Sebastian Roché (sociologue)

Sebastian Roché (sociologue)
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Sebastian Roché, né le 8 juin 1961 (Gassin, 83), est un sociologue français, docteur en sciences politiques, directeur de recherche au CNRS, dont les travaux portent essentiellement sur les questions de délinquance et d'insécurité, puis sur les politiques judiciaires et policières comparées.

Sommaire

Formation

  • Né à dans le Var, il fait ses études primaires et secondaires dans différentes villes. Il s'installe à Grenoble pour ses études universitaires et obtient en 1983 le Diplôme de l'Institut d’Études Politiques de Grenoble.
  • En 1983-1984 il passe le DEA "études politiques"
  • En 1991 il soutien sa thèse sur le sentiment d'insécurité et obtient son Doctorat de Science Politique. Il est recruté la même année au CNRS.
  • En 1997, il soutient son Habilitation à diriger les recherches (HDR).
  • Il a depuis publié sur différents thèmes, voir plus bas.

Distinctions

Ses travaux lui vaudront différentes distinctions, parmi lesquelles:

  • Chevalier de l'ordre des Palmes Académiques, proposé par le ministère de la Justice (2007)
  • Prix Habert (essai) en 2006 (décerné par Le Figaro-Science Po)
  • Médaille de Bronze du CNRS au titre de l'année 1996.
  • Prix Gabriel Tarde, Mention Spéciale du Jury, décerné par l'Association Française de Criminologie en 1993.
  • Prix Littéraire de la Gendarmerie Nationale (catégorie Œuvres de réflexion) en 1997.

La perception de la police par la population et les minorités

Sebastian Roché a été en charge du volet français de l’enquête Euro-Justis. Elle vise à comprendre les perceptions de la police, de son activité et des événements qui y sont associés (cas des émeutes dites « urbaines »). Il s’agit d’abord de mesurer l’image globale de la police, ainsi que l’évaluation de son activité en termes d’efficacité d’une part, et d’équité ou d’impartialité (fairness) de l’autre. Elle s'intéresse ensuite aux perceptions et croyances relatives à des phénomène qui sont liés, ou impliquent, l’activité policière, tels que les émeutes dites « urbaines », et les tensions existant entre la police et certains jeunes des « quartiers » : quel est, du point de vue des enquêtés, la source de ces problèmes, et quelles solutions pourraient y être apportées ?

L’enquête vise de plus à pouvoir expliquer les opinions recueillies. A cet effet, elle enregistre les interactions vécues par les enquêtés avec l'organisation policière, en tant que victime (vol, agression, etc.), contrôlé pour de petits délits notamment, ou lors d’un contrôle routier. Il s’agit ensuite de mesurer différentes attitudes potentiellement liées à la perception de l’activité policière et des enjeux qui y sont associés : confiance dans les institutions publiques en général, sentiment d’insécurité, etc. Les caractéristiques sociodémographiques des enquêtés sont enregistrées (afin de répondre à des questions comme; les plus jeunes, notamment, ont-ils une moins bonne image de l’institution policière ?), en portant une attention toute particulière à « l’effet de territoire ». Il s’agit de savoir si l’on peut confirmer l’idée d’une perception dégradée de l’institution policière parmi les habitants des zones urbaines spécialement défavorisées ou « sensibles ». Afin de comparer les perceptions de la police parmi ces population, et dans l’ensemble de la population française, l’échantillon de sondages (1500 enquêtés) est divisé en deux sous échantillons : une échantillon portant sur le département de la Seine-Saint-Denis (SSD), qui cumule un certain nombre de traits caractéristiques des zones urbaines dites « sensibles », et un échantillon national représentatif.

Principaux résultats du sondage Eurojustis-CNRS (terrain réalisé par H20 en mars 2011). En matière de confiance, on obtient les déclarations suivantes :

  • que la police est située correctement en score de confiance générale (74% de confiance, c'est ce que trouvent d'autres sondages), mais nettement moins bien que la gendarmerie (surtout en Seine-St Denis SSD, ce qui indique quel modèle de police les gens préfèrent),
  • que la police a le plus fort déficit de confiance de toutes les institutions en SSD,
  • que 39% des gens pensent en France que la police est plutôt ou tout à fait raciste (40% en SSD),
  • que la police abuse des contrôles contre "certaines personnes" (profiling) surtout en SSD (45%),
  • les français disent que les personnes d'origine étrangère sont moins bien traités (46% France entière, 56% en SSD),

En matière de contacts :

  • On voit que la France entière a autant de contacts avec la police que la SSD en moyenne. Mais dans le détail, c'est plus de contrôles routiers pour France entière et plus de contrôles d'identité pour la SSD.
  • Les contrôles d'identités sont concentrés sur les jeunes du bas de la société. Les plus insatisfaits de la police sont les jeunes de 18-29 ans.
  • La satisfaction par type de contact nous montent qu'elle plafonne à 81% (ce qui n'est pas bon, 1/5eme des clients mal servis) et est la plus mauvaise pour les contrôles d'identité (61,6% de satisfaits France entière, c'est très peu, et encore moins en SSD). Mais aussi médiocre dans les commissariats. Et que la SSD a un gros problème de service au public selon les répondants.

Les résultats ont été en partie publié par le Nouvel Observateur[1]. Les réactions des syndicats[2].

Le rapport de recherche est disponible sur le site d'Eurojustis.

Vidéosurveillance

La vidéosurveillance a été renommée vidéoprotection par ses thuriféraires et le terme imposé par le gouvernement dans tous les documents officiles, ce qui est un non sens sémantique. Une porte protège, une caméra surveille. Le terme de vidéosurveillance est donc plus adapté et doit être conservé.

  • Sebastian Roché a présenté une synthèse des résultats obtenus à l'étranger ces 30 dernières années[3], notamment dans Pour la Science. Il explique qu'on peut évaluer la vidéosurveillance sous deux angles. On peut vouloir répondre à deux questions: est-elle susceptible de faire baisser le nombre de délits de rue et, d'autre part, peut-elle contribuer à l'avancée de l'enquête dans l'identification des auteurs d'un délit.
  • Que sait-on d'après les études rigoureuses [4] ? La vidéosurveillance est-elle un outil de dissuasion dans la lutte contre la délinquance ? Les analyses donnent des résultats mitigés et dans tous les cas d'une ampleur faible. Pour les espaces clos, comme les parkings, la vidéosurveillance offre une protection, ou en tous les cas on mesure une forte probabilité que ce soit bien le cas, sans doute car les malfaiteurs pensent avoir de fortes chances d'être identifiés et arrêtés à la sortie.

Dans les espaces dits ouverts, notamment dans les rues et places, aucune étude ne montre un effet bénéfique. Pourquoi ? Les personnes sont difficilement identifiable notamment du fait des contraintes extérieures (luminosité, angle mort). La contribution de la vidéosurveillance à une enquête peut se révéler positive lorsque des témoins peuvent donner des informations précises permettant de cibler la recherche d'extraits vidéo. Mais les cours régionales des comptes ont estimés les coûts par affaire élucidée tout à fait prohibitifs.

  • La population est en général favorable à la vidéosurveillance, mais déçue après son installation comme montre les enquêtes les plus récentes publiées par le Home Office[5].

On peut en conclure que les raisons du développement de la vidéosurveillance ne sont pas liées aux résultats obtenus. On développe un système sans avoir de preuve de son efficacité, ce qui est un gâchis de l'argent public tandis que la délinquance reste un problème vif.

  • Sebastian Roché s'est en particulier opposé au fait de présenter la vidéosurveillance comme remède unique à toutes les formes de délinquance, du terrorisme à l'incivilité[6].

Il pointe d'autres aspects curieux. En France, l'Etat fait payer aux collectivités territoriales ou aux sociétés de transport le gros du coût qui consiste en la maintenance de l'équipement, la construction des PC. Les polices demandent les images aux gestionnaires du système, mais alors il se demande pourquoi l'Etat ne s'en charge pas.En GB, la vidéosurveillance est gérée par la police dont elle est une des attributions. Selon l'auteur, cela explique l'effet pervers de l'équipement en vidéosurveillance : les utilisateurs des images (les polices), n'en payent pas le coût. Enfin, se pose la question des dérives dans l'utilisation des images et des violations de la vie privées les dérives. Afin de les éviter, il faut produire une réglementation et créer une instance de contrôle indépendante dotée des moyens de réaliser sa mission, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui. La CNIL n'a pas les moyens à la hauteur du défi. Les préfectures qui donnent les agréments sont, de plus, les bras de la mise en œuvre de la politique voulue au niveau national. Il y a un conflit d'intérêt (mettre en œuvre une politique; contrôler la légalité des installations).

Incivilités et Garants des Lieux

Sebastian Roché a particulièrement étudié la manière dont les espaces collectifs ou partagés sont organisés par les services publics et les entreprises favorise les incivilités. Il a publié plusieurs ouvrages ([7],[8]). Et de nombreux articles. Les incivilités, selon lui, affectent le partage de la ville, la mobilité dans la ville, le partage des écoles ou même des commerces.

  • Il part du préalable qu'il existe un vide des lieux collectifs, qu'ils sont mal pensés et qu'on ne s'intéresse pas aux interactions qui s'y déroulent (on préfère les fortifier). Les personnes n’y sont pas solidaires et on peut s’en prendre à un d’entre eux sans que les autres osent réagir; les organisations qui offrent des biens ou des services ont tardé à considérer que la sécurité et la qualité ou tranquillité des lieux fait partie de leurs missions. Un enseignant ou un postier a été formé à dispenser un produit ou un savoir, mais peu à assurer la tranquillité des lieux où il opère. Cela est vrai dans un bureau de poste, l'école, chez les bailleurs ou dans un bus[9].
  • Les lieux collectifs sont organisés par les firmes ou les services publics sans tenir compte des relations entre usagers des lieux : tout est fait comme s’il était inutile voire nuisible que de la sociabilité s’y développe. On voit très bien comment un transport qui marche est un transport dans lequel il est inutile que les usagers se parlent. La sociabilité fait son retour avec la grève qui est un dysfonctionnement pour le client. Ce n'est que récemment que les gares ont vu apparaître des chefs de gare voyageur par exemple.
  • Il note ensuite que la ville exige la mobilité. En conséquence de quoi les rapports sociaux sont de moins en moins ancrés sur un territoire. Et, nécessairement, l’impersonnalité progresse. Ceci a des conséquences : les (transports en public, rues et places, établissements scolaires, groupe d’immeubles etc.) collectifs, mais aussi les espaces commerciaux n’ont plus de garants sociaux ordinaires ou plus de soutien ordinaire au personnel qui y opère. Dans les lieux collectifs des villes, les gens ne se sentent plus chez personne. Ceux prompts à questionner les règles sociales pour les connaître s'en rendent compte. Sebastian Roché conclut que, autant qu’un problème de socialisation par la famille et l’école ou l’emploi, la civilité et par extension la sécurité est un problème de maîtrise des lieux collectifs par les services publics ou les entreprises.
  • Les organisations et les responsables des lieux se doivent d’innover et de développer des nouveaux concepts pour guider leur action. Il a proposé de partir de la notion, celle de « règles d’hospitalité ». Il faut défendre qu’il existe des règles d’usage des lieux et se mobiliser pour les faire respecter). Et, en faisant en sorte que ces règles soient hospitalières vis-à-vis de tous on améliorera la qualité des interactions entre ceux qui y travaillent et ceux qui les fréquentent. Cela s'applique à des espaces clos dans lesquels défilent un grand nombre de personnes au fil des heures.

Et, pour ce faire il lui semble qu’on doit partir de certaines prémisses qui ne se confondent pas avec la "tolérance zéro"[10]:

  • on peut de construire des règles d’usage des lieux collectifs. Il y faut un garant des lieux, qui est parfois, mais pas toujours, le propriétaire au sens légal du terme (cela peut-être une entreprise ou l'administration qui y travaille). Regardons l’école : son espace n’est pas nécessairement organisée de manière cohérente. Les règlements y sont fluctuants suivant le statut de la personne (élève ou adulte), suivant les lieux (entrée de l’établissement, cour, couloir, et même d’une classe à l’autre). On peut généraliser à d'autres entreprises, y compris celles qui vendent des biens et services.
  • pour assurer ces règles, la logique pénale ou d'intervention réactive ne suffit plus: il faut une logique de management des lieux. Quelles questions se poser: qui est le garant, comment réagit-on aux demandes des usagers. Il faut veiller à l’hospitalité des lieux. Mais, dans les espaces ouverts, les rues et places, la propriété des lieux collectifs est loin d’être toujours claire, et ce particulièrement dans l’habitat social : bailleurs et pouvoirs publics n’arrivent pas à déterminer les limites physiques des lieux. Il y a une fragmentation organisationnelle de l’espace : tous les professionnels interviennent dans la logique de leur métier tandis que la sécurité implique une approche tansversale. Dans ce contexte, la veille et l’entretien ne sont pas possibles. Ce flou existe aussi mais différemment pour l'organisation de l'espace à l'intérieur d'un commerce: que doit faire l'employé, doit-il intervenir dans la partie ou se trouve les clients ou rester derrière son guichet etc... Les entreprises qui gèrent des espaces où défilent les clients et celles qui transportent à travers l'espace sont confrontées aux mêmes défis. Il y a souvent une absence de conceptualisation de l'espace au sein duquel l'usager est accueil (quel partage de l'espace entre les agents commerciaux et les clients, comment structurer l'espace etc...). Mais, cela n’a rien d’une fatalité.
  • Défendre des règles d’usage ne peut se limiter à filtrer les accès. C'est parfois nécessaire. Mais, cela revient souvent à déplacer le trouble. Si c'est envisageable pour un lieu privé (attention, le ressentiment provoqué est fort), cela ne l’est pas pour les lieux collectifs d’une ville. C’est pourquoi il faut veiller au principe d’hospitalité, qui ne se confond pas avec un accueil sans responsabilité du garant, au contraire. On doit ainsi d’assurer l’accès aux équipements, aux transports en communs des ceux qui sont les plus modestes, mais aussi de favoriser la prévention et le règlement civil des conflits.
  • Ces règles d’hospitalité ne peuvent être assimilées au fait d’enseigner la citoyenneté comme un cours, un savoir froid, ou se limiter à des campagnes de communication en direction des seuls usagers, faisant comme si les incivilités ne naissaient pas en interaction avec les agents d'un service dans un lieu sous la responsabilité d'une firme ou d'un service public. Il ne s’agit pas d’afficher un règlement intérieur sur les murs ou à l’entrée des bâtiments. Un connaissance chaude suppose d'associer les usagers ou habitants à la production de la sécurité, mais également les personnels qui travaillent dans les services concernés, sans en faire des policiers ou des magistrats. Les conducteurs ou les élèves peuvent être associés à la production des règles. Pour les élèves, ils ne s'y confrontent plus comme à la « loi des adultes »). Les agents d'une entreprise y voient autre chose que le règlement voulu par les patrons. Les locataires peuvent organiser des chartes d’usage plus tournées vers la vie en commun que les obligations contenues dans le bail entre logeur et logé etc.

Sebastian Roché insiste sur le fait que que pas s’occuper des incivilités engendre une spirale du déclin (sentiment d’insécurité, fuite des couches moyennes etc.) et représente aussi un coût pour l'entreprise (démoralisation des agents, absentéisme, moins qualité perçue par le client etc...). Il pointe un risque: si ce travail sur l’usage n’est pas fait, on va voir grandir une ségrégation des publics, c’est à dire de moins en moins de mixité. On risque aussi de voir une « privatisation » des lieux collectifs, c’est à dire soit une occupation par une classe d’individus au dépens des autres, soit une fermeture physique des lieux. Dans les commerces, monter des barrières entre le personnel et les clients relève d'une approche passive. Amorcer une spirale positive contre les incivilités est possible par la défense de l’usage des lieux si toutefois les entreprises et administrations s'intéressent à ceux à qui ils rendent ou vendent des services (et non pas simplement au service qu'ils vendent). Cela ne se limite pas à une pénalisation des incivilités (solution lente d'ailleurs et qui ne sauvegarde pas la qualité de relation entre l'organisation et les usagers de ses lieux), mais une veille continue de la part du garant. Cela suppose une vision, une stratégie organisationnelle, la formation des agents, l'évaluation des résultats obtenus. L'auteur insiste sur le principe d’hospitalité : tous les services étant devenus marchands et donc payants, le bon usage des lieux est une priorité qui ne doit pas avoir de forme perçue comme discriminante.

Dans une synthèse des résultats disponibles[11], il rappelle que les liens entre incivilités et délinquances sérieuses n'est pas avéré dès lors qu'on observe des quartiers de ville sur moyenne période (voir les incivilités catalysieurs de la délinquance?).

Sentiment d'Insécurité

Sebastian Roché a consacré plusieurs ouvrages (dont celui tiré de sa thèse, publié aux PUF [12]). Ses travaux ont été passés en revue par [1] Bernard Allidières, géographe notamment[13] ou par Frédéric Ocqueteau[14].

  • Dans son article théorique publié dans la revue française de science politique en 1998 ([15]), Sebastian Roché propose d'identifier les facteurs qui permettent de comprendre l'intensité du sentiment d'insécurité. L'autre critique l'approche du sentiment d'insécurité qui est trop facilement considéré comme « irrationnel » et « imaginaire ». Cette stratégie pousse à négliger le sentiment d'insécurité. C'est aussi un argument pour le ranger dans la rhétorique dite « sécuritaire » et donc plutôt comme un danger à combattre que comme un objet à expliquer.

Son article prend le parti de présenter le concept du sentiment d'insécurité. À partir des matériaux empiri­ques disponibles à l'étranger (principalement aux États-Unis et en GG) et également en France depuis 1960, il propose une d'interprétation des déterminants de «la peur du crime». Cette théorie (le modèle "prexvu" pour pression exposition vulnérabilité) est construit sur l'hypothèse d'une relation entre intensité de l'inquiétude et niveau de la pression écologique des atteintes aux biens et aux per­sonnes, mais aussi des incivilités, tous ces désordres très visibles.

  • Sebastian Roché pense que la pression écologique a un effet sur les individus, mais qu'elle se réalise en interaction avec d'autres variables, et principalement celles d'exposition et de vulnérabilité.
  • On peut donc pas dire qu'une peur est irrationnelle sous prétexte que son niveau est plus élevé dans un groupe (mettons les personnes âgées) que dans un autre (les jeunes) alors qu'ils vivent dans le même quartier. En effet, même s'ils s'exposent moins, les vieux courent moins vite et les conséquences physique d'une agression sont plus lourdes pour eux par exemple en cas de chute (vulnérabilité).
  • Enfin, pour comprendre l'attention relative donnée à la peur du crime par rapport à d'autres risques (par exemple celui de mourir dans un accident d'avion), l'auteur pense qu'il faut intégrer au modèle la culture politique. C'est elle qui détermine l'acceptabilité politique et sociale de la délinquance. Elle est essentielle dès lors qu'on veut comparer des risques entre eux ou des niveaux d'une même sorte de crainte d'une nation à une autre.

Plus récemment il a consacré un chapitre [16] dans le livre En quête de Sécurité, Armand Colin) au sentiment d'insécurité. Dans ce dernier ouvrage il propose plusieurs distinctions analytiques.

Il y a selon lui plusieurs dimensions mêlées dans l’usage commun du terme de peur ou de sentiment d’insécurité. Les manières de comprendre la peur sont issues des définitions médicales (psychologie clinique), ou plus sociales (psychologie sociale) ou enfin plus politiques et criminologique (peur de la délinquance ou “ sentiment d’insécurité ”). Ici, ces lectures sont combinées entre elles.

  • La première dimension oppose la peur comme conscience d’un danger et la peur comme maladie. La peur est une émotion fondamentale, elle fait partie des émotions élémentaires qui animent les êtres vivants et pas seulement les hommes ou les femmes. Il n’y a pas de vie sans peur. La peur n’est donc pas un défaut ou un problème, mais un élément qui permet et organise la vie en société. En effet, la peur est d’abord conscience du danger. Et, celui qui n’a pas peur ne peut pas se protéger. On le voit bien avec les accidents de la route : il faut avoir peur pour rouler plus doucement et limiter les risques d’accidents. Mais, pour la peur de la délinquance, on tend à oublier que celui qui n’a pas peur s’expose plus et s’offre comme une proie facile avec des conséquences traumatisantes une fois qu’il est victime. On tend à utiliser deux groupes de termes, celui de “ phobie ” ou “ d’anxiété ” et de panique. La phobie ou l’anxiété sont des peurs durables au-delà des situations dans lesquelles il y a un risque. Par exemple, le fait d’avoir peur d’une agression ne se manifeste pas dans la rue, mais tend à affecter tous les moments de la vie quotidienne, et à déteindre sur d’autres risques. Si une femme est victime d’une agression sexuelle, elle peut en sortir marquée par une anxiété car cela l’a profondément marquée. Enfin, la panique est une crise d’angoisse aiguë, on craint non pas tel événement, mais qu’il nous soit fatal, on se voit en train de perdre complètement contrôle sur son environnement. Cette impuissance ressentie nous plonge dans le désarroi le plus complet.

La peur “ conscience d’un danger ” est fonctionnelle au plan individuel, tandis que la phobie ou la panique ne le sont pas : elles empêchent d’agir. Au plan collectif, même la peur “ conscience d’un danger ”peut être un problème : plus les gens perçoivent que le risque d’être agressé dans la rue se généralise, moins ils sortent et moins ils ont confiance dans les autres, et plus ils laissent isolés et impuissants ceux qui continuent à sortir dans la rue. Mais, il ne faut pas confondre la peur individuelle et les conséquences sociales de la somme des peurs individuelles.

  • La deuxième dimension oppose la peur psychologique et la peur comportementale. La peur psychologique c’est le fait de ressentir une crainte pour soi. La peur comportementale, c’est l’ensemble des comportements individuels ou collectifs qui traduisent cette peur. Par exemple, les gens les plus apeurés dans un quartier sont ceux qui vont le moins se faire entendre ou se mobiliser. Ils vont tendre à quitter le quartier, à se replier chez eux. Mais, parfois, ils se regroupent, et forment même des partis politiques autour du thème de la peur. Il y a donc une grande diversité de comportements qui “ disent ” ou “ trahissent ” la peur. Quand on est en charge d’une ville, on ne peut se contenter de la peur psychologique (avouée dans les sondages), il faut tenir compte des comportements (déménagement, achat de serrures etc…) qui sont les plus déterminants pour la vie collective. Il faut aussi savoir que ceux qui se mobilisent pour exprimer la peur des autres sont précisément des personnes qui détiennent des ressources (ils savent parler en public, écrire au maire etc…). Ressentir la peur et exprimer publiquement l’existence d’une peur dans un quartier, voilà deux choses distinctes.
  • La troisième dimension traite de la peur sur une ligne qui va de soi à la société. A une extrémité, il y a la peur personnelle, pour sa sécurité. On pourrait dire “ égoïste ”. Puis, il y a la peur pour les autres, c’est la plus importante en fréquence : ce sont les parents qui craignent pour leurs enfants ou leurs parents par exemple. Ces gens là ne dénoncent pas la délinquance comme un risque pour eux, mais pour des proches. Enfin, il y a ceux qui sont préoccupés par la question sociale et politique de la délinquance de rue. De même manière que les gens qui luttent pour la faim dans le monde ne sont pas les plus affamés, ceux qui expriment ces peurs sociales ne sont pas forcément ceux qui ont peur pour eux.
  • La dernière dimension de la peur est tendue entre une tension entre peur réactive et peur anticipative. La plupart du temps, on ne pense qu’à la première. Mais, c’est oublier que la peur a pour fonction essentielle d’éviter qu’un danger ne se transforme en dommage, que le risque d’agression ne se mue en une victime d’agression. La peur sert à faire que n’arrive pas ce que l’on craint. Par exemple un accident de la route. La peur la plus rationnelle pour l’individu est celle qui existe avant l’agression ou l’accident de voiture et qui lui permet de l'éviter. Avoir peur après ne protège pas de ce qui s’est passé avant. Avoir peur après (ce qui incite à ne pas prendre les mêmes risques) n'est donc pas la seule rationalité valide du point de vue de l'acteur qui cherche à minimiser ses pertes.

Activités

  • Directeur de Recherche au CNRS (centre de recherche sur le Politique, l’Administration, la Ville et le Territoire), responsable du pôle Sécurité et Cohesion.
  • Chief Technical Advisor of an European Union funded project, "Improvement of Civilian Oversight of Internal Security Forces" in Turkey, executive agency: United Nations, UNDP (2,7 millions d'euros, 60 experts, de mai 2008 à mai 2010)
  • Secrétaire Général de la Société Européenne de Criminologie (ESC, Cambridge University) jusqu'en 2003.
  • Enseignant à l’IEP de Grenoble, à l’École Nationale Supérieure de la Police, de St Cyr au Mont d’Or (Lyon), à l'Université de Genève.


Ouvrages principaux

  • "Federalism and police systems", Geneva, DCAF, 2011. Télécharger gratuitement ici
  • Le frisson de l'émeute. Violences Urbaines et banlieues, Paris, Le Seuil, 2006
  • Police de proximité, Paris, Le Seuil, 2004.
  • Tolérance zéro ? Incivilités et insécurité, Paris, Odile Jacob, 2002.
  • La délinquance des jeunes. Les 13-19 ans racontent leurs délits, Paris, le Seuil, 2001. Le compte rendu par la revue Sciences Humaines.
  • La Société d’hospitalité, Paris, le Seuil, 2000.
  • Sociologie politique de l’insécurité, Paris, PUF.
  • La société incivile, Paris, le Seuil, 1996
  • Insécurité et libertés, Paris, le Seuil, 1994.
  • Le sentiment d'insécurité, Paris, P.U.F.,1993

Télécharger les ouvrages

Expertise pour les autorités publiques & Divers

  • Membre du Haut Conseil à l’Intégration (jusqu'en 2006).
  • Expert pour le CAS (centre d'analyse stratégique, Premier Ministre) 2005 à 2006
  • Membre du conseil d’administration de l’École Nationale Supérieure de la Police (jusqu'en 2008).
  • Membre du comité permanent des experts du Conseil national de la sécurité routière (jusqu'en 2005).
  • Membre du comité d'éthique de la vidéosurveillance de la ville de Grenoble (depuis 2010)
  • Conférencier invité aux assises nationales de la police de proximité en mars 2000 (table ronde Police Partenariale au service du public).
  • Conférencier invité au colloque de Villepinte organisé par le ministère de l’Intérieur en octobre 1997 (table ronde citoyenneté).
  • Expert associé au plan de prévention de la violence en milieu scolaire par le ministre de l’Éducation nationale, fin 1997.
  • Une anecdote concernant l'entourage de Nicolas Sarkozy voudrait qu'il soit dit de Sebastiant Roché qu'il est le "Terroriste de la pensée" en matière de réforme policière[réf. nécessaire].
  • Une vidéo de l'humoriste Arshishmock moquant les conclusions d'un article de Sebastian Roché dans le journal Le Monde.

Notes et références

  1. Nouvel Observateur du 25-05-2011
  2. Nouvel Observateur du 30-05-2011
  3. Pour la Science N°394 - aout 2010
  4. B. Welsh et D. Farrington, Crime prevention effects of closed circuit television : a systematic review, Home Office Research Study, n° 252, HMSO, 2002.
  5. M. Gill et A. Spriggs, Assessing the impact of CCTV, Home Office Research Study, n° 292, 2005.
  6. Le Nouvel Obs, 16 Août 2007.
  7. La société incivile, Le Seuil
  8. Tolérance Zéro?, Incivilités et insécurité, Odile Jacob
  9. Non-Violence Actualité n° 263, juillet-août 2002
  10. http://oda.chez-alice.fr/tolerance.htm
  11. Pour la Science N°389 - mars 2010
  12. "Le sentiment d'insécurité"
  13. Du Sentiment d’insécurité au Frisson de l’émeute: Sébastian Roché face aux représentations dominantes en France
  14. Ocqueteau Frédéric, Genèses, Année 1994, Volume 16 Numéro 16 pp. 164-166
  15. Expliquer le sentiment d'insécurité: pression, exposition, vulnérabilité
  16. Le sentiment d'insécurité

Liens externes


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