Shinto

Shinto

Shintoïsme

Allée de torii, sanctuaire de Fushimi Inari, Kyōto

Le shintoïsme ou shinto (神道, shintō?, littéralement « la voie des dieux » ou « la voie du divin ») est la religion fondamentale la plus ancienne du Japon, liée particulièrement à sa mythologie. Le terme shintō , lecture sino-japonaise, ou kami no michi « chemin vers les dieux », est apparu pour différencier cette vieille religion du bouddhisme « importé » au Japon au VIe siècle.

Sommaire

La théologie shintoïste

Définition

Le shintoïsme est essentiellement polythéiste. Le concept majeur du shintoïsme est le caractère sacré de la nature. Le profond respect en découlant définit la place de l'homme dans l'univers : être un élément du grand tout. Ainsi, un cours d'eau, un astre, un personnage charismatique, une simple pierre ou même des notions abstraites comme la fertilité peuvent être considérés comme des divinités.

Comme dans beaucoup de systèmes religieux, le shintoïsme développe l’idée d’une réalité supérieure, ou « divine ». Cette réalité est peuplée d'une multitude d'êtres appelés kami (?). Par certains aspects, le panthéon shintoïste ressemble à ceux d’autres religions anciennes. Toutefois, par d’autres traits, les dieux et les déesses vénérés rappellent ce que d’autres systèmes religieux qualifieraient de figures héroïques plutôt que divines. En effet grand nombre de kami sont beaucoup plus humains que les dieux et déesses d’autres religions, et dans certains cas, ils prennent une forme humaine.

Les Kamis

Articles connexes : Kami (divinité) et Mythologie japonaise.

Les kamis les plus largement connus sont les dieux et déesses anthropomorphiques apparus durant ce que les textes anciens appellent « l'âge des dieux ». Ce temps des origines, quand les divinités vivaient sur la terre avant d'instaurer le règne de leurs descendants mortels (les empereurs) et de se retirer dans leurs domaines célestes, est raconté dans les récits épiques du Kojiki et du Nihon Shoki (日本書紀?), de même que l'histoire des dieux et déesses du shintō. La plus importante divinité engendré par Izanagi (伊弉諾?) et Izanami (伊弉冉?), fut la déesse solaire Amaterasu (天照, amaterasu?, lit. celle qui fait briller le ciel), la principale divinité du shintō. Les kami de « l'âge des dieux » sont les amatsukami (天津神? kami célestes) et les kunitsukami (国津神? kami terrestres). Amaterasu fait partie des premiers, tandis que le populaire Ōkuninushi (en) (大国主?), le dieu gardien du Japon et de ses empereurs, fait partie des seconds. D'autres dieux notables sont Inari le dieu du riz et de la fertilité, Hachiman le dieu guerrier, ainsi que les Sept Dieux de la Chance dont Daikokuten (大黒天?), Ebisu (恵比寿?), Benten (弁天?), et Bishamonten (毘沙門天?) qui sont très populaires. Les entités bouddhistes ont aussi été incorporées au panthéon shintō. Ainsi, le fondateur du bouddhisme, le prince Gautama, est vénéré comme Bodhisattva et kami. Le bouddhisme et le shintoïsme s’interpénètrent donc (même si à l’origine le Bouddha shakyamuni avait expliqué qu’il ne fallait pas vénérer de dieux).

Amaterasu

Un kami serait donc tout être, toute entité supérieure à l'homme par sa nature. Sont kami, en effet, non seulement certaines forces naturelles personnalisées : le Soleil, la Lune, le typhon, et bien d’autres encore, mais plus généralement tout ce qui apparaît mystérieux ou redoutable parmi les êtres inanimés comme les arbres, les montagnes, les mers, les fleuves, les rochers, les vents, ou encore des objets de forme étrange ou d’origine inconnue ; de même peuvent être tenus pour kami des humains, ou des animaux, vivants ou morts. Si tel clan prétend descendre d'un ancêtre kami (souvent choisi parmi les dieux du Kojiki), cela ne signifie en aucun cas qu’il s'agisse d’un « culte des ancêtres », car tout ancêtre n’est pas nécessairement kami.

Le mot « kami » regroupe un éventail extrêmement large d’esprits, de forces et « d'essences » surnaturelles ou mystérieuses. Le Kojiki (古事記?) indique l'existence d'une myriade de kamis (八百万? , yaoyorozu, qui emploie les mêmes kanjis que happyakuman, qui veut dire "huit millions". Dans la mythologie japonaise, huit est nombre sacré). On y trouve d'innombrables divinités tutélaires de clans — ujigami (氏神?), de villages et de quartiers : esprits d’un lieu. Ce sont aussi le plus souvent des essences d’éléments géographiques (montagne, rivière ou cascade) ou de phénomènes naturels comme le kamikaze (神風? vent divin), le typhon (台風?) et autres phénomènes.

Renard sacré, messager du dieu Inari

Les kamis vivent dans le ciel et descendent périodiquement sur terre pour visiter sanctuaires et lieux sacrés. Leur sacralité est telle que les fidèles doivent se purifier avant de pénétrer dans un sanctuaire ou de participer aux fêtes données en leur honneur.

Kamis malveillants, démons et esprits vengeurs

Certains des kamis sont malveillants, esprits vengeurs responsables de toute une série de maladies mortelles, comme les oni (?), ou ogres. Nombre de ces esprits, les démons, sont invisibles. Certains se présentent comme des animaux ayant la capacité de prendre possession d’une personne, auquel cas il faut un prêtre pour les exorciser. L’un des plus redoutés est l’esprit du renard, à qui on attribue toutes sortes de calamités, y compris la maladie et la mort.

Pourtant la tradition shinto ne croit pas en une séparation absolue du bien et du mal. Tous les phénomènes, animés ou inanimés, peuvent y être aussi bien positifs que négatifs : cela dépend des circonstances. Ainsi, en dépit de leur malveillance, les oni sont des personnages quelque peu ambivalents. Par exemple, le maléfique esprit du renard est également étroitement associé à Inari, le dieu du riz, un kami charitable extrêmement populaire. De même, les hommes oiseaux appelés tengu peuvent être les gardiens bienveillants d’un kami et sont pour cette raison mis en scène dans les fêtes shintoïstes.

Histoire et développement du Shintoïsme

Origine

Les origines du shinto remontent très loin dans le passé. On se pose encore la question de savoir si la culture Jomon (縄文? environ 11 000 à 300 av J.C.) possédait une religion centrée sur la vénération des kami (« esprit », « déité », « être divin » ou « dieu/déesse »), du moins ressemblant peu ou prou à ce qu’on connaît aujourd’hui. Ces peuples d’avant écriture, chasseurs et pêcheurs semi-nomades, modelaient des dogu (土偶?), statuettes féminines aux seins et aux hanches démesurés. On ne connaît pas la nature exacte des croyances entourant ces dogu, mais il s’agit probablement d’un culte de la fertilité. Les dogu étaient placés à l’intérieur ou à côté des tombes après avoir été délibérément brisées, peut-être rituellement « tuées », afin de libérer leur essence spirituelle. Il est néanmoins impossible de savoir avec certitude si cette « essence » était conçue en des termes pouvant faire penser aux kami du shinto.

Avec la culture Yayoi (弥生? d'environ 300 av J.C. à 300 apr J.C.), plus complexe, commence à apparaître une iconographie de style shintoïste nettement plus marquée. Parmi les objets découverts dans les tombes des Yayoi, on trouve de petites céramiques représentant des entrepôts de grains d’une architecture remarquablement similaire à celle du sanctuaire d'Ise (伊勢?), à la forme restée inchangée depuis au moins 1 200 ans. L'introduction de la culture du riz semble avoir apporté avec elle des rites liés aux semailles et à la moisson, probablement très proches des rituels shintoïstes encore pratiqués aujourd’hui dans les campagnes japonaises.

Étroitement associés au culte de la fertilité chez les Yayoi, on trouve également des joyaux appelés magatama (曲玉?), des miroirs cérémoniels, et des épées sacrées. Aujourd’hui, ces objets jouent un rôle important dans la mythologie shintoïste et font partie des insignes impériaux. Pour beaucoup de spécialistes, la majorité des ujigami (氏神?), les divinités tutélaires des uji (, clans?) les plus anciens datent de cette période. La divinité des uji la plus importante était (et est toujours) Amaterasu, la déesse solaire.

Au IVe siècle de notre ère, le Japon fut conquis par des cavaliers nomades venant d'Asie centrale et un nouveau type de sépulture apparut : le kofun (古墳?), ou tumulus. Des statuettes votives de chevaux et de guerriers, les hanniwa, étaient souvent placées autour de ces monticules massifs, en forme de trous de serrure, pour accompagner le seigneur de la guerre décédé dans son voyage vers l'au-delà.

On peut dire que le shintoïsme est né d’un mélange entre animisme, shamanisme, et culte des ancêtres. Peu à peu, tous ces cultes de la fertilité, ces vénérations de la nature, parfois capricieuse au Japon (tremblements de terre, typhons, tsunamis, etc), se sont amalgamés et codifiés pour former le shinto.

Développement

Selon la Chronique du Japon (日本書紀, Nihon shoki?, 720), le bouddhisme serait parvenu au Japon, ou du moins à la cour, à une date relativement tardive, l’an 13 du règne de l’empereur Kimmei (欽明? 552). De nombreux courtisans embrassèrent avec enthousiasme la foi bouddhiste, vénérant les statues de Bouddha comme autant de manifestations d’un puissant kami, tandis que d’autres protestaient contre cette intrusion. Toujours est-il que le prince régent Shotoku-Taishi (聖徳太子? 572-621) en fit, un demi-siècle plus tard, la religion de l’État. Ses raisons étaient politiques autant que religieuses, car s’il fut le premier des grands saints bouddhistes du pays, il sut comprendre aussi le rôle unificateur que pouvait jouer une religion à tendance universaliste dans la formation d’un État centralisé.

Mais jusqu’au début de l'ère Heian (794-1185), la majorité des Japonais ne fut aucunement touchée par cette nouvelle religion. Les bouddhistes ne tentèrent pas de saper ou de supplanter le shintoïsme : ils se contentèrent d’édifier leurs temples près des sanctuaires shintoïstes tout en proclamant qu’il n’y avait pas de différence fondamentale entre les deux religions. Vers la fin de l’ère Heian, cette façon de faire des bouddhistes conduisit à l’apparition du ryōbu shintō (両部神道? double shinto), dans lequel kami shintoïste et bosatsu du bouddhisme devinrent une seule et même divinité.

Les dernières années de l'ère Heian furent marquées par une guerre civile qui se termina par la nomination de Minamoto no Yoritomo (源頼朝?) à la nouvelle fonction de shogun. Suivirent quatre siècles de conflits internes presque constants. L’événement religieux le plus important de cette période fut l’introduction du christianisme en 1549, mais ses premiers succès furent annihilés après l’assassinat de son protecteur, le puissant seigneur de guerre, Oda Nobunaga (織田信長?). Sous le shogunat Tokugawa (徳川? 1603-1867), le bouddhisme progressa, de même que le taoïsme et le néo-confucianisme chinois.

A la fin du XVIIIe siècle, toutefois, sous l’impulsion de dignitaires shintoïstes, dont Motoori Norinaga (en) (本居宣長? 1730-1800), on s’intéressa de nouveau au Kojiki, au Nihon Shoki et à d’autres textes anciens du shintô. Avec le koshitsû shintô (古史通神道?), revint l'idée que l'empereur, en tant que descendant direct de la déesse Amaterasu, doit être remis au centre du système politique et garant du pouvoir exécutif, ce qui mena, avec la restauration Meiji, à l'instauration d'un shintoïsme d'État (国家神道?).

Shinto d'État

Avec la refonte de la constitution en 1868 sous l'ère Meiji, le shinto devint une religion d'État : le Kokka shinto (国家神道? shinto d'État). Dès 1872, un Office du culte shinto (Jingikan) fut établi afin de promouvoir les rites et le culte officiel et tous les prêtres devinrent des employés de l'État. Chaque citoyen devait s'enregistrer comme membre de son sanctuaire local (ujiko), devenant par le fait même membre du sanctuaire d'Ise.

L'empereur du Japon, descendant de la déesse Amaterasu et désormais chef de l'État et commandant suprême de la Marine et de l'Armée, fut l'objet d'un véritable culte. En 1889, fut établi un sanctuaire dédié à l’empereur Jimmu, le fondateur mythique de la dynastie. Ce sanctuaire porte le nom de Kashihara-jingu (橿原神宮?).

Ce culte prit une importance primordiale lors de l'expansionnisme du Japon durant l'ère Showa. En tant que Commandant officiel du Quartier général impérial à compter de 1937, l'empereur Shōwa était considéré comme la pierre d'assise du hakko ichiu (八紘一宇?), la « réunion des huit coins du monde sous un seul toit ». Il fut ainsi instrumentalisé pour justifier l'expansionnisme et la militarisation auprès de la population japonaise. La manifestation tangible qui faisait de l'empereur le représentant des dieux était les insignes impériaux.

L'Empereur Shōwa revêtu de sa tenue de chef du culte de Shinto d'État

Parmi les partisans les plus notables de cette doctrine, on compte le prince Kotohito Kan'in, chef d'état-major de l'Armée shôwa et le premier ministre Kuniaki Koiso.

Le récit de l'instauration du règne de Jimmu Tenno et de la lignée impériale japonaise occupe une place importante dans le shintoïsme. Il est étroitement lié à la région du Yamato sur Honshū, l'île principale de l’archipel nippon, où est situé le sanctuaire le plus important du shinto : celui d'Amaterasu à Ise.

Selon le Kojiki et le Nihon Shoki, après avoir été banni du ciel, le dieu Susanoo, frère d'Amaterasu, descendit sur terre, sauva une belle jeune fille prisonnière d'un dragon, trouva une épée magique dans l'une des huit queues du monstre et la donna à sa sœur, Amaterasu, en offrande de la paix. Il épousa une jeune fille, construisit un palais près d'Izumo et engendra une dynastie de dieux puissants qui finirent par régner sur la Terre. Le plus grand d’entre eux fut Okuninushi, le « grand seigneur du pays ». Inquiète de la puissance d’Okuninushi, Amaterasu envoya son petit-fils Ninigi dans le monde mortel pour y rétablir sa souveraineté. Ninigi était porteur de trois talismans : le miroir sacré, qui avait été utilisé pour faire sortir Amaterasu de sa grotte, l’épée magique offerte par Susanoo et un merveilleux joyau de fertilité, un magatama, que Susanoo avait utilisé pour engendrer sa descendance dans la querelle avec sa sœur. Ces trois objets devinrent les insignes impériaux et la représentation concrète du l'autorité divine de l'empereur.

Selon la tradition, Ninigi atterrit sur le sommet du Takachiho (高千穂峰?), à Kyūshū, et conclut un marché avec Okuninushi. En échange de la fidélité de ce dernier, Ninigi lui promit que sa grand-mère le reconnaîtrait comme protecteur perpétuel de la famille impériale, laquelle allait être fondée plus tard par l'arrière-petit-fils de Ninigi (瓊瓊?), c'est-à-dire l'empereur Jimmu. Okuninushi est célébré à Izumo-taisha, le second des plus importants sanctuaires du shinto au Japon après Ise. La tradition veut depuis que, de l’époque de Jimmu à aujourd'hui, les descendants terrestres d’Amaterasu règnent sur le Japon à titre d'empereur.

Le Kokka shinto perdura jusqu’en 1945, lorsque, Mac Arthur, le Commandant suprême des forces alliées, exigea la réforme de la Constitution et priva l'empereur de ses pouvoirs exécutifs. Le « shinto d’Etat » fut alors démembré, mettant un terme au principe de la religion officielle au Japon.

De plus, en janvier 1946, l'empereur dut déclarer publiquement dans un édit impérial qu'il n'était pas un akitsumikami (divinité incarnée). La portée de cette déclaration est contestée puisque l'empereur Showa lui-même avait déclaré en décembre 1945 à son chambellan Michio Kinoshita « qu'il est absolument interdit de qualifier de chimérique l'idée que l'empereur est un descendant des dieux »[1]. Plusieurs commentateurs, dont John Dower et Herbert Bix, s'interrogent aussi sur l'emploi du terme akitsumikami au lieu de celui plus courant d'arahitogami (dieu vivant).

De nos jours

Bien qu'il ne soit plus une religion d'État, le shinto n’en continue pas moins d’être présent dans toute la vie japonaise, y compris sous nombre d’aspects inattendus. Le sumo, sport national, par exemple, provient d’un ancien rituel honorant les kami. Le baldaquin au-dessus du ring rappelle un sanctuaire shintoïste, l’arbitre est habillé d’une robe semblable à celle d’un prêtre shinto, et l’aspersion de sel (censé avoir des propriétés magiques) avant un combat est un rite purificatoire.

Le shinto encore aujourd’hui arrive très bien à s’adapter aux nouvelles mœurs des Japonais et à se mélanger avec les nouveaux mouvements religieux (新宗教, shinshūkyō?). Ainsi Konkokyo et Omoto Kyo sont d'inspiration shintoïste, alors que d'autres groupes comme Sūkyō Mahikari ou Tenrikyō sont des syncrétistes mélangeant shintoïsme et bouddhisme.

Principes éthiques et croyances

Métaphysiques et spiritualités

Issus de l'Unité cosmique, les flux fondant la vie s'incarnent en une multitude de kami. Le polythéisme qui s'en dégage est infini, dans le sens où chaque parcelle de vie est sacrée. La mythologie shinto dit qu'il existe 8 millions de kami Happyakuman (八百万?) car les kanji se lisent également « yaoyorozu », signifiant une myriade i.e. une infinité, un nombre inquantifiable. En descendant sur Terre pour y insuffler la vie, les kami ont créé l'archipel japonais.

L'origine de l'Homme dans ce contexte cosmogonique n'est pas clairement établie. Mais la famille impériale base sa légitimité charismatique (au sens de Max Weber) sur son origine déclarée comme divine (le premier empereur, Jimmu, serait le petit-fils de Ninigi-no-Mikoto, que la déesse Amaterasu a envoyé sur Terre par les kami pour fonder la nation japonaise).

Le respect des ancêtres et le sentiment de communion avec les forces de l'univers et les générations passées sont les bases spirituelles du Shinto. La priorité accordée au groupe et à la solidarité est un des principes éthiques les plus anciens et les plus importants de la société japonaise. Bien qu'hérité en partie de la culture chinoise, ce principe s’est vu énormément renforcé par le fait que le shinto insiste depuis des siècles sur la vénération des esprits ancestraux, le respect de la solidarité familiale et clanique. D’une égale importance est la tradition mettant l’accent sur la pureté, personnelle et rituelle, et sur la vénération de la nature. Ces principes, qui ont profondément influencé la vie japonaise, jouent un rôle important dans le Japon moderne. En effet, tous ceux qu’on voit prendre soin des sanctuaires shintoïstes locaux ont souvent été à l’avant-garde dans la préservation du milieu naturel. Mais voyons plus en détails les principes fondamentaux du shinto.

Tsumi, tatari et kegare

Innombrables, les kamis sont partout, se cachant sous les formes les plus diverses, aux endroits les plus inattendus. Il convient donc de se montrer à leur égard d’une prudence extrême, d’autant que les plus petits sont parfois les plus susceptibles. Leur caractère est ambigu, comme la nature elle-même. Tous, y compris les meilleurs d’entre eux et les plus grands, possèdent un « esprit de violence », arami-tama (荒御魂?), qu’il faut se concilier ou neutraliser par des rites appropriés. Certains sont même dangereux dans leur principe, tels les « dieux des épidémies » ou les « dieux des insectes », prédateurs du riz. Tous peuvent vous frapper d’un tatari (祟り?). L’on a voulu donner à cette notion, aussi archaïque sans doute que le concept même de kami, une valeur morale en en faisant un châtiment, une malédiction (les dictionnaires bilingues donnent généralement ces traductions), infligés par le dieu à l'auteur d'une faute (tsumi). C’est là une conception moderne inspirée par le bouddhisme, qui a traduit par tsumi l’idée d’« action mauvaise », qui obscurcit l’entendement de l’homme et fait obstacle à l’illumination, donc au salut. Le synonyme ancien de tsumi est, en réalité, kegare (汚れ? « souillure »). Et les définitions anciennes qui en sont données ont un caractère plus physique que moral : c’est ainsi que le contact de la mort, du sang, des excréments provoque une souillure rituelle ; mais la vie en société entraînera un élargissement de cette notion de tsumi, et l’on qualifiera ainsi certaines infractions sociales (destruction d’une digue de rizières).

Dans son principe toutefois, le tsumi, comme le tatari qui en est la conséquence quasi automatique, semble devoir être défini d’une manière à la fois plus vague et plus générale. De nombreux exemples, même récents, montrent en effet que l’on peut être frappé par un tatari pour peu que l’on ait empiété, fût-ce inconsciemment, sur le domaine d’un kami ; le tsumi est en somme la transgression de certaines limites, non toujours formellement interdites ni précisées, mais chargées d’un potentiel magique redoutable dû à la simple présence du kami.

Pour illustrer cela on peut prendre le film de Hayao Miyazaki : Le voyage de Chihiro. L’héroïne, Chihiro, pénètre en effet sur le territoire de kamis et autres fantômes, elle se voit donc condamnée à rester dans le monde des démons à jamais. On pourrait aussi citer nombres d’exemples de récits populaires relatant des kami habitant auprès des ponts et poursuivant les personnes qui ne leur ont pas rendu hommage. L’imprudent peut être, à la limite, foudroyé par le simple contact d’un objet ou d’un être kami, parfois même contre la volonté de ce kami. Un proverbe encore usité – dans le sens, il est vrai, de : « Il ne faut point se mêler de ce qui ne vous regarde pas » – conserve la trace de cette croyance : « Sawaranu kami ni tatari nashi » (« Il n’est point de tatari du fait d’un kami que l’on ne touche point »).

Purification

Propreté physique

Pour échapper aux conséquences d’un tatari imprudemment encouru, il convient de « purifier » son entourage (祓う, harau?) ou soi-même (清む, kiyomu?). Ces deux termes sont employés aussi bien pour traduire des actions banales comme « balayer, nettoyer, laver », et, de fait, il s’agit essentiellement, à l’origine, de nettoyages symboliques et d’ablutions rituelles. Dans certains cas, et notamment quand la souillure est due au contact de la mort, il convient d'observer certaines abstinences (忌み, imi?), au cours de retraites plus ou moins prolongées. Purifications et abstinences sont également recommandées à titre préventif lorsque l'on prévoit un contact inéluctable avec un kami ; la préparation d’une fête impose souvent des rites de ce genre aux participants. Ces rites immunisent en quelque sorte contre le pouvoir maléfique du kami. D’autres sont destinés, en revanche, à conférer à celui qui en use un pouvoir contraignant sur le kami. Là est peut-être l'explication du terme qui désigne, de nos jours encore, le prêtre du shinto (神主, kan-nushi?), le « maître », le « possesseur d’un kami », en d’autres termes : celui qui connaît les rites qui donnent prise sur les forces surnaturelles.

Textes sacrés

Les sources les plus importantes pour le shinto sont le Kojiki et le Nihon Shoki, qui furent composés, respectivement en 712 par le courtisan Ono Yasumaro, et en 720 par une commission de lettrés désireux de rectifier chez Ono la mise en valeur selon eux excessives, du clan impérial (le clan Yamato). Un peu à l'image de certains livres de l'Ancien Testament juif, ces textes ne sont pas des messages divinement révélés ou dictés, mais des chroniques en forme de généalogie qui enregistrent les générations tant divines qu’humaines qui se sont succédé depuis « l’âge des dieux » et la création du monde. Par exemple, le premier livre du Kojiki est en effet une « Genèse » du pays et de ses dieux, dont la généalogie, sur laquelle se tisse une cosmogonie complète, est établie avec précision depuis les dieux primordiaux jusqu’aux ancêtres immédiats de la dynastie royale du Yamato, en passant par le couple démiurge Izanagi-Izanami et la déesse-souveraine de la « Plaine du Haut Ciel », Amaterasu-o-mi-kami, la « Grande Divinité qui illumine le Ciel », en d’autres termes, le Soleil.

Personnages sacrés

Bien que le shinto n'ait pas de fondateur connu, un certain nombre d’individus y ont joué un rôle essentiel : Ō no Yasumaro (en) (太 安万侶?), qui compila le Kojiki, Motoori Norinaga (en), le grand lettré shintoïste du XVIIIe siècle, Miki Nakayama (中山 みき?), fondatrice du tenrikyō, ou encore de nombreux bouddhistes comme Kobo Daishi qui le premier intégra les kami dans les temples comme protecteurs et émanations des boddhisattvas ; une tradition shinto/bouddhiste, le  (en) se développa ainsi très tôt dans le courant tantrique. Les écoles de Kamakura avec Hōnen ou Nichiren développèrent aussi une relation qui leur est particulière avec le shintoïsme. Il faut également citer le personnage de l’empereur qui devint, après 1868, l’incarnation de la nation japonaise et dont on croyait qu’il était un descendant direct de la principale divinité du shintoïsme, Amaterasu la grande déesse solaire.

Lieux sacrés

Bien que le Japon dans sa totalité puisse être considéré, selon le shintô, comme un espace sacré, le lieu central du culte est le jinja (sanctuaire), où un ou plusieurs kami sont vénérés. Se distinguant des temples bouddhistes otera (お寺?) par leur portails sacrés, les torii, ces jinja diffèrent en taille et en importance, depuis les minuscules sanctuaires installés sur les toits des hautes tours des grandes villes, jusqu’au Naiku (内宮?) et au Geku (外宮?) – les sanctuaires intérieur et extérieur d'Ise — en passant par l’énorme Meiji-jingū à Tōkyō, dédié à l’esprit de l’empereur Meiji (règne de 1867 à 1912). Le sanctuaire d'Itsukushima (厳島神社, Itsukushima-jinja?), se distingue des autres, car il a été construit sur la mer il y a plus de huit cents ans ; on y vénère le dieu des pêcheurs et de la mer. C'est là que se trouve le grand torii flottant. On peut encore citer le grand sanctuaire de Yasaka à Kyōto ou encore le sanctuaire de Fushimi Inari-taisha célèbre pour ses milliers de torii.

Les sanctuaires sont à la fois des lieux de prières et de réjouissances où sont encore aujourd'hui pratiqués du théâtre , de la danse, de la lutte sumo, du tir à l'arc (kyūdō) et d'autres activités. Autrefois, on organisait aussi des courses de chevaux ou de bateaux. On pratiquait l'o-furo, bain en commun qui est une forme de rite collectif de communion avec la nature.

Outre ces enceintes sacrées, où les fidèles viennent pratiquer leur culte, la tradition shinto considère également comme sacrés certains éléments du paysage naturel, tel le mont Fuji.

Le shintoïsme se pratique dans des sanctuaires très dépouillés. Le plus souvent les sanctuaires sont peints en rouge et ne contiennent qu'un autel très rudimentaire servant à déposer les offrandes : des fruits, un verre de sake, de l'argent, etc. Le cœur même du sanctuaire renferme la relique ou l'objet où est censé être incarné le kami. Seuls les prêtres peuvent y accéder. Cette relique ou objet peut être n'importe quoi, une pierre précieuse comme une pierre ordinaire, un objet précieux ou une chaussure, un arbre, etc. C'est cet objet ou cette relique que l'on transporte à travers tout le quartier pendant les festival de quartier, matsuri.

« Un simple miroir, suspendu dans le sanctuaire, vient constituer l'essentiel du mobilier. La présence de cet objet s'explique aisément... Lorsque pour prier, vous vous tenez face au sanctuaire, c'est votre propre image que vous voyez se refléter sur la surface dansante et ainsi, cet acte de foi est comme l'antique injonction delphique : « Connais-toi toi-même », en grec : « gnôthi seauton ». »

— Extrait de Bushidō, l'âme du Japon d'Inazō Nitobe - 1900 - p.22 - (ISBN 2846170118)

La présence d'un miroir peut aussi être mise sur le compte des insignes impériaux : selon la tradition, Amaterasu, ancêtre divin de la famille impériale, a transmis à ses descendants trois objets garants de la légitimité du pouvoir : l'épée, le joyau et le miroir.

Le sanctuaire de Yasukuni est l'un des lieux de culte shinto les plus célèbres à l'étranger, notamment parce que des criminels de guerre condamnés par le Tribunal de Tōkyō y sont honorés. Les visites répétées à ce sanctuaire du Premier ministre Jun'ichirō Koizumi ont suscité l'indignation de nombreux pays d'Extrême-Orient.

Rites et fêtes

Réserve de saké pour l'autel du sanctuaire, le saké est sacré et fait l'objet de prière comme de l'eau bénite

Le calendrier shinto abonde en cérémonies et en fêtes locales. Certains comme Obon (la fête annuelle en l'honneur des âmes des morts), les matsuri (festivals de quartier pendant lesquels on joue de la musique shintoïste), ou Oshōgatsu (la fête de trois jours pour le Nouvel An), se confondent plus ou moins avec les rituels bouddhistes, tandis que d’autres sont de stricte obédience shintoïste. Ces pratiques sont un moyen d'entrer en communication avec le divin et d'assurer le bien-être de tous et de chacun.

Parmi les rituels shintoïstes locaux, citons les requêtes adressées au kami pour obtenir santé, prospérité et réussite ; l'entretien de l'autel familial, le kamidana (神棚?) et la participation à un matsuri (« fête »), au cours duquel un mikoshi (« châsse portable ») est porté en procession dans un village ou un quartier, sanctifiant ainsi les porteurs et la communauté dans son ensemble.

Mariage

Mort et vie dans l'au-delà

Articles connexes : Rites funéraires au Japon et Yomi.

Contrairement à la plupart des grandes religions, le shinto n'accorde que peu d'importance à la mort et à la vie dans l'au-delà. Face à la mort, les adeptes du shinto ont tendance à chercher ailleurs un réconfort, essentiellement dans le bouddhisme et son idée d'un autre monde. D'ailleurs, si la plupart des Japonais se marient selon les rites du shinto, seule une infime minorité, dont la famille impériale, se fait enterrer dans des cimetières shintoïstes. Pourtant, selon le shinto, l'âme des défunts (tama) continue d'exercer une influence sur les vivants avant de prendre place parmi les kami des ancêtres de la famille dont elle faisait partie. La conception shintoïste de la vie post mortem reflète ainsi l'importance accordée à la continuité entre les générations et à l'identité collective de la famille et du clan.

Lexique shinto

Ema, tablettes votives en bois
Prêtres shinto
O-harai, purification rituelle

Aramitama (荒御魂?) : âme, esprit des kamis

Chōzuya (手水舎?) : bassin où les fidèles peuvent se laver les mains et se rincer la bouche à l'aide d'une sorte de louche (柄杓, hishaku?), afin de se présenter devant le kami exempts de toute souillure (o-harai).

Ema (絵馬?) : plaquettes votives en bois. Les fidèles inscrivent leurs vœux ou leur prière sur l'ema, puis l'accrochent à un portique près du temple pour qu'il soit lu par les kami (les dieux).

Gohei (御幣?) : bandes de papier pliées (pouvant également être en métal) en zigzag, qui symbolisent la présence de la divinité

Guji (宮司?) : prêtre supérieur d’un sanctuaire

Haiden (拝殿?) : bâtiment où prient les fidèles

Hatsumōde (初詣?) : première prière de l'année au Nouvel An qui s'accompagne de tout un rituel : la première purification, la première prière, on boit le premier verre de saké et enfin on tire le sort.

Hokora (?) : petit sanctuaire aménagé dans un paysage en l’honneur d’un kami

Honden (本殿? ou shinden) : bâtiment principal qui contient le shintai

Inori (祈り?) : prière rituelle

Jinja (神社?) : sanctuaire shintoïste

Kagura (神楽?) : une ancienne danse shintoïste

Kami (?) : « être d’un lieu supérieur » ; principe de vie reconnu par le shinto comme existant dans toutes les choses animées ou inanimées ; c’est le nom donné à une divinité, un dieu, ou à un esprit shintoïste. La croyance en leur existence et le respect qu’on leur doit sont au centre du shinto.

Kannushi (神主?) ou shinshoku (神職?) : prêtre shinto

Koma-inu (狛犬? « chien de Koguryŏ ») : deux chiens d'apparence léonine dont l'un a la gueule ouverte et l'autre fermée. Ils sont les gardiens du temple.

Magatama (勾玉?) : collier de fertilité magique orné de joyaux porté par Amaterasu ; il est l’un des trois talismans de la souveraineté impériale, les deux autres étant un miroir sacré et une épée.

Matsuri (祭り?) : fête annuelle ou bisannuelle du sanctuaire

Miko (巫女?) : « jeune vierge du sanctuaire » Elles sont vêtues d'une jupe rouge recouvert d'une tunique blanche. Aux temps anciens, les miko étaient des shamans (itako).

Mikoshi (神輿?) : châsse portable que les fidèles transportent dans les rues d’un quartier au cours d’une procession

O-bake (お化け?) : fantômes ; esprits errants

O-harai (お祓い?) : purification rituelle au chōzuya avant d'adorer le kami

O-mikuji (お神籤?) : bandes de papiers prédisant la destinée. Si la prédiction est bonne, l'omikuji devient un talisman à conserver. Si elle est mauvaise, la bandelette doit être fixée sur un arbre du sanctuaire afin que les kami conjurent la prédiction.

O-mamori (お守り?) : amulettes porte-bonheur vendues dans les sanctuaires. Elles sont souvent contenues dans un sachet de tissu mais peuvent aussi se présenter sous la forme de pierres gravées.

Sakaki (?) : branche d’un pin sacré avec laquelle un kannushi procède aux rites de purification

Shimenawa (注連縄?) : corde en paille de riz utilisée pour marquer la présence de kami

Sodai (総代?) : membre laïc d’un comité supervisant le sanctuaire shinto d’un quartier

Taisai (大祭?) : grande fête d’un sanctuaire shinto, au cours de laquelle une statue du kami est placée dans le mikoshi ; elle a lieu en général tous les deux ou trois ans

Tengu (天狗?) : homme-oiseau tantôt démon, tantôt divinité protectrice ; ils sont magiciens et illusionnistes. Le mythe du tengu vient des croyances populaires de Chine où il existe encore aujourd'hui, c'est le terrible Garuda chinois. Il est représenté soit en homme-oiseau soit en démon avec un long nez.

Torii (鳥居?) : portail sacré ayant la forme d'un grand portique. Peint en rouge, il servait à l'origine de perchoir au coq du village qui par son chant appelait Amateratsu. Il marque l’entrée dans un sanctuaire shinto : domaine d’un kami et la frontière entre le pur et l’impur.

Toso (屠蘇?) : premier sake de l'année, au Nouvel An

Notes et références

  1. Peter Wetzler, Hirohito and War, 1998, p.3.

Voir aussi

Articles connexes

Liens externes

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Bibliographie

Ouvrages

  • Charles Baladier et François Macé, Le Grand Atlas des religions, Encyclopædia Universalis, Paris, 1988, « Le shintô » 

Articles

  • Fabienne Duteil Ogata, « Une journée ordinaire dans un sanctuaire shintô de Tôkyô », dans Ateliers, no 30, avril 2006, p. 225-250 [texte intégral (page consultée le 22 février 2009)] 


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