Corso (piraterie)

Corso (piraterie)
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Le « corso [1] », est l'activité de prédation maritime réciproque qui s'opéra entre chrétiens et musulmans, du XVIe siècle au XVIIIe siècle en Méditerranée et en Atlantique. Cette activité s'exerça dans un cadre administratif qui ne peut toutefois pas être qualifié de cadre juridique, la volonté (et même la possibilité) de régulation effective étant insuffisante chez tous les acteurs.

Bien que le terme « corsaire » en tire son origine, le corso se distingue de la course sévèrement contrôlée telle qu'elle se pratiquait à la même époque et aux époques suivantes, celle des Michel Jacobsen, des Jacob Collaert, des Jean Bart.

Côté musulman, les principaux ports de départ sont la Régence d'Alger, celles de Tunis et Tripoli ; côté chrétien, l'épine dorsale est constituée par les Chevaliers de Malte.

Consistant en attaques de navires de commerce et en captures de villageois sur les côtes, suivies de la mise en esclavage des captifs, le corso fut le cauchemar des populations des deux côtés de la Méditerranée pendant les trois siècles qu'il dura.

Sommaire

Aux origines du corso

Avant le Corso

Galère de l'Ordre de Malte

La piraterie était endémique en Méditerranée depuis des temps immémoriaux ;

Au Moyen Âge, à titre d'exemple, l'historien berbère[réf. nécessaire] Ibn Khaldoun[2], signale la réputation de pirates que les habitants de Bougie s'étaient acquis dès 1364.

Les chrétiens ne sont pas en reste. La Méditerranée est un champ où s'affrontent de nombreux pouvoirs, grands ou petits (les Guelfes contre les Gibelins, le monde latin contre l' Empire byzantin, Chrétienté contre Islam, Venise contre Gênes, etc ...). Une étude détaillée en a été faite par Pinuccia Franca Simbula[3]. Elle résume ainsi la situation :

"L'étude de quelques exemples permet de montrer comment la course et la piraterie se développent, dans les îles occidentales comme dans celles du Levant, dans un contexte de rivalités diffuses et de guerres ouvertes entre puissances chrétiennes et entre chrétiens et musulmans qui les utilisent et les instrumentalisent. Consensus politiques ou incapacité des pouvoirs centraux à imposer des contrôles stricts des armements sont des facteurs déterminants dans la construction des espaces et des communautés insulaires qui se précipitent avec agressivité sur la mer."

Jusqu'à la fin du XIIIème siècle, le terme de "pirates" est utilisé ; Simbula souligne que la distinction pirate/corsaire n'est pas encore établie.

Cependant, un discours de justification des prédations se dégage progressivement. Par exemple, des chercheurs (R. S. Lopez et L. Balletto), cités par Simbula, ont trouvé à Bonifacio un ensemble de contrats dans lesquels Gênes, rangée du côté du Pape, légitime les attaques contre les Pisans (qui soutiennent l'Empereur Frédéric II, adversaire du Pape), ainsi que contre les Siciliens et les musulmans[4].

A. Tenenti, toujours cité par Simbula, écrit : "l'esprit de croisade, les conflits internationaux, les dissensions locales, les rivalités économiques, offrirent au pillard le plus vil suffisamment de prétextes pour relancer sa propre action sans mettre en avant ses motivations personnelles."

Venise contre Gênes

L'analyse que fait Simbula de la rivalité entre Gênes et Venise est passionnante en ce qu'elle montre ce qui fait qu'un nid de pirates nait ou ne nait pas[5].

La piraterie institutionnalisée, Venise est contre, et aucun nid de pirates ne nait sous son aile : "Venise chercha à limiter les dégâts causés par la piraterie en déployant un système de surveillance et de défense centré sur la Crête. Le contrôle des armements privés, le règlement judiciaire des conflits causés par la course, réduisit sensiblement le poids des Vénitiens dans les désordres du Levant ; ils ne permettaient pas que se forment des "seigneuries corsaires" ..."

Gênes, au contraire, joue l'ambiguïté à fond en laissant aux grandes familles de ses établissements orientaux (Phocée, Chio, Lesbos, ...) une large autonomie et la possibilité de "construire sur cette double identité leur fortune et leur impunité", comme le feront plus tard les Algérois, assez vassaux de la Sublime Porte pour que les puissantes européennes ne s'y attaquent pas, et assez indépendants en même temps pour n'être pas engagés par les traités conclus à Constantinople.

Cet exemple montre l'importance, pour le "nid de pirates", d'avoir la bonne "distance" politique par rapport à sa puissance tutélaire, ni trop près ni trop loin, et de savoir construire son discours justificateur, car la puissance tutélaire doit répondre aux ambassadeurs des pays lésés. Sans cela, il n'y a pas de nid de pirates durable, mais seulement des actes de piraterie ponctuels.

Alger, principal repère de corsaires barbaresques

Khayr ad-Din Barberousse

Alger est ici l'exemple et le symbole de la côte barbaresque dans son ensemble.

Alger la musulmane

C'est la Reconquista et l'expulsion des Morisques d'Espagne qui donne une nouvelle dimension à ces violences, qui prennent alors la caractéristique d'une véritable guerre territoriale entre des musulmans désireux de reconquérir l'Espagne d'une part, et d'autre part une Espagne qui prend pied en Afrique du Nord en une tentative avortée de conquête. Le discours justificateur, lui aussi, prend une nouvelle dimension. C'est pour Dieu que le pirate va, dit-il, se battre. Pas moins.[réf. nécessaire]

modèle ou page à inclure[réf. nécessaire]L'installation des frères Barberousse crée la Régence d'Alger et donne au corso musulman une assise territoriale solide ; les autres régences et les autres ports de départ n'ont pas la même puissance (mais malgré tout, la côte des Barbaresques est un tout et Alger n'en est qu'une partie) ; en se faisant vassale de l'Empire ottoman, Alger se soumet à une souveraineté lointaine et de plus en plus fictive, mais dont le seul nom tient en respect les puissances européennes ; cette circonstance explique probablement la longue survie de ce nid de pirates qui n'était pourtant pas, en soi, une puissance militaire telle que l'Europe ait dû s'en accommoder pendant trois siècles.

Les raïs (capitaines) d'Alger font vivre toute la ville par le produit de leur courses, et sont à même de poser leurs conditions. Progressivement, ils s'affranchissent de tout pouvoir politique, même local, si bien que le butin devient un but en soi.

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Le corso, devenu plus que jamais un but en soi, prend des proportions inouïes au début du XVIIème siècle. De Grammont[7]signale : "De la fin de 1628 au milieu de 1634, la France, qui fut cependant la moins éprouvée des nations maritimes, perdit 80 navires d'une valeur d'environ 5 millions, et dut racheter ou laisser renier 1831 captifs." On rappellera que la France était alors en principe protégée par un Traité de Paix.

Alger l'Européenne

Le nombre de chrétiens plus ou moins convertis (voire pas du tout) est considérable à Alger, et tous n'y sont pas arrivés comme captifs. Haedo l'évalue à plus de la moitié de la ville ; de Grammont trouve qu'il exagère un peu. Juste un peu. Les circuits de la piraterie sont tous interconnectés.

La liste des grands raïs venus du christianisme est longue, à commencer par les Barberousse.

La profondeur de la conversion de chacun est difficile à évaluer. Elle semble faible dans plus d'un cas. On sait qu'Ali Bitchin (Vénitien) se cachait à peine de rire devant l'appel du muezzin[8], et que Simon Dansa ne s'est peut-être même pas converti à l'Islam. Avec eux, il n'est évidemment pas question de jihad, sauf en tant que fiction utile.

Ce Simon Dansa introduisit à Alger l'innovation des voiliers de haut-bord, leur permettant de franchir le Détroit de Gibraltar et d'aller rapiner le 20 juin 1631 à Baltimore en Irlande, et, jusqu'en Islande. Les raids sur l'Islande, menés par Jan Jansen alias Mourad Raïs ,qui ont profondément marqué la mémoire de de pays, étaient particulièrement barbares puisque les jeunes étaient emmenés en esclavage, et que les personnes âgées étaient rassemblées dans l'église à laquelle les pirates mettaient ensuite le feu. L'une des captives, Gudridur Simonardottir a été libérée des années plus tard et a raconté son expérience.

On ne saurait omettre un autre grand Hollandais qui a fini Amiral en Alger, Salomo de Veenboer alias Suleyman Raïs ; sans compter les hommes d'équipage.

En ces premières années 1600, le nombre de raïs et de matelots pirates d'origine hollandaise est considérable, même s'ils ne sont pas les seuls Européens. Cette circonstance conduit à situer Alger au sein de la carte géopolitique de la piraterie de son temps, carte centrée sur la Hollande ; Alger trouve sa place au sein de cette géopolitique globale, et pas seulement dans le monde du "tout-autre", de cet Islam avec lequel l'Européen de cette époque ne se voit aucun point commun.

La Hollande vers 1600

La Guerre de Quatre-Vingts Ans (1568-1648) est la guerre d'indépendance des Provinces-Unies contre l'Espagne. Dans ses trente dernières années, elle se confond avec la Guerre de Trente Ans, guerre de toute l'Europe (à commencer par la France) contre la volonté d'hégémonie d'une Espagne alors au faîte de sa puissance. Ces deux guerres s'achèvent en 1648 par les Traité de Westphalie, qui affaiblissent l'Espagne sous de nombreux angles, en particulier en officialisant l'indépendance des Provinces-Unies.

Cependant, à l'époque des Dansa, Jansen et autres Veenboern, c'est-à-dire vers les années 1600, il n'existe pas, au nombre des États internationalement reconnus, de Provinces-Unies ou de Hollande ; tous ces territoires sont juridiquement espagnols ; mais de fait, la volonté d'affaiblir l'Espagne est si unanimement partagée parmi les autres États européens, que tous "font comme si".

Il n'y a pas lieu de se demander ici si l'indépendantisme "hollandais" (le nom de cette province est ici utilisé comme exemple et symbole des futures Provinces-Unies) est à approuver. L'on se contentera d'observer que, même en accordant, mentalement, avec près de cinquante ans d'avance, l'indépendance à la Hollande (et aux autres provinces), on ne trouve pas pour autant de Roi de Hollande habilité à délivrer des lettres de marques hollandaises, et moins encore de tribunaux des prises hollandais ; on met donc ici le doigt dans l'engrenage des pouvoirs de toute sorte (chef de guerre, grande compagnie de commerce) pouvant tous se prévaloir de quelque bout de légitimité vu sous l'angle qui les arrange, et qui tous se mettent à délivrer des lettres de marque plus ou moins valable. Les délices de l'exploration des limites entre course et piraterie sont ouvertes, et elles le sont pour longtemps, car après leur indépendance en 1648, les Provinces Unies restent un pays de grandes compagnies commerciales peut enclines à rechercher le contrôle étatique.

On trouvera donc leurs "corsaires" partout où les contrôles sont fictifs, aujourd'hui à Alger, demain dans la flibuste des Antilles.

Intérêt stratégique d'Alger vers 1600

Dans les toutes premières années 1600, la meilleure prise possible est un galion espagnol rentrant d'Amérique chargé d'or.

Et le meilleur endroit possible pour l'attaquer est l'Afrique. Attaquer à partir de là, quand les galions ont presque achevé leur traversée, est logique d'un point de vue opérationnel

Plus tard, quand les flibustiers hollandais et les grandes compagnies maritimes qui sont derrière[9] se seront taillé des territoires dans le Nouveau Monde, cette base d'appui à terre sera préférée par les marins de fortune. Elle permet d'attaquer les galions près de leur point de départ américain. Mais ces territoires ne sont pas encore disponibles à l'époque des Dansa et des Jansen ; les terres conquises en Amérique par les Européens sont très majoritairement espagnoles : nul besoin de préciser que ce n'est pas à partir d'elles qu'on peut s'emparer d'un galion.

Faute de base d'appui plus proche des galions, certains, parmi les premiers flibustiers opèrent à partir des ports hollandais ; c'est la solution qui reste quand toutes les autres sont absentes, mais elle n'a rien d'idéal ;

Reste donc Alger ; l'or d'Amérique vaut bien une prière à la mosquée.

Quand l'infrastructure à terre (territoires amis où amarrer son bateau) le permettra, les Hollandais cherchant l'or des galions abandonneront Alger et créeront la flibuste des eaux américaines.

Droit, ou cadre administratif ?

La course : une forme de guerre très soumise au droit

Les règles de la course classique sont contraignantes. Elles impliquent ce qui suit :

  • Avoir une lettre de marque reçue de l'État pour "courir sus aux navires ennemis" ; cette autorisation est caduque dès l'arrêt des hostilités
  • S'il y a possibilité de s'approcher du navire ennemi par ruse en arborant un pavillon neutre ou allié il y a une obligation de hisser, à partir d'une certaine distance, le pavillon véritable. En cas contraire, il s'agirait d'une traîtrise.
  • Respect de la vie des prisonniers, qui sont prisonniers de guerre : ils peuvent être soit libérés à la fin des hostilités, soit échangés, ou encore libérés contre rançon.
  • Les effets personnels des marins ennemis ou des passagers ne font pas partie du butin, ils les conservent : on pose des scellés sur les coffres, malles, armoires des prisonniers (on peut lire dans des mémoires comme ceux de Garneray ou dans les archives maritimes, que les prisonniers utilisent cet argent pour soudoyer les geôliers, améliorer l'ordinaire, etc., ce qui prouve que cette obligation de respect des biens privés des prisonniers n'était pas seulement théorique mais effectivement respectée).
  • Seuls le navire et sa cargaison peuvent donc faire l'objet d'une prise en guerre de course, encore faut-il que la prise ait été jugée légitime par les autorités compétentes au retour de course ; il n'est évidemment pas question de réduction en esclavage des marins ennemis, moins encore de civils (passagers de navires ou personnes razziées à terre).

Le contrôle de ces règles est effectif ; le Tribunal des prises est indépendant des parties ; le droit de la guerre est pris au sérieux ; les magistrats ne touchent évidemment pas de part de prise ; le principe du contradictoire est observé ; les prisonniers sont interrogés en premier hors de la présence de leurs capteurs ; ils ont une occasion effective de signaler au juge, si c'est le cas, les illégalités qui pourraient avoir été commises à leur détriment, en particulier les pillages.

Le corso et le droit : un couple mal assorti

Absence d'une règle de droit commune

Le corso ne peut évidemment s'insérer dans aucun cadre juridique ; il n'existe aucune règle de droit commune aux deux parties, au sens d'une règle que l'on ne se contente pas d'invoquer en sa faveur, mais à laquelle on accepte de se soumettre. Côté musulman, le seul droit que l'on connaisse est la charia (droit musulman), dans laquelle le mécréant n'est pas sujet de droit. La bonne foi, qui doit être présente lors de la passation et de l'application d'un contrat est ici absente, non pas de façon accidentelle, mais structurelle. Il y a, de chaque côté, non pas accord, mais simulation d'accord. La partie musulmane fait semblant de passer un traité international d'égal à égal, alors qu'elle recherche en réalité un tribut donnant à la partie européenne un statut qui rappelle celui de dhimmi pour les individus. La partie européenne pense qu'elle paie une sorte de rançon forfaitaire et préalable, sans la moindre légitimité.

La supposée licéité permanente de la prédation des Infidèles est expliquée sans détour à un ambassadeur des États-Unis, pays naissant qui n'avait jusqu'alors ni bonnes ni mauvaises relations avec la côte des Barbaresques, et qui s'étonnait donc de voir ses navires attaqués : en 1786, Thomas Jefferson, ambassadeur américain auprès de la France, et John Adams, ambassadeur auprès de la Grande-Bretagne, ont une rencontre à Londres avec Sidi Haji Abdul Rahman Adja, ambassadeur de Tripoli en visite. Ils demandent pourquoi leurs vaisseaux sont attaqués hors de toute guerre. Ils s'entendent répondre[10] que, d'après le Coran, toutes les nations qui n'ont pas reconnu Mahomet sont pécheresses, et qu'il est donc légitime de les piller et de réduire leurs peuples en esclavages, sauf si elles acceptent par traité de payer des tributs.

Côté chrétien, on se plait à souligner que le musulman n'accorde aucune valeur aux traités et contrats qu'il passe avec l'Infidèle, et l'on se sent libre de faire de même. Dans un tel contexte, la notion de course étroitement soumise au droit est de toute évidence une pure fiction.

Présence d'un cadre administratif

Sans qu'il y ait de lettres de marque, le corso s'exerce dans un certain cadre administratif :

  • des registres des prises ayant pour seul objectif de s'assurer que les raïs partagent le butin avec le Régent[11] ;
  • des conventions de libération des prisonniers (en réalité un rachat de certains captifs)

Le corso se distingue donc très peu de la piraterie.

  • Albert Devoulx, en analysant le registre des prises de la Régence d'Alger, note des captures visant des navires turcs (suzerain supposé de la Régence), grecs (à l'époque, la Grèce était partie intégrante de l' Empire ottoman) et même tunisiens, (donc musulmans, alors même que la justification supposée du corso esr le jihad). Devoulx utilise les deux mots de "pirate" et de "corsaire" (ainsi que celui de forban) dans les mêmes ouvrages pour désigner les mêmes prédateurs.
  • Le professeur de droit Rouard de Card utilise aussi les deux mots dans le même ouvrage, pour désigner les mêmes raïs.
  • Xavier Labat Saint-Vincent note aujourd'hui : "En réalité, le corso méditerranéen ne fut rien d'autre qu'un brigandage maritime réciproque et perpétuel entre chrétiens et musulmans, une quasi piraterie permanente à prétexte religieux qui fut, durant cette période, une activité largement institutionnalisée."
  • De Grammont est celui qui différencie le plus selon les époques ; il est assez prêt à appeler des "corsaires" les raïs du XVI ème siècle, qui agissent dans le cadre d'une vraie guerre avec l'Espagne, une guerre où de vrais États se disputent de vrais territoires ; mais ensuite, il est de ceux qui soulignent le plus combien le butin est devenu le seul objectif, et combien la notion de guerre est devenue une simple fiction justificatrice, surtout quand la "guerre" se confond avec le jihad et que le raïs n'est pas musulman.

Le corso se distingue donc très nettement de la course, et c'est donc à tort que certains auteurs utilisent ce terme à propos des entreprises barbaresques.

L'on ajoutera que le corso n'est pas non plus un ancêtre mal dégrossi de la course, qui ferait ses premiers pas inaboutis mais émouvants pour quitter les sombres rivages de la piraterie et avancer vers la lumière de la course classique et de l'État de droit. Au contraire : l'idée de réguler sévèrement l'activité des corsaires est ancienne. L'on peut en prendre des exemples non seulement aux XVII ème et XVIII ème siècle, mais bien avant. On citera le cas des corsaires dunkerquois, dont l'activité de course commença sous l'autorité espagnole à l'époque de la Guerre de Quatre-Vingts Ans (1568-1648), c'est-à-dire à la même époque à peu près que le corso ; les contrôles sur les prises étaient sévères (les corsaires disaient : tatillons) et conduisaient parfois jusqu'à Bruxelles (capitale de la Flandre espagnole) quand une partie faisait appel [12].

Les acteurs du corso viennent souvent d'Europe (Ali Bitchin), et même d'Europe du Nord (Simon Dansa, Jan Jansen alias Mourad Raïs). Leur installation dans une zone où la distinction corsaire/pirate est fictive est un choix. Il s'agit se personnes souvent intelligentes, capables de commander des flottilles de plusieurs navires, d'assumer les fonctions d'amiral (Bitchin) ; certains ont une stature de chef d'État et deviennent Régents d'Alger (les Barberousse, Hasan Corso, Uludj Ali, Hassan Vénéziano, Djafer Pacha).

Les justifications alléguées

Les justifications alléguées sont variées :

Côté musulman

Le corso s'insère dans la notion de jihad :

"Dans les relations entre l’Europe et le Maghreb, la guerre de course était, pour les musulmans d’Afrique du Nord, un des aspects de la guerre qu’ils menaient contre les chrétiens." (Daniel Panzac, voir bibliographie)

Il s'ensuit que c'est une guerre permanente. Les traités de paix passés avec les puissances occidentales s'analysent simplement comme des trêves payantes, des rançons versées à titre préventif.

Même un allié n'est pas à l'abri de la prédation, comme François Ier en fit l'expérience avec son allié Barberousse. A peine arrivés, à sa demande, à Toulon, les Barberousse se plaignent que leur troupe n'a rien à manger, et font comprendre qu'ils entendent vivre sur le pays. Claude Farine écrit :

«... "Presque tous les habitants de Toulon durent quitter la ville, abandonner leurs maisons, leurs métiers... pour faire place à des alliés pires que des ennemis... Les matelots enlevaient les jeunes garçons et les emmenaient esclaves sur leurs vaisseaux. Toutes ces atrocités se commettaient impunément. Barberousse, en véritable maître, ne permettait pas qu'on sonnât les cloches dans les églises...»

Les 30000 pirates de Barberousse sont installés à Toulon pendant tout l'hiver 1543/1544, la cathédrale est transformée en mosquée, mais pour autant, on ne les voit pas se battre pour le Roi de France. Celui-ci finit par payer une rançon pour obtenir leur départ[13].

Côté chrétien

Pour Xavier Labat Saint-Vincent, du côté des puissances européennes, l'Ordre de Malte pratiquait aussi le corso, auquel il aurait donné, au début du moins, un caractère défensif.

"S'il fut à l'origine une contre-course défensive qui répondait à la formidable explosion de l'activité corsaire des ports barbaresques, le corso maltais acquit, à partir de la défaite navale turque à Lépante (1571), sa véritable dimension prédatrice. Son activité glissa vers le bassin oriental de la Méditerranée et visa de plus en plus souvent des cibles civiles : il ne s'agissait plus dès lors d'une contre-course défensive, mais ni plus ni moins d'un pillage organisé et systématique destiné à ruiner les marines de commerce musulmanes, pour le plus grand profit des marines chrétiennes et surtout française (...)

Il renaquit au début du XVIIIe siècle sous un autre vocable : l'idée même de croisade contre l'ennemi du nom chrétien étant devenue par trop anachronique en ce début du siècle des Lumières, l'Ordre se devait de considérer un autre ennemi : ce n'était plus l'Islam qui était visé, mais le mauvais musulman, le pirate barbaresque. Cependant, ce renouveau du corso chrétien n'atteignit jamais plus son niveau du siècle précédent et perdura à un niveau médiocre jusqu'à l'éviction de l'ordre de Malte par Bonaparte en 1798."[14]

A titre individuel

Parmi les Européens venus volontairement s'engager dans la piraterie barbaresque, on note :

  • un afflux de Hollandais lors de la Guerre de Quatre-Vingts Ans (guerre d'indépendance des Provinces-Unies contre l'Espagne) ; les Dansa, Jansen et autres ont trouvé à Alger un autre ennemi acharné de l'Espagne ; Jansen aimait à afficher son indépendantisme hollandais[15] ; l'on dit qu'il levait le pavillon hollandais quand il attaquait un navire espagnol, et sinon le pavillon turc[16]. Salomo de Veenboer alias Suleyman Raïs disait faire de même.
  • une arrivée d'Anglais[17] (en particulier Peter Easton et John Ward alias Yusuf Raïs) après 1603 ; il s'agit d'anciens corsaires privés de leur lettre de marque à l'occasion de l'avènement de Jacques Ier en 1603 (souverain qui, contrairement à Élisabeth Ire, à laquelle il succédait, recherchait la paix avec l'Espagne et résilia toutes les lettres de marques dans ce but)

Un régulateur introuvable

Dans les Régences barbaresques, le régulateur est introuvable. Ni l'autorité étatique, ni l'autorité religieuse ne jouent ce rôle bien que l'État soit présent pour faciliter la prédation (les puissances européennes n'auraient pas laissé subsister les Régences si la Sublime Porte n'avait pas été derrière), et l'autorité religieuse de même (avec l'idée de Jihad permanent).

Il est d'ailleurs difficile de démêler jusqu'à quel point cette impuissance à réguler est réelle et jusqu'à quel point elle est instrumentalisée. Que les raïs d'Alger soient de maniement difficile pour leur suzerain ottoman, c'est avéré. Mais il est également avéré qu'Alger ne retournera jamais son sabre d'abordage contre la Turquie et l'Islam, ce qui aurait été en théorie possible au vu du nombre de grands raïs et d'amiraux d'origine chrétienne (à commencer par les Barberousse), voire clairement turcophobes et islamophobes[18].

Absence de régulation étatique

En théorie, le régulateur devrait être l'État, mais quel État ? La Régence d'Alger est vassale supposée de l'Empire ottoman, mais elle s'en affranchit largement et ne reconnait pas les traités de paix que celui-ci passe avec les puissances occidentales ; quand la Sublime Porte se mêle d'avoir ses propres critères d'intervention militaire navale, la révolte flambe parmi les raïs, attisée par exemple par un Ali Bitchin.

Cette même Régence d'Alger ne dispose pas davantage d'un pouvoir politique local réel, du moins pour réguler, puisque ses Régents tremblent devant leur garde de janissaires, et que ces derniers sont payés grâce aux prises des raïs (capitaines pratiquant le corso).

Absence de régulation religieuses

L'autorité religieuse pourrait aussi, en théorie, être un régulateur, puisque le corso, côté barbaresque, s'inscrit dans le "Jihad". Mais quelle autorité religieuse ? L'Islam n'a pas d'autorité centrale qui pourrait constater de temps en temps l'état de paix, et faire respecter ce constat par les raïs.

Au demeurant, le pouvoir modérateur que pourraient avoir, à supposer qu'elles le veuillent, les autorités musulmanes sur les raïs d'Alger ne doit pas être surestimé, comme le souligne H. D. de Gramont[19]

"Le raccroissement du nombre des renégats fut la cause déterminante de ce changement de conduite. Déjà, en 1580, Haëdo disait qu'ils formaient, eux et leurs enfants, plus delà moitié de la population de la ville ; cette évaluation est peut-être un peu exagérée; mais il est certain que c'était parmi eux que se recrutaient les constructeurs de navires, les ingénieurs, les maîtres-ouvriers de toute espèce, tous ceux enfin sans lesquels la marine n'aurait pu exister.

Quelques-uns avaient entrepris la course pour leur compte, et une certaine quantité de pirates de toutes les nations, attirés par la renommée des Algériens, étaient venus se joindre à eux, prenant spontanément le turban. Ces nouveaux venus changèrent l'esprit de la corporation ; à la lutte contre l'Infidèle [Djehad) succéda la guerre de rapine, et la course prit, sous l'impulsion des Regeb-Reïs et des Calfat-Hassan, un caractère de férocité qu'elle n'avait pas eu jusqu'alors. Tout ce qui flottait fut déclaré de bonne prise, et aucun pavillon ne fut à l'abri de l'insulte ; le respect religieux qu'inspirait aux anciens corsaires le chef de l'Islam n'était pas fait pour arrêter des hommes qui se souciaient encore moins de leur nouvelle foi que de celle à laquelle ils venaient de renoncer.

Ils devinrent donc un des plus grands éléments de désordre; mais, en même temps, ils furent la force vive de la régence. Ils apportèrent, dans l'exercice de la piraterie, l'ardeur, l'activité et l'âpreté au gain des races septentrionales ; grâce à leurs connaissances nautiques, ils introduisirent d'utiles modifications dans les navires barbaresques; sachant que, s'ils étaient pris, ils n'avaient pas de grâce à espérer, ils donnèrent l'exemple d'un courage indomptable, et furent l'âme de la résistance lors des attaques européennes."

Sur l'indifférence religieuse affichée de certains raïs (ceux précisément qui ont assez de pouvoir pour l'afficher impunément), on se réfèrera aux articles sur Ali Bitchin et Simon Dansa. Quant à Jansen, s'il a perçu tout l'intérêt de l'Islam pour un homme désireux comme lui d'avoir deux femmes, il ne rompt pas les liens avec sa famille hollandaise et aurait, par sa première femme hollandaise, des descendants aux États-Unis[20]. Salomo de Veenboer alias Suleyman Raïs tenta en vain d'obtenir le pardon de la Hollande en faisant valoir que, même à partir d'Alger, il hissait le pavillon hollandais quand le navire attaqué était espagnol.

Fonctionnement du corso

Alger à l'époque de la Régence (1680)
Le Capitaine en:William Bainbridge paie tribut au Dey d'Alger, au nom des États-Unis ; vers 1800.

On prendra l'exemple de la Régence d'Alger.

L'on n'a pas connaissance de lettres de marque algéroises, même si le Registre des Prises (commencé en 1765) [21] permet à l'autorité politique locale d'avoir une connaissance bateau par bateau et sortie par sortie, de l'activité des raïs ; la reddition de compte se borne cependant exclusivement à apporter les preuves que le raïs partage le butin avec cette autorité ; l'autorité politique supérieure (la Sublime Porte) est tenue à l'écart de l'information opérationnelle (quel bateau, quels captifs de quelle nationalité), ce qui rend inopérants les "traités de paix" que les puissances occidentales pourraient passer avec cette "autorité" supposée supérieure.

Les pays européens les plus puissants, comme la France et l'Angleterre, négocient, régence par régence (puisque l'échelon central est inopérant) des "traités de paix", en fait des trêves payantes toujours précaires ; l'application des traités "de paix" ne va pas de soi ; l'asservissement "par erreur" de ressortissants des pays signataires n'est évité qu'au prix d'épuisantes et humiliantes tractations au cas par cas par les consuls, qui doivent sans cesse faire profil bas et donner quelque chose de plus.

Daniel Panzac écrit : "On a noté que les Régences ne sont jamais en paix en même temps avec tous leurs adversaires potentiels afin de conserver les corsaires en haleine et maintenir une certaine pression sur les autres pays. "

Les pays plus faibles, en particulier les micro-États italiens et les îles, n'ont pas la ressource de passer de tels traités (ni surtout de les faire respecter), et ils subissent de plein fouet la prédation qui se traduit non seulement par des attaques en mer, mais aussi par des razzias massives sur les côtes, et ce encore au XIX ème siècle. On citera encore Daniel Panzat[22] :

"Ciro, modeste bourgade de Calabre, au sud du golfe de Tarente, est attaquée à trois reprises en 1803 par des corsaires qui enlèvent treize personnes le 3 juin, six le 30 juin et six encore le 27 juillet ; ils reviennent à nouveau le 17 et le 27 juillet 1804 et encore en juin 1805 emportant cette fois des pêcheurs à quelques encablures de la côte. La côte méridionale de l’Adriatique, entre Pescara et Brindisi, est attaquée à onze reprises entre mai et novembre 1815 et la liste est longue des agglomérations elles-mêmes, ou leurs proches environs, sont victimes des corsaires : Silvi, Termoli, Vasto, Melito, Pizzo, Montauro, San Foca, Lecce, Ostuni, Brindisi, Carovigno..."

Des ordres religieux se consacrent au rachat des captifs : les mercédaires et les trinitaires. On ne peut ici manquer de citer cette grande personnalité que fut Saint Vincent de Paul.

Corso et esclavage

La réduction en esclavage est le sort qui attend les personnes enlevées, que ce soit à terre ou en mer.

Parmi les souvenirs d'esclaves publiés, l'on choisira celui d'Emanuel d'Aranda[23]. Cet Espagnol des Flandres est capturé par les Barbaresques et reste environ un an (1640/1641) esclave en Alger pendant que son échange se négocie. Son récit est l'un des plus faciles à lire pour le lecteur moderne en raison de son style simple, enlevé, coloré. D'Aranda n'est pas de ceux qui ont le plus souffert, car c'est un esclave assez riche pour que son maître Ali "Pegelin" (Bitchin) puisse en espérer une rançon. Il note :

  • Les galères : elles existent encore au temps d'Aranda, bien que lui n'ait pas l'occasion d'y ramer
  • Au marché aux esclaves ("Batestan") : "Un vieillard inventeur fort caduc, un bâton à la main, me prit par le bras et me mena différents tours par ledit marché" ; les acquéreurs éventuels s'intéressent à la force physique des esclaves en examinant leurs mains et leurs dents, ainsi qu'à leur pays et à leur état de fortune pour évaluer le montant de la rançon à demander ; le mot qui revient : "Arrache, arrache" ("Qui offre plus ?")
  • Évaluation de la rançon possible ; c'est le grand sujet qui mobilise toute la ruse et tout le réseau de relations tant du côté des maîtres (pour tenter de détecter les plus riches) que des esclaves (pour se faire passer pour pauvre s'ils ne le sont pas); les questions directes ne suffisent pas ; des réseaux de renseignements structurés viennent les compléter, mobilisant maîtres musulmans, esclaves anciens et commerçants juifs ; tout dépend de la réponse à cette question, et d'abord quel maître achètera l'esclave ; dans le cas d'Aranda, il est d'abord acheté par Saban Gallan, considéré par tous comme un brave homme ; ensuite, le Régent, le croyant riche, fait jouer son droit de préemption avant de le laisser à Ali Pegelin/Bitchin, après s'être laissé convaincre (à tort) qu'Aranda n'a pas d'argent ;
  • Circuits : aussi complexes qu'efficaces quand il s'agit de l'essentiel ; bien qu'Aranda ait menti sur son nom et sa nationalité, il est recherché au bout de peu de jours sous son identité exacte ; il réussit aussi à faire un paiement par lettre de change (argent reçu à Alger, contrepartie payable en Flandre) ; quant aux circuits de vente du vin, ils méritent eux aussi l'attention des sociologues, qui se réfèreront au texte intégral d'Aranda[24] ; la complexité des circuits atteint des sommets quand il s'agit d'échange de captifs (un tel échange sera réussi dans le cas d'Aranda, lui évitant de payer une rançon), car aucun intérêt ne coïncide exactement avec les autres : par exemple les captifs musulmans échangeables n'appartiennent pas à la famille du patron d'Aranda, lequel n'entend pas se priver du produit d'une rançon en argent pour permettre la libération de coreligionnaires qui ne lui sont rien
  • Le "Bain" ; c'est ainsi que l'on nomme (ce nom a donné bagne) les sortes de casernes où de nombreux esclaves sont regroupés ; Aranda décrit celui d'Ali "Pegelin", le maître dont il dépend la plupart du temps ; le cri du matin : "Sursa cani, abaso canalla" (Levez vous, chiens, debout, canaille) ;
  • Ali "Pegelin", le maître principal de d'Aranda, est aussi connu par d'autres sources comme Piccinino ou Bitchin ; ce richissime armateur de galères, qui possédait 3000 esclaves, est un renégat italien ; il fonda en 1622 une mosquée qui resta longtemps connue comme "mosquée d'Ali Bitchnin", avant de devenir d'église Notre Dame des Victoires, toujours debout en 1930 ; d'après Aranda cependant (voir plus loin Dialogue interreligieux), il la fréquentait guère ;
  • La nourriture : généralement, chez Ali Pegelin, un morceau de pain ou de biscuit, et encore de façon aléatoire ; après le travail pour leur patron, les esclaves ou 3 ou 4 heures à eux pour "chercher leur vie" ; ceux qui ont trouvé quelque chose à voler le vendent au autres le soir au bagne, après encore des "Arrache, arrache" ; la nourriture est meilleure et la conversation plus digeste chez un pauvre soldat nommé Casaborne Mostafa, chez qui d'Aranda sert un temps ; en tant que janissaire, Mostafa n'a ni femme ni enfant, son héritage est destiné au Régent, en conséquence il préfère le manger et le boire ; il s'assied en tailleur, fait manger d'Aranda au même plat et lui conseille de se remonter le moral en imaginant qu'il est le maître et Mostafa l'esclave ;
  • L'alcool : pour quelques piécettes, on s'en procure aisément ; quand Ali "Pegelin" a pris une cargaison d'alcool, il ne la laisse pas perdre ; d'après la théologie en vigueur à Alger au temps d'Aranda, un musulman peut boire de l'alcool mais non en vendre ; en conséquence, sa vente suit des circuits complexes qui passent par le "bain" ; celui-ci a ses tavernes, au pluriel, très fréquentées des soldats turcs en plus des esclaves chrétiens ; la principale est située "entre des galeries de deux étages", juste à côté de l'église qui peut contenir 300 personnes ; la présence de la taverne amène, pour les esclaves du bain, quelques coups de leurs gardiens quand une bagarre d'ivrogne a réveillé Ali "Pegelin", dont le palais est limitrophe, mais aussi une petite circulation d'argent dont certains réussissent à attraper leur part ;
  • "Pêché abominable" : très répandu et non réprimé ; Ali "Pegelin" n'en est pas adepte, mais il a quand même une poignée de beaux et jeunes esclaves en son palais, par ostentation, pour montrer qu'il pourrait s'il voulait ;
  • Dialogue interreligieux : le père Angeli, un prêtre génois détenu aux bains d'Ali "Pegelin", est apprécié de tous : catholiques, luthériens, russes orthodoxes et même musulmans ; Ali "Pegelin" le fait venir pour lui demander quel sera son sort à sa mort ; après maintes hésitations, le prêtre ose répondre qu'il ira droit en enfer ; Ali "Pegelin" lui ayant demandé s'il y avait un moyen de l'éviter, le prêtre ose lui suggérer d'être meilleur musulman : s'abstenir de voler, montrer quelque miséricorde, s'abstenir de se moquer du Coran ; mettre quelquefois les pieds à la mosquée ; s'abstenir, quand il est chez le Régent et que le cri du muezzin retentit, de se couvrir le visage d'un mouchoir pour montrer qu'il fait ce qu'il peut pour cacher son rire ; tout cela paraissant un peu compliqué, "Pegelin" décide que le diable fera de lui ce qu'il voudra le moment venu ; on précisera tout de même qu'en parallèle des efforts du père Angeli pour rendre "Pegelin" meilleur musulman, ce dernier fait son possible pour que ses esclaves restent bons chrétiens ; celui qui parait vouloir se convertir à l'Islam est roué de coups, "Pegelin" craignant que cette conversion ne l'oblige à terme à affranchir l'esclave ;
  • Mondialisation : dans le bagne d'Ali "Pegelin", il y a des marins de toutes nationalités : Espagnols, Portugais, Italiens, Hollandais et même Russes ; ils échangent des informations sur toutes les nouvelles terres : Amérique, Brésil en particulier
  • Lingua franca : c'est le sabir (autre nom de la lingua franca) qui sert aux marins et aux esclaves du pourtour de la Méditerranée à communiquer tant bien que mal ; aux "Se ti sabir, ti respondir" du Mamamouchi de Molière, le linguiste intéressé pourra ajouter les "Arrache, Arrache" et les "Sursa, cani" de d'Aranda. Un locuteur de langue maternelle latine devine, globalement, par intuition, le sens d'une phrase en lingua franca ; en revanche, il n'en va pas de même des Européens du nord ; d'Aranda souligne le surcroit de misère que l'incapacité de communiquer créait pour les captifs ces ces pays.

La fin du corso

L'âge d'or du corso fut le XVIIème siècle. Au début du XVIIIème, il est en décadence et parait près de mourir de lui-même, mais il suffit de quelques grands capitaines comme le Rais Hamidou (1770-1815) pour lui redonner vie, d'autant plus que la charnière des XVIIIème et XIXème siècles correspond aux guerres de la Révolution et de l'Empire qui voient les Européens se déchirer en eux et laisser le champ libre aux pirates d'Alger.

Le corso prend fin, côté chrétien, par l'éviction de l'Ordre de Malte en 1798 par Bonaparte ; le corso musulman demeure.

Même si elle n'a pas les dimensions qu'elle avait au temps des Barberousse et des Ali Bitchin, la prédation reste importante : en 1800, rançons et tributs liés aux traités "de paix" représentent 20 % du budget des États-Unis [25]. Pour ne rien dire des drames humains de l'esclavage.

Cependant, les puissances occidentales cherchent toutes les moyens de se débarrasser du corso.

Un événement tournant est la défaite de Napoléon en 1815, qui libère les forces que l'Europe peut consacrer à la lutte contre la piraterie barbaresque. Les moyens de la combattre sont discutés au Congrès de Vienne en 1815. La même année, les États-Unis lancent l'expédition américaine de 1815 (elle coûte la vie au Raïs Hamidou)

L'expédition anglaise de Lord Exmouth a lieu en 1816 ; ces opérations ponctuelles ont quelque effet (en particulier l'expédition anglaise permet de délivrer de nombreux esclaves), mais le corso reprend une fois les Occidentaux repartis.

Le corso musulman prend fin avec la conquête de l'Algérie par la France en 1830.

Le corso dans la littérature

Le risque d'être enlevé et réduit en esclavage au moindre voyage en mer a profondément marqué les esprits.

Le corso est très présent dans la littérature, à la fois par certains écrits d'anciens captifs comme Cervantes, et dans la littérature de fiction.

Il y a bien sur Molière, ses "Que diable allait-il faire dans cette galère ?" (Les Fourberies de Scapin) ; son grand Mamamouchi et ses turqueries en sabir (Le Bourgeois gentilhomme); la lingua franca telle qu'elle y est parlée est probablement assez vraie, Molière ayant été conseillé, pour ses turqueries, par le chevalier Laurent d'Arvieux, fin connaisseur de l'Orient.

Il y a aussi Goldoni, le Robinson Crusoe de Daniel Defoe, le Candide de Voltaire.

Et Histoire de Gil Blas de Santillane de Alain-René Lesage

À ces grandes œuvres, l'on ajoutera les nombreux récits de captivité, tel que celui d'Emanuel d'Aranda.

Voir aussi

Sources

Notes

  1. en gardant le terme italien
  2. Cité par de Grammont,cité lui-même en sources
  3. article cité bibliographie
  4. Simbula, article cité en source avec lien cliquable ; sur internet ; non paginé ; voir section Parmi les îles de la mer Tyrrhénienne, 4 ème alinéa
  5. Article Simbula précité, section "Regards sur l'Orient, alinéas 3 et 4
  6. Ouvrage cité en bibliographie
  7. op. cit.
  8. Emanuel d'Aranda, livre cité en sources, pp 242 et ss
  9. Compagnie néerlandaise des Indes occidentales
  10. Thomas Jefferson and John Adams-John Jay, March 28, 1786, Boyd, Julian, et al (eds), The Papers of Thomas Jefferson, v.9, p.358. ; cité sur Wikipedia anglophone
  11. Celui démarrant en 1765 pour la Régence d'Alger a été retrouvé et analysé par l'archiviste Albert Devoulx
  12. Patrick Villiers, ouvrage cité en bibliographie
  13. Jacques Heers, livre cité en sources
  14. "La course et le corso en Méditerranée du XVIe au XIXe siècle", Blog de Xavier Labat Saint-Vincent sur le site clio.fr
  15. Indépendantisme plutôt que patriotisme à l'époque de Jansen ; on était en pleine guerre de Quatre-Vingts Ans, et ce n'est qu'à la fin de cette guerre en 1648 que les Provinces-Unies sont officiellement indépendantes , mais elles bénéficiaient déjà d'une quasi-reconnaissance de fait de la part des puissances européennes désireuses d'affaiblir l'Espagne
  16. en:Jan Janszoon
  17. Source : WP anglophone, articles consacrés aux pirates concernés
  18. Simon Dansa ; Ali Bitchin
  19. voir bibliographie
  20. Wikipedia anglophone
  21. retrouvé et analysé par Devoulx
  22. Article cité en bibliographie
  23. Ouvrage cité en sources
  24. lien cliquable en bibliographie
  25. en:Barbary corsairs

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Contenu soumis à la licence CC-BY-SA. Source : Article Corso (piraterie) de Wikipédia en français (auteurs)

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