Sophisme d'une masse fixe de travail

Sophisme d'une masse fixe de travail

Le sophisme d'une masse fixe de travail (en anglais : lump of labour fallacy) est un sophisme économique qui repose sur l'hypothèse que la demande de travail (ou offre d'emploi) serait une quantité fixe dans une économie de marché, que l'on pourrait « partager » ou « se faire voler ».

Les opposants au partage du travail accusent fréquemment — et parfois abusivement — les partisans de ces politiques de baser leurs propositions sur ce sophisme, afin de les décrédibiliser.

Sommaire

Présentation

Aucun économiste contemporain, quelle que soit sa tendance, ne soutient l'hypothèse que la demande de travail est indépendante des conditions économiques, et notamment du temps de production et de la rémunération du travail. Paul Krugman (prix Nobel d'économie 2008) rappelle que « comme son titre moqueur le suggère, c'est une idée que les économistes considèrent avec mépris »[1] (Il soutient par ailleurs le partage du travail existant en Allemagne, Kurzarbeit, et le considère adapté à une période de crise[2].) En fait, les modèles économiques font toujours l'hypothèse inverse, en prévoyant un bouclage reliant l'offre de travail aux autres variables.

Historiquement, ce sophisme économique a été dénoncé comme tel[3] depuis la fin du XIXe siècle pour contrer l'idée que la réduction du temps de travail légal diminuerait mécaniquement le chômage dans une économie de marché.

Au sens populaire, on retrouve ce sophisme dans l'idée que la mécanisation (les robots), les femmes ou les immigrés « prennent » des emplois, ou que les importations détruisent des emplois, ou que le départ des baby boomers à la retraite va faire diminuer automatiquement le taux de chômage.

Terminologie

Il n'existe pas d'expression française consacrée pour reprendre le terme anglais lump of labour fallacy, chaque traducteur semblant faire son propre choix et rappelant souvent explicitement la forme anglaise. On trouve par exemple, outre « sophisme d'une masse fixe de travail[4] », « mythe du partage du travail[5] » et « supposition » (d'une quantité fixe de travail), « piège[6] », « illusion[7] », « sophisme[8] », « idée fausse[9] », « hypothèse d'une quantité d'emplois déterminée et fixe[10] » ; ainsi que des expressions comme « le travail est un bien rare » ou « la fin du travail[9] ».

Lors du débat en France sur les « 35 heures », l'expression « malthusianisme » a été couramment employée[11].

Classification

En termes de théorie des jeux, le sophisme d'une masse fixe de travail fait partie des « sophismes de jeux à somme nulle » (en anglais : zero-sum game fallacies), où l'on fait à tort l'hypothèse que le gain d'un joueur se fait nécessairement au détriment des autres joueurs.

En termes de rhétorique, ce sophisme a différentes formes et selon l'expression utilisée on pourra y voir

Un raisonnement sans fondement

Il existe plusieurs théories économiques pour expliquer que la masse de travail varie si la répartition du travail change[12] :

  • il existe des coûts fixes (bureau de l’employé, administration) et des coûts de transition (formation, recrutement), de sorte que cela coûte plus cher (plus d'effort) de gérer plus d'employés[13]
  • une industrie a intérêt à recruter d'abord les travailleurs les plus productifs, et les moins productifs en dernier : si le personnel le plus qualifié (pour le travail demandé) est en quantité limitée, alors l'élargissement de la base au travail va réduire la productivité moyenne, la production, le niveau de vie moyen et finalement la demande de travail (loi de Say)
  • un changement dans la répartition du travail a souvent pour conséquence un changement dans la répartition des revenus, et éventuellement un mécontentement préjudiciable à la demande de travail.

Les keynésiens non plus ne soutiennent pas l'idée que la quantité de travail est fixe. Pour eux, l’augmentation de l’emploi permet l’augmentation de la demande qui pousse les entreprises à embaucher. Inversement le licenciement provoque une baisse de la demande qui pousse les entreprises à diminuer la masse salariale. Le volume de travail dans la société est donc une variable dynamique et non constante.

Utilisation du sophisme comme « homme de paille »

Pour Tom Worke, ce sophisme est parfois mis en avant abusivement, comme « homme de paille » par les adversaires, souvent libéraux, de toute politique de réduction du temps de travail[14],[15] ou de toute limitation de l'immigration.

Si la vision du marché du travail qui sous-tend les propositions de réservation du travail (protectionnisme, limitation de l'immigration, emplois réservés...) ne rencontre qu'un soutien marginal chez les économistes, il n'existe pas de consensus parmi les économistes sur les effets d'une politique de partage du travail.

Voir aussi

Liens internes

Notes et références

  1. (en) Paul Krugman, Lumps of Labor, New York Times, 7 octobre 2003, lire en ligne
  2. (en) Paul Krugman, Free to Lose, New York Times, 12 novembre 2009, [1]
  3. Par des économistes libéraux comme keynésiens ; pour un exemple keynésien, voir Paul Krugman, ibid.
  4. Olivier Blanchard L'Europe ne va pas si mal, in En Temps Réel, Cahier 14/15, juin 2004
  5. Utilisé dans Des pyramides du pouvoir aux réseaux de savoirs, rapport du Sénat 97-331 ; CRA 2e séance du 6 octobre 1999, Assemblée nationale
  6. Walter Nonneman, L’immigration et le marché de l’emploi'
  7. Paul Swaim et Pascal Marinna, Différentes facettes du temps de travail : évolution récente du temps de travail, OCDE
  8. Le Café pédagogique, numéro 66, http://www.cafepedagogique.net/disci/ses/66.php lire en ligne]
  9. a et b Daniel Cohen, Nos temps modernes
  10. Michel Camdessus, Le Sursaut: Vers une Nouvelle Croissance pour la France, La Documentation française, Paris, 2004, page 40
  11. Voir par exemple : Guillaume Duval, 35 heures : le faux débat du malthusianisme, Alternatives Economiques, hors-série n°39, janvier 1999
  12. Certaines de ces raisons peuvent se contredire, ce qui signifie seulement qu'elles ne peuvent pas être vraies en même temps, mais pas qu'elle se neutraliseraient et seraient donc toutes fausses
  13. (en) Dennis J. Snower et Guillermo de la Dehesa, Unemployment Policy : Government Options for the Labour Market, Cambridge University Press, 1997, ISBN 0521599210, page 37
  14. (en) Tom Walker, The "Lump-of-Labor" Case Against Work-Sharing: Populist Fallacy or Marginalist Throwback?, lire en ligne
  15. T Walker, « Why economists dislike a lump of labor », dans Review of Social Economy, vol. 65, 2007, p. 279–291 [lien DOI (page consultée le 9 avril 2010)] 

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