Goguette située à Montrouge-Plaisance

Goguette située à Montrouge-Plaisance

La goguette située à Montrouge-Plaisance est une goguette dont on ne connaît pas le nom.

Il en existe une description faite par J.K. Huysmans en juin 1880 dans le journal Le Gaulois[1]. Il ne la nomme pas mais en indique la position géographique : elle se réunit à l'époque chez un marchand de vins du quartier Montrouge-Plaisance dans le 14e arrondissement de Paris.

La présence d'un biniou dans cette goguette nous rappelle que nous sommes près de la gare de l’Ouest[2], un coin de Paris où vivent beaucoup de Bretons.

J.K. Huysmans ne respecte pas la vérité sur les goguettes. Il affirme qu'il n'en existe plus qu'une ou deux à Paris en 1880. Or Henri Avenel nous rapporte qu'il en existe des centaines en 1889[3].

À lire J.K. Huysmans on voit qu'il n'aime ni les goguettes, ni les ouvriers qui les fréquentent. Ces derniers apparaissent ici comme des brutes alcooliques primaires et bruyantes.

Description de la goguette

L'ancienne société chantant, celle qu'on appelait autrefois, à Paris, la goguette, a disparu. Une ou deux existent cependant encore, où des ouvriers s'époumonent à beugler, le soir, pour leur plaisir. C'est dans l'un de ces endroits, devenus, aujourd'hui, de véritables bouges, que je mènerai le lecteur, s'il n'a point l'odorat trop sensible et le tympan trop faible.
Dans le quartier de Montrouge-Plaisance, une triste rue s’étend qui naît près d’un passage à niveau de chemin de fer, à côté des ateliers machines de la gare de l’Ouest, prend en écharpe la chaussée du Maine et s’arrête enfin, non loin de l’extraordinaire bal Grados, rue de la Gaîté. Dans cette rue, un marchand de vins ouvre sur un trottoir une boutique barbouillée de chocolat et rechampie de filets jaune-serin. Ce n’est pas le marchand de vins moderne avec ses dorures, ses glaces, son immense comptoir d’étain luisant, surmonté, à chaque bout, de mousquetaires ou de mignons en simili-bronze, qui surveillent, l’épée ou le drapeau en main, le filet d’eau en train de gargouiller, sous leurs pieds, dans une piscine où trempent des verres ; ce n'est même pas le marchand de vins des quartiers populeux avec ses barreaux rouges et ses raisins en tôle bleue au-dessus de la porte ; c’est le vulgaire mastroquet des anciens temps, c’est la boutique sans cabinets séparés par des cloisons découpées, à hauteur d’homme, à l'emporte-pièce. Une salle humide comme une cave, sans papier collé au mur, sans sable jaune qui boive au moins le liquide répandu ou rejeté par les buveurs, six tabourets, deux tables de bois blanc, c'est tout. Ajoutons-y pourtant encore, dans un coin, un petit comptoir au milieu duquel trône, coupé au ventre, un buste d’homme versant les manches retroussées jusqu’aux coudes sur des bras poilus, de pleins brocs de vin qui semblent considérables et qui ne tiennent rien.
Huit heures du soir sonnent à peine ; la salle est presque vide. Un chat, roulé en boule sur une table, se lève, fait le dos de chameau, s'étire et va flairer une vieille femme qui dévore, silencieuse, de la charcuterie dans du papier. Traversons la salle ; poussons une porte et descendons cinq marches ; la goguette est là, en plein vent, dans une cour.
Quatre murailles se dressent, quatre derrières de maisons, trouées de lucarnes carrés. Une lumière paraît, de temps à autre, au travers des grilles qui les garnissent, puis s'éteint ou s’en va ; l’on ne semble pas séjourner longtemps dans chacune de ces pièces.
En bas, dans la cour, l’obscurité est presque complète ; une lampe à schiste éclaire seule, en fumant, les murs ; peu à peu cependant, les yeux s’habituent à l’ombre et alors, confusément, on distingue des arbres plantés dans des barriques, des pins et des lauriers-roses, des tables, du gravier qui crie sous les pas et, tout au fond, une sorte de berceau, une tonnelle qui abrite un grouillement de foule. La cour fourmille d’ailleurs de gens, les tables sont encombrées ; c’est à peine si, près d’un enfant qui me tambourine aussitôt les jambes avec ses pieds, j’ai pu parvenir à trouver place. Les garçons arrivent et demandent ce que l’on veut boire. Les consommations sont peu variées : tout le monde réclame un saladier, et bientôt l’on entend, au-dessus des voix, le bruit du sucre que l’on écrase à coups de cuiller dans un peu d’eau, puis le dégoulinage des litres qui tombent en cascade dans la faïence.
Un second quinquet s’allume, à l’autre bout de la cour, et alors apparaît une petite estrade et le profil de l’homme-orchestre assis sur une chaise sans dossier, une grosse caisse dans le dos, cymbales par-dessus, un immense biniou dégonflé entre les bras. Deux autres figures coiffées de chapeaux pointus, des modèles italiens avec des dents de loup qui luisent dans leurs faces bronzés, s’installent, eux aussi, sur des tabourets, et ils lèchent, pour l'essayer, l'embouchure de leurs flageolets.
« Un peu de silence ! » crie une voix enrouée. Et l’homme-orchestre se lève, souffle dans son instrument qui s’emplit comme un ventre et piaule, tandis que la mailloche tape, à coups redoublés, sur la caisse et que les cymbales crépitent, sans mesure. Il joue la « Mandolinata », je pense, avec calme d’abord ; puis, sans qu’on sache pourquoi, il presse le mouvement, accélère les borborygmes du son biniou, suivi, dans cette hâte fébrile, par les hommes aux chapeaux pointus, qui sucent plus avidement les becs des flageolets, hurlant dans la nuit, d'une voix suraiguë qui vous entre dans l’oreille, douloureuse comme une pointe.
Satisfait, l’homme-orchestre secoue ses boucles d'oreilles qui luisent et se rassied. Un ouvrier se lève d’une table.
— C’est Jules, dit une voix.
— Tu crois ?
— Oh ! j’en suis sûr.
Des pleurs de marmailles, accompagnés par l’aboiement d’un chien, retentissent, réprimés par la subite menace de coups de botte et de gifles.
— Eh ! garçon, de la flotte! hurle, en traînant, une voix canaille, tandis que le garçon apporte une carafe d’eau, destinée non à être bue, mais à aider la fonte du sucre.
Le silence est rétabli.
— Vas-y, négociant ! crie une femme au chanteur, qui boit.
— À la commode ! glapit une autre.
Le patron a paru, au haut de l’escalier, tenant tout le cadre de la porte avec ses épaules et son ventre, croisant, la mine belliqueuse, de formidables bras. Personne ne dit plus mot, et le chanteur se dandine, un peu renversé en arrière, les mains dans les poches, la casquette écrasée sur la nuque, et il commence, sans accompagnement et sans musique, d’une voix profonde lavée par le trois-six :

Salut au héros de Vincennes,
À Daumesnil, au bon Français[4] !

Ces accents héroïques, religieusement écoutés, enthousiasment les buveurs. Quelques-uns déjà très allumés, frappent le bois du poing, et un autre, complètement ivre, se lève, se retenant d’une main à la table, dressant l’autre en l’air, et il braille, à tue-tête, avec le chanteur :

De lui que tout Français l’apprenne,
Le drapeau ne se rend jamais !

Sa femme se pend après lui et le fait asseoir.
— Bien, j’ai payé ma tournée : j’ai le droit de chanter ! crie-t-il.
— Voyons, mon vieux, voyons !
— Eh bien, quoi ! il n'y a pas de « mon vieux » qui tienne ! J’ai-t-y payé, oui, pas vrai ? eh bien, alors, je suis le maître. Ah ! et puis tu sais...
L’homme-orchestre se relève et ressouffle dans son biniou la « Mandolinata » que vinaigrent furieusement les flageolets des hommes aux chapeaux pointus.
Il se rassied et, cette fois, deux ouvriers grimpent sur l’estrade. Comme ils ne peuvent, faute de la place nécessaire pour exécuter les gestes, se tenir en face du public, ils se présentent de profil, bec contre bec, halenant droit, l’un sur l’autre, penchés en avant chacun, prêts à se cogner le front comme les marionnettes chez Guignol. Ils entament, sans musique toujours, un duo polisson que la foule goûte fort.
Des salves d’applaudissements partent redoublées. Toute la cour vocifère des bis. Ils dégoisent alors un nouveau couplet où, par une facile divination de la bêtise humaine, le chansonnier a ajouté aux malheurs d’une belle-mère les infortunes d’une jeune fille qui raconte naïvement sa faute. Le triomphe est retentissant, immense, et ils descendent de l'estrade, accostés pars les uns qui leur offrent des verres, appelés par les autres qui leur montrent la cuiller pleine de vin de leurs saladiers, agrippés par ceux-là qui ne leur montrent rien du tout, et ils disparaissent du côté des saladiers.
Depuis dix minutes déjà, d’étranges bruits me parviennent : dans l’obscurité, j’entrevois de vagues enlacements, je perçois des rires énervés de personnes que l’on pince, des éclats secs de baisers qui s'échangent !
Je tourne la tête et, à la lueur d’une allumette qui brûle une pipe, j'entrevois, au fond de la tonnelle, en un rapide éclair, des couples qui fermentent près de litres vides, dominés, comme dans une apothéose, par une grosse mère en cheveux, debout, le corsage entr'ouvert, sur lequel un mécanicien plaque, en ricanant, une énorme patte noire.
L’allumette s’est éteinte et le bosquet est retombé dans l’ombre. La bière à laquelle je goûte m’épouvante ; c'est du chicotin, sur lequel flottent, en guise de mousse, des bulles savonneuses ; l'enfant continue à me marteler les tibias, sans trêve ; une âcre odeur plane au-dessus de la cour ; les éviers du voisinage soufflent, et des fumets plus terribles encore s'échappent de la foule tassée.
Une hurlée de Marseillaise s'élève maintenant. À propos de bottes, ces gens, qui dormaient le nez dans leur verre, éprouvent le besoin de déclarer que la patrie les appelle ! Ah ! je ne sais si le jour de gloire est arrivé, mais, à coup sûr, la Saint-Lundi[5], le jour des grandes cuites, est venu ! Tout le monde parle, crie à la fois, jabote, braille, renverse les bouteilles et cogne les verres. Allons, il est temps de partir. Des coups de poing s'échangent à deux tables déjà ; le vacarme des bosquets s'est encore accentué. Tordue par le vent, la lanterne a jeté des lueurs inattendues dans la tonnelle, et j'aperçois, au fond, au-dessus des têtes couchées sur la table, la grosse mère, toujours debout et encore lutinée par l'énorme main noire.
Aussi bien, les Alphonses rappliquent de toutes parts. Par un dandysme cher au quartier de Montrouge, tous portent des cols-bouquet et aucun n'a de cravate ; décidément, toute la haute gomme des barrières est là, et, une fois sorti, je les rencontre encore qui rôdent, en bande, les cheveux effilés en corne de bœuf sur les tempes, obscurcies par les trois-ponts. En une mystérieuse ribambelle, des filles aux tignasses enfermées dans des résilles filent, rejoignent les guerriers disparaissent avec eux, dans des hôtels dont les portes à claire-voie sonnent, lugubres, dans la rue noire.

Notes

  1. Article « Les Mystères de Paris, Une goguette », Le Gaulois, 11 juin 1880.
  2. Aujourd'hui gare de Paris-Montparnasse.
  3. Henri Avenel Chansons et chansonniers, C. Marpon et E. Flammarion Éditeurs, Paris 1890, page 379.
  4. Le général Daumesnil en 1814 commandait le château de Vincennes. C'était un invalide qui avait perdu une jambe à la guerre. Sommé par les alliés de rendre Vincennes on raconte que sa fière réponse aurait été : « Rendez moi ma jambe et je rendrais Vincennes ! »
  5. Les ouvriers parisiens à l'époque prolongeaient leur journée de repos du dimanche en n'allant pas travailler le lundi. Ils appelaient ce jour de repos qu'ils prenaient d'autorité la Saint Lundi.

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