Tragédie du Struma

Tragédie du Struma

41°23′N 29°13′E / 41.383, 29.217 La tragédie du Struma fait référence à la mort des 768 passagers et membres d'équipage du paquebot Struma, torpillé en Mer Noire par le sous-marin soviétique SC 213 le 24 février 1942[1],[2],[3].

Dessin du Struma, 1937
Reconstitution du Struma d'après les témoignages

Sommaire

Contexte

La situation des juifs roumains sous le régime fasciste du "Pétain roumain" Ion Antonescu était la même que dans toute l'Europe sous contrôle nazi, à ceci près que le port de l'étoile jaune ne fut pas appliqué. Mais des cercles humanistes, comme l'association "Étoile du Danube", œuvraient pour les soustraire aux persécutions. Par ailleurs, Wilhelm « Willi » Filderman (1882-1963), président de la Fédération des communautés juives de Roumanie et ancien parlementaire, était un ami de jeunesse du dictateur (ils étaient devenus amis au lycée). Par l'intermédiaire de Filderman, Antonescu avait proposé aux cercles sionistes britanniques et américains, une taxe de 10 dollars par juif autorisé à quitter la Roumanie (la population juive de Roumanie s'élevait à près de 800.000 personnes). Naturellement, les anglo-saxons avaient refusé que des associations anglaises ou américaines puissent financer un dictateur fasciste, et ils ont déclaré la guerre à la Roumanie en décembre 1941, au moment même du départ du Struma. Mais même après cette date, Antonescu tolérait que le Service maritime roumain, dans la direction duquel on trouvait des membres de l’"Étoile du Danube" tels Iancu Grigorescu ou N.G. Malioğlu, puisse convoyer vers Istanbul (la Turquie étant neutre) les juifs roumains ou réfugiés en Roumanie[4]. Il y mettait toutefois la condition qu'ils ne puissent emporter ni objets précieux, ni numéraire. Seuls faisaient exception les juifs allemands qui étaient livrés au Troisième Reich.

Le navire

Dans ce contexte, Alyah, une association sioniste de Bucarest présidée par Eugène Meissner et Samuel Leibovici, affrète la Struma pour 769 réfugiés juifs qui envisagent de demander à Istanbul des visas pour la Palestine. Le Struma est un paquebot mixte construit à Newcastle en 1867, sous pavillon du Panama, appartenant à la compagnie grecque Singros, représentée en Roumanie par les affréteurs Stefano D'Andreea & Jean Pandelis. La machine était vétuste, et le navire si rouillé que l'équipage (commandé par un bulgare, Grigor Timofeïevitch Garabetenko, et composé de 10 personnes) disait que "seule la peinture sépare la cale de l'eau". Le navire de 642,36 tonnes, long de 46,40 m, et large de 8,70 m, ne comportait que 10 toilettes, une infirmerie de 8 lits, une cuisine et une buanderie ; le chauffage et le système électrique étaient en panne. Toutefois, Eugène Meissner et Samuel Leibovici font confiance à la compagnie Singros qui, en février 1941, avait mené à bon port environ 450 autres réfugiés à bord du Darien II, un autre navire pourtant vétuste, du port roumain de Constanta à Haïfa.

La Struma à Istanbul

Le 12 décembre 1941, le Struma quitte le port roumain de Constanta pour Istanbul. Le moteur tombe plusieurs fois en panne, le navire doit retourner à Constanta, repartir, et le voyage de 176 milles marins, qui normalement dure 14 heures, dura 4 jours. Le 16 décembre, le Struma arrive dans le port turc de Büyükdere, au nord du Bosphore, mais les autorités turques interdisent tout débarquement, à l'exception de 8 passagers qui avaient déjà des visas britanniques pour la Palestine, obtenus à Bucarest, et d'une femme sur le point d'accoucher. Puis le Struma est mise en quarantaine. En dehors des soldats turcs devant garder le bateau, seules trois personnes seront autorisées à monter à bord : Simon Brod et Rifat Karako, personnalités de la communauté juive d’Istanbul, et N.G. "Dan" Malioğlu, représentant du Service maritime roumain à Istanbul (et membre de l'"Étoile du Danube"). Mais même ces personnes durent attendre dix jours pour être autorisés à distribuer aux passagers la nourriture chaude, achetée par elles grâce aux 10 000 dollars envoyés par le Comité juif américain au grand rabbinat d’Istanbul[5].

Avec l'aide de la Croix-Rouge, Brod, Karako et Malioğlu ravitaillent les passagers et tentent d'obtenir une solution, démarchant les pays neutres, les Soviétiques et les Britanniques, mais les conditions de vie à bord se détériorent. Il y avait parmi les passagers des médecins, et Malioğlu a pu leur fournir certains médicaments. Le 10 janvier, le capitaine Garabetenko envoie une lettre alarmée aux autorités turques et à l'ambassade britannique, et le 19 janvier, l'Agence juive demande aux autorités mandataires britanniques d'accepter les réfugiés. Après soixante-trois jours d’une terrible attente, le 13 février, Moshe Shertok obtient des Britanniques l'octroi de 28 titres de voyage pour les enfants âgés de 11 à 16 ans. Mais les autorités turques refusèrent de lever la quarantaine[6].

Mis au courant de ce refus, les passagers du Struma pendirent des deux côtés du bateau de grands draps où étaient écrits (en grandes lettres) “Immigrants juifs”. Ils hissèrent également un drapeau blanc sur lequel était écrit : “Sauvez-nous”. Le 23 février, environ 200 policiers maritimes turcs encadrèrent le Struma, menaçant de tirer sur quiconque tenterait de se jeter à l'eau, et arrachèrent les draps. Les autorités portuaires ordonnent au navire d'appareiller, mais après que les mécaniciens eurent saboté la machine de manière à rendre ses pannes irréparables, la marine turque remorqua le Struma en Mer Noire où il fut torpillé le lendemain par le sous-marin soviétique SC 213. Un seul homme, David Stoleru ou Stoliar, survivra à l'attaque et au naufrage[6].

Réactions

Les autorités britanniques justifient leurs choix. Le Haut-Commissaire Harold MacMichael qui « plus que tout autre a œuvré pour empêcher l'entrée en Palestine des réfugiés du Struma » commentera : « Le destin de ces gens a été tragique, mais il n'en demeure pas moins qu'il s'agit de citoyens d'un pays en guerre contre la Grande-Bretagne venant d'un territoire sous contrôle ennemi », tandis qu'à la Chambre des Lords, Walter Guinness, assassiné en 1944 par le Lehi, déclare que « la Palestine est trop petite et déjà surpeuplée pour accueillir les trois millions de Juifs que les sionistes veulent y amener[6] » et que « les anthropologues estiment qu'il n'y a pas de race juive pure[6] ».

En Palestine, les Britanniques censurent la presse mais les nouvelles de l'événement finissent par être diffusées. Tandis que le Yishouv proclame une journée de deuil, le Lehi fait circuler un tract déclarant que seule la lutte armée contre les Britanniques peut être une riposte à la tragédie. L'Irgoun publie une affiche portant la portrait du Haut-Commissaire avec la mention « Wanted for murder »[7],[6].

Annexes

Notes

  1. (en)[PDF] International Commission on the Holocaust in Romania (Commission Wiesel), Final Report of the International Commission on the Holocaust in Romania, Yad Vashem (The Holocaust Martyrs’ and Heroes’ Remembrance Authority), 2004,
  2. (en)Le Struma sur le site du Yad Vashem
  3. Encyclopédie multimédia de la Shoah : Roumanie
  4. Horia Nestorescu-Balcesti, Ordinul Masonic Român, ed. Sansa, Bucarest 1993, p.350
  5. Ayse Hür, le mythe des Schindler turcs, dans Courrier International [1]
  6. a, b, c, d et e Charles Enderlin, Par le feu et par le sang. Le combat clandestin pour l'indépendance d'Israël, Albin Michel, 2008, pp.98-100.
  7. Photo du portrait

Bibliographie

  • (en) Dalia Ofer, Escaping the Holocaust: Illegal Immigration to the Land of Israel, 1939-1944, Oxford University Press, 1991.
  • (en) D.Frantz und C.Collins: Death on the Black Sea: The Untold Story of the Struma and World War II's Holocaust at Sea, (ISBN 0060936851)
  • (fr) Michel Solomon: Le Struma, Un récit boulversant par l'auteur de Magadan. Les éditions de l'homme Ltée 1974 ISBN-0-7759-0431-7.

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