Crise bancaire de mai 1873

Crise bancaire de mai 1873

La Crise bancaire de mai 1873, fut la détonatrice du krach de 1873 et de la Grande Dépression qui l'a suivie pendant une quinzaine d'années. Partie de Vienne, Paris et Berlin, elle se concrétise par des centaines de faillites de banques qui avaient prêté trop massivement aux investisseurs immobiliers, en prenant pour garantie des immeubles dont la valeur a subitement baissé après avoir excessivement monté. Elle a causé plusieurs dizaines de suicides.

Sommaire

Histoire

Deux années d'intense spéculation immobilière et boursière

Les édifices les plus prestigieux à Vienne, Paris et Berlin datent du début des années 1870[1]. L’Empire Austro-Hongrois et celui la Prusse, unifié en 1871, ont crée de nouvelles institutions para-bancaires distribuant des prêts pour des constructions privées ou municipales. De 1871 à 1873, la bourse de Berlin accueille aussi 95 nouvelles banques, parmi lesquelles la Deutsche Bank, fondée en mars 1870, qui ouvre des succursales à Brème et Hambourg. Plus de 100 sociétés financières spécialisées sont constituées pour construire et embellir les villes allemandes. Des quartiers entièrement neufs s'élèvent, le recours à l'acier pour les façades étant facilité par le procédé Bessemer du métallurgiste Henry Bessemer (1813-1898). C'est l'époque dorée du "Gründerzeit": 8% de croissance allemande en 1872. Le dividende moyen des banques allemandes atteint 10,75%. Il chutera à 7,15% en 1873 et 6,83% en 1874, tandis que sur 389 sociétés entrées Bourse de Berlin, 55%, ne distribuent plus aucun dividende à partir de 1874.

A Paris, les grands travaux du baron Georges Eugène Haussmann (1809 - 1891 ), préfet de la Seine, se traduisent par des spéculations sur la vente d'immeubles et de terrains décrites par Émile Zola dans son roman La Curée en 1872. L'empereur a souscrit à un emprunt 260 millions de francs en 1869, (l'équivalent de 26 milliards d'euros actuels), tandis que la banque des frères Péreire investit 400 millions de francs dans des bons de délégations, à valeur spéculative, créés par un décret impérial. Dans une brochure intitulée : « Les Comptes fantastiques d'Haussmann », par allusion aux Contes fantastiques d'Hoffmann, Jules Ferry affirme qu'il en a coûté 1,5 milliard de francs, bien loin des 500 millions annoncés par Haussmann, qui est destitué en janvier 1870, quelques mois avant la chute de Napoléon III.

La spéculation est encore plus extrême en Autriche, où les prix des maisons doublèrent en quelques mois. Un total de 376 sociétés de toutes sortes furent fondées sur le sol autrichien en 1872, repré­sentant un capital de 2 milliards de florins, dont 700 millions pour le premier trimestre de 1873[2]. Les sociétés cotées versent des dividendes très élevés, 10% à 15% en moyenne. Pour le banques, c'est de 14% à 22%, et ils culminent à 80% pour la Vienner Bankverein[3] Les banques commercialisent des produits financiers assurant un rendement constants aux actionnaires[4]. Ce vent de folie inspire Johann Strauss, qui écrit une nouvelle opérette, "Die Flerdermaus", critique enjouée des nouveaux riches de Vienne, jouée seulement en 1874[5].

Les coups d'accordéon sur l'offre de monnaie

Ayant perdu la Guerre franco-prussienne de 1870, l'État français est contraint d'émettre sur le marché obligataire pour 5 milliards de francs d'emprunts, soit près de 25 % du PIB français, qui vont directement servir à indemniser son vainqueur, la Prusse, devenue l'Empire allemand. La loi monétaire prussienne du 4 décembre 1871 oblige la France à verser ces cinq milliards de francs dans une nouvelle monnaie, le mark-or. C'est autant de monnaie subitement injectée dans le système bancaire allemand, avec en plus un effet d'euphorie, car l'or est considéré comme le socle de la solidité monétaire depuis la Panique de 1837. C'est le petit marché boursier autrichien, devenu hyper-spéculatif, qui profite le plus de cette injection subite et massive de liquidité. Mais toute l'Europe en capte un peu.

Deux ans après, grand coup de barre dans l'autre sens : le Coinage Act de 1873 décrète en février l'étalon-or pour la monnaie américaine, jusque là basée sur l'argent-métal, extrait en abondance par les pionniers de la conquête de l'Ouest. Résultat, la chute des cours mondiaux de l'argent-métal, brusquement démonétisé, qui menace de comprimer brutalement l'offre mondiale alors que la plupart des États européens l'emploient encore comme base monétaire.

Le déclenchement de la crise

Le krach a commencé le vendredi 9 mai 1873, huit jours après l'ouverture de l'exposition universelle de 1873, qui réunit 53000 exposants, dont 3500 hongrois, sur 233 hectare, cinq fois plus que la moyenne des expositions, autour de pavillons magnifiques[6], du 1er mai 1873 au 31 octobre 1873 à Prater, près de Vienne. Il s'agit de prouver que l’Empire Austro-Hongrois fait partie des grands, tant du point de vue architectural qu’en matière d’urbanisme, comme en témoigne la reconstruction de Vienne. La folie spéculative a provoqué le triplement des prix immobiliers en quelques mois, mais quand l'exposition ouvre, un grand ballon captif s'échappe et personne ne parvient à gonfler son remplaçant. La Bourse de Vienne réagit à la faillite de plusieurs centaines de banques autrichiennes les 8 et 9 mai, incapable de récupérer leurs créances hypothécaires sur l'immobilier. La Banque Placht et Fels, favorite des petits porteurs, laisse un passif de 2,76 millions de florins, alors qu'elle ne dispose plus que de 9.000 florins d'avoir[7]. Les plus touchées sont les nouvelles institutions émettant des prêts hypothécaires pour la construction municipale et résidentielle. La faillite du groupe financier de Stephan Keglevich est l'une des plus retentissantes.

La défiance entre banques

Un délai est donné aux banques en difficulté, jusqu'au 15 mai, pendant lequel elles peuvent puiser dans un fonds de 20 millions de florins spécialement prévu en cas de crise[8]. Mais cela ne suffit pas. Les actions de plusieurs banques prestigieuses s'effondrent, comme celle de la Kreditanstalt, fondée par les Rotschild dans les années 1850, la Bankverein Boden Kreditanstalt, spécialiste du foncier et présidée par l'ancien ministre Giskra, où de l'Anglo-Bank, dirigée par le comte Eugène Kinsky.Les journaux affirment que près d'un millier de petits épargnants se suicident. Les banques ne se font plus confiance. Le coût des prêts interbancaires flambe. Le 9 juin, c'est la faillite de la Wechlersbank, fortement engagée dans les chemins de fer. La panique se déplace vers la place boursière de Berlin. Les difficultés des banques de Gerson von Bleichröder et Adolph von Hansemann (1826-1903) entraînent la faillite de leur débiteur, le géant du rail allemand Bethel Henry Strousberg (20 November (1823–1884), dont ils récupèrent des actifs[9].

Le krach se propage à New York, où les banquiers Henry Clews (1836 – 1923) et William Tweed (1823 – 1878) avaient pris le contrôle des finances de la ville : en deux ans et huit mois, la dette municipale passa de 36 millions de dollars (1868) à 136 millions (1870). Ils ont multiplié, aux frais du contribuable, les opérations immobilières spéculatives dans l'Upper East Side, à Yorkville et Harlem, en utilisant l'aqueduc de Croton ou lors de la construction du Metropolitan Hotel puis du Brooklyn Bridge, qui prend 14 ans, de 1870 à 1883. La banque d'Henry Clews est obligée de fermer ses portes. Plusieurs mois plus tard, la banque d'affaires du financier Jay Cooke annonce qu'elle n'est plus en mesure d'apporter son appui à la Northern Pacific Railway. Cette compagnie fait faillite le 18 septembre, ainsi que la Jay Cooke & Company, bientôt suivi par l'Union Pacific. Wall Street est contrainte de fermer 10 jours à partir du 20 septembre. La bulle spéculative ferroviaire se dégonfle à son tour, tandis qu'à Vienne, une épidémie de choléra dure 20 semaines, causant 1304 décès en août et 1091 en septembre. La crise écononique mondiale va durer près d'un quinzaine d'années.

Voir aussi

Articles connexes

Références

  1. "1873, la véritable grande dépression", par Scott Reynolds, le 20 novembre 2008
  2. "Du libéralisme à l'impérialisme, 1860-1878" par Henri Hauser, Jean Maurain et Pierre Benaerls (collectif d'universitaires français), en 1939 aux Presses universitaires de France, pages 400 à 405
  3. , "L'Autriche, treizième des douze: entre "nostalgies" et "obsolescences" quelle identité ?", par Félix Kreissler, Publications Université de Rouen Le Havre, 1993 page 43
  4. "Une histoire des crises financières du 19e au 21e siècle", par Sauvrates, le 27 avril 2011
  5. "Die Flerdermaus", une opérette de 1874
  6. http://www.worldfairs.info/expopavillonslist.php?expo_id=4
  7. , "L'Autriche, treizième des douze: entre "nostalgies" et "obsolescences" quelle identité ?", par Félix Kreissler, Publications Université de Rouen Le Havre, 1993 page 43
  8. "Des crises générales de surproduction"
  9. "Gold and Iron: Bismarck, Bleichröder, and the Building of the German Empire", par Fritz Stern, 1977

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Contenu soumis à la licence CC-BY-SA. Source : Article Crise bancaire de mai 1873 de Wikipédia en français (auteurs)

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