Révolution d'Octobre (Russie - 1917)

Révolution d'Octobre (Russie - 1917)

Révolution d'Octobre

La révolution d’Octobre en Russie, aussi connue sous le nom de révolution bolchevique, fait référence à la révolution qui a commencé par le coup d'État mené par Lénine et les bolcheviks le 25 octobre 1917 (dans le calendrier julien, ce qui correspond à la date du 7 novembre du calendrier grégorien)[1].

C'est la seconde phase de la Révolution russe dans son ensemble, après la révolution de Février de la même année. La révolution d'Octobre a renversé le gouvernement provisoire et a donné le pouvoir aux bolcheviks. Elle a été suivie par la guerre civile russe, puis par la création de l'URSS en 1922.

Sommaire

L'insurrection

La préparation de l'insurrection

En octobre, Lénine et Trotsky considèrent que le moment est venu d'en finir avec la situation de double pouvoir. Lénine bénéficie pour appuyer ses volontés de l'afflux d'un grand nombre de nouveaux adhérents au Parti bolchevique, impatients d'en découdre, et peu soucieux des débats théoriques du sommet ou de la nécessité de respecter « l'étape bourgeoise » prévue par le schéma marxiste[2]. Les débats au sein du comité central du Parti bolchevique afin que celui-ci organise une insurrection armée et prenne le pouvoir sont cependant vifs.

Certains considérant qu'il faut attendre et agir en accord avec d'autres formations révolutionnaires. Ils estiment l'insurrection inutile, puisque les bolcheviks sont déjà majoritaires dans les soviets et assurés de l'emporter au IIe congrès panrusse des soviets qui doit s'ouvrir le 25 octobre / 7 novembre. Ils redoutent de se retrouver isolés au pouvoir face à toutes les autres forces, contre-révolutionnaires ou non. Ils prédisent aussi que même si le Parti parvient à garder le pouvoir en Russie, au prix d'énormes difficultés, la révolution n'est pas mûre pour éclater dans le reste de l'Europe. Kamenev et Zinoviev vont jusqu'à informer ouvertement la presse des préparatifs du coup de force afin de le rendre impossible.

Meeting du Parti bolchevique (Lénine est à droite sur la photographie).

Mais Lénine et Trotsky l'emportent le 10 octobre par dix voix contre deux (celles de Kamenev et Zinoviev), et après avoir résisté, le Comité central approuve et organise l’insurrection[3]. Une commission secrète de cinq membres est désignée, qui comprend Sverdlov, Staline, Dzerjinski, Bubnov et Uritsky.

Pour que le pouvoir soit pris au nom du soviet de Petrograd, son président, Trotsky, suscite en son sein, le 9 octobre, la création du Comité militaire révolutionnaire. Ce dernier existera 58 jours et émettra 6000 ordres. Officiellement, il doit protéger la ville contre un coup de force de généraux proches de Kornilov. Dans les faits, il prépare la prise du pouvoir. Trotsky est le chef réel et l'âme du CMR, bien qu'il ait habilement laissé le secrétariat général à un SR fantôche. Quant à Lénine, il s'autoproclame président du CMR par un décret confidentiel qu'il se signe à lui-même[4].

Les bolcheviks peuvent compter sur l'appui des marins de la flotte de Kronstadt, qui les a ralliés. Le 23, Trotsky s'assure le concours de la forteresse Pierre-et-Paul. De même, la garnison de Petrograd bascule ou reste neutre. Les Cosaques ont abandonné Kerensky auquel ils ne pardonnent pas l'échec de la Kornilovschina. Les partis mencheviques et SR, qui participent au gouvernement, ne lui ménagent plus leurs critiques, bien qu'ils se refusent aussi au coup de force bolchevique.

Une rumeur selon laquelle Kerensky voudrait abandonner Petrograd aux Allemands et partir à Moscou préparer la répression a fourni à Lénine l'argument décisif pour emporter la décision au sommet du Parti, et aux bolcheviks le prétexte pour déclencher l'insurrection au nom de la défense de la ville.

L'insurrection se prépare pratiquement au grand jour. Partis, journaux et orateurs en discutent au vu et au su de tous. Quant à Kerensky, il attend l'épreuve de force en espérant qu'elle lui permettra d'en finir avec les bolcheviks[5].

Trotsky aurait été prêt à ne déclencher l'insurrection qu'en cas de provocation du gouvernement provisoire, et à attendre l'ouverture du 2e Congrès panrusse des Soviets, pour que le nouveau gouvernement révolutionnaire procède de celui-ci. Mais Lénine, qui veut que le Parti prenne le pouvoir tout seul, tient à ce qu'elle précède le congrès et le place devant le fait accompli[6]. Le 24 octobre / 6 novembre, la fermeture d'un journal bolchevique par Kerensky tranche la question, l'insurrection est lancée.

L'insurrection de Petrograd

La prise du Palais d'Hiver reconstituée en 1927 par Sergueï Eisenstein.

L'insurrection éclate dans la nuit du 24 au 25 octobre. Le Comité militaire révolutionnaire dirigé par Trotsky et composé d’ouvriers armés, de soldats et de marins, la dirige depuis l'Institut Smolny, quartier général de Lénine et des bolcheviks. Ses objectifs sont l'occupation des points stratégiques de la ville, ponts, gares, poste centrale, central téléphonique et télégraphique, et en dernier lieu le Palais d'Hiver, siège du gouvernement provisoire.

Les évènements se déroulent presque sans effusion de sang. Le Central télégraphique est occupé vers 2 h du matin, suivi de l'Hôtel des Postes et de l'Hôtel militaire. Le Central téléphonique est occupé par Felix Dzerjinski vers 7 h. Le gouvernement a ordonné de lever les ponts sur la Neva pour couper le centre-ville des quartiers ouvriers : peine perdue, ils sont occupés sans un tir par les gardes rouges, et rabaissés. Dans la matinée du 25, Kerensky quitte Petrograd pour chercher des renforts, tandis qu'à 10 h, une proclamation de Lénine annonce la déposition du gouvernement provisoire[7].

Le Palais d'Hiver, siège du gouvernement, défendu par un millier de soldats (dont un bataillon féminin), cède dans la nuit du 25 au 26 après un « assaut » confus (en fait une infiltration progressive, tandis que de nombreux défenseurs se sont progressivement retirés[8]) pendant lequel soldats et gardes rouges tirent en l'air, au prix limité de six morts.

Le croiseur Aurore (photographie de 1903) donne le signal de l'assaut contre le Palais d'Hiver.

Quant au croiseur Aurore, conservé ultérieurement comme une relique de cette nuit décisive, il n'a tiré qu'un seul coup de canon contre le Palais - à blanc. Les films officiels tournés plus tard montrèrent ces évènements sous un angle héroïque, bien que dans la réalité les insurgés conduits par Antonov-Ovseenko n'eurent à faire face qu'à une faible résistance. En effet, parmi les troupes cantonnées dans la capitale, seuls quelques bataillons d'élèves officiers (« junkers ») soutiennent le gouvernement provisoire, l'immense majorité des régiments se prononçant pour le soulèvement ou se déclarant neutres dans le conflit entre les soviets et le gouvernement provisoire.

Seule fut vraiment prise d'assaut la cave du Palais, par la foule, après la fin des opérations ; les bolcheviks doivent rétablir l'ordre et mettre fin non sans mal à une vaste saoûlerie collective[9] Pendant que se déroulaient les évènements, les magasins restaient ouverts, les tramways continuaient à circuler et les théâtres à jouer. Un des évènements les plus décisifs du XXe siècle avait lieu sans que grand monde ne s'en rende compte.

L'insurrection de Moscou

La tentative de prendre Moscou rencontre en revanche de violentes résistances. Les combats durent 6 jours, du 28 octobre au 2 novembre. Selon Victor Serge, la spontanéité des masses l’emporte sur l’organisation ; les ouvriers sont mal armés, mal préparés et mal organisés. Mouralov estime à 50 000 le nombre de ses propres combattants (dont 3 000 ouvriers armés et 40 000 soldats), contre une dizaine de milliers d'adversaires (élèves des écoles d'officiers, sections militaires des SR et des mencheviks...). La prise du Kremlin par les Blancs se solde par le massacre à la mitrailleuse d'environ 300 ouvriers et gardes rouges de l’arsenal. Une cour martiale blanche fusille les gardes rouges à l’école militaire Alexandrovské.

L'assaut du Kremlin est conduit par le jeune Nikolaï Boukharine. Les Blancs capitulent le 2 novembre. L’accord prévoit que les insurgés rendent les armes, sauf les officiers, et garantit de la « liberté et l’inviolabilité de tous ». Une partie importante d'entre eux rejoindront les armées blanches dans les semaines suivantes. Les conséquences de cette clémence initiale seront beaucoup critiquées ensuite par une partie des bolcheviks, et joueront un rôle dans la création de la Tcheka et l'établissement de la « terreur rouge ».

Le Congrès des Soviets

Alors que les bolcheviks étaient encore pourchassés la veille, leurs journaux interdits et certains de leurs dirigeants en prison, ils sont désormais maîtres de la capitale.

Si une poignée de partisans a pu se rendre maître de la capitale face à un gouvernement provisoire que plus personne ne soutient, le soulèvement doit maintenant être ratifié. Le lendemain, 25 octobre, Trotsky annonce officiellement la dissolution du gouvernement provisoire lors de l'ouverture du Congrès pan-russe des soviets des députés ouvriers et paysans (649 délégués y furent élus, dont 390 bolcheviks). Lénine déclare : « Nous passons maintenant à l'édification de l'ordre socialiste ».

Certains délégués socialistes se déclarent outrés de cette « conjuration ourdie dans le dos des soviets. » Environ 110 délégués mencheviques et SR quittent la salle, 150 délégués SR choisissant d'approuver l'insurrection (ils formeront les SR de gauche). Ces défections furent accompagnées de ce commentaire de Léon Trotsky : « Partez, allez-y, partez, vous rejoignez les tas de poussière de la société, dans les poubelles de l'Histoire. »

Les 540 délégués restant approuvent la création d'un nouveau gouvernement de 15 « commissaires du peuples », tous bolcheviks et dirigé par Lénine (Trotsky a décliné la présidence, pour que sa judéité ne donne pas un argument aux adversaires antisémites de la révolution, mais se voit confier les affaires étrangères), et d'un comité exécutif composé de 71 bolcheviks et 29 SR. Ce « conseil des commissaires » détient alors le pouvoir, en théorie de façon provisoire en attendant la convocation d'une assemblée constituante, réclamée par tous les partis socialistes, mais que le gouvernement provisoire n'a convoquée que tardivement, début octobre.

Les opinions sur cette ratification par le congrès des soviets sont contrastées. Pour certains, comme l'historien Nicolas Werth, les bolcheviks prétendront abusivement avoir reçu un mandat des soviets, prétention qui va « abuser des générations de crédules ». Le journaliste communiste américain John Reed, sympathisant de la révolution d'Octobre, a lui-même retranscrit dans son témoignage de première main les nombreuses protestations verbales et écrites de révolutionnaires non-bolcheviks, qui s'expriment dès le 26 contre le coup de force unilatéral des bolcheviks. Est également très présente ces jours-là la peur que cette insurrection n'ouvre la voie à un déchaînement de la contre-révolution.

Le très puissant syndicat des cheminots, acteur décisif de l'échec de Kornilov, refuse ainsi le fait accompli, et bloque les chemins de fer autour de Petrograd. Le conseil municipal de Petrograd exprime la même condamnation. Les fonctionnaires désertent les ministères, la banque d'État refuse d'avancer au nouveau pouvoir les moyens financiers indispensables au fonctionnement de Petrograd. Des intellectuels proches jusque là du bolchevisme, tels Maxime Gorki, ne leur épargne plus des critiques virulentes[10].

Mais aussi, selon Victor Serge :

« [Les bolcheviks] se montrèrent les plus aptes à exprimer de façon cohérente, clairvoyante et volontaire, les aspirations des masses actives. Ils gardèrent le pouvoir, ils vainquirent dans la guerre civile parce que les masses populaires les soutinrent finalement. (...) On affirme encore que l'insurrection du 7 novembre 1917 fut l'œuvre d'une minorité de conspirateurs, le Parti bolchevik. Rien n'est plus contraire aux faits véritables. 1917 fut une année d'action de masses étonnante par la multiplicité, la variété, la puissance, la persévérance des initiatives populaires dont la poussée soulevait le bolchevisme. »

Le congrès, désormais présidé par Kamenev, proclame l'abolition de la peine de mort - à l'irritation de Lénine, qui la jugeait indispensable. Surtout, il adopte les décrets transférant « tout le pouvoir aux soviets », ainsi que les décrets sur la terre, la paix, et le contrôle ouvrier sur la production. Lorsque Lénine fit sa première apparition publique, il fut véritablement ovationné et sa première déclaration fut : « Nous allons maintenant procéder à la construction de l’ordre socialiste. »

Dans tout le pays, des assemblées d’ouvriers, de soldats, de paysans, se réunissent, discutent pour savoir s’ils doivent combattre ou soutenir le nouveau pouvoir. John Reed décrit le meeting qui se tient au moment même de l’insurrection dans un régiment d’automitrailleuses basé à Petrograd. Les orateurs bolcheviques, SR et mencheviques se suivent à la tribune. Une cinquantaine de soldats condamnent l’insurrection, plusieurs centaines l’approuvent. J. Reed écrit :

« Qu'on s'imagine cette lutte renouvelée dans chaque caserne de la ville, de la région, sur tout le front, dans la Russie tout entière (…). Qu'on s'imagine la même scène se répétant dans toutes les permanences des syndicats, dans les usines, dans les villages, à bord des navires ; qu'on songe aux centaines de milliers de Russes, ouvriers, paysans, soldats, marins, contemplant les orateurs, s'appliquant avec une telle intensité à comprendre et à choisir, réfléchissant avec une telle acuité, et, à la fin, se décidant avec une telle unanimité ! Ainsi était la Révolution russe. »

Les premiers décrets

Lénine président du Conseil des commissaires du peuple, au Kremlin en 1918.

Dans les quelques heures qui suivirent, une poignée de décrets allait jeter les bases de la révolution.

  • Décret sur la paix. Tout d'abord, Lénine annonce l'abolition de la diplomatie secrète et la proposition à tous les pays belligérants d'entamer des pourparlers « en vue d'une paix équitable et démocratique, immédiate, sans annexions et sans indemnités ». Seule l'Allemagne accepte. Trotsky, nommé commissaire du peuple aux Affaires étrangères, fait alors publier les traités secrets entre grandes puissances, tel le pacte d'alliance franco-russe de 1894 ou les accords Sykes-Picot de 1916 partageant d'avance le Proche-Orient entre les Alliés. Le 15 décembre, un armistice russo-allemand est signé à Brest-Litovsk et des négociations de paix s'engagent.
  • Ensuite, un décret sur la terre : « la grande propriété foncière est abolie immédiatement sans aucune indemnité », et laisse aux soviets de paysans la liberté d'en faire ce qu'ils désirent, socialisation de la terre ou partage entre les paysans pauvres. Dans les faits, ce décret entérine la réalité, puisque les paysans ont spontanément procédé depuis l'été à des occupations massives de grands domaines. Du moins s'assure-t-on ainsi de la neutralité bienveillante des campagnes, qui durera jusqu'au printemps 1918.
  • D'autres mesures suivront, comme la nationalisation des banques (14 décembre), le contrôle ouvrier sur la production, la création d'une milice ouvrière, la souveraineté et l'égalité de tous les peuples de Russie, leur droit à disposer d’eux-mêmes « y compris par la séparation totale et la constitution d'un État indépendant », la suppression de tout privilège à caractère national ou religieux, la séparation de l'Église orthodoxe et de l'État, le passage du calendrier julien au calendrier grégorien, etc.

Conscients qu'ils ne pourraient gouverner sans l'appui du monde rural, constituant l'immense majorité du pays, les bolcheviks convoquèrent du 10 au 16 novembre un congrès paysan, qui malgré une majorité SR hostile aux bolcheviks, adopta le décret sur la terre et apporta son soutien au nouveau gouvernement révolutionnaire, consacrant très provisoirement l'union entre le prolétariat et la paysannerie.

Le problème de la coalition

Le 2e Congrès des Soviets avait approuvé la nomination du gouvernement composé uniquement de bolcheviks. Or pour de nombreux militants bolcheviques, cette solution n'est pas acceptable. Victor Serge écrit : « On affirme que les bolcheviks voulurent tout de suite le monopole du pouvoir. Autre légende ! Ils redoutaient l'isolement du pouvoir. Nombre d'entre eux furent, au début, partisans d'un gouvernement de coalition socialiste[11] ». De fait dès le lendemain de l'insurrection victorieuse, la quasi-totalité des délégués au congrès des soviets votent une résolution du menchevik Julius Martov, soutenue par le bolchevik Lounatcharski, demandant que le Conseil des commissaires du peuple soit élargi à des représentants d'autres partis socialistes. Le syndicat des cheminots, le Vikhjel, reprend cette revendication.

L’opportunité de créer une coalition socialiste entraîne de vifs débats au sein du parti bolchevique, les dirigeants étant divisés sur le fait de partager le pouvoir ou sur les concessions possibles, et mène le parti bolchevique au bord de la scission (plusieurs dirigeants démissionnent de leurs postes pour dénoncer le refus d'une coalition par Lénine : « Ce groupe (Zinoviev, Kamenev, Rykov et Noguine) s’indigna et des tentatives de Lénine pour faire échouer les négociations, et de son comportement à l’égard des autres partis socialistes à la veille des élections, notamment dans la question fondamentale de la liberté de la presse. »[12]). Le commissaire du peuple au travail Chliapnikov, ainsi que Riazanov, se joignent aux protestations contre le refus de Lénine. Finalement une délégation, conduite par Kamenev, rencontre les représentants mencheviks et SR, qui exigent le désarmement des gardes rouges et un gouvernement sans Lénine ni Trotsky.

Mis en difficulté au cours d’un comité central du parti bolchevique, Lénine est contraint de transiger : il refuse la poursuite des négociations en vue d’une coalition unissant tous les socialistes, mais accepte que des négociations se poursuivent uniquement avec les SR de gauche. Certains SR de gauche entrent ainsi au gouvernement en décembre 1917.

Vers la guerre civile

Article détaillé : Guerre civile russe.

Lorsque les bolcheviks prennent le pouvoir à Petrograd, l'État russe est en déliquescence, l'armée n'existe pratiquement plus, l'empire est en voie de dislocation sous l'action de forces centrifuges, et la population en proie à d'énormes convulsions sociales révolutionnaires. Alors qu'en plus, la Grande Guerre continue.

Dans ces conditions, beaucoup ne voyaient la révolution d'Octobre que comme une péripétie supplémentaire, et peu osaient croire à la survie durable du nouveau régime bolchevique. C'est au point qu'en janvier 1918, Lénine esquissera quelques pas de danse dans la neige le jour où son gouvernement dépassera d'une journée la durée de la Commune de Paris de 1871.

Dès le 12 novembre, le nouveau pouvoir doit faire échec à une tentative de reconquête de Petrograd menée par Kerensky et les Cosaques du général Krasnov. Ces derniers sont appuyés à Petrograd même par une mutinerie des élèves officiers (junkers), dont les SR ont pris la tête. Les junkers sont rapidement défaits par les gardes rouges. Arrivés à 20 kilomètres de la capitale, les cosaques rencontrèrent la résistance de ces derniers, et subissent des pertes importantes.

De son côté, le grand Quartier général (la « stravka ») de l’armée russe annonce le 31 octobre sa volonté de marcher sur Petrograd « afin d’y rétablir l’ordre ». Rejoint par les chefs du parti SR, Tchernov et Gots, il propose la création d’un « gouvernement de l’ordre ». Cependant, la masse des soldats passe peu à peu aux bolcheviks, arrêtant les officiers. Le 9 novembre, Lénine appelle les soldats à s’opposer à la tentative contre-révolutionnaire des officiers, à élire des représentant et engager directement des négociations d’armistice. Le 18 novembre, l’état-major doit fuir dans le sud, le généralissime Doukhonine étant massacré par ses propres soldats.

L'armistice avec les Empires centraux est signé le 15 décembre. Au cours des négociations qui s'engagent à Brest-Litovsk, les bolcheviks cherchent surtout à gagner du temps en attendant que la contagion révolutionnaire gagne les lignes allemandes. Mais ce n'est qu'en mars 1918, une fois ces espoirs déçus, qu'est signé le très dur traité de Brest-Litovsk.

A partir du printemps 1918, dans les villes comme les campagnes, les oppositions enflent contre le nouveau régime, qu'elles soient populaires, libérales, socialistes ou monarchistes - tandis que les puissances étrangères commencent à intervenir sur le territoire russe. Les bolcheviks ont eux-mêmes pris les devants en fondant une police politique, la Tcheka, dès décembre 1917, et en dissolvant la Constituante russe dès sa première séance en janvier 1918. Au printemps 1918, après avoir mis hors-la-loi les partis bourgeois et libéraux, ils ont engagé la répression des anarchistes, puis rompu avec les SR de gauche.

Après quelques combats sporadiques dès l'automne 1917, le printemps 1918 est marqué par la constitution d'une première armée blanche dans la région du Don, par des milliers d’officiers et de junkers, ainsi que par le général Kornilov, arrêté suite à sa tentative de putsch en septembre et qui a pu quitter le monastère où il était interné. L'Armée des volontaires est montée par le général tsariste Alexéïev. Cette armée réprime dans le sang les soulèvements ouvriers à Rostov-sur-le-Don et Taganrog, les 26 novembre et 2 janvier. Les gardes rouges ouvrières de Moscou et Petrograd, sous le commandement d’Antonov-Ovseenko convergent vers le sud et mènent une guerre de partisans, qui finissent par chasser Kornilov. C'est au point qu'apprenant la déroute des Blancs, Lénine croit pouvoir s'exclamer, le 1er avril 1918, que la guerre civile est terminée.

En réalité, c'est véritablement à partir de l'été 1918 que s'engage la guerre civile russe, dont l'issue permettra la survie du nouveau régime, mais à un prix très lourd.

Notes et références

  1. Dictionnaire du communisme, Larousse à présent, 2007, p. 118 et p. 35-36, ISBN 978-2-03-583782-0
  2. Nicolas Werth, « Paradoxes et malentendus d'Octobre », in Le Livre noir du communisme, Robert Laffont, 1997.
  3. (en) Rapport du comité central du 10 octobre 1917
  4. Marc Ferro, in « Que reste-t-il de la révolution d'Octobre ? », table ronde avec Nicolas Werth et Serge Wolikow, L'Humanité, 7 novembre 2007. Voir aussi du même, La Révolution russe de 1917, Flammarion, 1967, p. 96-97.
  5. 1917, documentaire diffusé sur la chaîne Arte le 7 novembre 2007.
  6. Marc Ferro, La Révolution russe de 1917, op. cit., p. 165-166.
  7. John Reed, Dix jours qui ébranlèrent le monde, 1919, rééd. Éditions sociales, p. 316-318.
  8. 1917, documentaire cité.
  9. John Reed, op. cit., p. 318-319.
  10. John Reed, Dix jours qui ébranlèrent le monde, op. cit.
  11. Victor Serge, « Postface inédite : trente ans après », L'An I de la révolution russe, La Découverte, Paris, 1997, p. 455-456.
  12. Hélène Carrère d'Encausse, Lénine, la révolution et le pouvoir, Flammarion, 1979, p. 95.

Bibliographie

  • Voline, La Révolution Inconnue, Livre premier : Naissance, croissance et triomphe de la Révolution russe (1825-1917), Editions Entremonde, Lausanne, 2009. (ISBN 978-2-940426-02-7 )
  • Marc Ferro, La Révolution de 1917, 2 vol., Paris, Aubier, 1967
  • Richard Pipes, La Révolution russe, PUF, 1993
  • John Reed, Dix jours qui ébranlèrent le monde, Éditions sociales, 1986 (ISBN 2-2090-5494-X) (ISBN 978-2-2090-5494-7) - (Ten Days that Shook the World), 1919
  • Nicolas Werth, 1917 : la Russie en révolution, Gallimard, coll. Découvertes, 1997

Voir aussi

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