Racialisme

Racialisme

Le racialisme désigne des théories scientifiques, qui ont tenté de fonder le racisme sur des études descriptives de la science expérimentale. Le racialisme se distingue ainsi du racisme par son aspect scientifique. Il s'approche ainsi de la raciologie , définie comme « la partie de l'anthropologie physique qui étudie les phénomènes raciaux » [1], mais le suffixe en -isme souligne le caractère idéologique de ce qui ne fut, en définitive, qu'une pseudo-science.

Pour Pierre-André Taguieff[2], dans son livre Le racisme, il s'agit d'une vision de l’histoire ou de l’évolution sociale se présentant comme une théorie explicative, fondée sur une classification des « races humaines », parfois hiérarchiquement rangées sur une échelle de valeur. Selon cette doctrine la race détermine la culture, en ce sens que les différences entre les races détermineraient les différences entre les aptitudes mentales, les attitudes et les mœurs.

L'apparence humaine dépend en grande partie du génome, donc les différences d'apparences reflètent des différences génétiques. Cependant, il s'agit d'une petite partie du génome, et les caractéristiques visibles ne sont pas en rapport avec les caractéristiques non visibles. En d'autres termes, les différences génétiques sont marginales entre des personnes qu'on identifiera comme blanc, noir, café-au-lait ou asiatique. D'autre part, ces classifications sont floues et sont compatibles génétiquement comme l'atteste le métissage.

Sommaire

Conception traditionnelle du racisme

Les éleveurs et les cultivateurs ont toujours cherché à améliorer les espèces domestiques en essayant de fixer dans des variétés, appelées races, certains caractères recherchés. En effet, la brièveté des générations, ainsi que la possibilité de choisir et d'utiliser des milliers de fois la semence d'un reproducteur, permettent dans un laps de temps de quelques décennies d'influencer l'évolution d'une espèce et de créer une race en favorisant soit la consanguinité, soit l'hybridation. Ces sélections, qui se faisaient traditionnellement par les éleveurs eux-mêmes dans chaque région, ont commencé à avoir des prétentions scientifiques en France avec la création des premières écoles vétérinaires et de l'académie d'agriculture, à la fin du XVIIIe siècle et surtout au début au XIXe siècle.

Ce n'est qu'au XVIIIe siècle en Angleterre, puis en France au XIXe siècle, qu'on a commencé à définir par écrit les canons des races d'animaux domestiques existantes, institué des Herd-books, créé des concours et des sociétés d'encouragement pour chaque race que l'on voulait protéger et améliorer. De fait, ces mesures ont permis de développer de façon spectaculaire des races de chiens, de vaches, de moutons, de blé, de pommiers, de rosiers, etc. dont les caractéristiques ont fini par devenir bien définies et relativement stables d'une génération à l'autre.

Jusqu'au début du XIXe siècle, la presque totalité de la population vivait à la campagne ou en contact directe avec des élevages et des animaux domestiques, en sorte que l'idée de race et de sélection de race d'animaux, et d'hérédité de certains caractères physiques ou moraux était une idée banale et très répandue. La conception que l'on se faisait des animaux, était couramment transposée aux hommes. Ainsi, dans le choix d'un conjoint, on cherchait à savoir si la famille n'avait pas des tares ou des maladies qu'on croyait, à juste titre ou non, héréditaires. Comme on voyait que certaines familles réussissaient bien dans certains domaines ou dans certaines professions, on avait aussi tendance à croire que certaines aptitudes devaient être en partie héréditaires. Il n'y avait rien de systématique dans ces conceptions, d'abord parce que l'expérience montrait que dans n'importe quelle famille, certains individus pouvaient s'avérer extrêmement doués ou malhabiles, ensuite à cause du facteur moral qui donne à chacun la liberté de développer plus ou moins ses propres capacités, et même de dépasser des handicaps.

Espèces, races et histoire naturelle

Les premières classifications

Au XVIIIe siècle, le travail de mise en ordre et de classification de la nature aboutit aux premières taxinomies qui, en organisant de manière logique les organismes vivants, opèrent les premières classifications à prétention scientifique des êtres humains.

On retient traditionnellement un article paru en 1684 dans La Revue des Savants comme la première de ces tentatives[3]. L’auteur, le médecin et philosophe François Bernier, se propose à cette occasion de rompre avec la logique géographique qui prévalait jusqu’alors dans l’appréhension des groupes humains. Il avance l’idée que les hommes puissent être classés selon leurs caractéristiques physiques, en distinguant cinq « races » humaines.

La position de Bernier s’inscrit dans un nouveau cadre de pensée, celui de la philosophie antichrétienne dont les premiers représentants, Fontenelle, Pierre Bayle et surtout Pierre Gassendi, dont Bernier est l’un des principaux disciples, apparaissent au XVIIe siècle. Contre la doctrine chrétienne, ce courant de pensée formule le projet de ramener l’Homme au sein de la nature et de lui faire perdre la position privilégiée qu’il occupait au sein de la Création.

La proposition de Bernier, si elle est un indice d’un changement d’attitude vis-à-vis de l’altérité, passe en son temps relativement inaperçue. Il en va tout autrement des systèmes proposés au siècle suivant par Buffon et Carl von Linné, deux des plus illustres représentants de l’histoire naturelle.

Le naturaliste suédois Carl von Linné (1707-1778), qui posa les bases de la systématique moderne, distingue en 1758, dans la dixième édition de son Systema Naturae, quatre « races » hiérarchisées au sommet de l’ordre des « anthropomorpha » (les futurs primates) : les Européens, les Américains, les Asiatiques et les Africains[4].

Buffon reprend pour sa part à Maupertuis[5] l’idée que le Blanc serait la couleur originelle de l’homme, les autres « races » n’étant que le produit d’une dégénération due à l’éloignement de la zone climatique tempérée. Cette théorie de la dégénération, qui connaît différentes déclinaisons empruntant notamment à la théorie des climats, comptera au rang de ses partisans Johann Friedrich Blumenbach ou le philosophe Emmanuel Kant. Les divergences au sein des dégénérationnistes porteront en particulier sur la question de la réversibilité des différentiations phénotypiques en cas d’immersion prolongée dans le milieu adéquat.

Le racisme appliqué aux humains: de Blumenbach à Gobineau

Parmi les premiers théoriciens des races, Kant et Blumenbach, partisans du monogénisme, Meiners et Sömmerring, tenants du polygénisme, Renan ou Arthur de Gobineau et son Essai sur l'inégalité des races humaines (1853-55). Pierre-André Taguieff a établi la généalogie de ce racisme pseudo-scientifique, qui s'appuyait entre autres sur l'existence des zoos humains. Lors des expositions ethnographiques, il était en effet courant de voir des soi-disant sauvages enfermés dans des cages, côte à côte avec des singes.

Hervé Le Bras s'est intéressé aux modalités du racialisme et de la raciologie lors de ses travaux sur l'idéologie démographique. Parmi les hommes de science ou de pouvoir approuvant cette idéologie, il a indiqué Vacher de Lapouge, Ludwig Woltmann, (darwiniste social et socialiste), sir Ronald Fisher (démocrate et eugéniste négatif)[réf. nécessaire].

Le thèse de l’inégalité raciale sera scientifiquement remise en cause en 1885 avec le livre De l'égalité des races humaines de Joseph Anténor Firmin, qui démontre la mauvaise foi dans les publications racistes se prétendant scientifiques.

Mesures de la différence et hiérarchisation

La couleur de la peau n'est jamais le seul critère retenu dans la définition des races élaborée par les scientifiques des XVIIIe siècle et XIXe siècle. Les nouvelles exigences de scientificité poussent les savants à s’appuyer sur une multitude de critères prétendument objectifs. De nouvelles disciplines font leur apparition qui se donnent pour tâche l’étude de l’homme, de ses origines et de sa classification. L’anatomie comparée, initiée par le britannique Edward Tyson (1650-1708), l’ethnologie ou plus tard l’anthropologie physique connaissent au XIXe siècle un développement croissant. Elles s’appuient sur des méthodes de mesure qui donnent naissance à autant de sous-disciplines, aujourd'hui considérées comme des pseudo-sciences (crâniométrie, céphalométrie, anthropométrie, phrénologie), qui définissent des critères de comparaison et de classification des groupes humains.

Les travaux de ces « raciologues »[6] aboutissent à une biologisation des principes de classification des peuples. La méthode linguistique promue par Volney, Friedrich Schlegel, Adriano Balbi ou James Cowles Prichard est ainsi remise en cause par des anatomistes dans les années 1840, au motif que les caractères physiques, considérés comme fixes, sont plus pertinents que les caractères linguistiques qui présentent tous les signes de l’instabilité[7]. Les sciences biologiques s’octroient à cette occasion un quasi-monopole de la définition de l’être humain et des déterminants de son comportement social.

Des critères initialement retenus par les premiers naturalistes pour distinguer l’homme de l’animal sont appliqués aux groupes humains, dans une perspective hiérarchisante. Louis Jean-Marie Daubenton (1716-1800) et Petrus Camper (1722-1789) avaient initié une méthode basée sur la mesure de l’angle facial. Reprise par Georges Cuvier (1769-1832) et Saint-Hilaire (1772-1844), la méthode trouve une nouvelle application : le degré d’inclinaison du front leur permet d’évaluer la place laissée libre au cerveau et donc l’intelligence[8].

Les recherches menées à l’échelle internationale aboutissent à une multitude de taxonomie. Celle de Johann Friedrich Blumenbach (1752-1840) qui distingue cinq races sur la base de l’observation des crânes passera à la postérité en appliquant le terme « caucasien » - toujours en vigueur aux États-Unis- à la race blanche[9].

Enseignement du racialisme au XIXe siècle, en France

Page du livre Histoire Naturelle

En 1885, dans son ouvrage Histoire Naturelle, destiné à l'enseignement secondaire, J. Langlebert distingue 4 races :

  • blanche ou caucasique, cette race est « remarquable par la puissance de son intelligence, c'est à elle qu'appartiennent les peuples qui ont atteint le plus haut degré de civilisation »
  • jaune ou mongolique.
  • noire ou africaine.
  • rouge ou américaine.

La terminologie des descriptions laisse supposer un jugement de valeur. « L'angle facial ne dépasse guère 70 à 75 ° » chez les Noirs.

Les débats sur les origines de l’homme

L’un des principaux débats qui secouent la communauté scientifique au début du XIXe siècle concerne les origines de l’humanité. Deux couples d’opposition, monogénisme/polygénisme et fixisme/transformisme, structureront le débat tout au long du siècle. Ce dernier contribue largement à fixer l’attention sur la question des races et la mesure des différences. Il constitue aussi le générateur des différentes positions occupées dans l’espace académique de l’étude des races.

Les monogénistes, qui considèrent l’humanité comme issue d’un ancêtre unique, font du milieu la cause principale de la différenciation des races humaines. Pour les polygénistes, les races humaines présentent au contraire des origines distinctes. La première thèse, compatible avec le récit biblique, est notamment défendue par les spiritualistes, majoritaires dans l’Université française. La thèse polygéniste reçoit quant à elle les suffrages des libres-penseurs antichrétiens (Voltaire[10] et plus loin encore Paracelse en furent les partisans), des matérialistes et des républicains anticléricaux.

Cette division recoupe celle qui sépare partisans du créationnisme et du transformisme. Formulée au début du XIXe siècle par Jean-Baptiste Lamarck (1744-1829), la théorie transformiste débouche en France dès les années 1820 sur la controverse entre Georges Cuvier et Geoffroy Saint-Hilaire[11]. À la parution de l’Origine des espèces de Charles Darwin en 1859, la communauté scientifique adhère encore largement au créationnisme et à son corollaire le fixisme.

À partir de cette date, le transformisme rallie progressivement un nombre plus large de partisans, jusqu’à devenir majoritaire en France à la fin du siècle[12] ; il établit le schéma d’une continuité évolutionniste depuis le singe jusqu’à l’homme, dans laquelle les races considérées comme inférieures se voient attribuer la place de chaînon intermédiaire.

Au cœur de la controverse, ceux qui se désignent sous le nom d’« anthropologistes », multiplient les études pour établir la proximité physique des sauvages et des primates[13]. La taille du cerveau, mesurée par la crâniométrie ou la phrénologie dont la méthode est raffinée par l’anthropologue français Paul Broca, tient une place centrale dans ce dispositif classificatoire[14]. Mais il est loin d’être le seul élément retenu comme pertinent : forme du crâne et des mâchoires, taille des os du squelette sont aussi prises en compte. La bestialité des races primitives, qui constituait un argument traditionnel de leur infériorité, s’intègre désormais dans un schéma général d’évolution de l’humanité.

Les deux positions — fixiste et transformiste — s’accordent cependant sur un point : l’existence de races humaines, inégalement capables et inégalement perfectibles. Tout au long du siècle, ce que Caroline Reynaud Paligot désigne comme le « paradigme racial » n’est jamais remis en cause : les études empiriques qui viennent le contredire sont rationalisées pour être réintégrés dans son schéma explicatif. La taille du cerveau qui n’apparaît plus comme un critère pertinent de différenciation cède par exemple la place à des considérations sur sa structure et l’identification de la zone où serait localisée l’intelligence[15].

Notes et références

  1. Définition du Grand Robert de la Langue française
  2. http://dfcr.free.fr/div-glossaire.html
  3. Voir sur ce point, Boulle, « François Bernier et le concept moderne de race », Race et esclavage…, p. 47 – 56. William Petty avait toutefois en 1677 émis l’idée de l’existence de races humaines équivalentes aux races des animaux d’élevage.
  4. Christian Delacampagne, Une histoire du racisme, p. 149
  5. Dissertation physique à l’occasion du nègre blanc, 1744. Cité dans Léon Poliakov, Le mythe aryen, Calmann-Lévy, Paris, 1971, p. 161.
  6. C’est ainsi que Carole Reynaud Paligot désigne les spécialistes de l’étude des races humaines. La République raciale. Paradigme racial et idéologie républicaine (1860-1930), Presses universitaires de France, Paris, 2006, p. 2.
  7. Claude Blanckaert, « Un fil d’Ariane dans le labyrinthe des origines… Langues, races et classification ethnologique au XIXe siècle siècle », in Revue d'histoire des sciences humaines, no 17, 2002, p. 137-171.
  8. Carole Reynaud Paligot, La République raciale, p. 22.
  9. Christian Delacampagne, Une histoire du racisme, p. 151.
  10. "Aveuglé par sa passion antireligieuse, il (Voltaire) poursuit d’une même haine le christianisme et le judaïsme. Et comme il lui faut a tout prix se démarquer des doctrines défendues par ces deux religions, il se croit obligé d’attaquer avec vigueur le monogénisme" Christian Delacampagne, Une histoire du racisme, p.153.
  11. Carole Reynaud Paligot, La République raciale, p. 34.
  12. Cédric Grimoult, Évolutionnisme et fixisme. Histoire d’un combat 1800-1882, CNRS Éditions, Paris, 1998.
  13. Carole Reynaud Paligot, La République raciale, p. 33-43.
  14. Carole Reynaud Paligot, op. cit., p. 38
  15. Carole Reynaud Paligot, La République raciale, p. 77-83.

Voir aussi

Articles connexes

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