Attitude des Amerindiens du Bas-Canada lors des rebellions de 1837-1838

Attitude des Amerindiens du Bas-Canada lors des rebellions de 1837-1838

Attitude des Amérindiens du Bas-Canada lors des rébellions de 1837-1838

Sommaire

Les Rébellions et les Amérindiens du Bas-Canada

Introduction

En 1991, l'anthropologue Pierre Trudel a présenté des documents relatifs à la situation des Amérindiens Iroquois de Kahnawake et de Kanesatake lors des Rébellions de 1837-38. Trudel se demanda alors si en collaborant avec les autorités coloniales britanniques en 1837-38, les Iroquois avaient été les alliés de la Grande-Bretagne ou s'ils avaient plutôt défendu leurs propres intérêts. Cet article constitue une réponse aux questionnements de Trudel et explique pourquoi les Iroquois du Bas-Canada ne se sont pas alliés aux Patriotes tout en soutenant les Britanniques.

Kahnawake

Au XIXe siècle, le village iroquois de Kahnawake est peuplé de 1000 personnes, et est localisé dans la seigneurie du Sault-Saint-Louis, une terre de 40 000 acres octroyée aux Jésuites en 1680. En 1837-38, les gens de Kahnawake ont tenu un discours de neutralité tout en collaborant avec les Britanniques. Les archives démontrent que les Iroquois ont perçu les Patriotes, qu’ils surnomment « Gens de Papineau » (Louis-Joseph Papineau), comme une menace à leur territoire et à leurs vies. Ceci laisse croire qu’ils sont intervenus non seulement dans le respect de traditions diplomatiques avec les Britanniques, mais afin de défendre leurs intérêts. Joseph Marcoux, curé séculier du village de 1819 à 1855, écrit que le 13 novembre 1837, « il s'est répandu un bruit que les Canadiens de St. Constant, de la Prairie, et de Châteauguay devaient se rassembler au nombre de mille hommes, et venir détruire le village et tuer tous les sauvages. » (Marcoux à Bourget, 13/11/1837, ADSJQL 3A-187) Plusieurs hommes étant partis à la chasse hivernale, il est normal que l’on se soit senti menacé. Des chefs se rendent alors à La Prairie et Châteauguay pour informer les Patriotes qu’ils désirent rester neutres, mais qu’une attaque contre eux entraînerait une réplique douloureuse.

Se développe alors un climat de profonde méfiance entre Iroquois et Patriotes, déjà empoisonné par une longue histoire de disputes. En effet, depuis longtemps, des habitants des paroisses voisines ont occupé des domaines que les Iroquois considèrent être les leurs. Les chefs se plaignent aussi que leur forêt est envahie par des blancs « qui coupent et emportent une grande partie du bois » (Hughes à Napier, 28/3/1836, GB u-5881). Le 22 novembre 1837, le Surintendant James Hughes distribue des couvertures aux Iroquois et confirme leur neutralité. Les rapports entre voisins étant déjà tendus, ceci n’est pas difficile à accomplir. Le 13 décembre, une rumeur fausse veut que des Patriotes se dirigent vers Lachine pour y piller des armes. Sur l’ordre du Colonel Wilgress, 120 Iroquois, dont 40 armés de fusils, viennent assister les militaires. Suite à la première rébellion, les Iroquois retrouvent leur vie quotidienne, sans toutefois oublier leur méfiance envers les Patriotes.

En 1838, l’on se regroupe afin d'organiser une seconde rébellion. Dans la nuit du 3 au 4 novembre, les Patriotes de Châteauguay décident de se rendent à Kahnawake pour obtenir les armes des Iroquois et tenter réduire le risque d'une attaque amérindienne, des rumeurs circulant que « les sauvages viennent ». L'expédition est menée par Joseph-Narcisse Cardinal, Joseph Duquet et François-Maurice Lepailleur. Pour encourager les hommes à marcher, l’on scande « au Sault, au Sault » (ANQM 1837-38 : 2269), « allons, allons, au Sault, au Sault, allons désarmer les Sauvages! » (ibid.: 2310). Vers sept heures, une centaine d’hommes arrivent à proximité du village et de la chapelle St. Jean-Baptiste, abandonnée depuis des années. Ils envoient Cardinal, Duquet ainsi que Joseph Meloche, Ignace Giasson et Narcisse Bruyère voir des gens qu’ils connaissent afin d’obtenir des armes. Or, Giasson va alerter le résident Antoine-George de Lorimier, puis se sauve. Giasson est l’oncle de Marie-Louise McComber, mariée à de Lorimier. Ce dernier est un cousin métis de 2ième degré de François-Marie-Thomas Chevalier de Lorimier, aussi connu sous le nom de Chevalier de Lorimier.

La nouvelle que les Patriotes sont cachés dans les bois se propage rapidement. Un chef annonce qu’une femme aurait vu des gens armés. Jacques Teronhiahere est envoyé à cheval pour confirmer les dires de la femme. Selon le curé Marcoux, « une femme qui cherchait sa vache dans le bois (…) rapporte qu'elle a vu (…) une masse compacte d'hommes armés, qui lui a paru être de plusieurs cents.» (Marcoux à Turgeon, 7/11/1838, AAQ, 26 CP, D-43) Le Surintendant Hughes écrit que Marie Kawananoron, épouse de Pierre Tekenihatie, a vu les Patriotes « alors qu’ils s’approchaient pour attaquer le village.» (Hughes à Napier, 7/6/1839, ANC RG10 (97): 40210) C’est alors que Cardinal, Duquet, Bruyère et Meloche se sauvent pendant que George de Lorimier entre dans l'église pour alerter le curé et la congrégation. (Grande Bretagne, 1839 : 32-4) À l’extérieur, il fait un appel aux armes et fait rassembler les 40 hommes ayant restés au village pour l’hiver (Marcoux à Turgeon, 7/11/1838, AAQ, 26 CP, D-43). Sur ce, le curé renvoie chez lui un enfant de onze ans armé d’une lance « qui voulait aller au devant des Patriotes ». (Marcoux à Coffin, 22 juillet 1840, AAQ, G.VIII-132) Les Iroquois envoient dix parlementaires non armés, dont George de Lorimier, Jacques Teronhiahere et le chef Ignace Kaneratahere Delisle, qui se présentent « au devant de Maurice Lepailleur, près de la chapelle (…) en haut du village » (ANQM 1837-38: 2305). Après que Teronhiahere lui saisit son pistolet, environ 100 hommes sortent des bois, s'avancent sur les neuf Iroquois, et disent à Lepailleur: « commandez (…) et nous allons les coucher à terre » (Marcoux à Turgeon, 15/1/1839, AAQ, 26 CP, D-50) Voulant éviter le carnage, Lepailleur leur supplie de ne pas tirer et demande aux Iroquois s'il peut obtenir des armes. Teronhiahere et de Lorimier répondent qu'un tel emprunt n’est possible qu'en discutant avec les chefs. Les Patriotes se rendent alors au centre du village, où, soudainement, 64 d’entre eux sont faits prisonniers par une trentaine d’Iroquois embusqués. Suite au départ des prisonniers vers Lachine, les Iroquois organisent des recherches et trouvent onze individus, dont Cardinal, Duquet et Bruyère. En tout, 75 Patriotes sont capturés à Kahnawake.

Par la suite, l’atmosphère au village demeure tendue, même pendant la messe, « à laquelle ont assisté les sauvages, tous armés (…) des sentinelles ayant été placées (…) à toutes les issues du bois ». (Marcoux à Lartigue, 4/11/1838, ADSJQL 3A-200) À quatre heures, une fausse alarme se propage selon laquelle les Patriotes reviennent « avec des canons. Tous les hommes sont partis armés, pour les rencontrer; et les femmes de s'embarquer dans les canots, bateaux etc., pour traverser à Lachine. » (ibid.) Le lendemain, une nouvelle fausse alerte se fait entendre : « mille hommes venaient et ne devaient faire grâce ni aux femmes, ni aux enfants ni même aux chiens, mais tout tuer et détruire » (Marcoux à Turgeon, 7/11/1838, AAQ, 26 CP, D-43). Le 6 novembre, le Surintendant Hughes se rend à Kahnawake pour « armer les Indiens et faire ressembler ceux se retrouvant sur leur territoire de chasse. » (Hughes à Napier, 17/11/1838, ANC RG10 (96): 39772-3). Hughes distribue 160 fusils, des souliers et des capots. Dans les jours suivants, près de 100 soldats sont cantonnés à Kahnawake afin de patrouiller les environs, tâche à laquelle des Iroquois participent. Le 11 novembre, l’on ordonne aux militaires cantonnés à Lachine et à Kahnawake de marcher sur Châteauguay. Près de 200 Iroquois « armés de pied en cap, barbouillés de rouge et de noir » (Marcoux à Turgeon, 16/11/1838, AAQ, 26 CP, D-44) sont rattachés au 7ième Régiment de Hussards. Arrivés à Châteauguay, les soldats s’adonnent au pillage. Après avoir déchargé leurs fusils, plusieurs Iroquois et des femmes qui les avaient suivies font pareil et ce, pendant six jours. Le curé condamne ces actes et incite plusieurs à retourner des biens volés. Suite à la fin des hostilités, les Iroquois apprennent que Cardinal et Duquet sont condamnés à mort. Ils acheminent alors une pétition au gouverneur John Colborne afin de les faire libérer. Malgré tout, Cardinal et Duquet sont pendus le 21 décembre 1838, et Lepailleur est déporté en Australie.

Kanesatake

Au XIXe siècle, le village de Kanesatake, possède une population d’environ 620 Iroquois, Algonquins et Nipissings. Le 30 novembre 1837, près de 300 Patriotes mobilisés par Amury Girod et Jean-Olivier Chénier se rendent à Oka et s’emparent d’armes et de munitions appartenant à la Compagnie de la Baie d'Hudson. Sachant que les gens de Kanesatake possèdent des fusils et des canons, les Patriotes, ayant grand besoin d’armes, décident de s’y rendre aussi. Girod cite sa conversation avec un chef:

Girod : Frère, vous rappelez-vous, ou votre père ou votre grand-père ne vous a-t-il pas dit que vous apparteniez autrefois au royaume de la France ?

Le Chef : J’ai vu les Français au temps de ma jeunesse

Girod : Étiez-vous heureux sous le gouvernement ?

Le Chef : Notre père, le roi de France, était un bon père.

Girod : Êtes-vous aussi heureux sous le gouvernement des Anglais que vous l’avez été sous celui des Français ?

Le Chef : Je ne voudrais pas dire cela. (…)

Girod : Les Indiens sont-ils dans l’intention de s’unir avec les Anglais protestants contre les Canadiens catholiques ?

Le Chef : Notre esprit n’est pas uni par un lien avec les protestants.

Girod : N’aimeriez-vous pas mieux être considérés par les Canadiens comme leurs égaux que par les Anglais comme leurs esclaves ?

Le Chef : Nous souhaitons rester comme nous sommes.

Girod : Les Canadiens ont supporté tellement d’injustices de la part du gouvernement anglais qu’ils sont résolus à ne pas avoir à faire avec lui plus longtemps. Voudriez-vous vous allier aux Anglais pour vous battre contre vos frères blancs ?

Le Chef : C’est pénible d’avoir à choisir entre le père et le frère mais nous savons que quand on arrache l’écorce de l’arbre, il périt vite.

Girod : Vous avez reçu des armes des Anglais pour vous battre contre nous.

Le Chef : Nous avons à peine reçu ce qu’ils nous devaient. Nous avons deux canons dont nous nous servons au moment de la procession (Fête Dieu).

Girod : Voulez-vous nous les vendre ?

Le Chef : Nous ne voulons pas les vendre. Quand la tempête faisant soulever l’eau du lac et que le vent sifflait sur les vagues nous entendîmes une voix qui disait : « Ton frère le Canadien viendra par dessus les montagnes et t’enlèvera ta propriété, et je dis à la voix, je ne veux pas croire que mon frère cherche à me faire aucun mal, j’irai à lui et je lui dirai : tu es mon frère et sûrement tu ne veux me faire aucun tort. Un tel rapport t’a calomnié, mais serait-il vrai, rappelle-toi que je suis ton frère, et avant de frapper interroge ton cœur et ton courage. »

Girod : Votre frère n’a jamais été votre ennemi et ne le sera jamais, mais vendez-nous vos armes ; je veux en faire usage contre mes ennemis et les persécuter. Où sont tes armes ?

Le Chef : Les fusils, je les ai vendus de l’autre côté de l’eau aussitôt que je les eus reçus. Le canon est caché dans cette maison, je ne veux pas le vendre. Voulez-vous le prendre de force ?

Girod : Votre frère ne veut pas vous enlever ce qui vous appartient, mais si vous voulez nous vendre votre canon ?

Le Chef : Ne parlez plus de cela, c’est une douleur pour moi d’en entendre parler.

Girod : Et si mon ennemi vous oblige à vous en servir contre moi ?

Le Chef : Frère, je ne veux pas intervenir dans la dispute entre vous et votre père. Défendez vos droits et quand j’entendrai le tonnerre de vos armes, je regarderai dans mon esprit si je ne suis pas obligé de vous venir en aide. Vous vous êtes comporté comme un homme sage et si vous avez semé du bon grain dans le jardin de votre frère vous mangerez de son pain avec lui. (Girod 1926 : 413-16)

Pour sa part, François Bertrand, interprète de Girod, cite la conversation comme s’étant « a peu près » déroulée comme ceci:

Girod: Veux-tu être un de nos amis?

Sauvage: Je veux bien être ton ami mais ne pas remuer.

Girod: Pourquoi ne veux-tu pas remuer?

Sauvage: Vous autres êtes mes frères mais j'ai un père (voulant dire le Roi) je vous aime bien mais j'aime mieux mon père ; je voulais aller vous voir au Grand Brulé mais il a fait mauvais je suis content que vous soyez venus.

Girod: Veux-tu nous prêter les canons que vous avez et vous appartiennent-ils?

Sauvage: Nous n'en avons qu'un que notre père nous a donné pour s'en servir dans des fêtes, je ne veux point le prêter.

Girod: Où est votre canon?

Sauvage: Je n'en sais rien, j'arrive de la chasse.

Girod: Tu est bon père, j'en convient (sic) mais il a de mauvais sujets qui te trichent sur les couvertes et les présents.

Sauvage: Je suis content de ce que mon père me donne.

Girod: Ne serais-tu pas plus content d'être avec nous, si tu nous joignais nous te donnerions du terrain?

Sauvage: Je suis bien comme je suis, je ne veux point de changement. (cité dans F. Bertrand, ANQM 1837-38 : 736)

Selon d’autres sources, les Patriotes ne rencontrent que seize hommes à Kanesatake, les autres se trouvant sur leurs territoires de chasse hivernale. Le chef qui accueille les Patriotes se nomme Oharahison, et lorsque les Patriotes lui demandent de ne pas donner pas ses armes aux Britanniques, il aurait riposté: « Ne revenez pas ici pour faire peur à nos femmes et enfants; nous n’avons pas de troubles avec vous et vous n’avez rien à faire ici. Nous sommes des Indiens. Si vous les Blancs avez des difficultés entre vous, réglez les entre vous ». Sur ce, les Patriotes auraient répliqué: « Si vous restez tranquilles chez vous, nous vous laisserons en paix ». Onarahison de rétorquer: « Je ne peux rien vous promettre ; mes mains sont liées. Je suis sous la loi de mon Père Britannique et du Conseil des Sept Feux, Kahnawake; tous ce qui se passe doit se décider là-bas». (cité dans Hughes à Napier, 5/12/1837, ANC RG10 (94): 38822-25) Faisant allusion à une alliance avec les Britanniques et à la Fédération des Sept-Feux, un pacte fédératif unissant les Amérindiens du Bas-Canada, le chef indique qu’il désire rester neutre.

Cet incident contribue à accentuer la méfiance réciproque entre Iroquois et Patriotes. En effet, dans les jours suivants, une rumeur plonge Kahnawake dans l’épouvante, à savoir que des Patriotes avaient envahi Kanesatake, et avaient réussi à obtenir trois pièces de canons suite à une bataille. Les archives indiquent que les Iroquois du Bas-Canada se méfient des Patriotes. Il n’est donc pas étonnant que les chefs de Kanesatake offriront leurs armes aux volontaires loyalistes de St. Andrews.

Conclusion

En 1837-38, les Iroquois de Kahnawake et de Kanesatake ont tenu un discours de neutralité tout en collaborant avec les Britanniques. Or, il est important de ne pas considérer le geste des Iroquois comme une « trahison » envers les Patriotes, ou comme un acte de loyauté aveugle envers la Couronne. Indubitablement, le comportement des Iroquois s’explique en partie par une alliance militaire de longue date avec le gouvernement. Pour sa part, le curé Marcoux semble avoir adopté un rôle clé dans la formation de l’opinion politique des Iroquois. Il est aussi possible de spéculer que la menace coloniale d’éliminer les cadeaux annuels aurait influencé l’apparition d’une loyauté « stratégique » de la part des Iroquois afin de défendre leurs intérêts. En habiles diplomates, les 23 chefs de Kahnawake et de Kanesatake pétitionnent d’ailleurs le gouverneur Colborne quelques années suivant les troubles pour exiger les services d’un « médecin salarié » en soulignant qu’ils ont « montré leur dévouement au Gouvernement de Sa Majesté, nommément dans les deux Guerres avec les États-Unis, et encore récemment pendant les dernières Rébellions ». Enfin, il faut tenir compte de la nature des rapports entre Iroquois et Patriotes, ainsi que des perceptions que les Iroquois ont développé sur les événements se déroulant dans les campagnes environnantes et dans leurs propres villages. Dans un climat de discordes continues relatives à la terre et de rumeurs angoissantes, le péril de se faire exproprier, qu’il soit réel ou exagéré, a joué un rôle important dans le façonnement d’attitudes et des gestes qui en découlent. Dans ce contexte, les Iroquois de Kahnawake ont fait revivre une partie de leurs traditions martiales, comme pour se distinguer symboliquement des combattants d’origine européenne. Peut-être ont-ils profité des Rébellions pour rappeler aux autorités coloniales, aux Patriotes et à leurs voisins « Canadiens » que leur identité collective distincte existe toujours et qu’ils n’ont nullement l’intention de se laisser assimiler et exproprier. Face à cela, il semble difficile d’affirmer que les Iroquois ont simplement été loyaux envers la couronne. Conséquemment, nous aimerions suggérer l’idée que les Iroquois ont décidé d'intervenir en 1837-38 non seulement dans le respect de rapports diplomatiques avec les Britanniques, mais aussi afin de défendre leurs terres et leurs vies, tout en exprimant unanimement leur identité culturelle.

Document d'archives

Lorsque les Rébellions éclatent en novembre 1837, plusieurs événements mènent rapidement à une « atmosphère de profonde méfiance » entre Patriotes et Amérindiens de Kahnawake. Dans ce contexte, le 22 novembre 1837, le Surintendant des Affaires Indiennes pour le District de Montréal James Hughes, présenta, en français, une « adresse » à la « majorité » de chefs et membres du conseil de Kahnawake pour inciter la communauté à demeurer loyale à la Couronne et à ne pas être tentée de rejoindre les « rebelles ». Même si les archives semblent indiquer qu'un ensemble complexe et varié de facteurs additionnels ont joué un rôle tout aussi important dans le façonnement du comportement des Iroquois au cours des Rébellions, ce prochain document inédit permet d'entrevoir un moment précis de diplomatie entre Kahnawake et le gouvernement britannique à la veille des « Troubles » de 1837-38.

Voici donc le texte intégral de ce document inédit intitulé « An Address delivered to six of the Grand Chiefs and the Majority of the members of Council, and Warriors stationed at the village of the Caughnawaga Iroquois », 22 novembre 1837. Sa référence est la suivante : Archives Nationales du Canada, RG-10, volume 94 : Secretary of Indian Affairs Correspondance, June-December 1837, Pp. 38813-38816.


Mes Frères et mes Enfants, Me voilà encore une fois parmi vous; je serais venu plus vite, mais mes Enfants à mon retour de Lac où j'ai été pour Equipper vos Freres j'ai trouvé un ordre pour me rendre à Québec; votre Père le Gouverneur en chef [Duncan Campbell Napier], que j'ai eu l'honneur de voir m'a demandé des nouvelles de ses Enfants Sauvages. Je lui ai dis que ses Enfants se portaient tous bien, et qu'ils le saluaient de tout leurs coeurs. Il me dit, cela me fait plaisir et je leurs envoie beaucoup de remerciements. Mais, me dit-il, j'ai entendu dire, peut-être par quelques mauvaises langues, qu'une partie de mes Enfants, occasionnes par quelques mauvais conseils qu'ils recevoient de quelques Traitres, commencent à s'ecarter de leur chemin. Dites moi si c'est le cas ou non?

J'ai repondu à Votre Père, que je ne doutais nullement qu'il y avait quelques mauvais oiseaux noirs qui vous criaient dans les oreilles, et tachoient par des promesses sucrées, de vous rendre aussi Traitres comme eux-mêmes. Mais que tous ses Enfants sauvages, que j'avois vu depuis peu paroissent beaucoup peinés des dissensions qui existaient entre une partie des Blancs et le Gouvernement. Mais que pour eux, ils ne paraissoient Loyals et Bon sujets, et qu'ils Priaient leur Pere a Quebec d'entretenir aucunes mauvaises pensées de ses Enfants sauvages du Lac. Qu'ils regardoient leurs Père comme le Representant de leur Reine. Qu'ils avoient été toujours fidel au Gouvernement. Que ce n'etoit du Gouvernement qu'ils pouvaient esperer aucune Protection; qu'ils avoient déjà versés leur sang pour leurs Rois, Et qu'ils seroient toujours prêt d'en faire autant pour leurs Jeune Mere, La Reine. [...] Après que j'avois mes Enfants, livrés les parolles de vos Freres du Lac a votre Pere a Quebec, il me repondit qu'ils ne pouvoit se fier aux rapports qui courroient, qu'il avoit trop bonne opinion de ses Enfants sauvages.

Allez, dit-il, voilà l'hyver qui approche, portez une couverte et un morceau de drap à mes Enfans sauvages des autres villages. Dites l'eux les Parolles qui m'ont été Envoyé par leurs Freres et de leur courage, que Je ne doutais jamais de leurs loyauté et de leurs courage, qu'ils sont des Gens des Bois, qu'ils ont le coeur bien placé, et que je suis persuadé que mes Enfants des autres villages, ont les memes sentiments que mes Enfants du Lac, Et qu'ils auront les oreilles bien bouchées aux cris de ses mauvais oiseaux, qui essayent peut-etre a les Desbaucher pour les rendre aussi Traitres et malheureux comme eux memes.

Dites a Mes Enfants qu'ils restent en paix chez eux, qu'ils ayent soin de leurs femmes et Enfants, que pour le present je n'ai point besoin de leur services . Mais je pris mes Enfants de n'endurer aucunes insultes de ces Traitres et Rebels en question. Si mes Enfants sauvages sont le moindrement menaces ou maltraités par ces Traitres et Rebelles, qu'ils m'avertissent Et ils peuvent se fier sur la Protection de leurs Père.

Et dites l'eux aussi, si un jour a venir, j'ai besoin de leurs services, je suis persuadé qu'ils jetteront le cri de joie et qu'ils seront prêts a se rendre au premier commandement.

Vous aimez votre Religion mes Enfants (c'est moi [Hughes] maintenant qui vous adresse), vous faites Bien. Votre Curé doit absolument vous avoir annoncé a la fin du mois passé, de sa Chaire, le Mandement de votre Reverend Pere sa seigneurie l'Eveque de Tellemesse (Lartigue). Ecoutez les avis que vous donne votre Pere l'Eveque, suivez les, et soyez persuadé que vous serai dans le chemin droit.

Mes Enfants, je n'ai a present plus a vous dire. Vous avez Ecoutez mes Parolles. Maintenant, donnez moi en des votres. Dites moi sans Cachette, s'il y a de vos freres ici, dans le village, assez simples de s'avoir laissé debaucher, s'il y en a nommez les. Et dites moi si vous connaissez celui, ou ceux qui ont essayés a les Rendre Traitres et Rebelles. Voux Etes hommes, ne craignez rien, et ne me cachez rien. S'il y en a des pareils Traitres, il faut les punir, tot ou tard.

The chief Kanasontie got up and spoke for the whole, and they all sanctioned what he said. Father, we know of none among us that have strayed from the beaten path. We are now, what we have always been, we have no one but our Father to look up to for Protection, our sentiments are the same as those of our Brothers at the Lake. Our Father tells us to keep quiet, we obey him, and when called upon, it is our duty as his children, to listen to his words. We were told as we informed you at your house that we were threatened by the Traitors. But none of them have as yet Insulted us. If they do, you shall hear of it. (signé) James Hughes, S. In Dept. N.B. The address was purposely in French as many of the Iroquois understand it perfectly and it was Interprêted word for word to them in the Iroquois language by Interprêter Bernard St. Germain.

Références

AAM (Archives de l'Archevêché de Montréal): dossiers 295.099; 420.066; 901.032; 901.104; 901.106.

AAQ (Archives de l'Archidiocèse de Québec) : dossiers 26 CP (vol. IX et D) et 60 CP (vol. VIII).

ADJSQL (Archives du Diocèse de Saint-Jean-de-Québec-à-Longueuil): dossier 3A, Saint- François Xavier-de-Caughnawaga.

ANC (Archives Nationales du Canada) : Fonds RG-8 et RG-10.

ANQM, 1837-38 (Archives Nationales du Québec à Montréal): dossier Événements 1837-1838.

A Student at Law, 1839 : Trial of Joseph N. Cardinal and Others To Which are Added the Argumentative Petition in Favour of the Prisoners, And Several Other Precious Documents. Montreal: John Lovell

GB - Collection d'archives George Baby, Université de Montréal.

Grande Bretagne, 1839 : Report of the State Trials, before A General Court Martial held at Montreal in 1838-39; Exhibiting a Complete History of the Late Rebellion in Lower Canada. Montréal, Armour and Ramsay.

Greer, Allan, 1993 : The Patriots and the People: The Rebellion of 1837 in Rural Lower Canada. Toronto: University of Toronto Press.

Girod, Amury, 1926 : « Journal Tenu par Feu Amury Girod ». Archives Publiques pour l’année 1923, 14 George V, A. 1924. Ottawa, F.A. Acland.

Montreal Daily Star, 1888 : « Sentenced to Death: A Survivor from the Gallows. » The Montreal Daily Star, 15 Décembre 1888: 1-2.

Parent, Francine, 1984 : Les Patriotes de Châteauguay (1838). Université de Montréal, Département d’histoire, Mémoire de Maîtrise.

Sossoyan, Matthieu, 1999 : The Kahnawake Iroquois and the Lower-Canadian Rebellions, 1837-1838. Université McGill, Département d’Anthropologie, Mémoire de maîtrise. [1]

Sossoyan, Matthieu, 1999b : « The Kahnawake Mohawks and the Patriotes of 1837-38. » The Eastern Door, (8) 39, 20 octobre 1999 : 17-20.

Sossoyan, Matthieu, 2003: « Les Iroquois de Kahnawake et de Kanesatake et les Rébellions de 1837-1838. » Bulletin d’Histoire Politique, 12 (1)(Les Patriotes de 1837-1838): 107-115.

Trudel, Pierre (éd.) 1991 : « Les Mohawks et les Patriotes de 1837-38.» Recherches amérindiennes au Québec 21 (1-2): 79-86.

Articles connexes

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