Paix du travail

Paix du travail

La paix du travail désigne, en Suisse, une convention passée entre syndicats et patronat en 1937 puis, par extension, l'ensemble des conventions collectives suisses conclues depuis cette date.

Sommaire

Contexte historique

Les crises économiques européennes et mondiales successives de 1921, 1930 et 1936 touchent durement la Suisse, dont l'économie est alors en grande partie tournée vers l'exportation et le tourisme. En particulier, les secteurs de l'horlogerie et de la restauration sont victimes de plusieurs faillites, provoquant la mise au chômage de plus de 124 000 personnes en janvier 1936[1].

Parmi les nombreuses mesures prises par les gouvernements fédéraux et cantonaux, on note un développement considérable de la production hydro-électrique par la mise en service de plusieurs barrages, permettant ainsi de réduire la dépendance énergétique du pays envers l'étranger. Dans le même temps, le franc suisse est dévalué de 30 %, quittant ainsi la parité or pour la première fois. Enfin, après le rejet en 1918 d'une initiative populaire sur le sujet, le gouvernement fédéral introduit l'impôt fédéral direct, destiné à aider des entreprises, en particulier dans le domaine bancaire.

Ces mesures sociales, couplées au développement du Parti socialiste suisse ainsi que la prise par le gouvernement fédéral d'un arrêté autorisant « le Département fédéral de l'Économie publique à arbitrer d'office et sans appel les conflits de salaires collectifs »[2] amenèrent les différentes classes économiques à se rapprocher et à mette en place des accords bi-partites de prévention des conflits sociaux.

Détail des accords

C'est suite à une grève des ouvrières du cadran dans les montagnes neuchâteloises[3] qu'un accord de paix sociale appelé accord de la paix du travail est signé le 19 juillet 1937 entre les syndicats de la métallurgie (représenté par Konrad Ilg) et les patrons (représentés par Ernst Dübi)[4]. Il oblige tous les syndicats signataires à renoncer à la grève[5] en cas de conflit, mais interdit en contre-partie aux patrons de pratiques le lock-out des entreprises. Malgré le peu d'enthousiasme de la base syndicale, l'accord est ratifié principalement dans le but d'éviter une ingérence de l’État fédéral.

Contrairement à une idée largement répandue, cet accord n'est pas la première convention collective signée en Suisse. En effet, après les menuisiers de Genève en 1857 et les typographes de Saint-Gall en 1861, de telles conventions ont été négociées sur le plan fédéral par les brasseurs en 1906, les typographes l'année suivante et les plombiers en 1911[6].

Par la suite, différentes conventions collectives sont signées sur le même modèle, dans quasiment tous les domaines économiques. Certaines conventions assouplissent toutefois l'interdiction du droit de grève qui devient tolérée en cas de dernier recours et uniquement pour un objet qui n'est pas couvert par la convention[7]. Ces accords participent grandement à une pratique collaborationniste des syndicats helvétiques ainsi qu'à leur intégration dans les différentes structures étatiques.

D'accord bi-partite les conventions collectives de paix du travail vont progressivement, à partir des années 1950, devenir tri-partites, l'État devenant garant de la bonne applications des décisions et reconnaissant les syndicats comme partenaires sociaux. Finalement, les conventions collectives sont rendues obligatoires en 1943 par le Conseil fédéral qui se réserve le rôle d'arbitre[8]. La prolongation de la convention de paix du travail dans la métallurgie signée en 1944 va contribuer à la naissance de la Suisse sociale de l'après-guerre[9], en particulier dans ce domaine par l'adoption en 1956 d'une loi empêchant que des patrons ou des travailleurs non couverts par une convention collective ne puissent s'entendre sur des conditions moins favorables que celle-ci[10].

La paix du travail au XXIe siècle

Au début du XXIe siècle, la Suisse compte environ 600 conventions collectives de travail (pour moitié définissant une paix du travail illimitée et pour l'autre moitié relative) en vigueur qui ne concernent que 40 % des salariés[11] . Toutefois, la paix du travail est devenue « à la fois une institution et un mythe »[12], bien que fréquemment annoncée comme moribonde ou en danger.

Le 9 avril 2003 par exemple, la convention collective de travail de l'industrie des machines (la plus importante du pays) est renouvelée pour deux ans suite à quatre ans de négociations entre les partenaires sociaux[13]. En Suisse, la grève « est devenu[e] un tabou parce qu'on l'a idéalisée en se référant à ses origines. Mais il y a toujours eu des grèves et la paix n'est pas un mythe, c'est une réalité du rapport de force entre syndicats et patronat, mais voulu par l'État »[14]

Références

  1. J-J. Bouquet, Histoire de la Suisse, pp 106-107
  2. Dictionnaire suisse de politique sociale, « Paix du travail (Convention de) ». Consulté le 18 novembre 2007
  3. Jean Christophe Schwaab, « Petit historique de la paix du travail en Suisse ». Consulté le 18 novembre 2007
  4. Nouvelle histoire de la Suisse et des Suisses, op.cit. pp. 745
  5. Bien que la grève soit un droit constitutionnel suisse, selon l'article 28 de la Constituation
  6. [PDF] Bulletin SIT No 49, « D’où vient la paix du travail (chapitre 2, page 3) ». Consulté le 18 novembre 2007
  7. on parle alors de "paix du travail relative"
  8. Isabelle Eichenberger, « La Paix du travail fête ses 70 ans ». Consulté le 18 novembre 2007
  9. Nouvelle histoire de la Suisse et des Suisses, op.cit. pp. 750
  10. Nouvelle histoire de la Suisse et des Suisses, op.cit. pp. 825
  11. Jean-Philippe Chenaux, « La paix du travail est-elle menacée? ». Consulté le 18 novembre 2007
  12. [PDF] Bulletin SIT No 49, « Mythes et réalités (chapitre 4, page 13) ». Consulté le 18 novembre 2007
  13. J.-F. Marquis, « La paix du travail à nouveau dans le vent ». Consulté le 18 novembre 2007
  14. Hans-Ulrich Jost, cité par Isabelle Eichenberger, « La Paix du travail fête ses 70 ans ». Consulté le 18 novembre 2007

Voir aussi

Articles connexes

Sources

  • Jean-Jacques Bouquet, Histoire de la Suisse, PUF, coll. « Que sais-je? » (ISBN 2130545009) 
  • Nouvelle histoire de la Suisse et des suisses, Lausanne, Payot (ISBN 2601030178) 

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