Pogrom

Pogrom
Émeutes à Francfort. A gauche, deux paysannes attaquent un Juif avec une fourche et un balai. À droite, un homme à lunettes, queue de pie et gilet à six boutons, « peut-être un pharmacien ou un maître d'école »[1], tient un autre Juif par la gorge et le frappe avec un bâton de bois (Gravure d'époque par Johann Michael Voltz.)

Le mot pogrom est d'origine russe (погром), où il désigne un assaut, avec pillage et meurtres, d'une partie de la population contre une autre. Il est passé dans d'autres langues pour désigner un massacre de Juifs en Russie. Il désigne alors des actions violentes préméditées, menées à l'instigation de la police tsariste avec l'aide de populations locales contre les communautés juives d'Europe. Les pogroms sont parfois menés contre d'autres minorités ethniques, comme les Tziganes. Ces actions s'accompagnent souvent de pillages mais aussi de destructions des biens personnels et communautaires et d'assassinats. Raul Hilberg définit le pogrom comme une brève explosion de violence d'une communauté contre un groupe juif qui vit au milieu d'elle même[2].

Sommaire

Violences et massacres dans l'est de l'Europe avant 1880

Les Juifs ashkénazes sont présents en grand nombre dans l'est de l'Europe depuis les XIIIe et XIVe siècles. Ils y ont joui d'un statut favorable jusqu'en 1646, date du soulèvement des Cosaques zaporogues et de la population ruthène conduit par Bogdan Khmelnitski. De nombreux massacres secouent l'Ukraine pendant deux ans, touchant les populations catholiques et, plus encore, les Juifs. Près de 100 000 Juifs périssent[3].

Les Juifs subissent de nouveaux massacres lors de l'invasion de la République des Deux Nations entre 1654 et 1656 par les armées tsaristes. Après l'annexion d'une grande partie de la Pologne par la Russie, celle-ci abrite cinq millions de Juifs. L'antisémitisme est nourri par le vieil antijudaïsme orthodoxe et les préjugés populaires[4]. Des violences antisémites se déroulent encore à Odessa en 1821, 1859 et 1871 mais on ne parle pas encore de pogroms.

Le 2 août 1819, débutent les émeutes Hep-Hep à Wurtzbourg en Bavière. Ces émeutes antijuives se propagent en Allemagne durant l’été 1819, pendant lequel la foule pille les maisons et les magasins des Juifs.

Les pogroms dans l'Empire russe

La première vague de massacres désignés comme pogroms eut lieu entre 1881 et 1884. Alexandre III, qui succède à son père Alexandre II assassiné, met fin à la politique libérale de ce dernier. Conseillé par son ancien précepteur, Konstantin Pobedonostsev, devenu procureur du Saint-Synode, il mène dès son avènement une politique réactionnaire et antisémite. Les Juifs sont rendus responsables de l'assassinat du tsar précédent. La politique du gouvernement au sujet des Juifs tient dans ce programme : « Un tiers des Juifs sera converti, un tiers émigrera, un tiers périra[3] ». En 1881 éclatent plus de cent pogroms : les principaux sont ceux d'Elisabethgrad le 15 avril 1881, de Kiev le 26 avril, d'Odessa du 3 au 5 mai 1880, de Varsovie, alors possession russe entre décembre 1881 et janvier 1882 et de Balta le 22 mars 1882[5]. Les populations locales chrétiennes, soutenues et souvent incitées par la police du tsar, attaquent les communautés juives de la ville ou du village avec l'approbation des autorités civiles et religieuses. Aux destructions et pillages des biens des Juifs s'ajoutaient les viols et les assassinats. La troupe n'arrive souvent que trois jours après le début du pogrom. Le gouvernement russe utilise les pogroms pour limiter les droits économiques des Juifs et les expulser des villages.

Alors que la Russie traverse une grave crise révolutionnaire, une deuxième vague de pogroms frappe les populations juives entre 1903 et 1906. Les plus importants sont ceux de Kichinev le 6 avril 1903, de Jitomir en mai 1905 et de Bialystok le 1er juillet 1906. À Kichinev, où la presse et les autorités alimentent des rumeurs antisémites depuis plusieurs mois, c'est le meurtre d’un jeune chrétien, Michael Ribalenko, qui met le feu aux poudres. Accusés de crime rituel, les juifs subissent un pogrom de trois jours, le gouverneur ayant donné l'ordre à la police de ne pas intervenir. Après le pogrom d'avril 1903, les Juifs de Kichinev organisent des comités d'autodéfense. Cela n'empêche pas 19 d’entre eux de périr lors de nouvelles attaques les 19 et 20 octobre 1903[6].

Russie révolutionnaire

Après la Révolution russe d'octobre 1917, les Juifs de Russie ont continué à être persécutés par les tsaristes et on compte des milliers de victimes de pogroms pendant la guerre civile de 1918 à 1921, en particulier des Juifs d'Ukraine et de Pologne orientale, certains les accusant d'être à l'origine du bolchévisme, donc de la Révolution d'Octobre et parlent alors de judéo-bolchévisme. Des bandes de paysans en lutte contre l'Armée rouge massacrent les Juifs avec l'appui de certaines troupes ukrainiennes du président Simon Petlioura comme en particulier à Proskourov le 15 février 1919. Ce dernier sera assassiné à Paris en 1926 par Samuel Schwartzbard. En Russie même, l'Armée blanche de Denikine est à l'origine de plusieurs pogroms dont celui de Fastov le 15 septembre 1919[5]. Pour l'année 1919, les historiens ont recensé 6 000 morts dans les pogroms anti-juifs en Russie[7].

En tout, la Russie a été pendant cette période le lieu de pogroms majeurs et 349 mineurs, qui auraient fait plus de 60 000 morts[5]. Les pogroms ont une double conséquence : l'émigration massive de 600 000 Juifs au cours des vingt dernières années du XIXe siècle, vers les États-Unis essentiellement, et la création du mouvement sioniste.

Entre les deux guerres mondiales

La montée des idées nationalistes et racistes entre les deux guerres mondiales, en particulier en Allemagne dans les années 1930, attise les tensions envers les communautés juives. Le Parti nazi au pouvoir, conduit par Adolf Hitler, va institutionnaliser les pogroms et autres actes de violences antisémites désordonnés et mettre en œuvre des actes de plus grande envergure. Les lois de Nuremberg promulguées le 15 septembre 1935 déclarent les Juifs déchus de la nationalité allemande, mais ceci n'est qu'un prélude à des violences systématiques ; ce sera le cas lors du pogrom de la Nuit de cristal le 9 novembre 1938[8]. C'est l'agression le 7 novembre d'un conseiller de l'ambassade d'Allemagne à Paris, Ernst vom Rath, par un jeune juif polonais qui va donner le prétexte à ce pogrom. Joseph Goebbels, fort du soutien du Führer, qu’il avait rallié à son idée, mobilise dans la nuit du 9 novembre les militants nazis, avec le concours des gouverneurs de régions réunis à Munich. Il jette les militants nazis dans les rues pour un pogrom de très grande ampleur où les sections d'assaut nazies, les SA, fortes de plus d'un million de membres, et les Jeunesses hitlériennes s'en prennent aux synagogues et aux locaux des organisations israélites, ainsi qu'aux magasins et aux biens des particuliers. Les agresseurs sont pour la plupart en tenue de ville pour laisser croire à un mouvement populaire spontané. Près d'une centaine de personnes seront tuées à l'occasion de ce gigantesque pogrom. Une centaine de synagogues sont brûlées et 7 500 magasins sont pillés.

Les pogroms pendant la Seconde Guerre mondiale

Durant la Seconde Guerre mondiale, dans le cadre de la Shoah, les nazis favorisent les pogroms en Union Soviétique. Les raisons qui poussent les Einsatzgruppen sont de plusieurs ordres. Les Einsatzgruppen ont reçu l'ordre de massacrer les populations juives d'Union Soviétique dans le cadre des opérations mobiles de tuerie accompagnant l'invasion de l'URSS. Pour eux, chaque Juif tué dans un pogrom est un Juif en moins à exécuter par leurs soins. Les Einsatzgruppen engagent ainsi leur responsabilité[9], l'armée allemande étant défavorable aux massacres. De plus, les Einsatzgruppen souhaitent que les populations locales prennent part aux pogroms pour des raisons de maintien de l'ordre, les pogroms sont perpétrés dans les zones où l'armée allemande n'avait pas encore établi son autorité.

Les premiers pogroms ont lieu en Lituanie. Dès les premiers jours de l'attaque allemande, des groupes armés anti-communistes lituaniens, dirigés par Algirdas Klimaitis, entrent en action contre l'arrière-garde communiste en pleine déroute[10]. La police de sécurité allemande (Sicherheitsdienst ou SD) persuade alors Klimaitis de retourner ses troupes contre les Juifs. Le pogrom de Kaunas, alors capitale de la Lituanie, fait 3 800 victimes. 1 200 autres sont tués dans des localités environnantes. En Lettonie, le progrom de Riga fait 400 victimes. L'Einsatzgruppe filme les pogroms à des fins de propagande. Après la dispersion des anti-communistes, les pays Baltes ne connaissent plus d'autres pogroms[11]. Le 10 juillet 1941, à Jedwabne, au nord-est de la Pologne, 1 600 juifs sont massacrés par la population locale devant les caméras allemandes qui filment la tuerie. Le pogrom ne laisse que 7 survivants parmi les Juifs[12].

En Galicie, à Lwow, en représailles à la déportation d'Ukrainiens par les Soviétiques, plus de 1 000 juifs sont livrés à la SD. À Tarnopol, après la découverte de 3 cadavres allemands dans les prisons, 70 juifs sont tués à la dynamite par les Ukrainiens. Un peu plus à l'Est à Kremenets, en représailles à l'exécution de 150 Ukrainiens par les Soviétiques, 130 Juifs sont battus à mort par la population locale. Raul Hilberg précise que malgré leurs violences, les pogroms de Galicie n'ont pas fait autant de victimes que les Allemands le souhaitaient[13]. La violence est à chaque fois inspirée voire organisée par les Einsatzgruppen, sauf à Jedwabne où l'initiative a directement été prise par les Polonais. Elle intervient toujours peu après leur arrivée. Elle ne s'étale pas dans la durée. De plus, les pogroms ont presque tous eu lieu dans les zones annexées par l'URSS en 1939 et 1940[14].

Le 1er juin 1941 eut lieu le Farhoud, pogrom contre les Juifs de Bagdad qui a entraîné 200 morts et 2 000 blessés et lors duquel 900 maisons juives ont été détruites.

Depuis 1945

Article principal : Pogrom de Kielce.

En 1946, un pogrom éclate à Kielce en Pologne. Les habitants attaquent les Juifs après que des rumeurs se sont répandues selon lesquelles les juifs avaient enlevé un enfant chrétien pour utiliser son sang. Quarante-deux Juifs furent tués et environ cinquante blessés. Participent à ce pogrom des nationalistes polonais et quelques communistes[4].

Le pogrom de Kielce est l'un des facteurs qui provoquèrent l'émigration des survivants de la Shoah. Connu sous le nom de Berihah, ce mouvement conduit les Juifs de Pologne et d'autres pays d'Europe de l'Est vers les camps pour personnes déplacées en Allemagne, en Autriche et en Italie.

Notes et références

  1. Amos Elon (2002), The Pity of It All: A History of the Jews in Germany, 1743-1933. Metropolitan Books. (ISBN 0805059644). p. 103
  2. Raul Hilberg, La Destruction des Juifs d'Europe, Tome 1, Folio histoire, 2006, p 553
  3. a et b Gérard Nahon, Histoire du peuple Juif, Encyclopaedia Universalis, DVD 2007
  4. a et b Esther Benbassa, Antisémitisme, Encyclopaedia Universalis, DVD 2007
  5. a, b et c Gérard Nahon, Pogrom, Encyclopaedia Universalis, DVD 2007
  6. Le pogrom de Kishinev, consulté le 27 août 2008
  7. Bruno Cabanes, « Pourquoi les hommes font-ils la guerre ? », dans L'Histoire, n°331, mai 2008, p.69
  8. Les Berlinois donneront à ces premières violences antisémites planifiées en Allemagne le nom poétique de « Nuit de Cristal », en référence aux vitrines et à la vaisselle brisées cette nuit-là.
  9. Raul Hilberg, T. 1, p 554
  10. Raul Hilberg, T. 1, p. 555
  11. Raul Hilberg, T. 1, p 556
  12. Marc Epstein, Le pogrom «oublié», L'express, 12 avril 2001
  13. Raul Hilberg, T. 1, p 557
  14. Raul Hilberg, T. 1, p 558

Voir aussi

Bibliographie

  • Collectif, Die Judenpogrome en Russland, rapport de la Commission d'enquête de l'Organisation sioniste de Londres, Cologne-Leipzig, 1909-1910
  • S W Baron, The Russian Jews under Tsars and Soviets, Mac Millan, New York-Londres, 1976
  • Raul Hilberg, La Destruction des Juifs d'Europe, Tome 1, Folio histoire, 2006,
  • Bernard Lecache, Au pays des pogromes, quand Israël meurt, Paris, 1927
  • Renée Neher-Bernheim : Histoire du peuple juif de la Renaissance à nos jours, Klincksieck, 4 vol., 1960 sq.
  • Léon Poliakov : Histoire de l'antisémitisme, Seuil, coll. Points, 1991

Articles connexes

Liens externes


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