Arret Blanco

Arret Blanco

Arrêt Blanco

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L'arrêt Blanco, rendu le 8 février 1873 par le Tribunal des conflits, est considéré comme le fondement du Droit administratif français.

Sommaire

Circonstances de l'espèce

Agnès Blanco, âgée de cinq ans, est renversée et grièvement blessée par un wagonnet poussé par quatre ouvriers. Le wagonnet appartient à une manufacture de tabac de Bordeaux, exploitée en régie par l'État. Le père de l'enfant saisit la juridiction judiciaire d'une action en dommages-intérêts contre l'État, estimé civilement responsable de la faute commise par les quatre ouvriers. Un conflit s'élève entre les juridictions judiciaire et administrative et le Tribunal des conflits est chargé de trancher.

La question est de savoir « quelle est, des deux autorités administrative et judiciaire, celle qui a compétence générale pour connaître des actions en dommages-intérêts contre l'État[1] ».

Le Conseil d'État, déclaré compétent par l'arrêt Blanco, rendra un arrêt le 19 mai 1874, octroyant une rente viagère à la victime.

Cet arrêt du Tribunal des conflits est l'un des onze rendus avec la voix déterminante du Garde des Sceaux, Ministre de la Justice (Jules Dufaure), pour cause de partage de voix entre les membres[2]. Ce strict partage des voix révèle le caractère profondément politique de ce jugement dont le fondement, une interprétation a contrario et quelque peu téléologique de la loi des 16-24 août 1790 (cf.infra), semble bien mince. Il est donc important de situer cette décision dans son contexte politique : le Conseil d'État, organe napoléonien, se trouve sur la sellette depuis l'abdication de Napoléon III. Il lui faut revenir sur le fondement traditionnel de sa compétence, la puissance publique, laquelle fut bien souvent synonyme d'oppression aux yeux des Républicains. L'opportun critère du service public va alors lui permettre de se trouver un avenir.

Considérant essentiel de l'arrêt

« Considérant que la responsabilité, qui peut incomber à l'Etat, pour les dommages causés aux particuliers par le fait des personnes qu'il emploie dans le service public, ne peut être régie par les principes qui sont établis dans le Code civil, pour les rapports de particulier à particulier ;
Que cette responsabilité n'est ni générale, ni absolue ; qu'elle a ses règles spéciales qui varient suivant les besoins du service et la nécessité de concilier les droits de l'Etat avec les droits privés ;  » 
Arrêt Blanco du Tribunal des Conflits

Commentaire

L'arrêt Blanco fait figure, selon l'expression de Gaston Jèze, de « pierre angulaire » du Droit administratif français. En effet, il définit à la fois la compétence de la juridiction administrative et le contenu du droit administratif. L’arrêt reconnaît le service public comme le critère de la compétence de la juridiction administrative, affirme la spécificité des règles applicables aux services publics et établit un lien entre le fond du droit applicable et la compétence de la juridiction administrative. C'est ce que les juristes nomment le principe de la liaison de la compétence et du fond.

Il convient toutefois de souligner que l'importance donnée à l'arrêt Blanco résulte d'une reconstruction mythologique du droit administratif, opérée au début du XXe siècle sous l'influence du Commissaire du gouvernement Jean Romieu. Avant cette date, en effet, l'arrêt Blanco n'était pratiquement pas cité, ni dans les œuvres de doctrine, ni dans les conclusions de commissaires du gouvernement. De surcroît, cette approche est extrêmement discutée. En effet deux écoles doctrinales s'affrontent à ce sujet : l'école du service public (Duguit) et celle de la puissance publique (Hauriou). La principale différence entre ces deux courants réside dans le critère de l'application du droit administratif.

Il est également important de souligner que l'arrêt Blanco reprend en grande partie les termes d'un arrêt antérieur, l'arrêt Rothschild du 6 décembre 1855.

Compétence

En référence à la loi des 16-24 août 1790 et du décret du 16 fructidor an III qui proscrivent aux tribunaux judiciaires de « troubler, de quelque manière que ce soit, les opérations des corps administratifs », l'arrêt retient le critère de service public comme fondement de la compétence administrative. Ainsi, le commissaire du gouvernement déclare[1] :

« Les tribunaux judiciaires sont radicalement incompétents pour connaître de toutes les demandes formées contre l'administration à raison des services publics, quel que soit leur objet, et alors même qu'elles tendraient, non pas à faire annuler, réformer ou interpréter par l'autorité judiciaire les actes de l'administration, mais simplement faire prononcer contre elle des dommages pécuniaires en réparation des dommages causés par ses opérations. »

Ce faisant, est retenu comme fondement de la compétence du juge administratif un texte visant en réalité à exclure la compétence judiciaire mais ne visant nullement un quelconque autre ordre de juridiction, ordre qui n'existait d'ailleurs pas en 1790.

Responsabilité

Le Tribunal des conflits rejette par cet arrêt des principes du Code civil français, pourtant établis par le législateur, en revendiquant des « règles spéciales », justifiées par les « besoins du service ». Mais cette mise à l'écart de la règle générale permet de consacrer le principe de la responsabilité de l'État à raison des services publics en lieu et place d'un principe d'irresponsabilité qui ne trouvait d’exceptions qu’en cas de responsabilité contractuelle ou d’intervention législative, telle la loi du 28 pluviôse an VIII pour les dommages de travaux publics.

La distinction des règles applicables n'est cependant pas absolue. A bien des égards, le Code civil resta un guide interprétatif pour le juge administratif et les parallèles entre sa jurisprudence et le droit civil de la responsabilité sont nombreux. De même, loin de signifier que la règle administrative serait moins protectrice, la distinction établie a pu conduire le juge du Palais Royal a se montrer plus protecteur que le juge judiciaire (par exemple en matière de responsabilité médicale : l'arrêt d'Assemblée du 9 avril 1993, Bianchi).

Limites de l'arrêt

La loi et la jurisprudence postérieure ont précisé ou remis en cause les solutions apportées par l'arrêt Blanco :

  • Le service public n'est pas le seul critère de compétence du juge administratif. On peut invoquer par exemple le simple exercice de la puissance publique[3].
  • Le triptyque originel de l'arrêt Blanco (coïncidence de l'intérêt général, action d'une personne publique et règles exorbitantes du droit commun) a été largement remis en cause par la jurisprudence postérieure.
  • Le service public n'entraîne pas toujours la compétence administrative, par exemple en cas de gestion privée d'un service public[4].
  • Un service public peut en effet être géré par une personne privée[5]. La puissance publique est alors le critère de la compétence administrative[6].
  • Un service public peut être soumis au droit privé quand il s'agit d'un service public industriel et commercial, et non administratif[7]. En outre les contrats passés par un service public ne sont administratifs que s’ils contiennent une clause exorbitante du droit commun[8] ou lié à l'exécution même du service[9].
  • La loi du 31 décembre 1957 a transféré à la juridiction judiciaire le contentieux des « dommages de toute nature causés par un véhicule quelconque ». Contrairement à une interprétation erronée, le wagonnet ayant blessé Agnès Blanco relèverait toujours aujourd'hui de la juridiction administrative selon ce seul critère, le véhicule s'entendant d'un engin disposant d'un dispositif propre de propulsion, ce qu'un wagonnet ne possède pas.
  • L'autonomie du droit administratif est moins claire, les juridictions administratives appliquant parfois le code civil[10].


Notes et références de l'article

  1. a  et b Conclusion du commissaire du gouvernement David
  2. Rapport du Tribunal des conflits (2005), p.44.
  3. TC., 10 juillet 1966, Société Bourgogne-Bois
  4. CE., 31 juillet 1912, Société des granits porphyroïdes des Vosges : « Considérant que le marché passé entre la ville et la société, était exclusif de tous travaux à exécuter par la société et avait pour objet unique des fournitures à livrer selon les règles et conditions des contrats intervenus entre particuliers ; qu'ainsi ladite demande soulève une contestation dont il n'appartient pas à la juridiction administrative de connaître ».
  5. CE., 13 mai 1938, Caisse primaire aide et protection ; CE., 28 juin 1963, Narcy.
  6. CE., 13 janvier 1961, Magnier
  7. TC., 22 janvier 1921, Société commerciale de l'Ouest ; CE., 16 novembre 1956, Union syndicale des industries aéronautiques
  8. CE., 31 juillet 1912, Société des granits porphyroïdes des Vosges
  9. CE., 20 avril 1956, Époux Bertin
  10. CE., 6 mai 1983, Société d'exploitation des établissements Roger Revellin

Voir aussi

Articles connexes

Liens et documents externes

Texte de l'arrêt

Bibliographie

  • Grands arrêts de la jurisprudence administrative, Dalloz, 16e édition, 2007 ;
  • René Chapus, « Signification de l'arrêt Blanco », in L'administration et son juge, PUF, 1999
  • René Chapus, Droit administratif général, Montchrestien, coll. « Domat Droit public », 12e édition, 1998, t. 1.

Liens externes

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