Pandemie de la grippe de 1918

Pandemie de la grippe de 1918

Pandémie de la grippe de 1918

Note : cet article traite de l'évolution spatiotemporelle de l'épidémie de grippe espagnole de 1918-1919. Pour l'article général, voir Grippe de 1918.

La pandémie de la grippe de 1918 (souvent nommée la "grippe espagnole") a été une pandémie de grippe particulièrement virulente et contagieuse ayant fait 20 millions de morts.

Son nom semble venir du fait que seule l'Espagne -- non impliquée dans la Première Guerre mondiale -- publia librement les informations relatives à cette épidémie. Les journaux français parlaient donc de la grippe espagnole qui faisait des ravages en Espagne.

Sommaire

Deux souches, trois vagues épidémiques

Photographie électronique du Virus de 1918 rétrospectivement reconstitué par génie génétique à partir d'échantillons de restes humains de 1918.
  1. Un premier virus grippal, dit « virus père », serait apparemment apparu en Chine, inhabituellement contagieux. Cette souche a probablement sévi dès 1916, mais elle ne fut identifiée comme telle et suivie avec plus d’attention qu'à partir d'avril 1918 et jusqu'à juin 1918.
  2. Ce virus a ensuite muté en une souche particulièrement contagieuse et virulente dite « de la grippe espagnole », ayant connu une première extension épidémique aux États-Unis d'Amérique, et ayant décimé de 21 à 100 millions d'individus, selon les sources et estimations. Cette souche s’est répandue en deux principales vagues meurtrières : l'une de la mi-septembre à décembre 1918, l'autre de février à mai 1919.

Avant 1918 : Virus pères

Apparition et propriétés

Du fait de l'absence d'étude sur des souches originales du virus de la grippe espagnole, aucune souche n'ayant pu être conservée, il est impossible de déclarer, aujourd'hui du moins, quelle est la source qui a vu apparaître le « virus père ». Il y a cependant deux hypothèses possibles concernant l'apparition du « virus père » de la grippe espagnole : la première est que ce virus proviendrait de la mutation d'un virus humain préexistant (voir les différents phénomènes dans la partie suivante qui expliquent les différentes mutations possibles du virus de la grippe); dans ce cas, il devrait n'être que faiblement différent de l'original, et les populations humaines devraient, en bonne partie, être immunisées. La seconde est qu'il proviendrait d'une souche nouvelle, provenant d'une autre espèce, notamment les espèces aviaires, qui sont des réservoirs naturels de bon nombre de virus.

C'est effectivement souvent ainsi qu'apparaissent les nouvelles souches de virus de la grippe : par l'interaction de populations humaines, porcines et aviaires (voir aussi la seconde partie).

Si cela demeurait inconnu à l'époque, nous savons désormais que les différentes espèces d'oiseaux, notamment les canards domestiqués, sont des réservoirs naturels de quantité de virus et que ceux-ci peuvent, sous certaines conditions, se transmettre à d'autres espèces, tels les porcs. Or, le mode d'organisation traditionnel de la paysannerie mettait en contact direct et continuel les oiseaux de basse-cour, les porcs et les humains. Les premiers, souvent des canards, servant de réservoir naturel de virus. Les populations porcines, servant d'éprouvettes, subissent ainsi continuellement l'assaut des virus grippaux aviaires, qu'ils ne craignent normalement pas du fait de la barrière des espèces. Mais ce contact continuel permet, le cas échéant, aux variantes des virus de s'adapter au système immunitaire mammalien. Et du fait que le système immunitaire des porcs est proche de celui de l'homme, les virus grippaux aviaires peuvent donc atteindre l'homme par le biais des porcs.

Des chercheurs américains ont d'ailleurs publié en octobre 2005, dans les revues "Science" et "Nature" (voir Bibliographie), une étude sur un virus de la grippe espagnole reconstitué (à partir d’un prélèvement de poumon d’une femme décédée lors de la pandémie de 1918 en Alaska et enterrée dans le pergélisol), qui tend à montrer que son origine était aviaire.

Voici comment serait apparu le « virus père » dans la population humaine :

Ce que l'on sait de ce virus père tient en ses propriétés pathologiques. Il était somme toute assez commun : durée d'incubation très courte (de 1 à 2 jours), immense majorité de cas bénins et mortalité habituelle d'environ 0,15 %. Soit un cas mortel sur 666 malades, particulièrement chez les vieillards et les nourrissons, comme c'est encore le cas aujourd'hui. Ces cas mortels n'étant pas dus au virus lui-même mais, du fait de l'affaiblissement de l'organisme qu'il entraîne, à des complications de maladies normalement non mortelles (bronchite, pneumonie...).

Ce virus père ne différant de ceux des autres grippes que par une contagiosité plus élevée qu'à l'accoutumée, lui permettant d'engendrer une épidémie timidement internationale, cela n'est pas encore assez pour être appelé pandémie.

Des origines géographiques incertaines

Les débuts de cette pandémie ont été discrets, car le virus n'était d'abord pas mortel. L'origine géographique du virus-père de la grippe de 1918, dite « grippe espagnole », reste donc très incertaine, d'autant que, à tout moment de l'année, divers points du globe subissent des épidémies de souches grippales différentes, bénignes et parfois endémiques. Faute d'études rétrospectives suffisantes sur le virus de la grippe espagnole lui-même, il demeure impossible de trancher sur son origine généalogique, de déterminer lequel des virus bénins alors en cours était le virus père. Impossible donc de déterminer son origine géographique précise.

Les connaissances certaines sur son origine sont ainsi inexistantes : l'origine même de son nom est encore débattue mais semble majoritairement considérée comme étant due au fait que ce ne fut que lorsque cette grippe frappa l'Espagne que l'on prit conscience de sa portée internationale.

Aussi, malgré le fait que les hypothèses sur l'origine géographique soient multiples, toutes convergent vers une même région : le Nord-Est des États-Unis d'Amérique, dans la région de Boston, lieu premier semble-t-il où la grippe devint mortelle, vers la mi-septembre 1918. Ce n'est qu'à partir de là que l'on suit avec certitude le virus en question. Cependant, la pandémie commença bien avant avec le « virus père ». En voici les origines les plus développées expliquant son arrivée dans la région de Boston.

L'origine la plus communément admise, notamment par les instituts de santé publique tels que l'Institut Pasteur, est l'Asie, la région de Canton plus précisément, en Chine. Bien qu'elle ne repose sur aucune preuve indéniable, cette hypothèse s'appuie sur deux constats effectifs :

  • Une épidémie de grippe bénigne, mais à forte contagiosité, sévit effectivement en Chine au printemps 1918 (ce qui est fréquent).
  • Second argument : cette région du monde, par son interaction entre les populations humaines, aviaires et porcines, a toujours été la source principale des épidémies de grippe.

Le virus aurait atteint les États-Unis par le biais d'un bataillon américain revenant de cette région chinoise vers une base de Boston. Ce fut ici qu'elle fit ses premiers morts recensés.

Une autre hypothèse américaine, peu développée, pose comme origine possible de cette épidémie les États-Unis, dans la région de la Caroline du Sud, où quelques cas mortels auraient été annoncés dès le printemps 1918.

D'autres hypothèses prétendent qu'elle serait originaire d'Europe. Ainsi, l'autre hypothèse la plus solide fait apparaître les premiers cas de grippe espagnole dans les tranchées françaises en avril 1918. Notamment dans des bataillons britanniques stationnés dans les environs de Rouen. Il y eut effectivement des morts dus à une épidémie de grippe particulièrement contagieuse, mais les conditions d'hygiène des tranchées étaient amplement suffisantes à transformer une grippe des plus banales en maladie mortelle.

Toujours est-il que cette épidémie, liée ou non à l'épidémie chinoise, se répandit rapidement, par le biais des mouvements de troupes alliées, d'abord en Grande-Bretagne, puis aux États-Unis, et enfin en Italie et en Allemagne, atteignant son apogée vers juin 1918. En juillet, l'Europe considère l'épidémie comme pratiquement terminée, bien qu'ayant atteint un nombre élevé d'individus, surtout dans les armées, mais s'étant manifestée sans gravité, étant de courte durée, et avec des symptômes classiques peu alarmants.

Il existe également d'autres hypothèses, isolées et non confirmées par d'autres documents, prétendant que son origine pourrait être réellement l'Espagne ; elle aurait été amenée aux États-Unis par le biais de la famille royale espagnole, à l'époque en voyage diplomatique dans la région de Washington, ou encore qu'elle serait la conséquence d'essais de nouveaux vaccins sur des militaires de Boston, aux États-Unis, en septembre 1918[réf. nécessaire].

Simultanément à ces épidémies internationales, d'autres foyers épidémiques plus restreints ont été observés en Inde et en Nouvelle-Zélande, en juillet, et en Afrique du Sud, en août. On ignore aujourd'hui encore s'il s'agit d'une seule ou de différentes souches, toutes cependant n'engendraient que des symptômes bénins.

D'épidémie à pandémie mortelle

Septembre 1918: l'épidémie américaine devient mortelle

C'est aux États-Unis, dans la région de Boston, aux environs du 14 septembre, que les premiers cas mortels d'une grippe qui sera bientôt tristement connue sous le nom de « grippe espagnole » furent signalés.

À compter de cette date, cette vague virale, bien qu'étant dans la lignée directe de la précédente, se caractérisa par une mortalité 10 à 30 fois plus élevée que les épidémies grippales habituelles, soit un taux de mortalité moyen de près de 3% des grippés.

Du fait de sa grande contagiosité, elle se répandit partout où les voyageurs contaminés, civils ou militaires, allèrent, au gré des transports ferroviaires et maritimes de cette époque, inconscients du danger et de la puissance meurtrière de ce qu'ils colportaient. Dès le 21 septembre 1918, dans l'ensemble du Nord-Est des États-Unis, des côtes américaines du golfe du Mexique, ainsi qu'en Californie et dans la majorité des grandes villes de l'Est américain, sont signalés des décès dus à la grippe : c'est le début d'une augmentation significative et anormale du nombre de cas mortels.

Dans le même temps, les premiers cas sont signalés en Europe, le virus y fut probablement apporté par le biais de renforts américains venus aider les armées alliées. Une semaine plus tard, début octobre 1918, c'est l'ensemble du territoire des États-Unis et de l'Amérique du Nord qui est atteint. Il aura suffi de 15 jours à ce virus pour être présent sur l'ensemble de ce continent Nord-Américain.

C'est alors seulement que l'épidémie prit réellement une ampleur considérable. En effet, si elle était déjà présente dans l'ensemble de ces territoires, le nombre de contaminés n'était pas encore très élevé. Et ce fut seulement une fois disséminée que le nombre de contaminés explosa.

Taux de mortalité à New York, Londres, Paris, et Berlin.

Aussi, comme le montre le graphique qui suit, ce fut le mois d'octobre 1918 qui vit le plus de cas mortels aux États-Unis : un taux de mortalité de près de 5 % chez les malades, soit, relativement à la population entière, du fait que 30 à 40 % de la population était atteinte, un taux de mortalité global de 2%. L'État américain, ainsi que la population, prirent soudainement conscience de l'importance de cette épidémie.

Sur le même schéma, ce serait bientôt l'Europe, puis le reste du monde qui succomberaient.

Les propriétés de cette grippe

Ce qu'il y a de surprenant, en premier lieu, chez ce virus, comme chez tous les virus de la grippe, c'est sa contagiosité. C'est cela qui lui permit de se propager à une telle vitesse, en lui permettant de devenir une pandémie mondiale.

En cinq jours, une petite ville (1 000 habitants), où seuls quelques cas étaient répertoriés, pouvait se trouver à genoux avec près de 200 grippés, cloués au lit, entraînant la mort de 20 à 40 de ces individus, ce qui représente jusqu'à 20% de mortalité. L'épidémie une fois arrivée en un lieu donné, du fait que les malades transportent et propagent le virus durant les deux premiers jours de leur infection, demeurent sans symptômes, toutefois le virus avait contaminé dès la première semaine, avant même les premiers morts, une impressionnante portion de la population. La morbidité (portion de cas de grippe dans une population) était extrême, près de 30 % de la population était atteinte après 15 jours. Un pic de mortalité était observé du 15e au 30e jour de l'épidémie, suivi d'une décroissance lente du nombre de cas. Ce n'était généralement qu'au bout de deux mois que l'épidémie s'essoufflait, poursuivant ailleurs son œuvre.

La virulence de cette épidémie avait également de quoi surprendre. La grande majorité des cas demeuraient bénins, les symptômes ne différant guère de ceux d'une grippe habituelle, avec les « atouts » de la première vague en plus (haute contagiosité). Et dans la plupart des cas, les symptômes ne durant que de trois à cinq jours, suivis d'une amélioration rapide. Il en fut tout autrement pour les cas graves. Après un ou deux jours de symptômes bénins, l'état du malade empirait rapidement : l'atteinte pulmonaire devenait alors évidente. Le malade, prostré, se plaignait de douleurs dans la poitrine, son visage devenait violacé, une mousse sanguinolente s'échappait de ses lèvres. En quelques heures, plus de la moitié de ces cas se terminèrent par la mort.

Dans l'ensemble, ce ne fut non pas la grippe en elle-même, mais les complications pulmonaires qui la suivirent qui furent ainsi la cause principale des cas mortels. Avec les grippes précédentes, seuls 1 % des grippés présentaient des complications pulmonaires plus ou moins graves, et parmi ceux-ci, seuls 1 % des cas était mortels. Avec cette vague de grippe espagnole, ce fut près de 15 à 30 % des grippés qui présentèrent des complications pulmonaires, et environ 10 % de ces cas eurent une issue fatale.

Soit, sur une population de 10 000 grippés, 100 complications pulmonaires, 1 décès pour les épidémies communes. Pour une épidémie de grippe espagnole, il y avait de 1 500 à 3 000 complications pulmonaires et de 150 à 300 décès.

Jusqu'à 300 fois plus de morts.

Il est à noter, et c'est une spécificité de cette grippe, la courbe de mortalité est anormalement haute pour la tranche d'âge de 20 à 40 ans, qui représenta 50 % des décès, avec un pic anormal de la mortalité vers 30 ans. Cette tranche d'âge étant habituellement et clairement la moins touchée.

Bien que les personnes plus âgées (notamment vers 60 ans), les adolescents et les nourrissons subirent une morbidité particulièrement élevée, ils ne subirent pourtant pas davantage de pertes (mortalité) qu'à l'accoutumée. Le nombre de complications pulmonaires ainsi que la mortalité restant étrangement faibles au regard de la virulence de cette épidémie et de leur grande vulnérabilité habituelle face aux grippes, telle celle de 1957, ou d'autres, même anodines.

La cause de ces anomalies de répartition de la mortalité, ainsi que de sa forte mortalité, plus encore celle des adultes, reste aujourd'hui encore inconnue.

Octobre 1918 : L'épidémie devient pandémie

Alors que les États-Unis furent subitement submergés par cette épidémie nouvelle, que bon nombre de villes américaines sont paralysées du fait du grand nombre de malades, ainsi que du grand nombre de personnes refusant d'aller travailler. Alors que les médecins américains, désemparés, sans aucune information ou aide possible, font face à cette épidémie du mieux qu'ils peuvent, mais hélas vainement, une infirmière sur quatre mourut. Alors que cette épidémie, à son apogée de puissance aux États-Unis, y sème le chaos, le désarroi, et surtout la mort ; l'Europe compte ses premiers morts dans les rangs des militaires alliés. Avec son arrivée en Europe, ce virus devint international, ce qui annonçait déjà son originalité.

Suivant la même évolution qu'aux États-Unis, la maladie, partant du Nord-Est de la France, conquit bien vite l'ensemble des insalubres tranchées alliées ainsi que le territoire français et, par les mouvements de troupes britanniques, tel un piège grec, prit l'île imprenable de Grande-Bretagne.

Vers le 15 octobre, l'épidémie atteignit, en France puis en Angleterre, une importance considérable. Avec une à deux semaines de décalage, l'Espagne, l'Italie, l'Allemagne et l'ensemble des pays limitrophes comptèrent leurs premiers morts. De là, l'Europe étant à l'époque le centre colonisateur du monde, des bateaux, avec à leur bord des marins grippés, partirent vers l'Afrique, l'Amérique du Sud, les Indes et la Chine, ainsi que vers l'Océanie. Ces marins colportant vers ces terres alors encore épargnées un virus épidémique qui, par là-même, allait devenir indéniablement pandémique : l'épidémie devenait mondiale.

Fin octobre et début novembre, d'abord en France et en Grande-Bretagne, ensuite dans l'Europe entière durant le mois de novembre 1918, l'importance devint l'égale de celle des États-Unis. Pire : les populations européennes, affaiblies par quatre ans de guerre et de pénuries, subirent des pertes plus grandes encore que celles des États-Unis. La France, à elle seule, subit quasiment autant de pertes que l'ensemble des États-Unis. Des villes entières sont paralysées, autant par la maladie que par sa crainte. Aux États-Unis, l'épidémie perdait enfin de sa force, après deux mois en moyenne de sévices : septembre, le mois de la propagation, et octobre, le mois des morts. Novembre étant, pour ce continent, le mois d'une guérison amère.

En Europe, pour la France et la Grande-Bretagne, le mois de la propagation ayant été octobre (avec également un grand nombre de morts), ce fut ainsi principalement le mois de novembre, en raison des infrastructures sanitaires débordées, qui vit les plus grandes vagues de morts. Pour les autres pays d'Europe, la période de propagation de la maladie s'étendit de mi-octobre à mi-novembre, celle des morts, de mi-novembre à mi-décembre.

Parmi les comptoirs et colonies européenne, seule l'Australie fut en mesure d'appliquer une quarantaine rigoureuse. Pour les autres, l'épidémie fut inévitable. Les Européens débarquèrent, amenant avec eux le mortel virus. À partir de début novembre 1918, le virus se répandit très vite dans toute l'Afrique, l'Amérique Latine, les Indes et la Chine, ainsi que dans l'Océanie. Le pourcentage de grippés dans les populations locales oscillant entre 30 et 80 % de contaminés, parmi lesquels de 1 à 20 % de cas mortels. Les épidémies, là aussi, passant en deux mois sur une région, elle cessa donc son activité vers début janvier 1919, avec un pic de mortalité en décembre 1918.

L'Inde, à elle seule, aurait eu 6 millions de morts, la Chine tout autant.

Après deux mois d'accalmie, de décembre 1918 à janvier 1919, la pandémie semblait définitivement achevée. Pourtant, 1919 vit étrangement une recrudescence importante du nombre de cas de grippe espagnole. Cette nouvelle « vague », par chance, ne fut que mineure du fait que l'ensemble des individus ayant déjà été atteints lors de la seconde vague de grippe présentaient désormais une immunité, et ne pouvaient donc colporter le virus. Cette vague pandémique, qui balaya tout de même la planète entière, se contenta d'enclencher des foyers épidémiques localisés un peu partout sur Terre, notamment dans les régions épargnées jusqu'alors, telle que l'Australie, qui n'échappa pas cette fois à la pandémie.

Avec l'Australie ainsi touchée, ce fut donc sur l'ensemble des continents humainement habités que le virus de la grippe de 1918-1919, dite espagnole, sema son lot de morts, signant définitivement son caractère pandémique.

Bilan et conséquences

Du fait, sans doute, de la priorité militaire de l'époque, et malgré la virulence de cette pandémie mondiale, aucune étude scientifique approfondie ne fut entreprise. Seuls, çà et là, des médecins isolés écrivirent de petits traités exposant les symptômes constatés, des statistiques de contamination ou de taux de mortalité. Les rares prélèvements conservés (par exemple dans de la paraffine solide) s'avèrent aujourd'hui dégradés et inutilisables.

On a par ailleurs constaté que la pandémie de 1918-1919 fut essentiellement caractérisée par trois faits :

  • Un taux de mortalité induit (ce n'est pas la grippe qui tue directement) effrayant, avec une moyenne d'environs 3 % du milliard de grippés de l'ensemble de la planète.
  • Une morbidité extrêmement élevée, c'est-à-dire un très grand nombre de cas, estimée à 50 à 70 % de la population mondiale atteinte. Ceci s'expliquant par le fait qu'il s'agissait d'un virus grippal de type nouveau vis-à-vis duquel la population ne possédait aucune immunité.
  • Une courbe de mortalité tout à fait anormale, avec un pic sur les 20-40 ans, notamment aux alentours de 30 ans.

Ainsi, sur une population mondiale estimée à l'époque à environ 1,9 milliard d'individus, l'ensemble des estimations évaluent à plus d'un milliard le nombre de personnes atteintes par ce virus, sans distinction de continent, d'ethnie ou du niveau technologique de leur civilisation. Au contraire, bien que le taux de mortalité fût plus élevé chez les tribus primitives, du fait de l'absence de soins, ce furent les civilisations urbaines et industrialisées, à fortes concentration de population, qui furent les plus touchées du fait qu'elles favorisaient la propagation rapide du virus.

Au niveau humain, on estime le nombre de victimes compris entre 21 millions (d'après l'Institut Pasteur) et 50 millions d'individus (d'après l'OMS). Le consensus international penchant plutôt pour la première évaluation, et tranchant aux alentours de 30 millions de victimes.

Plus précisément, au cours de ces différentes vagues, les États-Unis, premier pays touché, perdirent près de 549 000 citoyens ; la France, modeste pays comparé aux États-Unis, en perdit pourtant près de 408 000, le Royaume-Uni 220 000 « seulement ». De l'Allemagne et de l'Autriche, alors dans le chaos de la défaite, ne ressortent aucune étude statistique. Globalement, en Europe occidentale, ce fut sans doute près de 2 à 3 millions de morts. L'Inde et la Chine, comme on l'a vu précédemment, eurent chacune environ 6 millions de morts. Le Japon en eut près de 250 000.

Source : Institut Pasteur

En Océanie, le bilan fut variable. Le gouvernement des Samoa américaines isola l'archipel et parvint à protéger sa population. A l'inverse, les autorités néo-zélandaises des Samoa occidentales firent preuve de négligence, et 90% de la population fut infectée. 30% de la population adulte masculine, 22% des femmes et 10% des enfants périrent. Des navires quittant les ports néo-zélandais apportèrent la grippe aux Tonga, à Nauru et aux Fidji ; les taux de mortalité s'y élevèrent à 8%, 16% et 5%, respectivement.[1] Le taux de mortalité en Nouvelle-Zélande elle-même fut de 5%.[2]

Pour les autres pays, tels que les colonies africaines, l'Amérique du Sud et la Russie (alors en pleine refonte communiste), il n'est fait mention nulle part de quelconques statistiques, mais on peut, en fonction des populations de l'époque et de la mortalité moyenne, y estimer le nombre de morts total à près de 6 millions. Probablement plus. On obtient ainsi de 20,5 millions à 21,5 millions de morts dus à cette pandémie.

Progression géographique de la grippe de 1918, montrée par les flèches.

Après plus de 30 millions de morts emportés par la guerre et cette grippe, et au maximum le double : 60 millions, la pandémie s'acheva définitivement vers le début de l'été 1919. Tout le monde se réjouit, dans ce monde qui, après 4 ans de guerre suivis de cette pandémie, était à reconstruire.

Cependant, un oubli anodin d'alors a aujourd'hui son importance : aucune souche n'ayant pu être conservée, aucune étude n'a pu être faite sur l'origine de sa contagiosité et de sa virulence, l'une comme l'autre restant inexpliquées.

Pour en savoir plus sur ses propriétés, nous sommes ainsi obligés de nous contenter de l'étude du virus de la grippe en général.

Notes et références

  1. DENOON, Donald, “New Economic Orders: Land, Labour and Dependency”, in DENOON, Donald (éd.), The Cambridge History of the Pacific Islanders, Cambridge University Press, 2004, ISBN 0-521-00354-7p.247.
  2. MELEISEA, Malama, Lagaga: A Short History of Western Samoa, University of the South Pacific, 1987, ISBN 982-02-0029-6, p.130

Sources et liens

Liens internes

Sources et liens externes

Bibliographie

  • Revue Virologie Vol.5, n'1, Janvier-février 2001.
  • Que sais-je ? "La grippe", n'978.
  • Documents de la Conférence de l'Institut Pasteur : La Grippe Espagnole de 1918.
  • C. HANNOUN : La Grippe, Ed Techniques EMC (Encyclopédie Médico-Chirurgicale), Maladies infectieuses, 8-069-A-10, 1993.
  • Article : "La grippe à fait des millions de morts", journal-source non communiqué.
  • Article : Tautenberger J et coll. « Characterization of the 1918 influenza virus polymerase genes. » Nature 2005 ; publication avancée en ligne le 6 octobre 2005.
  • Article : Tumpey T et coll. « Characterization of the reconstructed 1918 spanish influenza pandemic virus. » Science 2005 ; 310 : 77-80.
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