Médecine orthomoléculaire

Médecine orthomoléculaire
Linus Pauling, Prix Nobel de chimie, inventeur du terme orthomoléculaire.

La médecine orthomoléculaire se propose de soigner les personnes par l'apport optimal de substances naturellement connues de l'organisme, par opposition à l'utilisation de molécules à effets thérapeutiques créées par l'homme.

Le terme « orthomoléculaire », créé en 1968 par Linus Pauling, signifie « molécule correcte » au sens « qui n'est pas étrangère au corps humain, qui est biologiquement correcte », les autres molécules (les principes actifs de la plupart des médicaments) étant vues comme biologiquement incorrectes, leur ressemblance chimique à des substances légitimes leur permet d'interagir avec les molécules du corps, mais comme elles ne sont pas identiques aux molécules qu'elles imitent, elles provoquent des dysfonctionnements (les effets secondaires) et leurs effets recherchés relèvent plus de la tricherie chimique que de la suppression des causes de la maladie[1].

La médecine orthomoléculaire se propose de traiter par la modification des concentrations des substances naturellement connues du corps humain et supposées bénéfiques, par opposition des pratiques chimiothérapiques de la médecine conventionnelle utilisant des substances créées de novo et supposées inconnues du corps humain, et donc décrites comme potentiellement toxiques. Les différences génétiques peuvent faire en sorte que certaines substances (enzymes, protéines) soient produites en quantités inadéquates par le corps, créant par là des déséquilibres chimiques, qui pourront éventuellement être palliés par l'apport supplémentaire d'un des termes du déséquilibre.

Les médecins pratiquant la médecine orthomoléculaire échangent leurs résultats dans des revues spécialisées, telles que le Journal of Orthomolecular Medicine[2] et le Journal of Nutritional and Environmental Medicine, qui restent peu connues de la communauté scientifique. Ainsi par exemple, la National Library of Medicine refuse depuis les années 1970 de les indexer[3].

Sommaire

La vitamine C, illustration de l'approche orthomoléculaire

Article détaillé : Vitamine C.

La vitamine C a été popularisée par Linus Pauling, célébré comme un des fondateurs de la biologie moléculaire[4] et pour son engagement contre les armes atomiques (qui lui valurent deux prix Nobel, de chimie et de la paix). Il présenta au grand public les résultats des chercheurs tels qu'Irwin Stone et Abram Hoffer qui mettaient en évidence un décalage entre l'alimentation de l'humain et celle des autres animaux ne pouvant pas non plus synthétiser de la vitamine C.

Les gorilles consomment toujours de grandes quantités de végétaux, dont certains sont extrêmement riches en vitamine C. L'ancêtre de l'humain provient d'un écosystème similaire (Volcanoes National Park, Rwanda)

Par exemple, le gorille des montagnes (pesant de 120 à 160 kg) ingère quotidiennement entre 2 000 et 4 000 mg d'ascorbates (vitamine C) et parfois bien plus[5]. L'homme occidental moyen ne prenant pas de suppléments en consomme quelques dizaines de milligrammes, et les apports journaliers recommandés de vitamine C sont de 60 mg.

La majorité des animaux et des plantes synthétisent leur propre vitamine C dans des quantités variables en fonction des stress subis qui équivaudraient, en tenant compte de la masse corporelle (pour les grands mammifères), à 10 000-20 000 mg par jour pour un humain adulte de corpulence moyenne. Quelques groupes d'animaux incluant l'homme ne peuvent synthétiser l'enzyme L-gulonolactone oxydase (GULO)[6] intervenant dans la dernière étape de la conversion du glucose obtenu par glycogénolyse en acide ascorbique. La perte de cette enzyme, considérée comme une erreur génétique[6], remonterait à environ 60 millions d'années[réf. nécessaire].

La médecine orthomoléculaire propose de corriger ce déficit par l'apport de quantités comparables à celles consommées par les anthropoïdes ancêtres de l'humain, lorsqu'ils vivaient dans l'écosystème où est survenue la mutation (entre 2 et 6 grammes, approximativement)[7], ou alors des quantités équivalentes à celles synthétisées par les autres mammifères, à savoir plusieurs grammes par jour[8] (quantité normalisée suivant la masse corporelle). En général, les plus fortes doses sont recommandées en cas de stress ou de maladie. L'extraction d'acide ascorbique dans de telles quantités à partir de sources naturelles serait fort coûteuse. L'adoption d'un mode de nutrition similaire à celle de ces primates ne semble pas réalisable. Les sociétés actuelles privilégient, à défaut, l'acide ascorbique de synthèse.

Parmi les autres molécules particulièrement préconisées par la médecine orthomoléculaire, particulièrement à ses débuts, les plus notables sont la niacine, les acides aminés précurseurs des monoamines (tyrosine, tryptophane) et la thiamine (vitamine B1). Cependant, toute molécule naturellement présente dans le corps dont la modulation des concentrations peut affecter la santé, positivement ou négativement, intéresse les praticiens de la médecine orthomoléculaire.

Bénéfices cliniques et seuil d'efficacité

La médecine orthomoléculaire établit le bénéfice de doses variables et suffisantes d'acide ascorbique dans de nombreuses situations médicales, particulièrement lors d'infections (les phagocytes utilisent de l'acide ascorbique prélevée dans le sang comme antioxydant pour se protéger alors qu'ils attaquent les intrus à l'aide d'oxydants comme le peroxyde d'hydrogène[9]) ou lors de convalescence suite à des brûlures (l'acide ascorbique est aussi nécessaire à la production de collagène[10]).

La rigueur scientifique exige toutefois des essais cliniques en double-aveugle. La dose nécessaire à l'amélioration peut être très variable. Si quelques dizaines de milligrammes empêchent le scorbut aigu, la guérison d'une infection virale peut demander plusieurs dizaines de grammes par jour[11], doses supéreures de plusieurs ordres de grandeur aux apports habituels mais qui sont néanmoins mieux tolérées chez la personne infectée que chez la personne saine[12].

Pour l'humain, la vitamine C n'étant pas synthétisée, il est avancé que le corps l'alloue en priorité aux tâches les plus importantes, dont la production de collagène, la protéine la plus abondante du corps[13].

Controverse

La dynamique de la vitamine C dans le corps n'est pas totalement élucidée.

Ayant longtemps été considérée comme un micronutriment prévenant le scorbut, sa consommation à des doses supérieures de plusieurs ordres de grandeur aux autres vitamines et à la quantité minimale prévenant le scorbut aigu peut paraître absurde. Cette pratique clinique s'inspire cependant des mécanismes biologiques normaux chez les autres animaux (à l'exception des espèces mentionnées ci-dessus), mécanismes qui étaient inconnus quand le scorbut a été découvert et restent méconnus encore aujourd'hui.

La majorité des essais cliniques existants consistent en l'administration d'une dose unique de la molécule, et cette dose est de loin inférieure à ce que la médecine orthomoléculaire préconise et à ce que les animaux (autres que les quelques espèces indiquées ci-dessus) produisent dans le foie ou les reins quotidiennement.

Autres vitamines et minéraux

La médecine orthomoléculaire propose des apports de certains minéraux, vitamines, huiles ou autres nutriments en quantités supérieures à celles que préconisent les apports journaliers recommandés.

La niacine (vitamine PP ou vitamine B3) est utilisée en médecine conventionnelle pour son effet hypocholestérolémiant. La nicotinamide est une autre forme de cette vitamine proposée en médecine orthomoléculaire ayant vocation à soulager l'ostéoarthrite, la dépression et les troubles schizophréniques ou s'y rapportant. L'effet vasodilatateur de la niacine est supposé soulager les migraines.

Le zinc est proposé contre les infections.

La méta-analyse JAMA 2007

Une équipe danoise et serbe pilotée par le groupe Cochrane a publié en février 2007 une méta-analyse[14], réactualisée en 2008[15], d'un nombre limité d'essais hasardisés utilisant des antioxydants en prévention primaire et secondaire.

Sur 748 études chez les adultes comparant le Bêta-carotène, la vitamine A, la vitamine C, la vitamine E ou le sélénium, soit de manière isolée ou combinée à un placebo ou à l'absence d´intervention, cette analyse en a exclu 680. Les 68 études restantes portaient sur 232 606 participants.

Les résultats de cette méta-analyse ne montre pas d'effet significatif des suppléments anti-oxydants sur la mortalité (RR = 1.02, IC 95 % 0.98-1.06). Les analyses en méta-régression multivariée ont montré que les études ayant de faibles biais et le sélénium (RR = 0.998, IC 95 % 0.997-0.9995) étaient significativement associées à la mortalité. Dans quarante sept des études à faible biais portant sur 180 938 participants, les suppléments par antioxydants augmentaient de façon significative la mortalité (RR = 1.05, IC 95 % 1.02-1.08). Après exclusion des essais portant sur le sélénium, le Bêta-carotène (RR = 1.07, IC 1.02-1.11), la vitamine A (RR = 1.16, IC 1.10-1.24) et la vitamine E (RR = 1.04, IC 1.01-1.07) de façon isolée ou combinée augmentaient de façon significative la mortalité.

Les auteurs concluent donc que:

  • Les suppléments en anti-oxydants n'avaient pas d'effet significatif sur la mortalité
  • Une supplémentation avec le Bêta-carotène, la vitamine A et la vitamine E augmentait la mortalité.
  • Les effets de la vitamine C et du sélénium sur la mortalité ne pouvaient être déterminés par l'étude et nécessitaient des investigations complémentaires.

L'Orthomolecular Medicine News Service critiqua cette méta-analyse en considérant :

  • Qu'une méta-analyse qui ne retient que 67 études sur plusieurs milliers ne peut pas être probante;
  • Que cette méta-analyse n'a pas pris en considération les 600 études publiées par le Journal of Orthomolecular Medicine, une publication à comité de lecture;
  • Qu'elle n'a pas consulté les médecins ayant une longue expérience clinique de l'usage thérapeutique des vitamines et autres nutriments;
  • Que les centres anti-poisons n'indiquent aucun décès lié à la consommation de suppléments[16].

Références

  1. Pauling L, « Orthomolecular psychiatry. Varying the concentrations of substances normally present in the human body may control mental disease », dans Science, vol. 160, no 825, avril 1968, p. 265–71 [lien PMID] 
  2. Journal of Orthomolecular Medicine. http://www.orthomed.org/jom/jom.html
  3. Hickey S, « Censorship of medical journals. », dans BMJ, vol. 333, no 7557, 2006, p. 45 [texte intégral, lien PMID, lien DOI] 
  4. Crick, Francis. “The Life and Work of Linus Pauling (1901-1994): A Discourse on the Art of Biography « How should we summarize Linus' contribution? I do not think, as I said earlier, that it is right to discuss the impact of Linus Pauling on molecular biology. Rather, he was one of the founders of molecular biology. It was not that it existed in some way, and he simply made a contribution. He was one of the founders who got the whole discipline going. And he got it going because, first, he understood chemistry and physical chemistry and he believed that that was the right way to think about these processes -- not in terms of mysterious forces. And he got it going, second, because he was genuinely interested in biological things. He looked out into the biological world to see where he would apply the right set of ideas. In addition, therefore, to his enormous contributions to chemistry and his humanitarian work, I think we should celebrate him as one of the founders of molecular biology, which as you know is flourishing today. »
  5. Micronutrient intakes of wild primates: are humans different? Milton K Comp Biochem Physiol A Mol Integr Physiol 2003 (136) 1; p. 47-59 PMID : 14527629
  6. a et b OMIM - HYPOASCORBEMIA. Consulté le 2007-11-13
  7. L. Pauling, « Evolution and the need for ascorbic acid. », dans Proc Natl Acad Sci U S A, vol. 67, no 4, décembre 1970, p. 1643-8 [texte intégral] 
  8. Stone I, « Homo sapiens ascorbicus, a biochemically corrected robust human mutant », dans Med. Hypotheses, vol. 5, no 6, juin 1979, p. 711–21 [texte intégral, lien PMID] 
  9. Nutranews Décembre 2003 - Des nutriments pour renforcer le système immunitaire et faire échec aux infections de l’hiver
  10. Pharmacorama - L'acide ascorbique ou vitamine C (paragraphe Hydroxylation)
  11. RM. Douglas, « Vitamin C for preventing and treating the common cold. », dans Cochrane Database Syst Rev, no 4, 2004, p. CD000980 [texte intégral, lien DOI] « The tantalisingly fragmentary descriptions of the Dick studies show clearly a biological effect of high dose vitamin C on the nature and course of symptoms encountered. »
  12. Hemilä, Harri. (2006). Safety of Vitamin C: Urban Legends. « There is much evidence indicating that vitamin C metabolism changes during infections and this may affect the relationship between doses and adverse effects. It has been reported that people with serious infections can ingest over 50 g/day of vitamin C without gastric problems. »
  13. Extrait d'une entrevue de Linus Pauling. (1993)
  14. Mortality in randomized trials of antioxidant supplements for primary and secondary prevention: systematic review and meta-analysis. Bjelakovic G, Nikolova D, Gluud LL, Simonetti RG, Gluud C. The Cochrane Hepato-Biliary Group, Copenhagen Trial Unit, Center for Clinical Intervention Research, Copenhagen University Hospital, Rigshospitalet, Copenhagen, Denmark. goranb@junis.ni.ac.yu. JAMA. 2007 Feb 28;297(8):842-57.
  15. Bjelakovic G, Nikolova D, Gluud LL, Simonetti RG, Gluud C, Antioxidant supplements for prevention of mortality in healthy participants and patients with various diseases, Cochrane Database of Systematic Reviews, 2008;2 DOI: 10.1002/14651858.CD007176
  16. Gazette's Scaremongering About Vitamins. Orthomolecular Medicine News Service, 4/8/2008. Orthomolecular.org.

Annexes

Bibliographie

  • Vitamin C and the Common Cold. Linus Carl Pauling. Buccaneer Books, 1995 (réédition).
  • How to Live Longer and Feel Better. Linus Carl Pauling. W.H. Freeman & Co, 1986.
  • The Healing Factor. Irwin Stone. 1972. (ISBN 0-448-11693-6)
  • Ascorbate, the science of vitamin C. Steve Hickley, Hilary Roberts. (ISBN 1-4116-0724-4)
  • New evidence for antioxidant properties of vitamin C. Vojdani A, Bazargan M, Vojdani E, Wright J. Cancer Detect Prev. 2000;24(6):508-23.
  • The effects of iron and vitamin C co-supplementation on oxidative damage to DNA in healthy volunteers. Biochemical and Biophysical Research Communications 1998 May 8;246(1):293-8. Pubmed ID 9600109
  • Vitamin C prevents DNA mutation induced by oxidative stress. J Biol Chem. 2002 May 10;277(19):16895-9. Pubmed ID 11884413

Articles connexes

Ressources externes


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