Politique linguistique de l'Union européenne

Politique linguistique de l'Union européenne

La politique linguistique de l'Union européenne concerne la politique officiellement menée par l'Union européenne en ce qui concerne l'usage des langues dans les institutions européennes et la promotion de leur enseignement au sein des États-membres. Cette politique a un effet sur la reconnaissance symbolique attribuée à chaque langue parlée dans l'Union.

Sommaire

Politique en faveur du multilinguisme

Diversité linguistique dans l’Union européenne

Certains États de l'Union européenne refusent l'usage exclusif de l'anglais dans les documents scientifiques (voir protocole de Londres). D'autres, comme la France, protègent leur patrimoine linguistique (loi relative à l'usage de la langue française).

Ceci doit se traduire par des usages différenciés de chaque langue[réf. nécessaire], soit comme langue officielle, soit comme langue de travail.

Dans les traités de l’Union européenne

L'Union européenne a comme objectif officiel le multilinguisme. Dans ses institutions, elle prend en compte l'influence stratégique de la politique linguistique, chaque langue administrative d'un pays membre étant aussi une langue officielle de l'Union.

Traité de Maastricht

« Tous les textes relatifs à la politique étrangère et de sécurité commune qui sont présentés ou adoptés lors des sessions du Conseil européen ou du Conseil ainsi que tous les textes à publier sont traduits immédiatement dans toutes les langues officielles de la Communauté ».

Comme le commente le rapport de l'Assemblée nationale, « ce régime, adopté notamment à la demande de l'Allemagne, implique donc l'établissement de versions de tous les documents dans les onze langues officielles de l'Union européenne ».

Traité d'Amsterdam (1999)

« Tout citoyen de l'Union peut écrire à une institution ou organe […] dans l'une des langues […] et recevoir une réponse rédigée dans la même langue » (art. 21 CE).

Charte des droits fondamentaux

Il s'agit là d'un droit fondamental, constitutif de la citoyenneté européenne.

Article 21-1 Non-discrimination

« Est interdite, toute discrimination fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, les origines ethniques ou sociales, les caractéristiques génétiques, la langue, la religion ou les convictions, les opinions politiques ou toute autre opinion, l'appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance, un handicap, l'âge ou l'orientation sexuelle. »

Article 22

« L'Union respecte la diversité culturelle, religieuse et linguistique. »

Article 41-4

« Toute personne peut s'adresser aux institutions de l'Union dans une des langues des traités et doit recevoir une réponse dans la même langue. Notons cependant que cette charte n'a pas de valeur contraignante, suite à la non ratification par deux États membres, la France et les Pays-bas du Traité constitutionnel européen en mai et juin 2005. »

En matière d'enseignement

Le Conseil de l'Union européenne a adopté le 31 mars 1995, une résolution (réaffirmée par la suite) énonçant que les élèves devraient avoir, en règle générale, la possibilité d'apprendre deux langues de l'Union européenne autres que leur(s) langue(s) maternelle(s). Les déclarations du conseil ou du Parlement européen vont toutes dans ce sens du soutien théorique à la diversité linguistique et au plurilinguisme dans l'Union.

Gestion du multilinguisme

Le multilinguisme poserait en pratique des difficultés, s'il s'agissait d'adopter comme langues de travail l'ensemble des langues de l'Union européenne au niveau des institutions centrales. En fait, la plupart des vingt-trois langues officielles sont employées principalement pour la diffusion des textes juridiques dans les États-membres.

Prévalence de certaines langues dans les institutions européennes

Les collaborateurs et les hauts fonctionnaires des institutions européennes se comprennent actuellement par l'anglais et le français. Qui ne parle pas l'anglais ou le français, en vigueur dans les sièges de certaines institutions européennes, est désavantagé. Par exemple on ne peut répondre à de nombreux appels d'offres européens qu'en anglais et/ou en français, ce qui désavantage les citoyens de l'Union ayant une autre langue maternelle.

Le français a été pendant longtemps la principale langue de travail de la Communauté européenne. Mais depuis l'élargissement de 1995, et le remplacement de la Commission Delors par la Commission Santer, le français a été progressivement supplanté par l'anglais, comme le montre le tableau des langues des textes primaires de la Commission européenne de 1986 à 2007 (en %)[1] :

Année Français Anglais Allemand Autres
1986 56 26 11 5
1989 49 30 9 12
1991 48 35 6 11
1996 38,5 44,7 5,1 11,7
1997 40,4 45,3 5,4 8,9
1998 37 48 5 10
1999 35 52 5 8
2000 33 55 4 8
2001 30 57 4 9
2002 29 57 5 9
2003 28 59 4 9
2007 12,3 73,5 2,4 11,8
2008[2] 11,8 72,5 2,7 13

En 2001, 56,8% des pages reçues par la Commission européenne étaient écrites en anglais, et 29,8% étaient écrites en français[3].

Il existe une politique de promotion du français dans l'Union européenne, avec le « Plan pluriannuel d’action pour le français » mis en place en 2002 entre les gouvernements français, luxembourgeois et la Communauté française de Wallonie-Bruxelles, avec le concours de l’Organisation internationale de la francophonie[4].

La langue française garde une importante prééminence dans les usages diplomatiques et juridiques.

De plus il existe le CIFLE (Comité International pour le Français Langue Européenne) qui se bat pour que le français devienne la seule langue officielle européenne, pour une défense des cultures contre l'américanisation de l'Europe.

Entorse au multilinguisme

De nombreuses offres d'emplois de la Commission exigent des candidats qu'ils aient comme langue maternelle l'anglais (English mother tongue ou English native speaker), ce qui élimine les candidats ayant l'anglais comme langue d'étude, même à un excellent niveau, et engendre une discrimination entre les citoyens des pays anglophones et les autres[5].

Gestion de la langue dans les techniques de l'information et de la communication

Article détaillé : Gestion des langues.

Il existe des méthodes pour gérer la langue sur la Toile. La commission européenne élabore de nombreux dossiers (livres blancs), directives et règlements), et met à disposition l'information sur des sites internet. Il s'agit donc pour les membres des institutions européennes de travailler entre eux et avec des partenaires extérieurs pour élaborer ces documents, puis de les communiquer dans les langues officielles des États-membres de l'Union européenne.

Sur certains sujets très importants touchant à l'environnement (comme l'EMAS[6]), la Commission européenne ne met à disposition l'information qu'en anglais.

Il est nécessaire de prendre connaissance des méthodes de gestion des langues d'une façon adaptée aux besoins et dispositions juridiques qui peuvent s'appliquer dans différents pays.

Difficulté de la promotion du trilinguisme dans l’enseignement

En matière d'enseignement, nombre de spécialistes doutent que l'Union atteigne un jour son objectif d'européen trilingue[7]. En pratique, l'anglais est systématiquement l'une de ces deux langues, et en général la première. L'apprentissage de l'anglais étant considéré par beaucoup comme une nécessité, l'apprentissage d'une troisième langue passe au second plan. Une loi italienne du 17 octobre 2005 rend cet état de fait explicite en prenant pour objectif de former des italiens bilingues italien-anglais, et en permettant aux parents de décider de consacrer à l'anglais toutes les heures prévues pour la deuxième langue communautaire. Cette loi, contestée notamment par les enseignants de langues autres que l'anglais et en contradiction avec les préconisations de l'UE, n'a toutefois pas encore été appliquée.

Propositions de gestions différentes

Le Rapport Grin

Article détaillé : Rapport Grin.

Ces difficultés conduisent à explorer d'autres scénarios linguistiques pour l'Europe. Le rapport Coûts et justice linguistique dans l'élargissement de l'Union européenne de Francois Grin, professeur de l'université de Genève, (rapport n° 19, septembre 2005) a été établi à la demande du Haut conseil de l'évaluation de l'école.

Ce rapport étudie trois scénarios différents.

Système de type hégémonique

La situation linguistique de l'Europe est instable et tend vers la domination d'une langue hégémonique. Le scénario concerne en pratique l'anglais, mais serait identique si une autre langue nationale, comme le français ou le letton, venait à prendre un rôle prépondérant.

Cette tendance est théorisée par le modèle de Van Parijs qui se place au niveau des comportements individuels qu'il juge préoccupés d'acquérir une langue « utile » (en Europe, l'anglais). Faisant appel à la théorie des jeux, il montre une tendance vers un "maximin(sic)" où chacun a intérêt à se rabattre, toutes autres choses égales par ailleurs, sur la langue dans laquelle le niveau de compétence du plus « faible » des partenaires est le moins faible ; en d’autres termes, on cherchera la langue dans laquelle le niveau minimal parmi tous les participants est maximal – d’où le terme de maximin, qui résume l’idée de « maximiser le minimum. ». Comprenant qu'une langue est susceptible d'offrir le plus souvent ce "maximin", les acteurs individuels y consacrent leur énergie pour ne pas être exclu des communications, et créent ainsi une dynamique dans laquelle la langue qui se détache assure de plus en plus souvent ce "maximin" au point de devenir hégémonique.

L'inconvénient de ce scénario réside dans les grossières inégalités qu'il engendre entre les pays anglophones et les autres (85% de la population européenne). Le rapport Grin évalue à 17 milliards d'euros l'économie que réalise chaque année l'Angleterre du fait de la prédominance actuelle de l'anglais. Ce chiffre, jugé prudent par l'auteur du rapport, se répartit dans quatre grands postes :

  1. les marchés privilégiés (enseignement de la langue concernée, traduction et interprétation vers celle-ci, édition et révision de textes dans cette langue, fourniture à l’étranger de matériel pédagogique pour son enseignement) ;
  2. l’économie d’effort dans la communication ;
  3. l’économie d’effort dans l’enseignement des langues étrangères (l'Angleterre dépense près de quatre fois moins que la France dans son système éducatif pour enseigner les langues) ;
  4. les rendements de l’économie réalisée sur cet enseignement.

Système de type oligarchique

Face à cette évolution désignée polémiquement comme "tout-à-l'anglais", une proposition a été faite dans le rapport Grin d'élire trois langues pivots pour l'Europe, donnant comme exemple vraisemblable la troïka anglais-français-allemand. Dans ce scénario, chaque Européen parle deux de ces trois langues. Les inégalités n'en sont qu'amoindries et un peu mieux réparties : elles sont nulles entre les pays dont la langue a été choisie, mais demeurent entre les pays ayant une petite langue (devant enseigner efficacement deux langues étrangères) et ceux parlant une langue de la troïka. Il a l'avantage d'être compatible avec l'objectif officiel d'enseignement de 1+2 langues communautaires.

En admettant que les petits pays acceptent ce scénario (contre quelles compensations ?), le principal reproche qu'on peut faire à ce scénario est son instabilité, en l'absence d'une politique fortement concertée. Il requiert que les langues de la troïka soient effectivement utilisées à part égale, faute de quoi l'effet "maximin" joue et on en retourne rapidement au scénario hégémonique précédent.

Recours à une langue véhiculaire

Un autre scénario consiste à compléter le multilinguisme par le recours à une langue véhiculaire à définir autre qu'une langue nationale (l'espéranto dans le rapport), mais cela ne rentre pas actuellement dans la politique de l'Union.

Le Rapport Grin conclut en faveur de l'apprentissage de l'espéranto. Cette langue y est jugée comme plus économique, plus simple à apprendre et neutre politiquement parlant.

Intercompréhension

D'autres solutions sont proposées pour rendre l'intercompréhension possible dans un environnement polyglotte, sans pour autant exiger de chacun une parfaite maîtrise de plusieurs langues. Bernard Cassen du Monde diplomatique évoque la possibilité d'enseigner l'intercompréhension au sein d'une famille linguistique. Un tel enseignement serait léger et, entre les langues de la famille romane (espagnol, portugais, français, occitan, catalan, italien, roumain…), il rendrait intercompréhensibles 1,3 milliard[8] d'êtres humains.

Le professeur Konrad Ehlich, germaniste à l'Institut de langues de l'Université de Munich, soutient aussi la possibilité d'enseigner les langues de manière passive, de telle sorte que chacun puisse s'exprimer dans sa propre langue tout en comprenant quand l'autre parle dans la sienne[9].

Cette intercompréhension est utilisée notamment par les couples binationaux. C'est une idée dont il faudrait étudier la viabilité à grande échelle[réf. nécessaire], y compris pour une langue comme le français ayant fortement dévié du latin. Une objection importante est qu'elle suppose que la majorité des échanges se feront à l'intérieur d'une famille linguistique. Le phénomène de mondialisation tendant au contraire à multiplier aléatoirement les échanges interculturels, les membres d'une famille linguistique sont amenés à échanger avec des membres d'une autre famille.

Ce scénario ne semble donc pas à lui seul en mesure de freiner la tendance au tout-à-l'anglais, et devrait donc faire l'objet d'une politique linguistique concertée, ce qui n'est pas actuellement à l'ordre du jour. Il présente également l'inconvénient de minorer un certain nombre de groupes linguistiques (groupe finno-ougrien, groupe gaélique, groupe hellénique…).

Sources

Références

  1. Source : Service de traduction de la Commission européenne[réf. incomplète]
  2. Commission européenne - Direction Générale de la Traduction, unité « Communication et information », Multilinguisme et traduction, Bruxelles, Commission Européenne - Direction Générale de la Traduction, janvier 2009 (ISBN 978-92-79-09627-3) [lire en ligne (page consultée le novembre 2010)], p. 5 :

    « En 2008, la DGT a traduit 1 805 689 pages. Comme le montre la ventilation par langue source, 72,5 % des textes originaux (dont ceux qui provenaient de l’extérieur) étaient rédigés en anglais, 11,8 % en français, 2,7 % en allemand et 13 % dans toutes autres langues. »

     
  3. Le régime linguistique de la Commission européenne
  4. Les institutions de l'Union européenne sur le site de la DGLFLF
  5. Discrimination linguistique à la Commission européenne (English mother tongue only)
  6. Eco-Management and Audit Scheme
  7. Claude Piron - L’Européen trilingue : un espoir réaliste ?
  8. Prévision pour 2025
  9. Intervention à l'université d'été franco-allemande pour jeunes chercheurs, Chiemsee, juillet 2005.

Bibliographie

  • Claude Truchot, Europe, l'enjeu linguistique, la Documentation française, collection Études, 2008

Compléments

Articles connnexes

Liens externes


Wikimedia Foundation. 2010.

Contenu soumis à la licence CC-BY-SA. Source : Article Politique linguistique de l'Union européenne de Wikipédia en français (auteurs)

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