Triérarchie

Triérarchie
Relief Lenormant : trière athénienne à neuf rameurs, vers 410-400 av. J.-C., musée national archéologique d'Athènes.

En Grèce antique, la triérarchie (τριηραρχία / triêrarkhía) est une liturgie militaire, correspondant à l'équipement d'une trière et à l'entretien de son équipage pendant un an. On la connaît notamment à Athènes : peut-être date-t-elle de la loi navale de Thémistocle en 483/482, mais son fonctionnement ne nous est bien connu qu'au IVe siècle av. J.‑C.[1].

La cité fournit les agrès[2] et la coque, à charge pour le triérarque de les entretenir pour les rendre en parfait état un an après. Ce dernier doit également engager l'équipage à même de manoeuvrer le navire, et en assurer le commandement. Peut-être la construction des navires eux-mêmes se faisait-elle par l'intermédiaire des triérarques[1], mais il semble que ce n'était qu'à leur initiative pour démontrer leur attachement à la cité, de la même façon qu'ils pouvaient payer la solde de l'équipage, délivrer une prime aux rameurs ou fournir leurs propres agrès[3].

Le triérarque est choisi par l'un des stratèges[4] parmi les plus riches, métèques[5] et archontes[6]exceptés. Peut-être les stratèges faisaient-ils leur choix dans une liste de triérarques potentiels, « mais nous ne disposons d'aucune preuve irréfutable de son existence »[1]. La personne retenue est ensuite exemptée de liturgies pendant les deux années qui suivent[7]. Dans l'Athènes du Ve siècle av. J.‑C., la cité a besoin chaque année de plusieurs centaines de triérarques pour maintenir sa flotte[8]. Au IVe siècle av. J.‑C., on passe d'une centaine de triérarques en début de siècle à 400 à l'époque de Démosthène[9].

La triérarchie représente une charge financière très lourde, de l'ordre de 4 000 à 6 000 drachmes[10], d'autant qu'un triérarque jugé responsable de la perte du navire devait en outre, d'après une inscription de la fin du IVe siècle av. J.‑C.[11], verser une amende forfaitaire de 5 000 drachmes, ce qui devait correspondre au coût moyen de construction du navire[12]. Le montant de la liturgie elle-même varie suivant l'état et l'âge du navire assigné, ainsi que de la durée de la campagne militaire. Dans les Cavaliers d'Aristophane, l'un des personnages menace ainsi l'un de ses ennemis :

« Moi, je te ferai désigner
pour l'équipement d'un navire.
Toute ta bourse y passera :
car tu n'auras qu'un vieux rafiot
/ et il te faudra sans répit
payer d'autres rafistolages.
Et je saurai me débrouiller
pour que te soit attribuée
une voile toute pourrie[13] ! »

Les triérarchies se multipliant pendant la guerre du Péloponnèse, la cité introduit, après l'expédition de Sicile, le principe de la syntriérarchie : il s'agit de répartir la charge entre deux personnes[14]. La mesure étant encore insuffisante, la loi de Périandre applique en 357 av. J.-C. le système de l’eisphora à la triérarchie : elle créée 20 groupes ou symmories (συμμορίαι / summoríai) de 60 personnes, qui se partagent la responsabilité d'une trière, sans qu'il y ait obligation de commandement comme auparavant[15]. A l'initiative de Démosthène, ce système fut abandonné en 340 : on en revint à une prise en charge par un seul individu (parmi les 300 citoyens les plus riches) du coût d'entretien et du commandement du navire.

On ne connaît pas avec certitude le seuil à partir duquel un Athénien peut être soumis à la triérarchie. L'orateur Isée indique qu'un bien de cinq talents (30 000 drachmes) est suffisant[16], mais cette déclaration a paru invraisemblable au vu de la ponction que cela représenterait. En effet, un tel patrimoine génère un revenu annuel de 2 400 drachmes — le rendement moyen de la terre est de 8% au IVe siècle av. J.‑C.[17] — ce qui est insuffisant pour couvrir le coût d'une triérarchie et à peine suffisant pour une syntriérarchie. Il est possible qu'Isée ait volontairement exagéré pour accabler ses adversaires, ou que des citoyens, par désir de se mettre en avant, se soient proposés pour être triérarques avec des moyens financiers un peu justes. Inversement, les citoyens dont on sait qu'ils ont été triérarques possèdent des fortunes de l'ordre du double de ce que cite Isée : 8,5 talents au moins pour Critobule[18], 10 talents pour Démosthène[19] et plus de 16 talents pour Dikaiogénès[20]. Un capital de 10 talents paraît donc être un montant minimum vraisemblable, soit une ponction de 3,33% sur la fortune totale pour une syntriérarchie[21].

À l'époque hellénistique, la triérarchie se maintient dans de nombreuses cités, comme Priène ou, au Ie siècle av. J.‑C. encore, dans des cités libres comme Rhodes ou sujettes de Rome comme Milet[3].

Notes et références

  1. a, b et c Corvisier 2008, p. 154
  2. Corvisier 2008, p. 151
  3. a et b Claude Vial, Lexique de la Grèce ancienne, Armand Colin, 2008, p. 225
  4. Aristote, Constitution d'Athènes [détail des éditions] [lire en ligne] (LXI, 1).
  5. D. Whitehead, The Ideology of the Athenian Metic, Cambridge, 1977, p. 80-82.
  6. Démosthène, XX = Contre Leptine [lire en ligne] (27).
  7. Isée, VII = Contre Apollodore (38).
  8. Aristote, Constitution d'Athènes [détail des éditions] [lire en ligne], 3-4 ; Gabrielsen, p. 176-179.
  9. Mogens Herman Hansen, La démocratie athénienne à l'époque de Démosthène, Les Belles Lettres, 2003, p. 141
  10. Christ, p. 148.
  11. IG ii2 1629. 569-77a
  12. Jeremy Trevett, Apollodoros, The Son of Pasion, Oxford University Press, 1992, p.  24
  13. Les Cavaliers (912-918) ; extrait de la traduction de Victor-Henry Debidour.
  14. Démosthène, XXI = Contre Midias (154)
  15. Corvisier 2008, p. 155
  16. Isée, VII, 42 : « mes adversaires, mis en possession d'un bien suffisant à la triérarchie, estimé à cinq talents… »
  17. Isée, XI, 42.
  18. Xénophon, Économique, II, 2, 3-6.
  19. Démosthène XXI, 80 et XXVII, 7-9.
  20. Isée, V, 11, 35.
  21. Patrice Brun, Eisphora, syntaxis, stratiotika : recherches sur les finances militaires d'Athènes au IVe siècle av. J.‑C., 1983, p. 18.

Bibliographie

  • (en) Matthew R. Christ, « Liturgy Avoidance and Antidosis in Classical Athens » dans Transactions of the American Philological Association, vol. 120 (1990), p. 147-169.
  • (fr) Jean-Nicolas Corvisier, Les Grecs et la mer, Paris, Belles Lettres, coll. « Realia », 2008, 427 p. (ISBN 978-2-251-33828-6) 
  • (en) Vincent Gabrielsen, Financing the Athenian Fleet: Public Taxation and Social Relations, Johns Hopkins University Press, Baltimore et Londres, 1994 (ISBN 0801846927)
  • (en) P. J. Rhodes, « Problems in Athenian Eisphora and Liturgies » dans American Journal of Ancient History no 7 (1982), p. 1-19.

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