Musique postmoderne

Musique postmoderne

La musique postmoderne est, soit la musique de l'ère postmoderne, ou la musique qui applique l'idéologie de la postmodernité.

Comme son nom l'indique, le mouvement du postmodernisme s'est formé en réaction, ou plutôt comme un dépassement de la musique moderne. De fait, la musique postmoderne s'est généralement définie à la fin du XXe siècle en opposition à la musique contemporaine. Une œuvre peut être soit moderne ou postmoderne, mais pas les deux.

Sommaire

Origine historique

Henry W Sullivan suggère que la transition dans la musique, du moderne au postmoderne se déroule à la fin des années 1960, influencée en partie par le rock psychédélique et d'un ou de plusieurs des albums tardifs des Beatles (Sullivan 1995, 217). Pour Otto Karolyi et Leonard B. Meyer les débuts de la musique postmoderne ont lieu bien plus tôt, autour de 1930 (Karolyi 1994, 135; Meyer, 1994, 331-32).

L'attitude musicale postmoderne

Jonathan Kramer énonce l'idée (à la suite d'Umberto Eco et Jean-François Lyotard), que le postmodernisme (y compris en musique) est moins un style en apparence ou une période historique (c'est-à-dire, une condition) qu'une attitude. Kramer énumère 16 "caractéristiques de la musique postmoderne, voulant signifier que la musique est comprise d'une manière postmoderne, ou qu'elle appelle des stratégies d'écoute postmoderne, ou qu'elle offre des expériences d'écoute postmoderne, ou qu'elle présente des pratiques de composition postmoderne». Selon Kramer (Kramer 2002, 16-17), la musique postmoderne:

  1. n'est pas simplement un rejet de la modernité ou sa continuation, mais a des aspects à la fois de rupture et d'extension.
  2. est à un certain niveau et d'une certaine façon, ironique.
  3. ne respecte pas les limites entre les sonorités et les procédés du passé et du présent
  4. remet en question les barrières entre style «élevé» et «faible»
  5. montre un dédain pour la valeur incontestable de l'unité structurelle
  6. questionne l'exclusivité réciproque des valeurs élitiste et populiste
  7. évite les formes totalisantes (par exemple, ne veut pas des pièces comme des entités tonales, sérielles ou façonnées dans un autre moule)
  8. ne considère pas la musique de manière autonome, mais relevant de contextes culturels, sociaux et politiques
  9. inclut des citations ou des références de musiques provenant de nombreuses traditions et cultures.
  10. considère la technologie pas uniquement comme une manière de préserver et de transmettre la musique, mais aussi comme profondément impliqué dans la production et l'essence de la musique
  11. englobe les contradictions
  12. se méfie des oppositions binaires
  13. inclut des fragmentations et des discontinuités
  14. contient le pluralisme et l'éclectisme
  15. présente plusieurs significations et de multiples temporalités
  16. situe la signification et même la structure chez l'auditeur, plus que dans les partitions, les interprétations ou les compositeurs

Perçue comme une réaction contre la complexité et le radicalisme post-sériel, l'attitude postmoderne se veut une revendication vers des formes métissées, par l'emploi du collage et de la citation de musiques d'origines diverses[1]

Caractéristiques

Retour à la mélodie

Pour les compositeurs postmodernes le retour à la mélodie est une condition de la perception auditive, permettant la hiérarchisation du son qui va du bruit au tonal. Avec son opéra Votre Faust Henri Pousseur fait de Anton Webern l'axe qui amène cette perception vers deux directions opposées : « du Webern au tonal , et du Webern au bruit »[2].

Deux autres compositeurs sont représentatifs de ce retour à la mélodie après un parcours marqué par l'atonalité. Karlheinz Stockhausen à partir de 1970 avec Mantra basé sur une formule mélodique qui ne cesse de se répéter, selon la définition du compositeur, par des « extensions dans le temps ou dans l'espace »[3]. Arvo Pärt quant à lui revient à la mélodie en passant par la musique modale qui renvoie aux systèmes d'écritures des monodies médiévales, principalement le chant grégorien, et des polyphonies de l'école de Notre-Dame. Avec Tabula Rasa et Fratres, la démarche ascétique de Pärt se rapproche du Satie de la période mystique (Ogives, Danses gothiques) privilégiant le dépouillement, la stabilité et la simplicité, qui sont à la base du tintinabulisme[4]

Répétitivité

Dans le post modernisme musical, l'emploi de la répétitivité comme moyen de composition est celui qui sollicite le plus la perception auditive[5]. Le moindre changement ou progression devient audible, en se concentrant sur la dimension acoustique du son, produisant sur l'auditeur une fascination et un état de méditation[6]. Les minimalistes américains sont les principaux promoteurs de ce système de composition et, comme acteurs importants du post modernisme, ceux qui vont rompre le plus radicalement avec le sérialisme[5].

Pour B. Ramaut-Chevassus l' approche de la musique répétitive aux États-Unis est différente de l' Europe. Plus cosmique chez les américains dont l'inspiration prend ses racines dans les musiques et les philosophies extra-occidentales, et plus terrestre en Europe[6] où le minimaliste se combine à la technique de la citation et se réfère plus directement aux traditions classiques, comme chez Michael Nyman qui associe le minimalisme avec une écriture musicale hérité du baroque, comme dans sa composition pour le film Meurtre dans un jardin anglais qui rappelle la musique d' Henry Purcell[7].

Citation et collage

Le sérialisme voulait faire table rase du passé. Le postmodernisme, dans sa volonté de renouer avec l'histoire de la musique, va faire usage de la citation comme référence à ce passé. La citation s'insère en tant qu' élément hétérogène dans l'œuvre comme un rappel qui transmet un souvenir précis à l'auditeur qui l'identifie[8].

Klaus Huber utilise la citation comme un message dans l'affirmation de sa foi, ainsi dans Senfkorn il cite un air tiré de la cantate 159 de Bach pour sa valeur symbolique[9].

Dans le collage à la différence de la citation que l'on identifie dans un contexte musical par sa différence, c'est toute l'œuvre qui est un brassage d'élément d'origines diverses. Dans la postmodernité l'œuvre la plus représentative de cette technique musicale est la Sinfonia de Berio, qui regroupe dans son troisième mouvement entre autres, le premier concerto Brandbourgeois de Bach, les Cinq pièces de Schoenberg, les deuxième et quatrième symphonie de Mahler, la Mer de Debussy, la Valse de Ravel, le Sacre du printemps de Stravinski, Pli selon pli de Boulez, Gruppen de Stockhausen[10].

Compositeurs représentatifs

Pour Béatrice Ramaut Chevassus[11], l'œuvre significative de la postmodernité est la Sinfonia de Luciano Berio. D'autres courants comme les minimalistes américains, Steve Reich, Philip Glass et John Adams, et le courant des compositeurs néo-tonaux mystiques estoniens représentés par Arvo Part ou apparentés comme Giya Kancheli et Alfred Schnittke sont représentatifs de l'attitude postmoderne.

Notes et références

  1. J. Y. Bras Les courants musicaux au XXème siècle p. 260
  2. cité par B. Ramaux Chevassus (1998) Musique et post modernité p. 30
  3. B. Ramaux Chevassus (1998) Musique et post modernité p. 31
  4. B. Ramaux Chevassus (1998) Musique et post modernité p. 32-33
  5. a et b B. Ramaut-Chevassus op. cit. p. 34
  6. a et b B. Ramaut-Chevassus op. cit. p. 35
  7. B. Ramaut-Chevassus op. cit. p. 40
  8. B. Ramaut-Chevassus op. cit. p. 44
  9. B. Ramaut-Chevassus op. cit. p. 46
  10. B. Ramaut-Chevassus op. cit. p. 52
  11. Béatrice Ramaut Chevassus (1998) Musique et Postmodernité cité par J. Y. Bras op. cit. p. 260

Voir aussi

Articles connexes

Références bibliographiques

  • (en) Daniel Albright, Modernism and Music: An Anthology of Sources. University of Chicago Press. 2004 (ISBN 0-226-01267-0).
  • (fr) Jean-Yves Bras, Les courants musicaux du XXème siècle édition Papillon Genève 2003 (ISBN 2-940310-13-0)
  • (de) Hermann Danuser, Postmodernes Musikdenken—Lösung oder Flucht?. In Neue Musik im politischen Wandel: fünf Kongressbeiträge und drei Seminarberichte, édité par Hermann Danuser, 56–66. Mainz & New York: Schott 1991. (ISBN 3795717728)
  • (en) Robert L. Heilbroner, The Future as History. New York: Grove Press 1961.
  • (en) Fredric Jameson, Postmodernism, or, The Cultural Logic of Late Capitalism. Durham: Duke University Press 1991. (ISBN 0822309297)
  • (en) Otto Karolyi, Modern British Music: The Second British Musical Renaissance—From Elgar to P. Maxwell Davies. Rutherford, Madison, Teaneck: Farleigh Dickinson University Press; London and Toronto: Associated University Presses 1994. (ISBN 0-8386-3532-6)
  • (en) Jonathan Kramer, The Nature and Origins of Musical Postmodernism. In Postmodern Music/Postmodern Thought, édité par Judy Lochhead and Joseph Aunder, New York: Routledge 2002. (ISBN 0-8153-3820-1) réimpression de Current Musicology no. 66 (printemps 1999): 7–20.
  • (en) Leonard B. Meyer, Music, the Arts, and Ideas: Patterns and Predictions in Twentieth-Century Culture, deuxième édition. Chicago and London: University of Chicago Press 1994. (ISBN 0-226-52143-5)
  • (en) José Ortega y Gasset, The Revolt of the Masses. New York & London: W. W. Norton & Company, 1932.(ISBN 0-393-31095-7)
  • (fr) Béatrice Ramaut-Chevassus, Musique et Post-modernité PUF Que sais-je 3378 . Paris 1998
  • (en) Henry W Sullivan, The Beatles with Lacan: Rock ‘n’ Roll as Requiem for the Modern Age. Sociocriticism: Literature, Society and History Series 4. New York: Lang, 1995. (ISBN 0-8204-2183-9).
  • (en) Bálint András Varga, et Rossana Dalmonte. 1985. Luciano Berio: Two Interviews, traduits et publiés par David Osmond-Smith. London: Boyars. 1995 (ISBN 0714528293)
  • (en) Albrecht Wellmer, The Persistence of Modernity: Essays on Aesthetics, Ethics and Postmodernism, traduction. David Midgley. Cambridge [Massachusetts]: MIT Press 1991. (ISBN 0262231603)

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