquer plusieurs commentateurs, d'Apulée, et en particulier de l’Âne d'or, est entrecoupée de passages versifiés, dans lesquels Martianus utilise au total quinze mètres différents, avec une grande maîtrise (contrairement à ce que laisseraient entendre certains lieux communs sur cette époque parfois qualifiée de « décadence »).

On peut approfondir ces considérations quelque peu superficielles en comprenant les préoccupations littéraires qui constituent le fil directeur des Noces : Martianus Capella se situe en effet exactement dans le genre littéraire de la satire Ménippée, qui se caractérise par le mélange (la satura latine désigne à l'origine une sorte de salade faite de raisins secs, de polente et de pignons) : mélange de prose et de poésie, mélange de sérieux et de grotesque, que l'on peut résumer par le concept grec de σπουδογέλοιον / spoudogéloion (le sérieux sous le rire). Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si l'inspiratrice de tout le récit est censée être la divinité allégorique Satura, sorte de divinisation de ce genre littéraire, avec laquelle Martianus a des échanges assez vifs à certains moments du récit (Satura se moque par exemple du « nom de bête » de Martianus, puisque Capella signifie proprement « la petite chèvre »). On pourra donc ranger Martianus dans la lignée des grands auteurs antiques de satires ménippées, à la suite de Varron (auteur précisément de Satires Ménippées, dont nous ne conservons que d'infimes fragments), Sénèque (Apocoloquintose), Lucien de Samosate (Icaroménippe), Pétrone (Satyricon), ou encore Apulée (L'Âne d'or).

L'histoire du texte et l'influence de Martianus

Représentation par Valentin Naboth du modèle astronomique géo-héliocentrique transmis par Martianus Capella (1573)

Sans entrer dans des détails trop précis, on peut mentionner deux grandes dates de l'histoire du texte du De Nuptiis : 534 (la recension et la correction du texte par Securus Melior Felix), et le milieu du IXe siècle, qui marque l'essor du texte de Martianus dans les milieux intellectuels carolingiens, notamment sous l'influence de commentateurs comme Jean Scot Erigène. Malgré quelques mentions de Martianus chez des auteurs de l'Antiquité tardive (Fulgence, Grégoire de Tours), il semble que le texte n'ait guère été diffusé avant la renaissance carolingienne ; en revanche, à partir du milieu du IXe siècle, Martianus est abondamment copié dans les centres carolingiens, et acquiert une diffusion très importante : les livres de l'encyclopédie allégorique que constitue l'œuvre de Martianus sont utilisés dans les écoles carolingiennes, et abondamment commentés (on ne citera ici que les gloses de Jean Scot Erigène, de Martin de Laon et de Rémi d'Auxerre, ou encore la traduction en vieux haut allemand par Notker Labeo, du monastère de Saint-Gall). Par la suite, l'œuvre de Martianus inspire de nombreux artistes, aussi bien dans le domaine littéraire (on trouve des allusions dans l'Heptateuchon de Thierry de Chartres, dans le Metalogicon de Jean de Salisbury, ou encore chez Dante, pour le motif du voyage céleste) que dans le domaine pictural, avec la popularité des représentations iconographiques des sept arts pendant tout le Moyen Âge et la Renaissance.

Malgré cette influence de premier ordre sur le Moyen Âge (en particulier sur le Haut Moyen Âge, avant le retour des grands textes philosophiques et techniques de l'Antiquité par le biais de la culture arabe), Martianus est de nos jours méconnu : on gagnerait à le redécouvrir, à côté d'auteurs comme Macrobe et Boèce, pour mieux comprendre la transmission de la science, de la philosophie et des formes littéraires en général de l'Antiquité au Moyen Âge occidental.

Éléments bibliographiques

Éditions anciennes

Son œuvre, écrite dans un style complexe parfois jusqu'à l'obscurité, jouit d'un grand crédit au Moyen Âge (plus de 240 manuscrits contenant une partie ou l'ensemble de l'œuvre sont encore conservés aujourd'hui). Elle fut éditée et imprimée pour la 1re fois par F. Bodianus à Vicence, en 1499. Grotius, âgé de 15 ans seulement, en donna une éd. à Leyde en 1599, avec l'aide de son père et de Scaliger (édition qui fit autorité pendant plus d'un siècle); c'est à F. Kopp (Francfort, 1836, in-4) que nous devons la division en paragraphes retenue par toutes les éditions modernes.

Éditions modernes

  • F. Eyssenhardt, Martiani Capellae De nuptiis Philologiae et Mercurii, Leipzig, Teubner, 1866.
  • A. Dick, 1925, Martianus Capella, Leipzig, Teubner, 1925 (repr. Stuttgart, 1978, avec les corrections de J. Préaux).
  • J. Willis, 1983, Martianus Capella, Leipzig, Teubner.

Traductions complètes

  • W.H. Stahl, R. Johnson, E.L. Burge, Martianus Capella and the Seven Liberal Arts, vol. 2 : The Marriage of Philology and Mercury, New York-London, Columbia University Press, 1977.
  • I. Ramelli, Le nozze di Filologia e Mercurio. Introd., trad., comment. e appendici di..., Milan, Bompiani, 2001.
  • H. G. Zekl, Martianus Capella. Die Hochzeit der Philologia mit Merkur, Würzburg, Königshausen & Neumann, 2005.

Traductions partielles

  • L. Lenaz, Martiani Capellae De nuptiis Philologiae et Mercurii liber secundus, Padoue, Liviana Editrice, 1975.
  • G. Gasparotto, Marziano Capella. Geometria. De nuptiis Philologiae et Mercurii liber sextus. Intr., trad., comm., Vérone, 1983.
  • L. Scarpa, De nuptiis Philologiae et Mercurii liber VII. Introd., trad. e comm. di..., Padoue, 1988.
  • M. Ferré, Martianus Capella. Les noces de Philologie et de Mercure. Livre IV : la dialectique, Paris, Les Belles Lettres, 2007.
  • B. Ferré, Martianus Capella. Les noces de Philologie et de Mercure. Livre VI : la géométrie, Paris, Les Belles Lettres, 2007.
  • J.-Y. Guillaumin, Martianus Capella. Les noces de Philologie et de Mercure. Livre VII : l'arithmétique, Paris, Les Belles Lettres, 2003.
  • L. Cristante, Martianus Capella. De nuptiis Philologiae et Mercurii Liber IX, Padoue, Editrice Antenore, 1987.
  • Martianus Capella, Astronomie, traduction, présentation et notes par André Le Boeuffle. Ed. Burrilier, 1998.

Quelques études générales

  • D. Shanzer, A Philological and Philosophical Commentary on Martianus Capella's De Nuptiis Philologiae et Mercurii Book I, Berkeley-Los Angeles, University of California Publications, 1986.
  • S. Grebe, Martianus Capella, De Nuptiis Philologiae et Mercurii. Darstellung der Sieben Freien Künste und ihrer Beziehungen zueinander, Stuttgart-Leipzig, Teubner, 1999.
  • M. Bovey, Disciplinae cyclicae: L'organisation du savoir dans l'œuvre de Martianus Capella, Trieste, Edizioni Università di Trieste, 2003.

Notes


Wikimedia Foundation. 2010.

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