Vaishnava

Vaishnava

Le Vaishnava ou Vaiṣṇava (Sanskrit en devanāgarī : वैष्णव)[1] est la dévotion de Vishnu comme dieu suprême, l'une des plus importantes expressions spirituelles de l'hindouisme avec le shivaïsme. Plus généralement, Vaishnava est le nom des dévots de la divinité, mais il désigne aussi toute chose en relation avec elle.

Sommaire

Le culte

Vishnu est surtout vénéré sous la forme de ses avatars ou incarnations sur terre, les deux plus populaires étant :

Le septième avatar de Vishnu est Rāma, le huitième est Krishna, et le neuvième change suivant les sources : Bouddha, dans la grande majorité des écoles, mais aussi plus rarement et moins sérieusement, Jésus-Christ ou encore quelquefois le fondateur de la secte dont on consulte les textes sacrés. L'intégration de Bouddha dans le panthéon hindou est apparue assez tardivement, probablement au VIIIe siècle ; ce procédé somme toute assez hardi est l'expression de la contre-réforme brahmanique au bouddhisme, entamée au IIe siècle av. J.‑C. Certaines sources reconnaissent tous ceux qui précèdent comme de véritables avatara, augmentant par là le compte traditionnel de la Bhagavad-Gîtâ de dix (Kalki y compris, qui apparaîtra à la fin de l’ère présente, le Kali Yuga) à pas moins de 27, c'est le cas du Srimad Bhagavata qui en compte 22.

La dévotion ne s'accompagnant pas d'exclusion en Inde, il est difficile de compter les Vaishnava. Cependant, on considère généralement qu'il représente 75 à 80 % des hindous, le reste étant des shivaïtes.

La tirunama, tilak des vishnouïtes de la Sri Sampradaya

Le signe (tilak marque portée sur le front) de reconnaissances des vishnouites est la tirunama et souvent figurée sur les murs des temples et même des magasins. Elle consiste en deux lignes blanches qui partent de la racine du nez pour former un U (urdhva pundra) comportant en son centre un trait rouge ou noir, représentation symbolique des traces du pied et du triple pas de Vishnou, l'une des deux grandes figures du panthéon hindou, avec Shiva. Une autre marque sur le front des vishnouites est un triangle à la pointe tournée vers le bas, symbole de l'eau et du principe féminin[2].

On retrouve dans toutes les écoles et courants vishnouites les bases théologiques du système philosophico-religieux du Vedānta. La bhakti (« attachement », « dévotion »), expression très répandue en Inde au Moyen Âge, est un phénomène essentiellement vishnouite, tant sur le plan religieux qu'historique[2].

Les vishnouites doivent suivre cinq pratiques rituelles (samskāra) : la vénération des quatre emblèmes de Vishnou, en particulier du chakra (« disque ») ; l'application quotidienne sur le front d'un signe en forme de U ; l'attribution aux enfants d'un nom vishnouite ; la récitation à voix basse et à l'oreille droite d'un autre fidèle de deux mantras, correspondant à Vishnou ; enfin la vénération de la divinité (puja)[2].

Parmi les sources littéraires, la Bhagavad-Gîtâ, les āgama (traditions) vishnouites - enseignements contenus dans les textes non védiques -, le Vishnou-Purāna, les Bhakti-Sûtra et le Bhāgavata-Purāna, occupent une place essentielle. Le Bhāgavata-Purāna, texte sacré par excellence, consacré à Krishna, l'une des incarnations de Vishnou, peut être lu même par les femmes et par ceux qui appartiennent aux castes inférieures[2].

Le Bhāgavata est le plus ancien culte théiste rattaché aux figures de Vishnou et de Krishna. Le terme Bhāgavata désigne aussi bien le culte de ses adeptes. Les Bhāgavata, ou « adeptes du Bienheureux », ont reformulé la doctrine de la Bhagavad-Gîtā et se sont répandus en particulier dans le Maharashtra. Parmi eux, on peut rappeler les grands poètes et réformateurs que furent Jnanesvar (XIIIe siècle), Namdev (1270-1350) et Toukaram (1607-1649). Dans la Bhagavad-Gîtā, Krishna Vâsudeva est la Maître de la Sagesse, suprême objet de dévotion, attesté par les témoignages iconographiques dès le IIe siècle av. J.-C.[2].

Le Pāncarātra (« les cinq nuits ») est un grand courant de la tradition vishnouite. Selon la doctrine élaborée par les Pāncarātrins, Vishnou, la divinité suprême, donne lieu à trois, parfois quatre expansions (vyûha) émanant les une des autres. Considérées initialement comme de pures manifestations impersonnelles de la force créatrice divine, celles-ci sont devenues, à une époque plus tardive, de véritables divinités féminines personnifiées. À partir du VIIe siècle, les distinctions entre les Pāncarātrins et Bhāgavata s'estompent au point de devenir, dans l'hindouisme moderne, des synonymes[2].

Historique

Un groupe de douze poètes mystiques, les Alvar , apparu entre le VIe et le IXe siècles dans l'Inde du Sud, ont célébré en langue tamoule leur vénération pour Vishnou et ses avatâra. Aujourd'hui, les douze chantres sont à leur tour vénérés par leur peuple comme des divinités. Le plus illustre d'entre eux fut Nammâlvâr (« notre Alvar »). Influencé par les alvars, le philosophe Râmânuja (env. 1017-1137) naquit dans une famille de brahmanes, dans les environs de Chennai, dans le sud de l'Inde. Comme son maître Shankara, il commenta la Bhagavad-Gîtâ , puis s'opposa au monisme intransigeant de son prédécesseur pour se tourner vers d'autres positions religieuses telles que la bhakti. Dans les dernières années de sa vie (qui dura 120 ans selon la tradition), il succéda au grand maître Yamunâchârya à la tête du temple de Shrirangam, où il fut enterré[2].

D'un point de vue théorique, Râmânuja marque le vishnouisme d'une empreinte moniste, ce que l'on nomme le non-dualisme qualifié ou mitigé. Les trois principes éternels reconnus par Râmânuja sont isvara (« seigneur »), acit (« monde inanimé ») et cit (« conscience individuelle »). L'Être suprême guide de l'intérieur le monde des âmes. Même si le monde et les âmes n'ont pas de réalité en dehors de la divinité suprême, ils sont toutefois réels en tant qu'émanations de l'Être suprême et existent donc dans l'unité Dieu-monde-âme[2].

Les successeurs de Râmânuja se scindèrent en deux courants (celui des Vadakalai, qui se développa au Nord, et celui des Thenkalai au Sud) qui se distinguent essentiellement par leurs conceptions différentes du rapport homme-Dieu ; la différence entre les deux conceptions peut être illustrée par une double comparaison : le premier courant considère que pour atteindre la délivrance finale, le fidèle doit faire preuve d'un engagement comparable à la force avec laquelle les petits du singe s'agrippent à leur mère ; le second courant est favorable à une attitude d'abandon passif, comparable à celle des petits chats qui se laissent porter dans la gueule de leur mère. Râmânuja a écrit des commentaires aux Brahmâ-sûtra, à la Bhagavad-Gîtâ et aux Upanishad[2].

L'école des Madhva fut fondé par l'ascète itinérant Madhvacarya (1199-1278) dans l'Inde du Sud. Refusant la doctrine de l'advaita (non-dualité de l'univers) élaborée par le Vedânta, les Madhva devinrent les porte-parole de l'enseignement dvaita (« dualiste »). L'Être suprême et le monde empirique sont tous deux réels mais fondamentalement différents. Néanmoins, derrière ce dualisme foncier refait surface le monisme, puisque Vishnou est considéré comme la cause première unique ; sa grâce infinie permet aux hommes d'atteindre la délivrance, même si, selon Madhvacarya, tous les hommes ne peuvent aspirer à la délivrance finale[2].

Une autre secte du vishnouisme est constituée par les fidèles de Râma, incarnation de Vishnou. Le fondateur en fut le philosophe Râmânanda (XVe siècle) de Varanasi, qui contribua beaucoup à la diffusion de la doctrine de la bhakti (dévotion) ; c'est à travers la bhakti qu'on doit rechercher l'union avec la divinité suprême Vishnou dans sa manifestation en tant que Râma. Ce dernier est, avec son épouse Sitâ, le héros du Râmâyana, célèbre poème épique, écrit en sanscrit entre le Ve et le IIIe siècles av. J.-C. et attribué au seul poète Valmiki. Râmânanda se montra favorable à un dépassement du rigide système des castes, acceptant parmi ses fidèles des membres de toutes les castes, voire des étrangers et des musulmans[2].

Celui qui contribua le plus à la diffusion du culte de Râma sur le plan littéraire fut Tulsidâs (1532-1623), poète contemporain d'Akbar, qui adapta en hindi l'œuvre de Valmiki. Mais son ouvrage principal est le Râmacaritmânas (« Le lac sacré des légendes de Râma »), connu aussi sous le nom de Râmâyana de Tulsidâs, ou Râmâyana en hindi. Dans ce texte, considéré aujourd'hui encore comme sacré par les hindous adorateurs du dieu Râma, la divinité est présentée partout compatissante et miséricordieuse[2].

Parmi les disciples de Râmânanda, le poète mystique et réformateur Kabîr (XVe siècle), de Varanisi, est l'inspirateur du courant bhakti connu sous le nom de Kabîr panth. Kabîr opéra une synthèse entre le vishnouisme et la mystique islamique, parvenant à un monothéisme rigide, centré sur l'abandon passif entre les bras de Dieu, Râma et Allâh ne faisant qu'un. Il rejeta la doctrine hindouiste de la création périodique du monde par Dieu, de même que le culte des images et le système des castes. Le seul but de l'homme est d'être le dévot de l'invisible[2].

Guru Nânak (1469-1538), lié sur le plan doctrinal à Kabîr, est le fondateur du sikhisme, un mouvement religieux hindou avec des influences islamiques. Les sikhs sont les disciples de Guru Nânak et de ses neuf successeurs spirituels[2].

Nimbarka (XIIIe siècle) fonda, aux environs de 1300, dans la région de Mathura, un mouvement à caractère nettement mystique, dont les divinités centrales étaient Krishna et Râdhâ, son amante favorite. À la base de la doctrine qu'il élabora, se trouvait le concept de différence (bhedabheda), une sorte de monisme relatif. Selon Nimbarka, la divinité demeure certes inaccessible et incompréhensible, mais ses manifestations sont compréhensibles. Le soi (âtman) et la divinité (brahman) sont dans un rapport de dépendance et non d'identité : ils ont une relation de réciprocité, comme celle des vagues et de la mer ou du soleil et de ses rayons. La délivrance s'obtient à travers un don absolu de soi à Krishna et à Râdhâ. Le mouvement de Nimbarka trouva son prolongement idéal dans la doctrine de Vallabha (1479-1531), théoricien d'un monisme absolu. Ce courant compte, aujourd'hui encore, de nombreux adeptes, surtout dans l'Inde du Nord, près de Varanasi, où vécut la famille de brahmanes qui donna naissance à Vallabha. Selon ce dernier, Krishna, identique en tout au brahman, a un corps constitué par l'Être, est doué de l'intelligence suprême et siège avec Râdhâ dans une sorte de paradis appelé goloka (« monde des vaches ») où n'existent que joies et plaisirs. Pour les disciples de la doctrine de Vallabha, la sexualité a une connotation positive dans la mesure où sa finalité est d'atteindre la transcendance par le plaisir[2]. Le brâhmane Vallabha est l'auteur d'un commentaire du Bhâgavata-Purâna, dans lequel il célèbre l'amour de Krishna pour Râdhâ[2].

Le fondateur d'une des principales sectes vishnouites fut le brahmane Chaitanya (1485-1534), né au Bengale et considéré comme une incarnation de Krishna. Caitanya rejeta le système des castes ainsi que l'adoration des textes sacrés et élabora une doctrine centrée sur la dévotion imprégnée d'un brûlant amour pour Krishna. Cet amour s'exprime à travers le chant et la danse collectifs. Le mouvement de Caitanya a fortement influencé la poésie et la musique du Bengale. Le mouvement Hare Krishna en est issu[2].

Les filiations

Le vaishavisme comporte quatre filiations spirituelles ayant pour origine le niveau transcendantal de la divinité. Quatre divinités ou âmes réalisées ont pris forme humaine à des époques différentes pour initier 4 filiations vaishnavas. Elles sont :

Ces différentes filiations vaishnava ou sampradayas, nommément dvaita (le dualisme), dvaitadvaita (unité et différence simultanées), suddhavaita (unité purifiée), et Visistadvaita (monisme spécifique) ne sont rien d’autre qu’une merveilleuse variété de sentiments à l’intérieur même de la science vaisnava. (Tiré de la Krishna samhita de Srila Bhaktivinoda Thakur)

Au XVe siècle, Krishna serait apparu sous les traits de Sri Caitanya Mahaprabhu (1486-1534) et aurait propagé le dharma (devoirs spirituels) pour la période que nous traversons (Kali Youga). Apparu au sein de la brahma sampradaya, il a instauré la pratique du chant congrégationnel des saints noms de Krishna.

Cette pratique spirituelle dévotionnelle fut apportée en Occident en 1965 par Srila A.C. Bhaktivedanta Swami Prabhupada, alors âgé de 70 ans. Jusqu'à sa disparition en novembre 1977, il a répandu dans la majeure partie des pays du globe cette pratique du mantra :

Hare Krishna Hare Krishna Krishna Krishna Hare Hare
Hare Rama Hare Rama Rama Rama Hare Hare

D'où le nom de ce mouvement communément connu comme le mouvement Hare Krishna.

Le Vaishnava-sahajiyâ

Le Bengale a connu au XVe siècle un mouvement très populaire appelé Vaishnava-sahajiyâ et qui préconisait la vénération de Vaishnavî, la shakti de Vishnu, l'une des mâtrikâ, plutôt que celle de la divinité elle-même.

Les Vaishnava-Upanishad

Les Vaishnava-Upanishad sont un sous-ensemble de 14 textes appartenant aux Upanishad qui traitent de la divinité sous ses formes diverses et qui le considèrent comme la source de toutes choses. Ils rassemblent les Upanishad suivants :

  • no 18 : Nârâyana
  • no 27 : Nrisimhatâpanîya
  • no 52 : Tripâdvibhûtimahânârâyana
  • no 54 : Râmarahasya
  • no 55 : Râmatâpanîya
  • no 56 : Vâsudeva
  • no 68 : Avyakta
  • no 91 : Târâsâra
  • no 95 : Gopâlatâpinîya
  • no 96 : Krishna
  • no 100 : Hayagrîva
  • no 101 : Dattâtreya
  • no 102 : Garuda
  • no 103 : Kâlisantarana

Référence(s)

  1. The Sanskrit Heritage Dictionary de Gérard Huet
  2. a, b, c, d, e, f, g, h, i, j, k, l, m, n, o, p et q Gerhard J. Bellinger, Encyclopédie des religions, Livre de Poche, 2000. ISBN 2-253-13111-3

Bibliographie

  • Louis Frédéric, Dictionnaire de la civilisation indienne, Robert Laffont, 1987

Voir aussi

Articles connexes


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