Tchéka

Tchéka
Emblème de la Tchéka puis du KGB : l'épée et le bouclier.

La Tchéka (en russe : ЧК, API : /tɕɪ.ˈka/) est la police politique créée le 7/20 décembre 1917 sous l'autorité de Félix Dzerjinski pour combattre les ennemis du nouveau régime bolchevik. Son organisation était décentralisée et devait seconder les soviets locaux. En février 1922, elle fut remplacée par la Guépéou.

Sommaire

Dénomination

Tchéka est l'acronyme de « Commission extraordinaire » (en russe : чрезвычайная комиссия), forme abrégée de « Commission extraordinaire panrusse pour la répression de la contre-révolution et du sabotage » (en russe : Всероссийская чрезвычайная комиссия по борьбе с контрреволюцией и саботажем).

Formation

Le 7/20 décembre 1917, le Conseil des commissaires du peuple, après avoir examiné le projet de Dzerjinski écrivit dans sa décision : « Donner à la commission le nom de « Commission extraordinaire panrusse près le Conseil des commissaires du peuple pour combattre la contre-révolution et le sabotage », et ratifier cette commission. Mesures à appliquer : confiscation, expulsion des lieux, retrait des cartes d'alimentation, publication des listes des ennemis du peuple, etc. »

Le 1er novembre 1918, un des chefs de la Tchéka donnait l'instruction :

« Nous ne faisons pas la guerre contre des personnes en particulier. Nous exterminons la bourgeoisie comme classe. Ne cherchez pas, dans l'enquête, des documents et des preuves sur ce que l'accusé a fait, en acte et en paroles, contre le pouvoir soviétique. La première question que vous devez lui poser, c'est à quelle classe il appartient, quelle est son origine, son éducation, son instruction et sa profession[1]. Ce sont ces questions qui doivent décider de son sort. Voilà la signification et l'essence de la Terreur Rouge. »

— Martyn Latsis, Journal La Terreur rouge, 1er novembre 1918[2].

Un peu plus tard, Dzerzinski proclamait que « la contrainte prolétarienne sous toutes ses formes, en commençant par les exécutions capitales, constitue une méthode en vue de créer l'homme communiste ».

Le siège central de la Tchéka était situé à Moscou dans le bâtiment de la Loubianka (rue Grande-Loubianka) qui a abrité toutes les polices politiques de l'URSS jusqu'en 1991 ; d'abord situé à Pétrograd et dirigé par Moïsseï Ouritski, assassiné le 30 août 1918 dans un attentat. Cet édifice se trouvait sur la place nommée alors Dzerjinski, en l'honneur du premier et unique directeur de la Tchéka.

Activités

Pour consulter des articles plus généraux, voir : Guerre civile russe et Communisme de guerre.

Selon Nicolas Werth, la première opération de la Tchéka consista à briser la grève des fonctionnaires de Pétrograd. Dzerjinski justifia l'opération : « Qui ne veut pas travailler avec le peuple n'a pas sa place avec lui. »[3].

Officiellement, la Tchéka était chargée de la contre-subversion et du contre-espionnage. Dans les faits, elle s'attaqua également aux partis de gauche (mencheviks, socialistes-révolutionnaires, anarchistes[4],[5],[6]) et aux couches populaires : les citadins affamés qui tentaient d'échanger quelques produits dans les campagnes contre de la nourriture étaient arrêtés pour « spéculation », les ouvriers en grève, les déserteurs de la toute récente Armée rouge, les paysans rétifs aux réquisitions... La peine de mort avait été réintroduite au printemps 1918[7].

Fondée à Pétrograd, la Tchéka comptait 600 agents en mars 1918 quand elle s'installa à Moscou, un millier en juin 1918[8], 40 000 hommes fin 1918, et 280 000 début 1921[9].

Selon Pierre Broué, la Tchéka commence vraiment à frapper à partir de mars 1918 au moment de l’offensive allemande[10]. La répression s’aggrave en juillet, après l’assassinat de V. Volodarski par des socialistes-révolutionnaires. Mais c’est au cours de l’été 1918 que les choses changent brutalement, avec l’insurrection des SR de gauche de Moscou et une série d’attentats contre les dirigeants bolcheviques - Moïsseï Ouritski est assassiné le 30 août, Lénine grièvement blessé par Fanny Kaplan, elle-même sommairement exécutée peu après.

Disant s’inspirer de l’exemple des Jacobins de la Révolution française, les dirigeants bolcheviques déclarent opposer à la « terreur blanche » la « terreur rouge ». Selon la Tchéka elle-même, il y a 22 exécutions dans les six premiers mois de 1918, mais 6 000 pour les six derniers. Bien que ces chiffres soient probablement largement sous-estimés, ils montrent l'intensification de la répression à partir du début de la guerre civile. Selon l’historien William Henry Chamberlin (cité par Pierre Broué[11]), la terreur rouge pourrait avoir fait environ 50 000 victimes. Nicolas Werth estime plutôt le nombre total de tués à près de 140 000[12].

Victor Serge fait remarquer que l’ensemble de la terreur rouge a fait bien moins de victimes que la seule bataille de Verdun[13]. Il estime néanmoins que la création de la Tchéka et ses procédures secrètes est la plus grave erreur du pouvoir bolchevique. Il note toutefois que la jeune république vivait sous des « périls mortels » et que l’initiative de la terreur blanche a précédé celle de la terreur rouge. Il précise aussi que Félix Dzerjinski redoutait les excès des tchéka locales et que bien des tchékistes furent eux-mêmes fusillés pour cela.

La constitution des armées blanches de Krasnov, Denikine ou Koltchak en mai 1918, la révolte de la Légion tchèque à l'est, l'intervention étrangère dans les ports de Russie, enfin l'éclatement de la guerre civile russe en juillet-août, ainsi qu'une insurrection des SR de gauche à Moscou le 7 juillet suivie d'une vague d'attentats, mettent la Russie rouge dans une situation d'encerclement complet. Le 5 septembre 1918, la Tchéka met la « terreur rouge » à l'ordre du jour. Les massacres de milliers de prisonniers, d'otages et de suspects ont déjà commencé à travers les villes de Russie bolchevique. Pendant ces équivalents russes des massacres de septembre 1792 français, la Tchéka exécute 10 000 à 15 000 personnes, majoritairement des nobles et des ecclésiastiques[14], soit deux à trois fois plus que le nombre d'exécutés (6 321 personnes) sous le régime tsariste durant les 92 ans précédant la Révolution (1825 à 1917)[15].

Le 25 octobre 1918, le Comité central du Parti bolchevique discuta d'un nouveau statut de la Tchéka. Boukharine, Olminski et Petrovski, commissaire du peuple à l'Intérieur, demandèrent que fussent prises des mesures pour limiter les « excès de zèle d'une organisation truffée de criminels et de sadiques, d'éléments dégénérés du lumpenprolétariat[16] ». Mais bientôt, le camp des partisans inconditionnels de la Tchéka reprit le dessus. Y figuraient, outre Dzerjinski, les dirigeants du Parti Sverdlov, Staline, Trotsky et Lénine. Le 19 décembre 1918, sur proposition de Lénine, le Comité central adopta une résolution interdisant à la presse bolchevique de publier des « articles calomnieux sur les institutions, notamment sur la Tchéka, qui accomplit son travail dans des conditions particulièrement difficiles ». Ainsi fut clos le débat.

La Tchéka est dissoute en février 1922 et laisse place à la GPU.

La répression des anarchistes

Une partie des anarchistes, favorables à la destruction de l'ordre établi par la violence, participèrent au renversement du tsarisme et même du gouvernement d'Alexandre Kerensky. Mais dès 1918, la Tchéka commence la répression à leur encontre[17].

Espionnage extérieur

Selon le mythe des tchékistes[réf. insuffisante], le 20 décembre 1920 a été créé le Département étranger (INO) de la Vé-Tché-Ka près le soviet des commissaires du peuple (SNK) – gouvernement de la République socialiste fédérative soviétique de Russie (RSFSR).

Les opérations à caractère d'espionnage ont déjà été pratiquées par la Tchéka dès 1918, mais la création officielle de l’INO a donné à l’espionnage politique une existence administrative.

En vérité l’INO a été créé non pas le 20 décembre 1920, mais dès le printemps 1920[18], d’abord au sein du Département spécial de la Vé-Tché-Ka. En été 1920 il fonctionnait déjà, mais son travail était jugé insuffisant par le Politburo (décision du septembre 1920). Une réorganisation a commencé dès septembre. Une commission a été créée pour cela. Le 12 décembre 1920 Dzerjinski signe le premier ordre de réorganisation. C’est la date de son deuxième ordre n°169 du 20 décembre 1920 que les mythologues tchékistes [pas du tout neutre ! Donner vrais références] ont retenu comme le jour de naissance de l’espionnage politique soviétique.

Notes et références

  1. Stéphane Courtois Le Livre noir du communisme, p. 13
  2. Cité par Viktor Tchernov in Tche-Ka, E. Pierremont, p. 20.
  3. Nicolas Werth Le Livre noir du communisme, p. 71
  4. Répression de l’anarchie en Russie soviétique, notice 44, Libertaire, années 1924-1926, Notes D. Dupuy.
  5. Paul Avrich, « The Russian anarchists and the Civil War », The Russian Review, volume 27, 1968.
  6. Voline, La Révolution inconnue 1917-1921 & "note sur la repression politique" (ru), Berlin, 1923.
  7. Sabine Dullin, Histoire de l'URSS, éd. La Découverte, 2003, p. 17.
  8. Orlando Figes, La Révolution russe : 1891-1924 : la tragédie d'une peuple, p. 777, Denoël, 2007.
  9. Nicolas Werth Le Livre noir du communisme, p. 79
  10. « La Tchéka, organisée par le comité militaire révolutionnaire au soviet de Pétrograd sous la direction de Dzerjinski, devient en décembre une « commission extraordinaire pour combattre la contre-révolution et le sabotage ». Elle développe son activité et commence à frapper à partir de mars, au moment de l'offensive allemande. », Pierre Broué, "La guerre civile et le communisme de guerre", in Le parti bolchévique (1963).
  11. « L'historien Chamberlin tient pour vraisemblable un total de 50 000 victimes. Il est incontestablement inférieur à celui des victimes des Blancs. Surtout, comme le souligne Victor Serge, l'ensemble de la terreur rouge fera moins de victimes que certaines des plus terribles journées de la bataille de Verdun. », Pierre Broué, "La guerre civile et le communisme de guerre", Op. Cit.
  12. Nicolas Werth, Histoire de l'URSS de Lénine à Staline (1917-1953), PUF, coll. « Que sais-je ? », 1998.
  13. « La terreur rouge a peut-être versé moins de sang en quatre années de révolution qu'il n'en a coulé aux cours de certaines journées de la bataille de Verdun. », Victor Serge, L'an I de la révolution russe, La Découverte, p. 371.
  14. Sabine Dullin, Histoire de l'URSS, op. cit., p. 18 : « La Terreur rouge ».
  15. Nicolas Werth Le Livre noir du communisme, p. 90
  16. Nicolas Werth Le Livre noir du communisme, p. 91
  17. Dictionnaire du communisme, Larousse à présent, p. 87.
  18. Article par Serguei Jirnov: Qu'est-cfe que les espions de Yassénévo fêtent le 20 décembre? Что шпионы из Ясенево празднуют двадцатого декабря?

Bibliographie

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Voir aussi

Articles connexes

Liens externes

  • Tche-ka - Matériaux et documents sur la terreur bolcheviste recueillis par le Bureau central du Parti socialiste révolutionnaire russe.



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