Évangile selon Luc

Évangile selon Luc

L'évangile selon Luc (κατά Λουκίαν) a pour auteur Luc (médecin et, selon la légende, peintre, compagnon de saint Paul). Il raconte en historien la vie du Christ, même s'il n'a pas connu personnellement Jésus durant son ministère public. Il a composé également les Actes des Apôtres, qui sont la suite de son évangile et narrent les débuts de l'Église chrétienne. Les deux livres sont dédiés à "Théophile" (ami de Dieu), personnage réel ou fictif, figure de tous les "amis de Dieu". Les deux ouvrages furent rédigés probablement dans les années 60, avant la destruction du Temple (en 70), et avant le martyre des apôtres Pierre et Paul (en 64 ou 67).

Avec l'évangile de Marc et l'évangile de Matthieu, il fait partie des évangiles dits synoptiques (ou parallèles). C'est le plus long des quatre évangiles, retenus dans le Nouveau Testament. Cet évangile est reconnu par tous les chrétiens.

Sommaire

La genèse (ou naissance) de l'évangile de Luc, et son auteur.

La tradition unanime a toujours attribué à Luc, compagnon de Paul, la paternité du troisième évangile.

Saint Irénée notait dans son livre, l'Adversus Haereses, (vers 180) : "De son côté, Luc, le compagnon de Paul, consigna en un livre l'Évangile que prêchait celui-ci"[1].

Un ancien prologue grec de l'évangile de Luc, daté de la fin du second siècle, décrivait ainsi la genèse (naissance) de cet évangile et son auteur: "Luc était un syrien d'Antioche, médecin de profession, disciple des apôtres, et plus tard compagnon de Paul jusqu'à son martyre. Il servit le Seigneur sans divertissement, sans femme et sans enfants. Il mourut à l'âge de 84 ans, en Béotie, rempli du Saint-Esprit."

Ce prologue poursuivait : "Quoique des évangiles existassent déjà, celui selon Matthieu, composé en Judée, et celui selon Marc en Italie, il fut incité par le Saint-Esprit, et composa cet évangile entièrement dans la région avoisinant l'Achaïe [la Grèce]. Il rend très clair dans le prologue que les autres (évangiles) avaient été écrits avant le sien... Plus tard le même Luc écrivit les Actes des Apôtres."[2]

De même le Canon de Muratori (document romain du milieu du second siècle) : "Troisièmement, le livre de l'évangile selon Luc. Ce Luc était médecin. Après l'Ascension du Christ, Paul l'ayant pris pour second à cause de sa connaissance du droit, il écrivit avec son consentement ce qu'il jugeait bon."

Il continue : "Cependant lui non plus ne vit pas le Seigneur dans la chair. Et par conséquent selon ce dont il avait pu s'informer il commença à le dire à partir de la Nativité de Jean."[3]

Luc nous est bien connu par le Nouveau Testament, s'il est vrai qu'il fut l'auteur du troisième évangile et des Actes des Apôtres, s'il est vrai qu'il fut l'accompagnateur de Paul et qu'il s'exprimerait à la première personne dans toutes les sections des Actes où l'on dit "Nous" (Ac 16,10-17 ; 20,5 -- 21,18 ; 27,1 -- 28,16).

On trouve déjà le "Nous" dans le texte occidental des Actes[4], dès le temps de la fondation de l'Église d'Antioche (vers l'an 37). Cela confirmerait le renseignement donné dans le prologue ci-dessus que Luc était antiochien.

Paul se réfère à Luc en Col 4,14 où il l'appelle "le cher médecin" ; de même dans la lettre à Philémon (24) où Luc se trouve en compagnie de Marc pendant la première captivité romaine de Paul, et dans la deuxième à Timothée (4,11) : "Seul Luc est avec moi."

Tout cela paraît clair et concordant. Mais il reste à expliquer un fait littéraire précis, révélé par l'analyse interne des évangiles, et des rapports qu'ils semblent entretenir entre eux.

Comment se fait-il que Matthieu grec et Luc ont utilisé conjointement, d'une part l'évangile de Marc, au point d'en faire le canevas de leur propre ouvrage et d'autre part une source inconnue, mais commune, qu'on a baptisée du nom de "source Q" (du mot allemand Quelle, qui signifie "source").

Ils ont complété ce travail par l'adjonction parallèle des récits de l'enfance, et par les résultats de leur enquête personnelle. Mais il se trouve qu'ils ont rédigé sans se copier, indépendamment l'un de l'autre.

C'est à toutes ces questions que va tenter de répondre "l'hypothèse du diacre Philippe".

Voir l'article Luc (évangéliste)

L'hypothèse du diacre Philippe.

L'hypothèse dite du diacre Philippe est un aménagement de la Théorie des deux sources (Voir l'article Problème synoptique).

D'après cette hypothèse, le diacre Philippe, l'un des "Sept", serait l'auteur réel de l'évangile de saint Matthieu, après concertation avec Luc, compagnon de Paul de Tarse, lors du séjour en Palestine de ce dernier, vers 57-59 (cf. Ac 21,8 -- 27,2) ; plus précisément à Césarée maritime, lieu de résidence de Philippe, où Paul lui-même fut retenu prisonnier pendant près de deux ans.

Philippe et Luc auraient hérité de deux sources :

  • les logia du Seigneur rédigés en araméen par l'apôtre Matthieu, selon la tradition,
  • et l'évangile de Marc, issu du témoignage et des prédications de l'apôtre Pierre.

Philippe comme Luc auraient eu tout le temps de mener leur enquête personnelle.

L'helléniste Philippe et Luc auraient ensuite composé indépendamment l'un de l'autre, en grec, leur évangile respectif, l'un à Césarée maritime (Philippe), et l'autre à Rome (Luc).

Il ne serait pas impossible que Philippe comme Luc se fussent servis d'une version privée de Marc, plus ancienne (l'Urmarkus des exégètes allemands), non publiée et légèrement différente de celle que nous connaissons.

Le diacre Philippe (ou l'Église après lui) aurait laissé le premier évangile sous le patronage de l'apôtre Matthieu, parce qu'il y insérait largement les logia, et que le nom d'un apôtre était plus prestigieux.

Il faut remarquer qu'en Ac 21,8 Philippe est dit "Philippe l'évangéliste", au moment même où il rencontre Paul et Luc. Ce qui signale, pour le moins, un spécialiste de l'évangile.

Cette hypothèse a l'avantage de concilier remarquablement les données de la tradition (critique externe) et les données textuelles de la question synoptique (critique interne). En particulier elle lève certaines apories de la Théorie des deux sources.

Pourquoi Matthieu grec et Luc, quoique ayant travaillé indépendamment l'un de l'autre, connaissent-ils malgré tout des accords remarquables : même place des évangiles de l'enfance avec des développements symétriques quoique différents : insertion au même endroit de la trame de Marc (3,19) des Béatitudes et du Sermon sur la montagne (sous des formes très dissemblables, et quoique Marc en cet endroit ne parle ni de béatitudes ni de sermon) : utilisation de deus sources identiques (Marc et les logia) quoique avec des modalités très diverses, sans parler de maints accords de détail[5] (contre Marc) qui sont depuis longtemps des " croix " pour les exégètes.

Il n'y eut donc pas copie entre eux, mais bien concertation préalable, et même lecture commune des mêmes sources.

Certaines traditions, on l'a vu plus haut, nous disent que l'évangile de Luc, et les Actes, auraient été composés en Grèce, et que Luc lui-même serait mort en Grèce.

Mais précisément Luc a dû suivre Paul en Grèce après la fin de sa première captivité romaine (cf. 1 Tm 1,3) et il a pu retourner en Grèce après le martyre de l'apôtre.

On doit effectivement constater que l'évangile de Luc et les Actes nous sont parvenus sous deux formes légèrement différentes : le texte alexandrin, ou texte reçu, et le texte dit "occidental" (le TO), qui toutes les deux paraissent authentiques, de la main de Luc.

Ces livres ont pu connaître deux éditions, une à Rome, à la fin de la première captivité romaine de Paul (effectivement la narration des Actes s'arrête là). Et l'autre en Grèce. Luc, qui n'avait pas forcément emporté tous ses documents, a pu reconstituer son texte de mémoire en y apportant quelques variantes originales, quoique minimes.

Transmission du texte.

Les plus anciens témoins scripturaires du troisième Évangile, les manuscrits grecs et les versions latines anciennes ont été classés en deux grandes catégories :

  • TA (Texte alexandrin). Les tenants du texte alexandrin avec le Codex Vaticanus (B) le Codex Alexandrinus (A) le Codex Sinaïticus (א) et les papyrus P75 et P45 qui constituent le courant majoritaire marqué par une tendance à l'harmonisation des évangiles entre eux.
  • TO (Texte occidental). Le texte dit “ occidental ” (le TO) représenté par le codex Bezae et les versions latines anciennes correspond au courant rédactionnel antérieur aux harmonisations des IIIe et IVe siècles. L'évangile de Luc s'y lit sous une forme inédite.

Utilisation de l'évangile de Marc par Luc.

On a déjà dit ailleurs (voir : Évangile selon Marc) que Luc avait utilisé, en substance, au moins 364 versets de Marc sur 661[6].

Mais il a fait bien plus. Il s'est servi du travail de Marc comme de l'armature de son propre livre, à l'instar de Matthieu grec (Philippe). Mieux que Philippe, il en a respecté la séquence, ou suite, ou ordre.

Neuf brèves péricopes de Marc, seulement, sont déplacées par Luc. Et encore parmi ces neuf, plusieurs de ces déplacements apparents sont dus simplement au fait (on peut l'inférer avec une bonne probabilité) que Luc, les ayant trouvées en double, dans Marc et dans les logia, les a supprimées dans le parallèle avec Marc et les a laissées avec les logia.

Les épisodes que Luc a réellement déplacés se réduisent donc à cinq péricopes, que l'on peut citer :

  • Lc 3,3 = Mc 1,4.
  • Lc 3,16c = Mc 1,8b.
  • Lc 8,19-21 = Mc 3,31-35.
  • Lc 22,19-20 = Mc 14,22-25.
  • Lc 23,33b = Mc 15,27.

On le constate, ce sont des déplacements insignifiants, et très limités dans l'espace ; plutôt des inversions rédactionnelles.

Notons cependant qu'au moment de la dernière Cène, Luc a placé l'institution de l'eucharistie (cf. Lc 22,19-20) avant l’annonce de la trahison de Judas, alors que Marc (14,22-25), suivi par Matthieu (26,26-29), l'a placée après.

En réalité Luc s'est servi de Marc, et de ses autres sources, en les intercalant dans des plages bien visibles, avec de nettes sutures, au point que le plan que l'on devra établir de l'évangile de Luc tiendra compte, en priorité, de ces plages, avant tout autre considération, théologique ou chronologique.

Les passages de Luc que l'on peut attribuer à Marc sont donc :

  • 3,1 -- 6,19 (moins la généalogie: 3,23-38).
  • 8,4 -- 9,50.
  • 18,15-43.
  • 19,28 -- 23,7.
  • 23,13 -- 24,8.

Soit la majorité des récits de Luc, non tous cependant, car il en a pris dans son enquête personnelle, ou même dans la source Q. Mais Marc reste évidemment le guide, et le prototype de son livre : ce fait souligne la considération et l'autorité qu'il lui accordait, lui historien, à l'instar de Matthieu grec. Car cet évangile représentait le témoignage de Pierre.

On doit relever cependant, ce qui vient un peu atténuer les propos précédents, que Luc, à la différence de Matthieu grec, a pratiqué de grandes coupes dans la narration de Marc, que, bien souvent, on s'explique, parce qu'il a des épisodes équivalents, et que, d'autres fois, on ne s'explique pas.

Notons surtout la grande omission de Mc 6,45 -- 8,26 qui inclut la seconde multiplication des pains ; l'étape en Pérée et la question sur le divorce (Mc 10,1-12) ; la demande des fils de Zébédée (Mc 10,35-45) ; le figuier stérile et desséché (Mc 11,12-14.20-26) ; le plus grand commandement (Mc 12,28-34) etc...

On ne doit jamais oublier qu'entre le moment de la consultation commune des documents par Matthieu grec et Luc (vers 57-59) à Césarée maritime, et celui de la rédaction du troisième évangile à Rome (vers 60-62), un événement sensationnel s'est produit : l'un des naufrages les plus spectaculaires de toute la littérature antique, narré par Luc en personne (cf. Ac 27,9-44). Luc a dû perdre en route plus d'un manuscrit !

Les logia dans Luc.

Il semble que saint Luc ait utilisé les logia de l'apôtre Matthieu (la fameuse "source Q" des exégètes allemands) dans deux plages bien délimitées de son évangile :

  • Lc 6,20 -- 8,3.
  • Lc 9,51 -- 18,14.

Autrement dit le Sermon sur la montagne (ou plutôt, chez Luc, en redescendant de la montagne) et la fameuse insertion dans la chaîne de Marc (entre les deux versets Mc 9,50 et 10,1) de l'immense plage Lc 9,51 -- 18,14 que l'on pourrait appeler l' « insertion des montées », par allusion aux psaumes du même nom, puisqu'elle s'inscrit dans le cadre de la dernière montée de Jésus à Jérusalem telle que narrée par Luc.

"Or il advint, comme s'accomplissait le temps où il devait être enlevé, qu'il prit résolument le chemin de Jérusalem." (Lc 9,51)

A ces deux plages, il convient d'ajouter le logion isolé : Lc 22,30 correspondant à Mt 19,28, mais surtout les imprécations de Jean-Baptiste et le détail des tentations du Christ, au début de la vie publique : Lc 3,7-9.17 ; 4,2b-13 = Mt 3,7-10.12 ; 4,2-11a.

Lesdites imprécations et tentations pouvaient d'ailleurs faire l'objet d'un document à part, distinct de la source Q. Mais on n'a aucun moyen de le démontrer.

On sait que l'existence de la source Q ne fait aucun doute, puisque Matthieu grec et Luc possèdent en commun des textes qui ne sont pas dans Marc.

Par contre il est très difficile, impossible même, de délimiter les contours précis de ce document, son plan, son libellé exact, puisque d'une part Matthieu grec (Philippe) et Luc ne l'ont pas repris dans le même ordre ni le plus souvent selon le même libellé ; et d'autre part on ne sait pas s'ils l'ont rapporté in extenso (le contraire est même probable).

Dans la fameuse plage : Lc 9,51 --- 18,14 Luc a sans doute rajouté des récits ou paraboles de son crû, tirés de son fonds personnel : par exemple l’histoire du bon samaritain Lc 10,29-37) ; Lazare et le mauvais riche : Lc 16,19-31 ; le pharisien et le publicain : Lc 18,9-14 ; puisque ces péricopes n'ont pas d'équivalent dans Matthieu grec.

On ne possède aucun moyen de s'en assurer; et dans la suite, par méthode, on fera comme s'il les avait pris dans la source Q, autrement dit dans les logia de l'apôtre Matthieu.

Plan de Luc d’après ses sources connues, ou supposées.

Luc s’est servi de Marc, et de ses autres sources, en les intercalant dans des plages bien visibles, avec de nets points de suture, au point que le plan que l’on devra établir de Luc tiendra compte, en priorité, de ces plages, avant tout autre considération (de théologie ou de chronologie).

A part Marc, dont on connaît le texte, les sources de Luc sont toutes supposées, et même incertaines.

Même la « source Q » est pour partie incertaine : elle est certaine dans la mesure où elle est commune à Matthieu grec et Luc (hors Marc) ; elle est incertaine pour les passages propres au seul Matthieu grec ou au seul Luc et qu’on peut penser néanmoins lui appartenir.

Mais l’existence de ces sources, et les intercalations de Luc dans le texte de Marc, elles, ne sont pas douteuses, mais se repèrent par des coutures bien visibles quand on suit en parallèle l’évangile de Marc.

Ces intercalations constituent la structure même de notre troisième évangile et le procédé de Luc. Elles représentent sa méthode et sa manière de composer. Ce fait d’expérience, pour le lecteur attentif, se vérifie pareillement dans les Actes des Apôtres, second ouvrage de Luc : où il fera intervenir successivement les témoignages de Jean (supposé), du diacre Philippe (quasiment certain), de Paul, de Marc (supposé), de Luc lui-même, l’auteur, avec ses carnets de route etc…

Curieusement donc le troisième évangile, œuvre de l’historien et styliste Luc, s’offre à nous comme le moins structuré, planifié, composé des quatre évangiles officiels.

On a souvent résumé l’évangile de Luc par cette formule lapidaire : une montée de Jésus à Jérusalem, et vers la croix du Golgotha. Tout son livre ne serait qu’une montée.

Cette formule est exacte, bien sûr, sauf qu’on peut remarquer que cette ligne très simple de la montée vers Jérusalem existait déjà dans Marc.

Non. L’historien Luc a d’abord voulu préserver la substance de tous les documents qu’il avait à sa disposition, même s’il les a abrégés. Il s’est situé d’emblée dans une attitude très humble à leur égard, bien qu’il les ait revêtus de son style splendide, et imprégnés de sa haute spiritualité, son sens de l’Esprit.

C’est pourquoi le plan ici proposé, de Luc, fera d’abord appel à la nomination et à l’identification (supposée) de ses sources.

Les autres plans qu’on peut lire de Luc, même sous des plumes savantes, paraissent artificiels, et même, à la limite, faux car ils ne tiennent pas compte de son procédé empirique de composition.


Plan de Luc, d’après ses sources connues, ou supposées :


* MARIE (PAR JEAN) : 1,1 -- 2,52 (plus 3,23-38). La naissance. L’enfance. La généalogie.


* MARC : 3,1 -- 6,19 (moins 3,23-38). Ministère public, en Galilée, jusqu’au discours inaugural.


* MATTHIEU ARAMEEN : 6,20 -- 8,3. Discours inaugural, et ses suites.


* MARC : 8,4 -- 9,50. Suite du ministère galiléen.


* MATTHIEU ARAMEEN : 9,51 -- 18,14. Montée vers Jérusalem.


* MARC : 18,15-43. Jésus dans la vallée du Jourdain. Arrivée à Jéricho.


* LUC (ENQUETE PERSONNELLE) : 19,1-27. Zachée et la parabole des mines, à Jéricho.


* MARC : 19,28 -- 23,7. Entrée à Jérusalem. Ministère à Jérusalem. Début du procès.


* LUC (ENQUETE PERSONNELLE) : 23,8-12. Comparution devant Hérode.


* MARC : 23,13 -- 24,8. Suite du procès. Crucifixion. Résurrection.


* JEAN : 24,9-53. Récit des apparitions. Ascension.


On pourrait aisément compléter ce schéma en nommant un par un tous les épisodes contenus dans l’évangile de Luc. On pourrait en dénombrer jusqu’à 171.

Les évangiles de l’enfance, dans Luc.

On a vu, à propos de l’évangile selon saint Matthieu, que le diacre Philippe et Luc, qui s’étaient longuement concertés à Césarée maritime vers 57-59, avaient dû décider de raconter chacun de leur côté les évangiles de l’enfance, l’un (Philippe) selon le point de vue de Joseph et des « frères » ou cousins du Seigneur, et Luc selon le point de vue de Marie, mère du Christ, sans doute après avoir contacté l’apôtre Jean qui, on le sait (cf. Jn 19,27), avait recueilli chez lui Marie.

Les récits sont disposés symétriquement dans leur évangile respectif, et bien que les faits soient différents, ils sont superposables, et en tout cas parfaitement conciliables pour ce qui concerne les principales affirmations historiques ou doctrinales sur Jésus :

  • naissance de Jésus à la fin du règne d’Hérode (Mt 2,1 ; Lc 1,5) ;
  • Joseph, de la maison de David (Mt 1,16.20 : Lc 1,27 ; 2,4) ;
  • naissance virginale (Mt 1,25 ; Lc 1,26-38) ;
  • conception grâce à l’action du Saint-Esprit (Mt 1,18.20 ; Lc 1,35) ;
  • le nom de Jésus choisi par le ciel (Mt 1,21 ; Lc 1,31) ;
  • naissance à Bethléem (Mt 2,1 ; Lc 2,4-7) ;
  • vie cachée à Nazareth (Mt 2,23 ; Lc 2,39.51) ;
  • Jésus appelé Fils de Dieu (Mt 2,15 ; Lc 1,32) :

etc… Objectivement on ne distingue aucune divergence entre eux. Ce qui, étant donné le mode d’élaboration indépendant, peut paraître un exploit.

Quand Paul et Luc débarquaient à Césarée maritime (sans doute en 57), ils arrivaient tous deux d’Anatolie. Luc avait pu interroger l’apôtre Jean à Ephèse, s’il y était déjà installé comme le veut la tradition. Ou encore Luc a-t-il pu le rencontrer en Palestine, s’il ne s’était pas encore expatrié. Peut-être même Luc a-t-il pu s’entretenir directement avec Marie, la mère du Christ.

Dans Luc, Marie livrant ses souvenirs, soit à l’apôtre soit directement à l’évangéliste, affirme à deux reprises qu’ « elle conservait avec soin toutes ces choses, les méditant en son cœur » (Lc 2,19 ; cf. 2,51). Si elle a conservé tous ces souvenirs, c’était pour la postérité. Si elle les a médités, c’est qu’elle a dû chanter souvent dans son cœur les cantiques qui y sont contenus, celui de Marie[7], celui de Zacharie[8], celui du vieillard Syméon[9] . Toute cette poésie est emplie de réminiscences bibliques.

Effectivement, si de tels souvenirs sur l’enfance de Jésus sont parvenus à la connaissance de Luc, et à la nôtre, ce ne peut être que par Marie.

La généalogie lucanienne de Jésus.

La généalogie donnée par saint Matthieu était une généalogie royale, partant d’Abraham et passant par David, par Salomon et par tous les rois de Juda (la dynastie de David). Au contraire la généalogie lucanienne de Jésus se voudrait une généalogie ascendante, de Jésus à Adam, père de l’humanité, et passant par Nathan, autre fils de David.

Comme l’enseignait saint Irénée, père de l’Eglise, cette généalogie serait la « récapitulation d’Adam » [10], autrement dit Jésus deviendrait en quelque sorte l’ancêtre d’Adam et par lui de tous les hommes.

La généalogie de Matthieu cherchait à convaincre les juifs que Jésus était bien le Messie attendu, le « fils de David », c’est-à-dire l’héritier légitime des rois de Juda. Celle de Luc ne voudrait que renseigner les chrétiens, les « Théophiles » de Lc 1,3, sur l’origine réelle et charnelle de Jésus, Fils de Dieu, « concernant son Fils, issu de la lignée de David selon la chair » (Rm 1,3) comme disait Paul.

Ce fut sans doute sur l’ordre de Paul, dont il était le collaborateur immédiat, que Luc aura inséré en cet endroit de « mon évangile » (Rm 2,16), juste après le récit du baptême dans le Jourdain, la généalogie exacte de Jésus, alors que celle de Matthieu n’était de son propre aveu à elle (cf. Mt 1,16) qu’une généalogie officielle et putative.

Saint Irénée a défendu vigoureusement ce point de vue, affirmant à plusieurs reprises que Marie était elle-même descendante de David et que « C’est de Marie encore vierge qu’à juste titre il (Jésus) a reçu cette génération qui est la récapitulation d’Adam. »[11]

Dans le libellé de la généalogie de Luc on lit : « Et ce Jésus était, en commençant, âgé d’environ trente ans, étant fils de (croyait-on Joseph), d’Héli, de Matthat, ... de Nathan, de David, de Jessé, … , d'Abraham, ... de Noé, ... de Seth, d’Adam, de Dieu. »

L’incise (croyait-on Joseph) est une négation, comme on le sait par les deux premiers chapitres de l’évangile : Jésus n'était pas réellement le fils de Joseph.

Mais cette négation ne porte que sur le premier terme de la liste, sous peine d’aboutir tout de suite à des absurdités : Jésus ne serait pas le fils de Joseph, ni d’Héli, ni de Nathan, ni de David, ni de Jessé, ni d’Abraham, ni de Noé, ni d’Adam, ni de Dieu !

On ne voit pas dans quel intérêt, apologétique ou documentaire, Luc aurait inséré dans son évangile une généalogie qu’il aurait su fausse de bout en bout.

Elle était certainement authentique, non seulement dans l’esprit d’Irénée, mais encore dans l’esprit de saint Luc.

Jésus est vraiment, par Marie sa mère, fils ou descendant « d’Héli, de Matthat, … de Nathan, de David, de Jessé, …, d'Abraham, ... de Noé, ... de Seth, d’Adam, de Dieu. »

Dans le Talmud, Marie, mère de Jésus, est formellement identifiée comme « fille d’Héli » (Chagig. 77,4)[12].

Héli, diminutif d’Eliacin (Dieu élève), pouvait être l’équivalent de Joachim (Yahvé élève), nom attribué par la tradition au père de Marie.

D’ailleurs, objectivement, dans le récit de l’Annonciation, quand l’ange dit à Marie ; « Le Seigneur Dieu lui donnera le trône de David son père » (Lc 1,32), ce ne serait que par Marie qu’il pourrait être dit le véritable « fils de David », puisque quelques instants plus tard nous apprenions qu’il serait conçu du Saint-Esprit.

Saint Irénée devait répéter sur tous les tons que Marie était ce « sein de David », prédit par le psaume pour porter le Fils de Dieu. (Cf. Ps 132,11).

Points de contact de Luc avec la tradition johannique.

On entre ici dans un domaine conjectural, pour lequel on sera forcément bref.

Cependant, on ne peut nier les contacts plus que probables de Luc avec Jean et avec la tradition johannique précoce.

Comme nous l'avons vu, Luc a d'abord recueilli le témoignage de Jean, qui avait pris Marie chez lui (cf. Jn 19,27), et sans doute de Marie elle-même, pour les précieux souvenirs de l'enfance du Christ et de la généalogie.

Cette généalogie était certainement un bien familial qu'on se transmettait dans la lignée (patrilinéaire) de Marie, comme dans celle de Joseph. Le peuple juif était féru de ces généalogies, et des livres de la Bible sont presque entièrement composés de listes d'ancêtres (cf. Premier livre des chroniques, ou Paralipomènes).

Mais à l'autre bout de son évangile, Luc a dû faire aussi appel aux souvenirs de l'apôtre, au sujet des apparitions du Christ après la Résurrection, quand le témoignage de Marc faisait défaut.

En effet, la fin authentique du second évangile s'arrête à Mc 16,8 correspondant à Lc 24,8.

À partir de Lc 24,9 et de Jn 20,2 les récits des apparitions dans Luc et dans Jean, comme nombre de commentateurs l'ont noté, ont beaucoup de points communs.

Dans les apparitions du Christ racontées par Luc et par Jean, les disciples ne reconnaissent pas le Seigneur au premier abord, mais seulement sur une parole ou sur un signe. (Comparer Lc 24,30-32.35.39-43 et Jn 20,14.16.20 ; 21,4.6-7). Les péricopes :

  • Lc 24,12 et Jn 20,3-10 ;
  • Lc 24,36-43 et Jn 20,19-23

se correspondent. Le verset Lc 24,12 en particulier: "Pierre cependant partit et courut au tombeau. Mais, se penchant, il ne voit que les linges. Et il s'en alla chez lui, tout surpris de ce qui était arrivé", de style lucanien en même temps que johannique, représente une tradition commune au troisième et au quatrième évangile. Le verset Lc 24,24 (dans les pèlerins d'Emmaüs) lui fait écho, et laisse entendre que Pierre ne fut pas seul dans la course au tombeau le matin de Pâques, comme il est dit dans Jean.

Il semble bien que ce témoignage de Jean, dans cette fin du troisième évangile, se poursuive pour le début des Actes des Apôtres qui ne sont que la continuation de l'évangile de Luc, au moins dans les cinq premiers chapitres.

Le personnage de Jean, au côté de l'apôtre Pierre, y jouera un rôle prépondérant. D'autre part il y sera beaucoup fait appel à la notion du " Nom " divin ou du " Nom " de Jésus-Christ, qui est de facture typiquement johannique (cf. Jn 1,12 ; 14,13.14 ; 15,16 ; 16,24.26 ; 20,31 ; 1 Jn 3,23 ; 5,13 ; 3 Jn 7).

À partir du verset 6,1 dans les Actes, le témoignage du diacre Philippe semblera prendre le relais.

Enfin la finale de Marc, qui pourrait être un appendice de la main de Luc pour une réédition du second évangile, paraît un résumé à la fois de la fin de Luc, de la fin de Jean et du début des Actes.

Jean fut un témoin authentique des apparitions du Christ, et il a pu renseigner Luc de première main, y compris pour le récit des pèlerins d'Emmaüs et du rapport qu'ils ont fait aux Onze (cf. Lc 24,35) à leur retour à Jérusalem.

Apports propres de Luc. Les résultats de son enquête personnelle.

Le travail rédactionnel de Luc s'avère donc considérable dans cet évangile, qui est le plus long de nos quatre canoniques.

En plus des documents écrits : Marc, et les logia de l'apôtre Matthieu sans doute traduits à son intention par le diacre Philippe, Luc eut tout le temps, vers les années 57-59 où Paul était retenu prisonnier à Césarée maritime, non seulement de consulter Philippe à Césarée même, la capitale administrative, mais encore de monter à Jérusalem, la capitale religieuse, pour y contacter l'Église, et de parcourir la Palestine.

Ses apports propres dans l'évangile, et les résultats de son enquête personnelle, sont très sensibles, quoique difficiles à délimiter avec précision. Car dans la grande insertion de Lc 9,51 -- 18,14 (l'« insertion des montées »), Luc a pu inclure des éléments de son crû, qui n'étaient pas repris de la " source Q ", mais que nous y laissons, par provision, faute de points de repère.

Et dans la chaîne de Marc, il a déplacé et modifié des éléments selon, peut-être, les conclusions de son enquête personnelle et les renseignements qu'il a pu collecter.

Les principaux ajouts de Luc sont donc :

  • I. Les récits de la naissance et de l'enfance (1 -- 2).

Selon Jean, et sans doute Marie, comme nous l'avons dit.

  • II. L'annonce de l'emprisonnement du Baptiste (3,19-20.

Luc supprimera plus loin l'incise de Marc (6,17-29) sur l'exécution de Jean-Baptiste, et l'anticipe, ici, par une annonce précoce de son emprisonnement. Travail d'historien.

  • III. La généalogie du Christ (3,23-38).

Insérée ici, après le baptême du Christ dans le Jourdain, d'une manière très différente de Matthieu grec (Philippe) qui avait placé la sienne en entrée, pour montrer que Jésus était l'héritier légitime de tous les rois de Juda. Luc place la sienne juste après la reconnaissance officielle du Fils par le Père au Jourdain, selon le psaume : " Tu es mon Fils ; moi, aujourd'hui, je t'ai engendré " (Lc 3,22) pour prouver que Jésus était en même temps, selon la chair, le très réel " fils de David " (cf. Rm 1,3), donc par sa mère, et le très réel " fils de Dieu ", en Adam, même dans son humanité.

  • IV. Une visite à Nazareth (4,16-30).

Luc anticipe ici la visite à Nazareth de Mc 6,1-6a peut-être selon des renseignements propres. Les deux visites diffèrent beaucoup. Celle de Luc, placée dès le début du ministère public, est tragique et se termine par une tentative d'assassinat. Celle de Marc, après la tempête apaisée, sera plus anodine.

  • V. La descente à Capharnaüm (4,31-32).

Signalée en cet endroit de concert avec Matthieu grec (4,13), quoiqu'en des termes dissemblables, sans être explicitement dans Marc, en vertu d'une entente préalable ou d'une lecture commune de Marc. On peut voir là une confirmation de " l'hypothèse du diacre Philippe ".

  • VI. Un miracle sur le lac (5,1-11).

Luc a sauté l'appel des premiers disciples au bord du lac de Mc 1,16-20. Il le remplace par le récit d'une pêche miraculeuse, située un peu plus tard. Peut-être conformément au témoignage de Jean.

  • VII. Les foules à la suite de Jésus (6,17-19).

Luc transpose cet épisode de Marc (3,7-12) juste après le choix des Douze, alors que Marc l'a juste avant. En cet endroit, il interrompt Marc pour y placer, d'accord avec Matthieu grec, le Sermon sur, ou en redescendant de, la montagne.

  • VIII. La résurrection du fils de la veuve de Naïm (7,11-17).

Luc est seul à rapporter ce miracle éclatant. On peut penser qu'il était dans la "source Q", comme, dans le texte de Luc, l'épisode précédent et l'épisode suivant. Ou peut-être est-ce un ajout de Luc, d'après son enquête personnelle.

  • IX. La pécheresse pardonnée (7,36-50). L'entourage féminin de Jésus (8,1-3).

Même incertitude. Le très beau récit de la pécheresse pardonnée n’est pas sans rappeler l’onction à Béthanie de Mc 14,3-9 que Luc omettra. L’événement cependant est différent. Avec la description qui lui fait suite, de l’entourage féminin de Jésus, on le suppose pris dans la source Q.

  • X. La vraie parenté de Jésus (8,19-21).

L'anecdote de Marc (3,31-35) transposée par Luc de juste avant à juste après le discours parabolique.

  • XI. La dernière montée à Jérusalem (9,51).

Luc profite de la mention de Marc (10,1) : " Partant de là [la Galilée], il vint dans le territoire de la Judée " pour placer sa grande " insertion des montées " (Lc 9,51 -- 18,14) : vers Jérusalem en passant par la Samarie (cf. Lc 17,11).

  • XII. Le grand commandement (10,25-28). Le bon samaritain (10,29-37). Marthe et Marie (10,38-42). L’ami importun (11,5-8). Le figuier stérile (13,6-9). Guérison d’une femme courbée (13,10-17). Guérison d'un hydropique (14,1-6).

Dans sa grande insertion, Luc place nombre d'épisodes qu'il a en propre, et que nous avons supposés par provision, faute de repères, pris dans la " source Q ", bien qu'ils n'aient pas d'équivalents dans Matthieu grec. Il se peut qu'ils proviennent des résultats de l'enquête personnelle de Luc.

  • XIII. Le choix des places (14,7-11). Le choix des invités (14,12-14). Les invités qui se dérobent (14,15-24).

Propres à Luc, et encore dans la grande insertion, sauf que Matthieu grec a un verset parallèle (Mt 23,12) placé après l’entrée à Jérusalem.

  • XIV. Renoncer à ses biens (14,25-33).

Discours de Jésus propre à Luc et dans la grande insertion, sauf quelques versets parallèles dans Matthieu grec, ou dans Marc.

  • XV. Les trois paraboles de la miséricorde (15,1-32).

Dans la grande insertion. Deux sur trois sont propres à Luc, mais Matthieu grec a en parallèle (Mt 18,12-14) la parabole de la brebis perdue qu'il a placée dans son discours ecclésiastique.

  • XVI. L'intendant infidèle et ses suites (16,1-15).

Dans la grande insertion. Propre à Luc sauf que Matthieu grec a un verset parallèle (Mt 6,24) dans le Sermon sur la montagne.

  • XVII. Lazare et le mauvais riche (16,19-31). Puissance de la foi (17,5-6). Servir avec humilité (17,7-10). Les dix lépreux (17,11-19). La venue du Royaume (17,20-21). Le juge inique (18,1-8). Le Pharisien et le publicain (18,9-14).

Propres à Luc, et encore dans la grande insertion.

  • XVIII. Zachée à Jéricho (19,1-10). La parabole des mines (19,11-27).

Après la reprise du parallèle avec Marc en Lc 18,15. Seul Luc a la belle histoire de Zachée. Seul il place en cet endroit, juste avant l'entrée à Jérusalem, la dure parabole des mines. Remarquons combien cette parabole est judicieusement située, d'un point de vue géographique, car elle fut prononcée devant le palais d'Hérode, à Jéricho, qui n'était pas sans rappeler l'histoire d'Archélaüs, parti à Rome (" dans un pays lointain " (Lc 19,12) pour se faire remettre la royauté. Et son retour impitoyable à l'endroit de ses opposants (cf. Lc 19,27). On suppose que ces éléments sont dus à l’enquête personnelle de Luc.

  • XIX. Les premiers outrages (22,63-65).

Luc a placé les premiers outrages faits à Jésus, après le reniement de Pierre, tandis que Marc (14,65) les a avant.

  • XX. La comparution devant Hérode (23,8-12).

Au récit de la Passion des autres évangélistes, Luc rajoute la comparution de Jésus devant Hérode Antipas, selon les résultats de son enquête personnelle.

  • XXI. Les récits des apparitions du Christ, et de l'Ascension (24,9-53).

Compléments donnés à Marc, d'après le témoignage oral de Jean.

Luc, l’évangéliste de la miséricorde.

Malgré ses limites, dues surtout aux incertitudes sur l'étendue réelle de la source Q, l’analyse, surtout l’analyse du plan, a montré le travail d’élaboration de l’auteur. Elle a fait toucher du doigt l’originalité de notre troisième évangile.

Saint Irénée a puissamment résumé dans une page célèbre[13] la nouveauté de l’évangile de Luc. En effet, on doit au seul Luc beaucoup d’épisodes de la vie de Jésus, et des paraboles parmi les plus célèbres. Notre exposé du paragraphe précédent recoupait cette page en grande partie.

Luc en personne, dans son prologue, a précisé sa méthode et sa préoccupation première :

« Puisque plusieurs ont entrepris de composer un récit des événements qui se sont accomplis parmi nous, d’après ce que nous ont transmis ceux qui furent dès le début témoins oculaires et serviteurs de la Parole, j'ai décidé, moi aussi, après m’être informé exactement de tout depuis les origines, d’en écrire pour toi l’exposé suivi, excellent Théophile. » (Lc 1,1-3).

Théophile devait être un éditeur de Rome par lequel Luc a publié son double ouvrage de l’évangile et des Actes, mais aussi un chrétien fervent, qui en l’espèce les représente tous.

Luc a décidé de suivre l’exemple de plusieurs confrères : Matthieu l’apôtre qui, en langue hébraïque, avait publié l’enseignement du Seigneur, et plusieurs de ses faits et gestes ; Marc l’interprète et le confident de Pierre, et qui lui-même avait assisté, au sortir de l’enfance, à la Passion du Sauveur et qui avait fréquenté, chez sa mère, les apôtres et la première communauté chrétienne.

Philippe, enfin, le diacre et compagnon d’Etienne, qui entreprenait avec l’aide de Luc de confectionner un évangile original reprenant les logia de Matthieu, mais qu’il n’écrirait et ne publierait qu’après le départ pour Rome de Luc et de Paul.

Luc a interrogé les « témoins oculaires et [les] serviteurs de la Parole », ceux de la première génération qui avaient connu le Seigneur : avant tout Jean, l’apôtre, et même la mère de Jésus, ainsi que les « frères » ou cousins du Seigneur : Jacques, Simon et Jude, et avec eux toute l’Église de Jérusalem, héritière au premier chef de la pensée et de la mémoire de Jésus le Nazaréen. Il enquêta sur place en Palestine, profitant de son séjour forcé et prolongé dans la patrie du Christ. Philippe et Luc, dans leurs recherches, ont dû travailler de concert avec Paul, puisqu’il nous est précisé que ce dernier pouvait recevoir librement dans sa prison (cf. Ac 24,23).

Luc est allé aux sources, ainsi qu’aux documents originaux, comme il l’affirme lui-même avec insistance ; il l’a fait en historien consciencieux, même si son œuvre demeure artisanale à bien des égards, comme l’analyse l’a montré.

En vrai « écrivain de la mansuétude du Christ », comme dirait Dante, il aimait à souligner la miséricorde de son Maître pour les pécheurs (parabole de l’enfant prodigue[14]), à raconter des scènes de pardon (le bon larron pardonné en croix[15]). Il insisterait volontiers sur la tendresse de Jésus pour les humbles, et pour les pauvres, tandis que les orgueilleux et les jouisseurs seraient sévèrement traités (Lazare et le mauvais riche[16]).

Cependant même la juste condamnation ne se ferait qu’après les délais patients de la miséricorde[17]. Il fallait seulement qu’on se repente. Ici Luc tenait à répéter l’exigence d’un détachement décisif des richesses[18].

On notera les passages propres au troisième évangile sur la nécessité de la prière et les exemples qu’en a donnés Jésus : « Mais lui se tenait retiré dans les déserts, et priait. » (Lc 5,16).

Enfin comme chez Paul et dans les Actes (suite de l’évangile), l’Esprit Saint occuperait une place de premier plan que Luc, seul des évangélistes, soulignerait.

Tout cela, avec l’atmosphère de reconnaissance et d’allégresse qui enveloppait tout le troisième évangile, achèverait de conférer à l’œuvre de Luc cette ferveur qui touche.

Bibliographie.

  • Philippe Bacq, Luc, Un Évangile en pastorale. Commencements. Luc 1-4,13, coll. Écriture en pastorale, n° 2, Bruxelles, Lumen Vitae, 2009, 160 p. ISBN 978-2-87324-375-3.
  • Roland Meynet, L'Évangile de Luc, coll. « Rhétorique sémitique 1 », Lethielleux, Paris, 2005
  • Guy Lafon, L'esprit de la lettre, lectures de l'Évangile selon saint Luc, Paris, Desclée de Brouwer, 2001 (ISBN 2-220-04871-3)
  • The Gospel according to Luke I-IX Joseph A. Fitzmyer The Anchor Bible. 1981.
  • The Gospel according to Luke X-XXIV Joseph A. Fitzmyer The Anchor Bible. 1981.

Notes et références.

  1. Adv. Hae. III, 1, 1
  2. Joseph A. Fitzmyer, The gospel according to Luke, I-IX, 1981, pages 38-39
  3. Revue biblique, 1933
  4. Cf. Ac 11,27 TO
  5. Daniel Marguerat, dans son Introduction au Nouveau Testament, les évalue au nombre de 700 environ. Chapitre 2. Le problème synoptique. Page 42.
  6. Daniel Marguerat. Introduction au Nouveau Testament. 2008. Chapitre 2. Le problème synoptique. Page 32.
  7. Lc 1,46-56
  8. Lc 1,67-79
  9. Lc 2,29-32
  10. Saint Irénée, Adv. Hae. III, 21,10
  11. idem.
  12. Frédéric Godet. Commentaire sur l'évangile de Luc. Tome I
  13. Adv. Hae. III, 14, 3.
  14. Lc 15,11-32
  15. Lc 23,39-43
  16. Lc 16,19-31
  17. Parabole du figuier stérile. Lc 13,6-9
  18. Renoncer à tous ses biens. Cf. Lc 14,28-33

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