Complot contre Habib Bourguiba

Complot contre Habib Bourguiba

La tentative de complot contre Habib Bourguiba est un projet d'attentat contre le président tunisien Bourguiba et de renversement de son régime mené par d'anciens résistants et militaires. Il a été découvert en décembre 1962. Ce projet suscita une forte émotion et connut une issue dramatique avec l'exécution de onze des conjurés.

Sommaire

Contexte et origine du projet

Le complot se déroule sur fond d'un mécontentent généralisé à l'égard de Bourguiba et d'un contexte international marqué par la multiplication des coups d'État, notamment dans les pays arabes.

En juillet 1961, la crise de Bizerte tourne à la confrontation armée. Inférieurs en nombre et en armement, mal préparés et mal dirigés, les militaires et les résistants tunisiens essuient une lourde défaite face à l'armée française, avec un bilan humain catastrophique. La bataille de Bizerte est considérée comme une aventure et un sacrifice inutile qui n'avaient pour but que de redorer le prestige de Bourguiba, puisque quelques mois plus tôt celui-ci avait conclut avec Charles de Gaulle un début d'accord diplomatique prévoyant l'évacuation de Bizerte par les militaires français. La gestion de la crise par Bourguiba est considérée comme l'un des principaux facteurs de mécontentement contre le régime à cette époque[1].

Sur un autre plan, la scission yousséfiste divise encore le pays : les arguments des yousséfistes (soutien aux nationalistes algériens, adhésion au panarabisme nassérien, rejet de la francophilie et du modernisme de Bourguiba, etc.) convainquent toujours une partie de la population[2]. La répression des partisans de Salah Ben Youssef et l'assassinat de cet ancien bras droit de Bourguiba, le 12 août 1961, alors que l'opinion publique avait les yeux tournés vers Bizerte, suscitent un malaise[3].

L'affaire des palais de Bourguiba, dénoncée par le Parti communiste tunisien dans son journal Tribune du progrès, constitue elle aussi un élément de mécontentement. La population comprend mal, en effet, que Bourguiba lui demande de faire des efforts alors qu'en même temps une partie du budget de l'État est consacrée à la construction de ses demeures[4].

Sur le plan international, on assiste à la montée du panarabisme et du nationalisme arabe et la multiplication des coups d'États militaires comme moyen privilégié d'accession au pouvoir au Moyen-Orient et dans les pays arabes.

C'est dans ce contexte que l'idée de mener un complot contre Bourguiba, en s'appuyant sur les militaires, commence à germer. Les premiers contacts dans les cercles militaires et les réseaux de résistants pour mener une action armée contre le président commencent dès septembre 1961[5].

Préparation du complot

Au début, trois groupes se sont constitués sans se concerter, chacun avec son propre projet[5] :

  • Groupe de Bizerte : Mené par Habib Hnini, il est principalement motivé par le désastre militaire de la crise de juillet 1961 et son lot de conséquences pour les civils de la ville et de la région. Ce premier groupe projette un attentat contre Bourguiba dans la ferme de sa femme Wassila à Aïn Ghlel, à quelques kilomètres de Bizerte.
  • Groupe de Gafsa : Les anciens maquisards de Gafsa, place forte dans le mouvement de libération nationale lors de l'insurrection armée de 1952-1954, s'estiment mal récompensés pour leur rôle dans l'indépendance. Beaucoup d'anciens fellaghas avaient opté pour Salah Ben Youssef et leur désarmement ne se fait pas sans heurts avec les autorités. Le scénario préparé par le groupe, mené par Abdelaziz Akremi, est de lancer une révolution armée à partir des montagnes, en faisant venir des armes d'Algérie.
  • Groupe de Tunis : Essentiellement constitué de militaires et mené par Amor Bembli, le groupe maîtrise parfaitement la technique des coups d'État militaires, Bembli ayant déjà participé à un coup d'État lorsqu'il se trouvait au Moyen-Orient. Le groupe avait projeté de recourir à la police militaire, qui contrôlait le pays à partir de 18 heures.

Les trois groupes entrent en contact par l'intermédiaire d'agents de liaison alors que d'autres personnes les rejoignent. Des réunions secrètes se tiennent, en grande partie chez Hédi Gafsi à Tunis. Le projet vise un changement de régime qui aboutirait à un nouveau gouvernement où siégeraient des personnalités jugées respectables et issues du mouvement de libération nationale. Le nouveau gouvernement serait plus démocrate et plus ouvert sur l'environnement arabe. Le projet d'assassinat de Bourguiba est discuté par certains membres du groupe mais cette éventualité ne fait pas l'unanimité parmi eux et certains ne sont même pas au courant de cet aspect du complot[5].

Découverte du complot

Les différences d'orientation au sein des membres de la conspiration se traduisent par des mésententes. Le 18 décembre 1962, une dernière réunion a lieu au domicile de Lazhar Chraïti, dans la banlieue sud de Tunis. Les conjurés ne parviennent pas à s'entendre et le projet reste en suspens. Certains pensent abandonner le projet et d'autres créer un mouvement d'opposition. L'un des sous-officiers, Amor Toukabri, dénonce alors l'affaire aux autorités militaires[5].

Le lendemain, le procureur de la République auprès du tribunal militaire, Slaheddine Baly, annonce la découverte du complot. Une vaste opération policière est lancée, touchant de 200 à 400 personnes, dont la majorité est relâchée après des interrogatoires. Des barrages policiers sont établis un peu partout sur les routes du pays et sur les artères principales des grandes villes. La plupart des conjurés sont arrêtés chez eux. Les autorités mettent plus de temps à appréhender quatre insurgés de Bizerte, où un véritable ratissage est organisé ; ce dernier groupe n'est appréhendé qu'au début du mois de janvier[5].

Le 25 décembre, un communiqué officiel de l'agence Tunis Afrique Presse annonce qu'un complot contre la sûreté de l'État a été déjoué à Tunis et qu'une information sera ouverte devant le parquet militaire de Tunis. Le 27 décembre, des déclarations de Bourguiba et Bahi Ladgham, secrétaire d'État à la Défense, font valoir l'implication d'une partie étrangère et qu'une surveillance plus active du pays s'impose donc. Le 28 décembre, une manifestation de soutien à Bourguiba est organisée par le Néo-Destour et l'UGTT. Le 31 décembre, les journaux du Parti communiste tunisien sont suspendus suite à des informations judiciaires. Le 7 janvier 1963, Driss Guiga, directeur de la sûreté nationale, est remplacé par Béji Caïd Essebsi. Seul l'un des participants au complot a pu échapper à la police et trouve refuge en Algérie[5].

Procès

Pour consulter un article plus général, voir : Grands procès tunisiens.

Le 31 décembre, le parquet militaire défère 26 accusés pour complot contre la sûreté de l'État. Le procès doit s'ouvrir le 8 janvier mais il est retardé de quelques jours : le procès des insurgés se tient le 12 janvier dans la caserne de Bouchoucha et dure jusqu'au 17 janvier ; il est fortement médiatisé, les audiences étant retransmises en différés à la radio et des journalistes étrangers étant présents dans la salle d'audience.

Le verdict tombe après 23 heures de délibération : treize prévenus (huit militaires et cinq civils) sont condamnés à mort ; deux d'entre eux sont graciés par Bourguiba. Les autres condamnés à mort sont exécutés le 25 janvier 1963. Le reste des conjurés écope de peines de prison, avec travaux forcés à perpétuité pour certains d'entre eux. Les peines sont purgées au bagne ottoman de Ghar El Melh puis à la prison de Borj Erroumi. Ils sont graciés et libérés le 31 mai 1973. Les conditions d'emprisonnement et de déroulement des interrogatoires sont considérés comme très dures et le recours à la torture est attesté par les inculpés. D'autres procès suivent pour des complicités supposées et se traduisent par des condamnations tout aussi dures[6].

Conséquences

La tentative de complot contre Bourguiba marque un durcissement du régime : les partis politiques d'opposition sont interdits et leurs publications censurées. La terreur que font naître les procès et les exécutions contribue à instaurer un régime autoritaire dans le pays[7].

Liste des conjurés

  • Amor Bembli : officier militaire, condamné à mort
  • Mostari Ben Saïd : commandant de l'armée, condamné à mort
  • Kebaïer Meherzi : capitaine de l'armée, originaire de La Marsa et aide de camp de Bourguiba, condamné à mort
  • Salah Hachani : officier militaire originaire de Tunis, condamné à mort
  • Moncef El Materi : officier militaire originaire de Tunis, condamné à mort mais gracié par Bourguiba
  • Hamadi Guiza : officier militaire originaire de Tunis, condamné à mort mais gracié par Bourguiba
  • Hédi Barkia : militaire, condamné à mort
  • Landolsi : sous-officier militaire
  • Toukabri : sous-officier militaire
  • Amor Toukabri : sous-officier militaire
  • Sassi Bouyahya
  • Ben Boubaker : militaire
  • Azzedine Chérif : instituteur, ancien résistant originaire de Gafsa
  • Lazhar Chraïti : ancien résistant originaire de Gafsa
  • Abdelaziz Akremi : ancien résistant originaire de Gafsa
  • Ali Gafsi : originaire de Bizerte, mort en détention
  • Hédi Gafsi : officier militaire, fils du précédent, condamné à mort
  • Temime Hmaïdi Tounsi : ancien résistant originaire de Bizerte, plus jeune membre du groupe
  • Habib Hanini : ancien résistant originaire de Bizerte, condamné à mort
  • Kaddour Ben Yochret : ancien résistant originaire de Bizerte
  • Ali Ben Salem : ancien résistant originaire de Bizerte
  • Mohamed Salah Baratli : ancien résistant originaire de Bizerte
  • Hassan Marzouk : officier de la garde nationale
  • Hattab Boughzala : militaire originaire de Hammamet
  • Mongi Sarrey : militaire originaire de Hammamet
  • Hédi Mankaï : militaire originaire de Hammamet
  • Ahmed Rahmouni : ancien magistrat originaire du Kef, condamné à mort
  • Ahmed Ben Tijani : originaire du Kef
  • Abdallah El Bou-Omrani : ancien résistant originaire de Gafsa, condamné à mort

Références

  1. Tahar Belkhodja, Les trois décennies Bourguiba. Témoignage, éd. Publisud, Paris, 1998, p. 35
  2. Michel Camau et Vincent Geisser, Habib Bourguiba. La trace et l'héritage, éd. Karthala, Paris, 2004, p. 395
  3. « Bonnes feuilles. L'ordre d'assassinat », Réalités, 18 août 2005
  4. Noura Boursali, Bourguiba à l'épreuve de la démocratie. 1956-1963, éd. Samed, Sfax, 2008, pp. 125-126
  5. a, b, c, d, e et f Noura Boursali, « Le complot de décembre 1962. Fallait-il les tuer ? », Réalités, 25 juin 2006
  6. Noura Boursali, « Le complot de 1962 et l'institutionnalisation du parti unique », Réalités, n°1070, 29 juin 2006
  7. Azzedine Azouz, L'Histoire ne pardonne pas : Tunisie. 1939-1969, éd. L'Harmattan, Paris, 1988, pp. 219-244

Lien externe


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