Histoire économique et démographique de la Charente-Maritime

Histoire économique et démographique de la Charente-Maritime

Au cours de ces deux derniers siècles, la Charente-Maritime a franchi en plusieurs étapes des seuils démographiques importants, dont celui symbolique du demi-million d’habitants après 1975. Cependant, cette croissance démographique ne s’est pas faite de manière continue. Ainsi, quatre grandes phases dans l’évolution de la population du département peuvent être décrites depuis le début du XIXe siècle.

Sommaire


La période 1801–1861 : une période de croissance vigoureuse de la population

Après avoir augmenté de façon soutenue pendant la première moitié du XIXe siècle, qui va du Premier Empire jusqu’au Second Empire, le département atteint un premier pic de population avec 481 060 habitants en 1861. Ce record démographique, jamais enregistré jusque-là, ne sera dépassé qu'un siècle plus tard, c'est-à-dire en 1968, où la Charente-Maritime recensera alors 483 622 habitants. Il situait alors le département au 16e rang national.

Tableau de l'évolution démographique de la Charente-Maritime de 1801 à 1861 : soixante années de croissance ininterrompue

Cependant, comme l'indique le graphique ci-dessous, cette croissance démographique n'a pas été régulière et trois étapes de l’histoire de la population départementale apparaissent dans cette longue période qui va de l’époque napoléonienne jusqu’à la première décennie du Second Empire.

Ainsi trois grandes périodes peuvent être différenciées :

  • Période 1801-1815 : stagnation démographique pendant le Premier Empire.
  • Période 1815-1848 : vigoureuse croissance de la population, puis ralentissement démographique correspondant aux années de la Restauration et de la Monarchie de Juillet.
  • Période 1848-1861 : continuité de la croissance démographique pendant la première décennie du Second Empire.

La stagnation démographique de la Charente-Inférieure pendant la période napoléonienne (1801–1815)

Une situation générale de marasme économique et social

Dans cette période troublée de l’histoire, le département de la Charente-Inférieure[N 1] connaît une évolution démographique médiocre, sa croissance étant particulièrement faible.

Évolution démographique
1801 1806 1821
399 162 405 592 409 477

Pendant le Premier Empire, le département entre assez rapidement dans une période de léthargie économique, imposée très tôt par le blocus continental, suite au désastre de la flotte française à Trafalgar.

Les difficultés économiques de cette époque, aggravées par les guerres napoléoniennes, font alors apparaître une relative stagnation démographique en Charente-Inférieure.

Les données statistiques sur l’évolution de la population pendant le Premier Empire sont partielles et incomplètes. Ainsi, les recensements de 1811 et de 1816 n’ayant pas eu lieu, il est difficile d’établir une évaluation précise sur la démographie de la fin de cette période. Cependant, il est à peu près certain que le département avait dû enregistrer une baisse notable de sa population, d’une part, à cause des guerres napoléoniennes entraînant une importante mortalité et, d’autre part, en raison d’un solde naturel négatif, imputable à une forte baisse de la natalité pendant les dernières années du Premier Empire.

L'économie tourne au ralenti pendant le Premier Empire, à commencer par l'agriculture. Dans les campagnes saintongeaises et de l’Aunis, les activités agricoles végètent. La viticulture, source potentielle de richesse, stagne car les productions ne peuvent être écoulées vers l’étranger, notamment les fameuses eaux de vie de cognac. Si les céréales, comme l’élevage, suffisent à peine pour alimenter le marché local, une grande partie de la production agricole est cependant réquisitionnée pour les besoins de guerre. Le monde rural est donc peu prospère, frappé davantage par la misère, et les campagnes qui sont surpeuplées se vident peu à peu de leurs forces vives. Elles souffrent en effet des dures conditions de conscription imposées par l’armée, suscitant un mécontentement de plus en plus vif. Celle-ci envoie nombre de jeunes soldats, mal armés et inexpérimentés, mourir dans les guerres napoléoniennes sur les fronts de l’Est, puis pendant la dure guerre d’Espagne. Les réfractaires à la conscription sont emprisonnés dans la citadelle de Saint-Martin-de-Ré qui est mise en état de siège de 1811 à 1813. Ceux qui essaient de s’évader sont exécutés tandis que d’autres meurent de maladies[1].

L'Arnoult à Trizay. Le cours aval de l'Arnoult a été canalisé en 1812 et porte le nom de Canal de Pont-l'Abbé.

Les travaux d’assainissement des marais se poursuivent autour de Rochefort et, notamment sur la rive gauche de la Charente[N 2], où s’opère la jonction du canal de Brouage avec le nouveau canal de Pont-L’Abbé dont le cours aval de l’Arnoult est canalisé en 1812[2]. Il sera prolongé jusqu'à la Seudre à partir de la Monarchie de Juillet et deviendra au Second Empire le canal de la Charente à la Seudre. Dans le nord du département, les travaux de construction du canal de Marans à La Rochelle sont entrepris à partir de 1806 mais cinq années plus tard ils sont abandonnés[3].

Par contre, les salines souffrent de la mévente du sel qui ne peut être écoulé par voie maritime et entraîne déjà leur abandon progressif. La région de Marennes et les îles de l’archipel charentais connaissent alors de graves difficultés économiques, le trafic du sel avec les pays du Nord étant interrompu pendant la période napoléonienne[4].

Quant au trafic maritime, il est en plein marasme. Les conséquences de la suppression douanière des « Cinq grosses fermes », puis la perte de Saint-Domingue ont porté un coup terrible à La Rochelle qui entre mal dans le nouveau siècle, où le commerce maritime est déjà en déclin. Dès les premières années du Premier Empire, la guerre avec l’Angleterre, qui a contraint Napoléon 1er à imposer le blocus continental, a entraîné la ruine de ses activités portuaires, notamment en mettant fin aux échanges maritimes avec les colonies et avec les États-Unis. La Rochelle souffre beaucoup de ce coup d’arrêt, malgré l’établissement d’un arsenal, de chantiers navals et du siège d'une importante garnison militaire. Par ailleurs, les ports fluviaux comme Marans sur la Sèvre Niortaise, Tonnay-Charente sur la Charente, Marennes sur la Seudre, voient leur trafic portuaire péricliter irrémédiablement, sans possibilité de reconversion de leurs activités. Le blocus continental les a considérablement desservis et affaiblis.

La construction de fort Boyard commença pendant le règne de Napoléon 1er

Certes, une intense activité règne sur le littoral, avec la mise en place de fortifications nouvelles ou la restauration des édifices de défense déjà existants (Fort-Liédot dans l’île d'Aix, citadelles du Château d'Oléron et de Saint-Martin-de-Ré), mais elle se concentre principalement autour de Rochefort, qui est alors la principale ville du département. Plus de 3 000 hommes sont employés pour les différents travaux de fortification de la côte charentaise, tous sont recrutés localement[5]. Dès 1804, Fort Boyard est en construction et va donner naissance à Boyardville sur la commune de Saint-Georges-d'Oléron[6], tandis que Fort Enet, au large de l’île d'Aix, sera édifié à partir de 1808 sur les plans de l'empereur lui-même[7]. Ces nouvelles forteresses sont établies afin de renforcer la protection de l’arsenal de Rochefort. Cet établissement militaire, qui fait la fortune de la ville, fait également l’objet de restauration suite à la visite de l’Empereur en 1808 à Rochefort, puis à La Rochelle. Après son passage dans cette dernière ville, il décide le transfert de la Préfecture de Saintes à La Rochelle par un décret de mai 1810[7].

Des petites villes peu nombreuses et assoupies

Les villes sont dans l'ensemble petites et peu peuplées. Sept d'entre elles peuvent être identifiées comme telles pendant le Premier Empire. La population urbaine rassemble alors moins d'un habitant sur dix pendant la période napoléonienne. La Charente-Inférieure est alors un département fortement rural.

La Rochelle devient la préfecture de la Charente-Inférieure en 1810 mais, durant tout le XIXe siècle, elle est au second rang départemental après Rochefort.
Liste des sept premières villes du département en 1806
Ville 1806
Rochefort 14 615 hab.
La Rochelle 14 000 hab.
Saintes 10 300 hab.
Saint-Jean-d'Angély 5 351 hab.
Marennes 4 633 hab.
Marans 3 764 hab.
Pons 3 429 hab.


Les trois principales villes de la Charente-Inférieure

Les trois principales villes du département connaissent des sorts différents pendant le règne de Napoléon 1er, leur développement est inégal et leur évolution contrastée.

La Corderie Royale à Rochefort. La ville fut pendant tout le XIXe siècle la première ville de la Charente-Inférieure
  • Rochefort est la "grande" ville du département. La cité de Colbert, édifiée en 1666, abrite un grand arsenal militaire, et Napoléon 1er n'a de cesse de s'occuper de cette ville. Il la dote de fontaines publiques, fait commencer les travaux d'un château d'eau[N 3], et encourage l'assèchement des marais alentours. Il se préoccupe de l'urbanisme en faisant notamment paver les rues de la ville. Il en accroît la présence militaire par l'augmentation des garnisons, et fait renforcer les fortifications de la ville établies en 1682 par Ferry[8].
  • La Rochelle est devenue la deuxième ville du département. Après avoir obtenu le siège épiscopal au détriment de Saintes en 1802[9], Napoléon 1er fait transférer le siège de la Préfecture dans la ville en 1810. Il en fait également une ville militaire en y implantant le siège de la douzième division militaire[9], et en renforce l'arsenal. Le port est empierré en 1808, mais le blocus anglais fait cesser le trafic et les chantiers navals sont à l'arrêt. Malgré ses nouvelles fonctions administratives et militaires, La Rochelle est une ville assoupie derrière ses fortifications du XVIIe siècle pendant le Premier Empire, et elle a perdu un tiers de sa population à la fin de la période napoléonienne[10].
  • La troisième ville, Saintes, exerça un temps le rôle de commandement administratif du département (de 1789 à 1810), mais la perte de la préfecture lui a portée un coup très rude, d'autant plus qu'elle n'abrite plus le siège de l'évêché. Cependant, elle demeure par compensation le chef-lieu judiciaire du département[11]. De plus, Napoléon 1er en fait une ville de garnison importante, où le site de l'ancienne abbaye-aux-Dames a été transformé en casernes et en vastes magasins d'habillement pour l'armée, près duquel un champ de manœuvre y est aménagé. Les travaux du cours National sont engagés au début du Premier Empire, mais ils ne seront achevés que pendant la Seconde Restauration. En fait, les travaux d'urbanisme sont "gelés" pendant l'époque napoléonienne, Saintes végète à l'abri de ses vieilles fortifications, et tourne le dos au fleuve où le trafic fluvial est pratiquement à l'arrêt.

Un réseau ténu de petites villes et de bourgs endormis

Le beffroi à Saint-Jean-d'Angély. Cette sous-préfecture a été pendant la première moitié du XIXe siècle la quatrième ville du département.

Saint-Jean-d'Angély, Marennes, Marans et Pons sont de très petites villes, les deux premières sont des sous-préfectures, fonction qu’elles garderont pendant tout le XIXe siècle. Ce sont, à cette époque, des petites cités marchandes qu’animent des marchés et des foires attirant les ruraux des environs. La vie de ces petites villes gravite autour de leurs vieux centres urbains, généralement disposés autour d’un édifice historique ou d’un site majeur. Marennes s’organise autour de l’église Saint-Pierre-de-Sales, Marans s'affaire autour de son port fluvial sur les rives de la Sèvre Niortaise, tandis que la petite cité de Pons vit enserrée autour de son donjon médiéval. Les deux premières, qui sont des cités fluviales, vivent très mal les dures conditions imposées par le blocus continental, puis le blocus maritime des Anglais, qui ont finalement ruiné leur commerce maritime. Saint-Jean-d'Angély, qui est la plus importante des quatre, a une vie urbaine plus animée, elle est alors la quatrième ville de la Charente-Inférieure. Mais la vieille cité angérienne stagne pendant la période napoléonienne, malgré la présence d’une importante poudrière militaire qui fournit activement la marine de Rochefort en munitions, lesquelles sont expédiées par la Boutonne, alors voie navigable[12].

Aux sept villes principales, il convient de mentionner cinq autres centres qui sont davantage à cette époque des bourgs ruraux, animés par leurs marchés agricoles et leurs foires périodiques. Ces bourgades, peuplées de paysans, de commerçants et d'artisans, et aussi de soldats, ont des populations comprises entre 2 200 et 3 000 habitants.

La porte Royale au Château d'Oléron. La citadelle demeure une ville militaire pendant tout le XIXe siècle.

Deux sont des citadelles militaires abritant des casernes importantes (Le Château d'Oléron et Saint-Martin-de-Ré), deux autres sont de petites cités fluviales sur la Charente (Saint-Savinien et Tonnay-Charente) et, enfin, la dernière, Jonzac, est la plus petite sous-préfecture du département, désignée comme telle sous Napoléon 1er en 1800, après la réforme administrative, où Pons et Montlieu la Garde ont perdu leurs fonctions de chef-lieu de district.

Quant à Royan, ce n'est qu'une modeste bourgade de pêcheurs, endormie sur les bords de la Gironde, et qui ne joue plus de rôle stratégique ou militaire à l'entrée de l'estuaire.

L'impact des guerres napoléoniennes

Dans les dernières années du Premier Empire, le déclin économique est profond[11]. Sur le littoral, les ports sont fermés au cabotage à cause, cette fois, du blocus maritime imposé par les Anglais[N 4] et les bateaux marchands ne peuvent sortir. Ils croupissent dans les bassins à flot des ports ou le long des berges fluviales. Le marasme touche profondément l’ensemble des ports charentais[1].

Le cas de Rochefort est parlant. La ville recense 14 615 habitants en 1806, car elle abrite une importante garnison militaire, mais de 1806 à 1821, elle a perdu 2 226 habitants, soit une chute démographique de 15,2 %, ce qui correspond à 1 habitant sur 6. Ce qui est considérable.

En ce qui concerne Marennes, cette petite sous-préfecture connaît alors un véritable déclin, son port saunier est à l'arrêt et la pêche à la morue ne peut être pratiquée. La ville passe de 4 633 habitants en 1806 à 4 193 habitants en 1821, elle a perdu un dixième de ses habitants. Elle enregistre alors son plus bas niveau démographique de toute la période contemporaine.

Enfin, le cas de Tonnay-Charente est celui qui illustre peut-être le mieux cette situation de marasme économique à la fin de la période napoléonienne. A cause du blocus continental, puis du blocus maritime imposé par les Anglais, son port est complètement ruiné, et cela d'autant plus que ses activités dépendaient entièrement de ses relations avec la Grande Bretagne et la Hollande. La petite cité fluviale passe de 2 377 habitants en 1806 à 1 171 habitants en 1821. Elle a perdu plus de la moitié de ses habitants en une quinzaine d'années.

Ces différents exemples suffisent à montrer que les villes militaires et littorales ont payé un lourd tribut au blocus continental et aux guerres napoléoniennes.

Quand Napoléon 1er quitte la France, il foule pour la dernière fois le sol national en terre charentaise[N 5]. Mais il laisse un département à l’économie exsangue et aux villes en crise profonde qui, cependant, retrouveront vite la prospérité à l’époque suivante, c’est-à-dire pendant la Seconde Restauration, sous le règne de Louis XVIII.

L'explosion démographique de la Charente-Inférieure dans la période de la Restauration (1815 – 1830)

Les données du recensement de 1821, qui a eu lieu six années après la fin des hostilités napoléoniennes, montrent que le département s’est à peine accru dans l’intervalle des quinze années qui se sont écoulées entre 1806 et 1821. Cette faible croissance démographique masque en fait des pertes importantes que les naissances nombreuses du début de la Seconde Restauration ont pu masquer lors du retour de la paix.

Une croissance démographique exceptionnelle

Pendant la période de la Restauration, une vigoureuse croissance démographique est enregistrée, elle est surtout le fait des campagnes, mais cet essor profite également aux villes bien qu'il soit de moindre ampleur.

Évolution démographique
1821 1826 1831
409 477 424 417 445 249

Dès le lendemain de la chute du Premier Empire, il y a eu incontestablement une reprise très forte de la natalité dans les campagnes saintongeaises et aunisiennes. Ce rebond démographique a été stimulé par une reprise économique dès les premières années de la Restauration.

En une dizaine d'années seulement, le département de la Charente-Inférieure s'est accru de 35 772 habitants, soit une croissance annuelle de 3 577 habitants, ce qui est un véritable record démographique, car dans le reste du siècle, le département n'affichera plus de tels scores.

La croissance vigoureuse des campagnes

Cette croissance démographique est imputable en très grande partie aux campagnes qui sont alors très peuplées. Elles commencent à s'enrichir un peu, mais ce sont surtout les régions viticoles de la Saintonge et de l’Aunis qui s'accroissent le plus vigoureusement. De grosses communes rurales retrouvent en effet la prospérité grâce à l’essor de la vigne et à la reprise du négoce des eaux de vie de cognac vers l'Angleterre et l'Europe du Nord. Mais la vigne n'a pas encore atteint le stade de la quasi monoculture.

Paysage du Val d'Arnoult. Pendant la première moitié du XIXe siècle, l'agriculture de la Saintonge et de l’Aunis est essentiellement vivrière.

Grâce à la reprise générale de l'agriculture, la culture des céréales reprend son essor, bien qu'elle demeure nettement insuffisante pour alimenter le marché local. Il s'agit essentiellement d'une agriculture vivrière, et nombre de villages vivent en autarcie, tant les voies de communication sont peu développées. Cette agriculture de subsistance est une vieille pratique rurale qui nécessite une modernisation de ses structures de production, mais pendant la Restauration, les mentalités rurales et paysannes sont lentes à évoluer. Le département est alors obligé de faire venir du blé du Poitou. C'est par ses deux ports fluviaux, spécialisés dans le trafic du blé et des farines, que sont Marans et Saint-Jean-d'Angély, que la Charente-Inférieure peut faire face à la demande, surtout urbaine. Celle-ci devient de plus en plus importante, à cause de l'augmentation rapide de la population, et inquiète les autorités préfectorales qui n'auront de cesse de veiller à ce problème sensible.

L'élevage participe à ce mouvement général de reprise économique, mais là encore, l'économie de subsistance en limite les progrès. Malgré cette résistance, les foires à bestiaux se multiplient dans les chefs-lieux de canton, où des champs de foire y sont aménagés. Une partie des transactions commerciales est destinée aux marchés urbains et surtout à la place militaire de Rochefort. L'élevage des chevaux, en particulier celui qui est pratiqué dans les Marais de Rochefort et de Brouage, retrouve son essor. Ces derniers sont élevés pour équiper l'importante garnison militaire de Rochefort, qui est véritablement à l'origine de l'élevage équin en Charente-Inférieure.

La population rurale occupe 84,1 % de la population totale du département en 1821. La densité de population rurale y est alors fort élevée. Seize communes rurales ont plus de 2 000 habitants à cette date, dont trois se situent parmi les dix communes les plus peuplées du département.

Liste des dix plus grosses communes rurales de la Charente-Inférieure en 1821
Commune rurale 1821
Saint-Pierre-d'Oléron 4 419 hab.
Saint-Georges-d'Oléron 3 896 hab.
Ars-en-Ré 3 612 hab.
La Flotte-en-Ré 2 556 hab.
Chaniers 2 532 hab.
Gémozac 2 461 hab.
Arvert 2 425 hab.
Mirambeau 2 336 hab.
Dompierre-sur-Mer 2 332 hab.
Pérignac 2 265 hab.

Le renouveau du littoral

Pendant les années de la Restauration, le littoral est « en convalescence », mais il reprend de plus en plus de la vigueur, même s'il est encore un peu moins attractif que la Saintonge continentale. Il subit en effet les contrecoups du blocus continental, où les activités maritimes rebondissent doucement.

Les marais de Brouage sont l'objet de travaux d'assainissement pendant la Restauration grâce au sous-préfet de Marennes dès 1818.

Les marais de Marennes et de Brouage, délaissés pendant le Premier Empire, vont être l'objet d'une énergique reprise en main. Le sous-préfet de Marennes, Le Terme, fait réaménager ces marais en terres d'élevage à partir de 1818, grâce à un assainissement par la mise en place de collecteurs et de canaux d'irrigation[13]. La région de Marennes retrouve alors une véritable attractivité. La ville enregistre du coup son premier maximum démographique pendant cette première moitié du XIXe siècle.

Les salines du littoral sont encore fort étendues, leurs surfaces sont comprises entre 40 000 et 50 000 hectares en 1830, ce qui est vraiment considérable. Elles font vivre des milliers de personnes, car il s'agit d'une activité très exigeante en main d'œuvre. L'extraction du sel marin est concentrée dans trois grandes zones de production : l'île de Ré, autour du gros village d'Ars-en-Ré, l'île d'Oléron, sur toute sa bordure orientale qui va de Saint-Trojan-les-Bains jusqu'à Boyardville, entre lesquels Le Château-d'Oléron est le grand port saunier de l'île, et le bassin de la Seudre, où Marennes devient le principal centre d'expédition du sel réputé de première qualité[14]. Pendant la période de la Restauration, les salines constituent une richesse considérable, c'est « l'or blanc » du littoral charentais, mais cette richesse est parvenue à son apogée.

Le port d'Ars-en-Ré. Pendant la Restauration, c'était la commune la plus peuplée de l'île de Ré.

L’archipel charentais est très prospère pendant cette période de reprise économique et les deux îles principales, Oléron et , sont surpeuplées. Saint-Pierre et Saint-Georges sont les deux plus grosses communes viticoles et rurales de l’île d'Oléron, leur population communale les classe respectivement aux 5e et 8e rangs des communes du département en 1821, tandis qu’Ars-en-Ré, grosse commune de sauniers et de pêcheurs, arrive au 9e rang départemental à cette même date. C'est d'ailleurs et de loin la commune la plus peuplée de l'île de Ré. Les îles doivent cette fortune à la fois aux salines et à la vigne, ainsi qu'à la pêche, qui sont alors leurs trois principales sources de richesse économique.

L'église de Saint-Savinien sur son promontoire dominant la Charente. Pendant la Restauration, Saint-Savinien est un actif port fluvial qui se développe aux dépens de Tonnay-Charente.

La reprise du commerce maritime s'amorce timidement et profite surtout à La Rochelle, dont le trafic portuaire est de nouveau stimulé par les relations avec les États-Unis pour l'expédition des vins et des eaux de vie, avec les pays de l'Europe du Nord pour l'importation des bois scandinaves et avec l'Angleterre pour l'importation du charbon[15]. Les échanges avec les anciennes colonies sont rétablis et alimentent de nouveau les raffineries de canne à sucre, abandonnées pendant le blocus maritime. Cette reprise du commerce maritime est également signalée dans les ports fluviaux établis sur la Charente, notamment dans celui de Saint-Savinien, dont le cabotage maritime avec La Rochelle est redevenu actif pour l'expédition des vins, des eaux de vie, des poteries et de la pierre de Saintonge. Saint-Savinien se développe rapidement aux dépens de Tonnay-Charente, dont le trafic portuaire a été ruiné à la fin du Premier Empire. Mais ce port reconstituera rapidement son trafic et sera grandement modernisé à l'époque suivante.

C'est encore dans cette période de renouveau des activités économiques[15] que la pêche connaît un véritable essor, qui profite aussi bien à La Rochelle qu'aux petits ports de la côte charentaise (ports de pêche de la Seudre comme Marennes ou Saujon ; ports de pêche des îles charentaises). La Rochelle, qui avait déjà une longue tradition de pêche à la morue sur les bancs de Terre Neuve, retrouve alors un nouveau départ pour son port de pêche[15].

Sur le littoral, une nouvelle activité économique naît et va bouleverser la vie du département dans les décennies suivantes. La mode des bains de mer commence à toucher les plages du département, et apporte un nouveau souffle à l'économie littorale. Deux villes notamment sont concernées : La Rochelle et Royan.

La Rochelle se dote d'un établissement de bains de mer en 1826[16] et aménage un parc tout en longueur établi en bordure de l'océan, le Mail[17]. Cette activité économique, innovatrice pour l'époque, a apporté un nouvel élan à l'urbanisation de la ville avec la création du nouveau quartier de La Genette, situé au-delà des anciennes fortifications de Ferry édifiées en 1685[17].

Photographie montrant des allées sablées bordées de pelouse, des massifs fleuris qui serpentent entre les pins parasols et des arbres exotiques. Au fond, les immeubles blancs et rouges du front de mer
Le parc du front de mer à Royan. La ville est née avec la mode des bains de mer dès la Restauration.

Sur la rive droite de la Gironde, une nouvelle ville, certes encore bien petite à l'époque, naît grâce à la toute nouvelle fonction balnéaire. Royan, alors modeste village de pêcheurs de sardines endormi à l'entrée de la vaste embouchure de la Gironde, commence sa mue urbaine. La bourgeoisie urbaine de Bordeaux découvre le site remarquable de cet ancien port qui gardait autrefois l'entrée de l'estuaire, et commence à s'y installer, en y faisant construire les premières résidences de villégiature. Un premier établissement de bains de mer est édifié dès 1824, il est le plus ancien de tout le département. La petite cité fait paver ses rues et s'embellit par la plantation de promenades. Un service régulier de steamer sur la Gironde est mis en service entre la station balnéaire naissante et la capitale de l'Aquitaine. La jeune station n’atteint pas encore les 3 000 habitants[16].

Frémissement du développement urbain

Durant toute la période de la Restauration, les villes sont encore petites et peu nombreuses, une douzaine tout au plus est répertoriée comme telles en 1821[18], et elles connaissent des évolutions assez inégales. Cependant, les villes commencent à se développer rapidement. En 1821, elles regroupent seulement 15,9 % de la population totale du département, soit moins d'un habitant sur huit réside dans une ville à cette date.

L'église Saint-Pierre-de-Sales de Marennes. Cette ancienne sous-préfecture était au cinquième rang des villes depuis le Premier Empire jusqu'à la Restauration.
Liste des douze villes de la Charente-Inférieure en 1821
Ville 1821
Rochefort 12 389 hab.
La Rochelle 12 237 hab.
Saintes 10 274 hab.
Saint-Jean-d'Angély 5 541 hab.
Marennes 4 193 hab.
Marans 3 997 hab.
Pons 3 605 hab.
Saint-Savinien 3 283 hab.
Le Château-d'Oléron 2 632 hab.
Jonzac 2 465 hab.
Royan 2 339 hab.
Saint-Martin-de-Ré 2 333 hab.

En 1821, aucune ville n’atteint les 20 000 habitants dans le département. Seules trois villes ont plus de 10 000 habitants (Rochefort, La Rochelle et Saintes) et elles demeureront aux siècles suivants les trois principales villes de la Charente-Maritime.

A cette époque, et même pendant tout le XIXe siècle, Rochefort est la ville la plus peuplée du département. En 1821, elle est même l’une des trois premières villes de Poitou-Charentes, se situant après Poitiers (23 315 habitants) et Angoulême (15 025 habitants).

Le ralentissement démographique de la Charente-Inférieure pendant la Monarchie de Juillet

C'est à partir de la Monarchie de Juillet que l'évolution démographique du département ralentit, sa croissance est certes régulière, mais elle est moins vigoureuse que dans la période précédente.

Ralentissement de la croissance démographique

Évolution démographique
1831 1836 1841 1846
445 249 449 649 460 245 468 103

Pendant cette période, où la poursuite de l'essor économique est pourtant bien réelle, la population du département enregistre une croissance démographique de 22 854 habitants, ce qui correspond à un gain annuel de 1 524 habitants pendant une quinzaine d'années. Cette croissance est deux fois moins élevée que celle observée dans la période de la Seconde Restauration. Il y a donc un ralentissement de la croissance démographique où, au moins, deux raisons peuvent être avancées pour expliquer cette situation.

Tout d'abord, de graves épidémies de choléra frappent régulièrement la population, aussi bien les îles que les villes ; celles de juillet 1832[19] et de 1834 ont été meurtrières, touchant en particulier les populations de l'île de Ré et de La Rochelle[20]. De plus, les habitants des marais souffrent périodiquement de paludisme[21], et bien souvent, les garnisons de Rochefort sont désertées pendant la période chaude. Ailleurs, le scorbut est relevé, étant dû au manque de vitamines[20]. Ces mauvaises conditions hygiéniques affectent la démographie du département, bien qu'un système de santé publique commence à se mettre en place. Mais il est vrai que les populations rurales, d'ordinaire méfiantes, résistent encore longtemps aux mesures de prophylaxie préconisées par les pouvoirs publics, en particulier les vaccinations[20].

Ensuite, la Charente-Inférieure commence à être touchée par le phénomène nouveau de l'exode rural, dont une partie de la population sera résorbée par les villes du département. Ce sont les campagnes surpeuplées de la Saintonge méridionale (Haute Saintonge) et du Nord-Est du département qui sont les premières atteintes par ce phénomène démographique qui va vider progressivement les villages de leurs forces vives[22]. S'il est vrai que ce phénomène est faiblement perceptible en Charente-Inférieure, il se met inexorablement en place dès la Monarchie de Juillet, et il touche déjà le département voisin de la Charente[N 6].

La lente transformation des campagnes

Les conditions de vie dans les campagnes n'ont pas encore subi de profondes transformations pendant la Monarchie de Juillet, les mentalités sont enracinées dans des traditions très vivaces, qu'amplifie l'isolement des villages à l'écart des voies de communication.

Le moulin de Puydrouard dans la commune de Forges, canton d'Aigrefeuille d'Aunis. Pendant la Monarchie de Juillet, la culture des céréales ne suffisait pas à alimenter les marchés urbains du département.

Ainsi, l'agriculture reste très traditionnelle dans ses formes d'exploitation, l'agriculture vivrière étant encore fortement pratiquée. La culture du blé commence cependant à se généraliser de plus en plus, au détriment des cultures plus traditionnelles comme l'avoine, le seigle et l'orge. Cependant, la production de céréales, qui est davantage orientée vers la consommation villageoise, demeure toujours insuffisante pour alimenter les marchés urbains. Ainsi surgissent de graves émeutes urbaines durant l'hiver 1838-1839, notamment à Marans et à La Rochelle, en raison d'une hausse excessive des prix des grains et des farines[23]. Malgré les insuffisances des productions agricoles, le département ne connaît plus la famine, comme dans les siècles précédents. Seule, la disette a continué de sévir, de manière sporadique, parmi le petit peuple des villes[24].

Pourtant, de réels progrès techniques sont introduits dans le département avec l'utilisation dès 1830 de la charrue Dombasle pour les labours et du rouleau de pierre pour les moissons. Une certaine ouverture d'esprit se met progressivement en place dans le monde paysan, grâce à l'influence grandissante des comices agricoles, et les premières cultures industrielles sont introduites pendant la Monarchie de Juillet. Ainsi, les premiers plants de betterave à sucre commencent-ils à être ensemencés en Aunis dès 1840, précisément à Ballon, suite à la fermeture des dernières raffineries de canne à sucre à La Rochelle en 1837[25]. Le colza est également expérimenté en plaine d'Aunis dans cette même période. Cette nouvelle culture procure des gains substantiels aux paysans, qu'ils en augmentent rapidement les plantations. Le colza alimente alors les deux huileries industrielles de La Rochelle[26].

L'essor de l'élevage est surtout signalé dans les marais nouvellement aménagés pendant la mandature du préfet Le Terme. Les Marais de Brouage et de Marennes sont devenus des terres d'élevage bovin pour la viande. Ils alimentent les abattoirs des villes, dont ceux de Tonnay-Charente, créés en 1845. Le Marais de Rochefort s'est spécialisé dans l'élevage équin, dont la prospérité a repris dès la fin du Premier Empire et est assurée grâce au port militaire de Rochefort. Dans ce même temps, Saintes qui abrite une garnison dans les bâtiments de l'Abbaye-aux-Dames, désaffectés pendant les sombres heures de la Révolution et convertis en casernes, reçoit un dépôt d'étalons en 1846, c'est l'ancêtre du Haras national de Saintes[27]. Dans l'ensemble, l'élevage se développe peu, mais il est l'objet de transactions de plus en plus importantes dans les chefs-lieux de canton et dans les villes, où souvent des champs de foire sont aménagés à leur effet. Outre leur aspect économique évident, les foires continuent de jouer un rôle social très important pour le milieu rural, où elles mettent les campagnes en relation avec le "monde extérieur".

Vignobles aux portes de Sainte-Marie-de-Ré. La vigne a recommencé à prospérer dans les îles et dans les pays Charentais à partir de la Monarchie de Juillet.

C'est également pendant cette période prospère de la Monarchie de Juillet qu'une certaine richesse s'installe dans les campagnes viticoles de la Saintonge et de l'Aunis. La viticulture fait un bond en avant, elle occupe désormais 1/5e des terres agricoles du département, soit 111 000 hectares de vigne en 1839[28]. Cette expansion des terres viticoles est imputable à l'écoulement de la production des eaux de vie de cognac vers les nouveaux comptoirs coloniaux de l'Algérie, et vers un nouveau marché émergeant, celui des États-Unis d'Amérique. La production est alors écoulée par le port de La Rochelle, qui a renoué avec le trafic maritime dès la Restauration. Quant au marché britannique, celui-ci redevient le principal débouché des eaux de vie de cognac, mais l'écoulement de cette production est freinée par une taxation de plus en plus élevée. Cependant, Tonnay-Charente redevient le plus grand port des expéditions du cognac à partir de la Monarchie de Juillet, prééminence qu'il gardera pendant tout le reste du XIXe siècle. Ce port fluvial tire de nouveau sa croissance grâce au fleuve Charente.

La Charente à Saintes. C'est à partir de la Monarchie de Juillet que ce fleuve redevient une grande artère fluviale pour les deux départements charentais.

Reprise de l'essor du commerce fluvial

C'est que la Charente est redevenue la grande artère fluviale des deux départements charentais, par laquelle s'écoulent les différentes productions régionales. Les expéditions concernent les bois et les céréales du Limousin, les papiers, les canons, la poudre à canon et les textiles de l'Angoumois, les eaux de vie de Cognac, les poteries, les céramiques et les pierres de la Saintonge, ainsi que les cuirs et les peaux, tandis que le sel, les huîtres et les poissons, qui proviennent du littoral charentais, sont dirigés vers l'Angoumois et le Limousin. Le fleuve est alors l'objet de travaux d'aménagement (amélioration des chemins de halage, entretien régulier des berges, édification de ponts) et nombre de villes et de gros villages riverains du fleuve construisent des appontements ou des quais en pierre comme à Saintes, Saint-Savinien et Tonnay-Charente. Ce sont alors les trois grands ports fluviaux de la Charente-Inférieure qui s'activent sur les bords de la Charente.

Saintes renoue avec le trafic fluvial pendant la Monarchie de Juillet. Son port fluvial connaît un regain d'activité et est modernisé par l'empierrement de ses quais de la rive gauche (Port La Rousselle, Port des Frères Cordeliers[N 7] et Port Mouclier[N 8], Port du Sel, Port Saint-Aignan et Port des Tanneries[N 9]). Les grandes maisons de négoce du cognac de l'antique cité marchande utilisent le grand port gabarier de Saintes pour expédier les eaux de vie aux ports de transit de Saint-Savinien et de Tonnay-Charente. Des quais du Port des Tanneries partent les peaux travaillées dans les tanneries et les mégisseries de la ville, tandis que des quais du Port La Rousselle sont expédiées des céramiques produites dans des manufactures de faïences fines créées en 1837[25]. La ville connaît un nouvel essor urbanistique avec la construction de nouveaux immeubles et édifices publics tandis qu'un nouveau pont est construit sur la Charente en 1843, en remplacement du vieux pont romain.

Les quais de Saint-Savinien. La petite cité fluviale fut l'un des principaux centres de batellerie sur la Charente pendant la première moitié du XIXe siècle.

Saint-Savinien, à 15 km en aval de Saintes, s'affirme pendant la Monarchie de Juillet comme l'un des principaux ports fluviaux sur la Charente. Il est situé au lieu de rupture de charge entre la navigation maritime et la navigation fluviale. Le port tire alors un gros avantage de sa situation sur le fleuve, où remonte la marée. Situé entièrement sur la rive droite de la Charente, il est équipé de quais, empierrés en 1840, qui s'étirent sur une longueur totale de 1 500 mètres, et peut recevoir des navires de haute mer de deux cents tonneaux dont le tirant d'eau maximal est de 3 mètres. C'est également un port gabarier qui reçoit les eaux de vie de toute la Saintonge, lesquelles sont transportées vers La Rochelle, alors port expéditeur du cognac en concurrence avec Tonnay-Charente. Le port de Saint-Savinien est depuis longtemps un port saunier, étant la plateforme de redistribution du sel marin, dont la tradition commerciale remonte au Moyen Âge. Ce sel, en provenance des côtes charentaises, déchargé au port, est ensuite transporté sur les gabares en partance pour Cognac, alors le grand port saunier de la Charente. Depuis Saint-Savinien sont également expédiées des poteries de la Saintonge et surtout la fameuse pierre de taille. Celle-ci est extraite dans les carrières des alentours et contribue en grande partie à la prospérité de la petite cité marchande. L'importance de cette industrie extractive est telle qu'elle fait travailler 300 ouvriers dans ses carrières souterraines. Une petite cité ouvrière archaïque, faite de petits maisons basses, s'est spontanément créée au nord du bourg, à proximité des lieux d'extraction. Les pierres de taille de la région, réputées pour leur robustesse, sont donc exportées dans le monde entier, à Londres, Anvers, même vers les Etats-Unis d'Amérique. Le port charge aussi sur ses quais les huîtres et les poissons venant du littoral charentais. Une cale de carénage abrite un important chantier de construction navale, où sont construits des goélettes, des morutiers et autres gabares à fond plat. Toute une population de marins, de négociants et d'ouvriers anime alors les quais de Saint-Savinien. Le port est à son apogée pendant la Monarchie de Juillet et la population de la petite cité fluviale atteint alors son maximum démographique en 1846.

C'est pendant la Monarchie de Juillet que le pont suspendu sur la Charente a été construit à Tonnay-Charente, alors port fluvial en plein essor grâce aux exportations des eaux de vie, c'était le "port maritime de Cognac".

Tonnay-Charente est avant tout le « port maritime de Cognac »[29]. La petite cité marchande, ruinée par le blocus continental pendant l'époque napoléonienne, retrouve la prospérité, grâce au rétablissement du commerce maritime des eaux de vie de cognac. La reprise s'est établie lentement, dès la fin de la Restauration, mais le commerce du sel est délaissé, alors que la ville fut encore au XVIIIe siècle le "grenier à sel" de l'Europe. Les relations avec les négociants d'Angoulême et surtout de Cognac prennent le dessus et dominent rapidement l'activité portuaire, où se met en place un intense trafic de gabares chargées des eaux de vie et des vins charentais. Situé au lieu de rupture de charge, où la marée permet de faire venir des navires de plus de 5 mètres de tirant d'eau, Tonnay-Charente, plus connu alors sous le nom de "Charente" dans les milieux marins, exporte le cognac principalement vers l'Angleterre et les Pays-Bas. Son port a été modernisé dans les années 1840. La longueur développée de ses quais, nouvellement empierrés, est de 600 mètres, auxquels s'ajoutent six appontements, tandis que de vastes entrepôts sont construits pour le stockage des marchandises[23]. Toutes ces installations portuaires sont situées sur la rive droite du fleuve. Le port fluvial, qui est aussi un port maritime, devient rapidement le premier port exportateur des eaux de vie de cognac, et va connaître dans les décennies suivantes une prospérité plus grande encore. En 1842, un nouveau pont, le Pont suspendu de Tonnay-Charente, à l'architecture innovante pour l'époque, enjambe le fleuve, et fait de la ville le lieu de passage obligé entre la Saintonge et l'Aunis que sépare symboliquement le fleuve. C'est également dans cette période prospère pour la cité marchande que la ville s'embellit et se dote de beaux édifices publics dont un bel hôtel-de-ville édifié en 1846.

Reprise contrastée des activités du littoral

Sur le littoral, le regain d'activité entamé durant la Restauration s'affirme, mais la reprise économique est contrastée, et n'affecte pas de la même manière tous les secteurs du domaine maritime.

Salines dans l'île de Ré. C'est à partir de la Monarchie de Juillet que commence inexorablement le déclin des marais salants et de la production du sel qui fut pendant de longs siècles l'or blanc du littoral charentais.

En 1840, le nouveau système de dérégulation économique du sel influe gravement sur la production du sel marin. De sérieuses difficultés de mévente s'ensuivent assez rapidement et les salines de la région de Marennes et du bassin de la Seudre, ainsi que de l'archipel charentais et du littoral de l'Aunis, commencent à être progressivement abandonnées[30]. Les producteurs charentais n'arrivent pas à faire face à la concurrence des sels du Midi, mais davantage encore à celle du sel gemme. Cette dernière production exploitée selon des techniques industrielles en Grande Bretagne et en France fait chuter le prix du sel sur le marché européen[30]. À partir de cette date débute irrémédiablement le déclin des salines de la Charente-Inférieure, à commencer par celles du bassin de la Seudre et du littoral aunisien (salines d'Angoulins-sur-Mer), puis celles de l'île d'Oléron. Les salines de l'île de Ré vont mieux résister, grâce à la proximité du marché rochelais, où la pêche à la morue verte est en plein essor et nécessite de grosses quantités de sel marin.

La pêche, qui est une des activités essentielles du littoral charentais, enregistre un bel élan, surtout à La Rochelle qui fait construire un nouveau bassin à flot dont les travaux ont commencé dès 1807[31], et aussi dans de plus petits ports, comme celui de Saujon qui, avec son port d'attache de Ribérou, se spécialise dans la pêche à la morue de Terre-Neuve et à la sardine du Morbihan[32]. Dans l'île de Ré, la moitié de la population active est constituée de pêcheurs, dont les ports d'Ars-en-Ré et de La Flotte abritent d'importantes flottilles de bateaux de pêche, les coureauleurs, qui sont de légères embarcations pêchant dans la mer des pertuis charentais.

Les débuts de l'exode rural et de l'urbanisation du département

Bien que la population du département continue de croître de manière sensible, le ralentissement de cette croissance est nettement perceptible pendant la Monarchie de Juillet et le doit en grande partie au fait tout nouveau de l'exode rural, imputable au développement de nouvelles techniques agricoles libératrices de main d'œuvre agricole.

Alors que se met en place ce mouvement de déprise agricole qui concerne quelques cantons, commence véritablement le développement de l'urbanisation de la Charente-Inférieure.

Les débuts de l'exode rural

C'est à partir de la Monarchie de Juillet que des villages et même des cantons commencent à être touchés par l'exode rural, phénomène tout à fait nouveau pour l'époque.

Pendant cette période propère, les transformations des campagnes sont peu perceptibles et, pourtant, elles sont marquées par les débuts de réels progrès agricoles. L'application de nouvelles techniques agricoles a permis d'affranchir de plus en plus les hommes de la servitude de la terre et est indéniablement à l'origine du départ des ruraux vers les villes. Tout d'abord, l'introduction, puis la généralisation de la charrue Dombasle à partir des années 1830 ont apporté un net progrès dans l'agriculture. Cette nouvelle machine remplace rapidement les araires en bois avec socs en fer, anciennes charrues rudimentaires qui ouvraient trop superficiellement la terre. Les charrues Dombasle ont non seulement l'avantage de creuser plus profondément le sol, mais elles sont de plus équipées d'un versoir qui retourne la terre. Cette nouvelle technique agricole apporte un gros progrès aux labours et va permettre une augmentation substantielle de la production agricole sans avoir à augmenter la main d'œuvre agricole. Concernant les moissons, un nouveau progrès technique est à signaler et va libérer aussi de nombreux paysans de la terre. L'introduction vers 1830 des rouleaux en pierre pour battre le blé et séparer le grain de l'épi va concurrencer les traditionnels et pénibles fléaux qui nécessitaient une très nombreuse main d'œuvre. Cependant, les moissons et les fauchaisons se font encore à la faucille pour faucher le blé et les autres céréales comme le seigle et l'avoine et il faudra attendre le Second Empire pour voir se généraliser les batteuses à vapeur dans les campagnes.

Si la vie des champs reste malgré tout laborieuse, les conditions de vie à la campagne demeurent somme toute assez rudes et la misère touche une grande partie des paysans, surtout les journaliers et les métayers, un peu moins les artisans ruraux qui, cependant, seront contraints de quitter les villages en déclin. La population rurale est encore très importante, elle occupe 85 % de la population départementale en 1846.

Tableau de l'évolution démographique décennale des sept cantons affectés par l'exode rural de 1831 à 1851
Liste par ordre alphabétique
Canton 1831 1841 1851
Burie 10 611 hab. 10 380 hab. 10 290 hab.
Gémozac 15 376 hab. 15 047 hab. 14 918 hab.
Marennes 11 807 hab. 11 188 hab. 11 158 hab.
Mirambeau 15 876 hab. 15 596 hab. 15 318 hab.
Saint-Genis-de-Saintonge 13 571 hab. 13 279 hab. 13 311 hab.
Saint-Martin-de-Ré 9 782 hab. 9 667 hab. 9 325 hab.
Saint-Savinien 10 577 hab. 10 595 hab. 10 287 hab.

Comme l'indique clairement le tableau démographique ci-dessus, sept cantons sur les quarante que compte le département à l'époque commencent à perdre de la population dès le début de la Monarchie de Juillet. Ils sont touchés par l'exode rural que ce soit dans la Saintonge viticole (cantons de Burie et de Gémozac), dans la Haute-Saintonge (cantons de Mirambeau et de Saint-Genis-de-Saintonge), dans la vallée de la Charente (canton de Saint-Savinien), sur le littoral (canton de Marennes) et dans les îles (canton de Saint-Martin-de-Ré).

Alors que la Saintonge entre véritablement dans une période de prospérité avec l'essor des plantations de vignes et du négoce des eaux de vie de cognac, ses campagnes commencent à se vider d'un trop plein de main d'œuvre rurale. Le littoral n'échappe pas non plus à ce nouveau phénomène social, étant du cette fois à la crise des marais salants qui affecte surtout le canton de Marennes et l'île de Ré.

De manière concomitante, c'est dans cette époque que les villes commencent réellement à se développer et à "absorber" le surplus de l'exode rural, surtout Rochefort, tandis que La Rochelle et Saintes s'accroissent plus modérément.

Les prémices de l'urbanisation du département
Liste des dix premières villes de la Charente-Inférieure pendant la Monarchie de Juillet (recensements de 1831, 1836, 1841 et 1846)
Liste par ordre décroissant établi en 1846
Ville 1831 1836 1841 1846
Rochefort 14 040 hab. 15 441 hab. 20 077 hab. 21 840 hab.
La Rochelle 14 629 hab. 14 857 hab. 16 720 hab. 17 465 hab.
Saintes 10 437 hab. 9 559 hab. 9 994 hab. 11 363 hab.
Saint-Jean-d'Angély 6 031 hab. 5 915 hab. 6 107 hab. 6 484 hab.
Marans 4 041 hab. 4 557 hab. 4 713 hab. 4 897 hab.
Pons 3 726 hab. 4 294 hab. 4 543 hab. 4 661 hab.
Marennes 4 605 hab. 4 542 hab. 4 469 hab. 4 580 hab.
Saint-Savinien 3 559 hab. 3 550 hab. 3 507 hab. 3 612 hab.
Tonnay-Charente 2 106 hab. 3 202 hab. 3 435 hab. 3 304 hab.
Royan 2 589 hab. 2 761 hab. 2 957 hab. 3 110 hab.
Rochefort, la première ville du département, une ville en plein essor

Rochefort demeure pendant la Monarchie de Juillet la plus importante ville de la Charente-Inférieure. Elle est d’ailleurs la première des villes du département à franchir le cap des 20 000 habitants pendant la période contemporaine (20 077 habitants en 1841).

La Cité de Colbert est le grand port militaire de toute la façade atlantique pendant le règne de Louis-Philippe Ier, et abrite un arsenal actif où sont construits les bâtiments de la Marine Nationale. C'est également une ville industrielle où de nombreux ateliers de chaudronnerie navale, de serrurerie et de métallerie, de fonderies travaillent en relation étroite avec l'arsenal maritime et dans l'orbite duquel s'activent également des charpenteries de la marine, une grosse fabrique de cordages, des poudrières, des tonnelleries. Dans le même temps, la ville développe son port de commerce fluvial dans le courant des années 1840[23] afin d'y recevoir des navires à vapeur dès 1844 et reçoit sur ses quais nouvellement aménagés des bois de construction, du chanvre, des céréales et des vins et, en 1842, obtient le siège d'une chambre de commerce[25]. Cette ville militaire a le privilège de posséder une école de navigation et d'hydrographie et une école de santé navale. Elle possède un hôpital de 1 200 lits qui est le plus vaste de la région.

Rochefort possède de beaux immeubles en pierres de taille hérités de l'époque classique et édifiés dans son centre qui est agrémenté de fontaines, de bornes-fontaines et de belles promenades, ainsi que de jardins publics.

Le développement urbain s'est effectué, dans cette première moitié du XIXe siècle, autour du cœur historique de la ville, au-delà de ses fortifications érigées par l'ingénieur Ferry en 1682 et percées de trois portes de ville, celle du Martrou, au sud, celle de La Rochelle et celle de la Charente, au nord. Le vieux quartier populaire du Faubourg, établi à l'ouest de la ville depuis le XVIIIe siècle, n'a cessé de s'agrandir et de s'étirer en direction des marais desséchés, tandis qu'autour de la zone portuaire, en bordure du fleuve, au nord de l'arsenal, un développement anarchique s'est spontanément créé. Les rues de la ville sont pavées et larges, et elles sont bordées d'arbres, mais les entrées de ville sont moins avenantes. Rochefort reste malgré tout la "grande ville" de la Charente-Inférieure, elle attire beaucoup de ruraux qui fuient leur conditions de vie assez misérables et espèrent à de meilleures conditions de vie en ville.

La Rochelle, la deuxième ville du département, une ville qui se réveille lentement

A la fin de la Monarchie de Juillet, la Charente-Inférieure compte deux autres villes de plus de 10 000 habitants (La Rochelle et Saintes), mais l’évolution de ces deux dernières est nettement plus lente, alors que Rochefort a presque doublé sa population.

Le développement urbain de La Rochelle pendant la Monarchie de Juillet est cependant assez régulier bien qu'il soit beaucoup moins rapide que celui de Rochefort. Tout d'abord, la cité océane voit ses activités portuaires se développer rapidement et son trafic commercial repose sur l'exportation des eaux de vie vers les États-Unis et l'importation des bois des pays du Nord et du charbon d'Angleterre bien que son site portuaire se révèle bien vite étroit malgré le creusement du bassin à flot intérieur en 1808[31]. Ce dernier s'avère en effet trop exigu car il abrite également les activités du port morutier des Terre-neuvas[N 10], mais il est sujet au problème récurrent d'accessibilité dû à la marée. Un nouveau bassin à flot[N 11] est en construction et bien que les travaux aient démarré en 1807, ils sont encore loin d'être achevés. Les activités portuaires ont cependant repris un réel essor pendant le règne de Louis-Philippe et ont favorisé dans leur sillage le développement d'un chantier naval établi au pied des vieilles tours tandis que les raffineries de sucre ont cessé en 1837. La ville s'affirme également comme étant le centre administratif du département. La création du Collège royal en 1843 dans ses murs au détriment de Saintes affirme cette prééminence[25], malgré la perte de l'Hôtel des monnaies en 1838[25]. En raison de son rôle de préfecture et de son essor urbain, La Rochelle rattrape petit à petit son retard en matière d'équipements sanitaires et est alors dotée de deux hôpitaux, l'un civil et l'autre militaire mais rien de comparable avec le grand hôpital de Rochefort. Ville de plus en plus commerçante, elle s'équipe en 1836 d'un premier marché couvert sur la Place du Marché.

Toutes ces conditions réunies font que La Rochelle apparaît comme une ville qui se réveille. Son urbanisation continue de se développer au-delà des anciennes fortifications qui ceinturent la vieille cité marchande. La trame urbaine s'étend ainsi en direction de l'ouest avec le nouveau quartier de La Genette, ce dernier se rattache progressivement à celui de Fétilly tandis qu'au nord et à l'est, les anciens villages agricoles de Lafond et de Saint-Eloi se soudent peu à peu à la vieille ville. A l'inverse, les marais situés au sud de la ville, en particulier le Marais de Tasdon, limitent le front d'urbanisation de la ville[17].

Saintes, la troisième ville du département, une ville en transformation

Saintes s'affirme plus que jamais comme la troisième ville du département malgré la perte de son rôle de préfecture. Après être passée sous la barre des 10 000 habitants à la fin de la Restauration, la ville renoue avec une croissance démographique dynamique et constante pendant la Monarchie de Juillet atteignant 11 363 habitants en 1846. Elle connaît elle aussi un début de transformation de son cadre urbain et s'affranchit de l'image peu flatteuse d'une grosse ville rurale "aux maisons passablement bâties et ayant un air triste"[33].

C'est en effet dans cette période plutôt florissante qu'elle s'embellit avec l'édification de nouveaux immeubles urbains soumis à l'alignement et le creusement de nouveaux boulevards au-delà des murailles de son vieux noyau médiéval dont l'inauguration du Cours Reverseaux qui a lieu en 1835. La ville s'équipe d'un nouveau pont édifié en 1843 ainsi que d'un théâtre et s'affirme dans son rôle de chef-lieu judiciaire du département avec la création en 1833 du nouveau Palais de Justice et d'une nouvelle prison dont le bâtiment était considéré à l'époque comme ayant une architecture d'avant-garde[33]. L'ancienne capitale de la Saintonge demeure une ville de garnison depuis les évènements de la Révolution et sa fonction militaire avait été renforcée pendant le Premier Empire. Le site de l'Abbaye-aux-Dames sert toujours de casernes et le champ de tir, situé à proximité, sert de terrain de manœuvres. La ville dispose également d'un hôpital militaire et de la Marine[33]. Saintes participe au mouvement d'industrialisation en se dotant notamment de faïenceries et en maintenant des activités plus traditionnelles représentées par les tanneries, les mégisseries et une importante teinturerie[33].

La ville renoue avec son fleuve auquel elle avait tourné le dos pendant les sombres années de la période napoléonienne. Les quais sont aménagés à partir de 1841 et les travaux d'empierrement des berges se poursuivront jusqu'en 1851 tandis que le balisage de la Charente entre Saintes et Saint-Savinien est terminé en 1840[34]. De plus, la ville se dote d'un appontement pour le trafic des passagers sur le fleuve. Un bateau à vapeur en assure la liaison fluviale et dessert Saint-Savinien, Tonnay-Charente et Rochefort. Cette ligne fluviale de transport des voyageurs, mise en service en 1822, se révèle particulièrement rentable et, ce, jusqu'au milieu du Second Empire[35]. Grâce à ces équipements, Saintes redevient dès lors un grand centre de batellerie sur la Charente.

De ce fait, les anciens faubourgs de la rive gauche (Saint-Eutrope) et de la rive droite (quartier de l'Abbaye-aux-Dames) commencent à déborder au-delà de la vieille ville médiévale enserrée dans ses anciennes fortifications devenues obsolètes. Cette urbanisation en marche annonce pour Saintes le développement futur qu'elle va connaître dans les décennies suivantes.

Des petites villes émergentes

De 1831 à 1846, hormis Marennes qui atteint son premier maximum démographique en 1831 qu'elle ne dépassera que pendant la Troisième République, toutes les autres petites villes enregistrent des croissances démographiques, et quelquefois dans d'importantes proportions. Deux d'entre elles, Marans et Saint-Savinien, ont atteint leur maximum démographique à la fin de la Monarchie de Juillet.

Les quais de Marans. Elle fut la cinquième ville de la Charente-Inférieure pendant la Monarchie de Juillet.

Marans se classe en 1846 à la cinquième place des villes du département et atteint son maximum démographique qu'elle n'a toujours pas dépassé à ce jour. La cité fluviale est alors devenue un actif centre de batellerie sur la Sèvre Niortaise, mais elle ne se remet toujours pas de la perte de son trafic avec le Canada depuis la fin du XVIIIe siècle. Cependant, Marans demeure le principal port céréalier du Poitou, l'avant-port de Niort, par lequel transitent également des peaux et des cuirs fournissant les importantes chamoiseries et ganteries de cette ville.

Saint-Savinien, sur la Charente, est la huitième ville de la Charente-Inférieure en 1846. Tout comme Marans, elle atteint son maximum démographique, qu'elle n'a pas dépassé depuis cette date.

Pons se situe à la sixième place en 1846. Pendant la Monarchie de Juillet, la petite ville sur la Seugne ne cesse de prospérer, elle gagne 935 habitants en une quinzaine d'années (+ 25 %), et enregistre alors une des plus fortes croissances démographiques parmi les villes de sa catégorie.

Site du donjon de Pons. Pons est une petite ville particulièrement dynamique pendant la Monarchie de Juillet.

Pons doit cet essor urbain au développement de ses différentes industries. Ses mégisseries et ses tanneries se sont établies le long de la Seugne, auxquelles s'ajoutent des filatures de laines pour la fabrication d'étoffes diverses et des extractions de carrières pour fournir des pierres de construction. Ces différentes manufactures emploient une population ouvrière nombreuse qui s'entasse alors dans un nouveau quartier populaire, le faubourg des Aires, situé aux portes méridionales de la vieille cité historique. C'est également une place commerciale active, où le négoce des céréales et des vins contribue à accroître la prospérité de la ville. La petite cité se pare alors de belles maisons de ville, d'un élégant jardin public, d'une fontaine au centre de la place du marché et des bornes-fontaines dans ses rues principales, fait construire un château d'eau en 1829, une nouvelle église y est édifiée dans le nouveau faubourg (église Saint-Martin), un pont sur la rivière y est construit, et le site du donjon médiéval, acquis en 1807, abrite les services de l'hôtel de ville[36]. Pons donne l'image d'une ville dynamique et attractive dont l'essor se poursuivra dans la décennie suivante.

Vue générale sur la ville de Tonnay-Charente et son port aménagé en 1840

Tonnay-Charente, malgré une légère décroissance dans la période 1841-1846, a vu sa population augmenter considérablement, de plus d'un tiers. Elle doit son développement urbain grâce à l'essor fulgurant de son port fluvial, dont l'activité ira croissante dans la seconde moitié du XIXe siècle. Cette expansion se double également de sa fonction de passage routier sur le fleuve depuis l'édification du Pont suspendu de Tonnay-Charente en 1842. Cette nouvelle liaison permet désormais d'assurer la continuité de la route royale Bordeaux-Saint-Malo. La ville voit alors son rôle commercial prendre une certaine importance et de nombreuses boutiques s'installent le long de la nouvelle artère routière depuis la construction du nouveau pont. L'embellissement du centre de la ville se signale par un urbanisme rénové sur les bords des quais du port comme sur les hauteurs de la cité et par la création de fontaines tandis que des édifices publics sont construits dont l'hôtel-de-ville en 1846.

Enfin Royan, la toute nouvelle station balnéaire en vogue, continue de croitre très régulièrement. Elle devient la dixième ville du département. Ses rues sont pavées, la ville se dote de nouveaux et beaux édifices et de villas somptueuses. Son essor urbain inspire l'écrivain Eugène Pelletan qui la décrit dans son roman Naissance d'une ville[15].

A la fin de la Monarchie de Juillet, l'urbanisation est en marche en Charente-Inférieure, même si, à l'aube des grands bouleversements qui vont se produire pendant la deuxième partie de ce XIXe siècle, le taux de population urbaine est encore faible avec environ 1 personne sur 5 résidant alors dans une douzaine de petites villes.

La stagnation démographique de la Charente-Inférieure pendant la Deuxième République (1848 – 1852)

La très courte période de la Seconde République - 1848-1852 - mérite un commentaire à part puisqu'elle s'inscrit entre deux périodes historiques très marquées de l'histoire du département.

Évolution démographique
1846 1851
468 103 469 992

Une stagnation démographique au beau milieu du XIXe siècle

L'analyse du tableau statistique ci-dessus montre que la croissance démographique se maintient en Charente-Inférieure, mais elle continue de ralentir nettement à l'instar de ce qui a pu être observé pendant la Monarchie de Juillet.

En fait, plutôt que de ralentissement démographique qui caractérise cette période très courte de l'histoire, il s'agit plutôt d'une véritable stagnation démographique. Le département ne s'accroit que de 1 889 habitants entre 1846 et 1851, soit une croissance moyenne de 378 habitants par an, ce qui correspond à son plus faible accroissement démographique depuis le début du XIXe siècle.

Des conditions de vie et d’hygiène encore médiocres

Il faut préciser que c'est dans cette période qu'une des dernières grandes épidémies les plus meurtrières de choléra morbus est enregistrée dans le département. En 1849, elle touche tout particulièrement Rochefort où 455 décès sont à déplorer cette année-là et aucun remède n’est encore trouvé à cette époque pour contrer ce terrible fléau[37].

La longévité moyenne de vie était largement inférieure à 40 ans au milieu du XIXe siècle dans le département et elle s’accroîtra très lentement par la suite. En effet, jusqu’au milieu du siècle de la Révolution industrielle, les conditions de vie et d’hygiène demeurent encore très médiocres autant à la campagne qu’à la ville. De réels efforts sont entrepris pour enrayer durablement les problèmes récurrents des maladies épidémiques comme le choléra, la variole, la diphtérie, la fièvre typhoïde ou le paludisme chronique des marais. A cela s’ajoute le grave problème des chiens errants dans les villes et porteurs de la rage et la menace des loups dans les campagnes est toujours bien réelle[38]. En même temps, les municipalités principalement urbaines se préoccupent de la qualité de l’eau qui laisse bien souvent à désirer mais il faudra attendre la décennie suivante pour que soient édifiés des châteaux d’eau, des fontaines et des lavoirs[37]. En fait, les mesures de prophylaxie de cette époque, encouragées par les pouvoirs publics, vont réellement commencer à porter leurs fruits à partir de 1865 où, à partir de cette date, plus aucune épidémie mortelle n’est signalée dans le département sauf quelques cas exceptionnels de fièvres typhoïdes à Saintes en 1882.

C’est pendant la Deuxième République que les «tours» des hospices[N 12] aménagées pour l’accueil des enfants abandonnés sont supprimées en 1850 et pour parer à cette loi drastique des allocations sont versées pour aider les filles-mères à garder leurs nouveau-nés[38]. Cette mesure qui concerne les hospices implantés à Rochefort, La Rochelle, Saintes et Saint-Jean-d’Angély provoqua une forte polémique dans le département où naissaient à cette époque entre dix et onze mille enfants par an dont 500 étaient systématiquement abandonnés et déposés aux portes des hospices des villes.

Un exode rural en marche

La Charente-Inférieure est un département très fortement rural au milieu du XIXe siècle. En 1851, la population rurale est de 82,8 % alors qu’elle est de 74,5 % en France[39].

Cependant, les campagnes sont touchées par l’exode rural, phénomène social amorcé au début de la Monarchie de Juillet. Elles continuent de se vider progressivement de leurs jeunes contingents qui viennent alors grossir les villes dont la population continue d’augmenter pendant la très courte période de la Deuxième République. Près d’une dizaine de cantons perdent de la population entre 1841 et 1851 (Burie, Gémozac, Le Château-d’Oléron, Marans, Marennes, Mirambeau, Montendre, Saint-Martin-de-Ré et Saint-Savinien), soit un canton sur quatre en 1851. Mais cet exode rural a fini par atteindre plus précocement le département voisin de la Charente qui parvient alors à son maximum démographique en 1851 et qui, par la suite, perdra inexorablement de la population pendant tout le reste du XIXe siècle.

Une urbanisation encore bien lente

La population urbaine est encore faiblement représentée dans le département puisque sa proportion n'entre que pour 17,2 % de la population départementale en 1851. Elle concerne tout au plus une quinzaine de villes et de gros bourgs dont deux ont plus de 10 000 habitants et une a plus de 20 000 habitants. Cependant, elle continue sa croissance quasi inexorablement et tend à s'accélérer en raison de la poussée de plus en plus massive de l'exode rural dont les effets migratoires sont encore intra-départementaux.

Toute une population de ruraux miséreux, composés le plus souvent de métayers et de journaliers, viennent alors chercher du travail dans les villes du département où les industries offrent des possibilités d’emplois pourtant bien peu rémunérés avec souvent des taches ingrates. L’arsenal maritime de Rochefort est le plus gros employeur de la région avec 4 000 emplois industriels répartis entre les chantiers navals, les fonderies, la corderie et les charpenteries de la marine. Sur le littoral, les villes offrent des emplois dans la pêche, la conchyliculture et les petits chantiers navals. Les villes de l'intérieur offrent des emplois dans les tanneries et les mégisseries, les manufactures de confection, les abattoirs et les moulins, le bâtiment et les carrières de pierre.

Liste de quinze villes et bourgs de la Charente-Inférieure en 1851
Ville 1851
Rochefort 24 330 hab.
La Rochelle 16 507 hab.
Saintes 11 569 hab.
Saint-Jean-d'Angély 6 413 hab.
Pons 4 765 hab.
Marans 4 670 hab.
Marennes 4 589 hab.
Tonnay-Charente 3 538 hab.
Saint-Savinien 3 438 hab.
Royan 3 329 hab.
Surgères 2 942 hab.
Le Château-d'Oléron 2 869 hab.
Jonzac 2 718 hab.
La Tremblade 2 712 hab.
Saujon 2 564 hab.


Les villes, petites et grandes, sont globalement attractives pendant la Deuxième République et connaissent des transformations de leur cadre urbain en parachevant souvent des travaux d’urbanisme qui avaient été lancés pendant la Monarchie de Juillet.

Rochefort, la ville la plus dynamique du département

Si Rochefort voit son bagne définitivement fermé en 1852 et transféré à Cayenne, la ville enregistre malgré cette fermeture la plus forte augmentation de population pendant cette période. En 1851, elle compte 24 330 habitants et s'est accrue de près de 2 700 habitants entre 1846 et 1851, bien plus que la croissance départementale.

Vue générale sur l'Hôpital de la Marine et le Cours d'Ablois à Rochefort, alors la plus importante ville de la Charente-Inférieure au milieu du XIXe siècle.

Elle continue en effet de se développer et de se transformer. Le changement de son cadre urbain concerne notamment celui entre la ville historique et sa banlieue. Le cours d’Ablois, qui sert de trait d’union entre la ville-centre et le Faubourg est replanté d’une quadruple rangée d'arbres vers 1850 et ouvre sa belle perspective de jardins au nord sur l’hôpital maritime[N 13] et au sud sur le cours Roy-Bry[40].

Le Faubourg qui est en pleine croissance devient plus que jamais le quartier résidentiel des ouvriers et annexe progressivement des hameaux agricoles situés au-delà des anciennes fortifications de la ville-centre. Ce quartier voit s’édifier à partir de 1850 l’église du Faubourg[N 14] dont l’inauguration aura lieu en 1860[41].

Dans le même temps, à partir d’avril 1852, l’hôpital de Rochefort fait reconstruire de nouveaux bâtiments tandis que les premiers coups de pioche sont lancés pour la construction de halles couvertes dont l’inauguration aura lieu en 1853[41].

Rochefort est une ville en plein essor et doit cette fortune à son arsenal maritime parvenu alors à son apogée, étant à la veille d’importantes restructurations à venir. La ville s’affirme de loin comme étant la première de tout le département et talonne Poitiers dans le classement des villes de Poitou-Charentes. Elle devance nettement La Rochelle qui passe par une crise urbaine assez critique et Saintes qui s’accroît très modérément.

La Rochelle, une ville en crise au milieu du XIXe siècle

La Rochelle perd de la population pendant une décennie, de 1846 à 1856, et la ville est entrée dans une véritable léthargie au beau milieu du XIXe siècle. Elle compte 16 507 habitants en 1851. Son économie est devenue atone du fait de son port de pêche dont les activités sont en sérieux déclin. La pêche cherche un second souffle et subit de plein fouet la concurrence des autres ports morutiers de la côte atlantique alors que le commerce des eaux-de-vie de Cognac avec les États-Unis reprend vigoureusement depuis 1850 et va connaître une belle embellie pendant toute une décennie[42]. Cependant, le port de commerce est à l'étroit et connaît de gros problèmes avec l'accès des bateaux à vapeur dont les tirants d'eau sont de plus en plus importants. Le port de commerce souffre d'un manque de diversification de ses activités et a plutôt tendance à stagner. La Rochelle traverse une décennie difficile mais renouera de nouveau avec la prospérité lorsque sera construite la future voie ferrée dont le décret d’application est promulgué en mars 1852[43].

Saintes, un actif centre de batellerie sur la Charente

L'Arc-de-triomphe de Saintes fut définitivement restauré en 1851 pendant la Deuxième République et sauvé d'une destruction certaine grâce à Prosper Mérimée.

Dans le même temps, Saintes qui demeure la troisième ville du département continue de voir sa population croître, même si cette croissance est bien modérée. Elle atteint 11 563 habitants en 1851. Cependant, elle se transforme lentement et s’affranchit progressivement de sa physionomie de «ville rurale»[44]. Les travaux d'urbanisme engagés pendant la Monarchie de Juillet s'achèvent pendant la Deuxième République avec, notamment, la fin de la reconstruction de l'arc de triomphe en 1851[N 15] et de l'aménagement du cours Neuf[N 16] en 1852.

Son économie dépend fortement de son fleuve le long duquel plusieurs ports ont été aménagés en fonction de la spécialisation de certains trafics. Sur la rive gauche, Port-Saint-Aignan et Le Petit Port expédient les cuirs ouvragés dans les tanneries de la ville et les eaux de vie des différentes maisons de négoce de Saintes et sur la rive droite, le Port du Chapitre et le Port du Pilori font transiter dans les lourdes gabarres les céramiques et la pierre de Saintonge[45]. Ce trafic fluvial sans cesse croissant pendant la courte période de la Deuxième République favorise l’implantation en 1849 d’un centre de douanes sur les marchandises à Saintes jusqu’ici seulement fixé à Tonnay-Charente[43]. Ce qui démontre l’importance des activités commerciales de la ville et l’intensité grandissante de la batellerie sur le fleuve.

Trois petites villes en gestation

Quant aux petites villes, celles-ci s’accroissent dans l’ensemble assez modérément pendant la Deuxième République. Si deux d'entre elles entament durablement une crise urbaine (Marans et Saint-Savinien), le reste des petites villes gagne de la population dont Pons qui ne cesse de prospérer depuis le début du siècle et occupe pendant la courte période de la Deuxième République le cinquième rang des villes de la Charente-Inférieure.

Parmi ces petits centres qui ont encore bien souvent l’aspect de gros bourgs ruraux, trois d’entre eux se distinguent au milieu du XIXe siècle.

Le marché couvert de Tonnay-Charente a été inauguré en 1850 pendant la Deuxième République

Tout d’abord, Tonnay-Charente continue sa mue urbaine grâce à la prospérité retrouvée du trafic fluvial sur la Charente. Cette petite ville fluviale voit sa population croître régulièrement depuis 1846. Elle compte alors 3 538 habitants en 1851. La petite cité marchande voit son urbanisme se transformer rapidement depuis la création du pont sur la Charente en 1842. Après l’inauguration fastueuse en 1848 de l’Hôtel-de-ville, la ville inaugure en 1850 de nouvelles halles couvertes et qui ont été construites au milieu de la vieille cité en bordure de la route royale Bordeaux-Saint-Malo. Tonnay-Charente est alors une petite ville dynamique et promue à un bel essor dans les décennies suivantes.

Plus au nord, en terre d’Aunis, Surgères, alors grosse bourgade rurale, voit sa population « bondir » en passant de 2 191 habitants en 1846 à 2 942 habitants en 1851. Cette situation particulière n’est pas le reflet d’une forte croissance démographique mais résulte simplement de l’annexion de la petite commune de Saint-Pierre-de-Surgères en 1850. Cette fusion communale sera d’ailleurs la seule à avoir été opérée pendant la Deuxième République en Charente-Inférieure. Cependant, Surgères est à la veille d’importants changements qui vont transformer durablement son économie, ce gros bourg étant concerné en premier chef par le décret de mars 1852 qui concerne la création de la future voie ferrée La Rochelle-Niort-Poitiers.

Enfin, Royan affiche une des croissances démographiques les plus importantes pendant la Deuxième République. La petite station balnéaire gagne plus de 200 habitants entre 1846 et 1851, passant de 3 110 habitants à 3 329 habitants. Elle continue de se transformer en centre de villégiature et d’aménager ses plages. C’est dans la décennie suivante qu’elle va devenir « la station du Tout Bordeaux »[46] dont les liaisons fluviales sur la Gironde sont assurées régulièrement par un bateau à vapeur.

Si la Deuxième République se caractérise par une véritable stagnation démographique en Charente-Inférieure, le Second Empire qui succède à la courte période républicaine va apporter un « âge d’or » suscitant à la fois une nouvelle poussée démographique et une grande période de prospérité économique aussi bien dans les campagnes que dans les villes.

La reprise d'une croissance démographique dynamique de la Charente-Inférieure pendant la première décennie du Second Empire (1852 – 1861)

C’est dans cette période très prospère pour le département, qui correspond à la période fastueuse du Second Empire, que la Charente-Inférieure enregistre son premier maximum démographique, avec une population totale de 481 060 habitants en 1861.

Évolution démographique
1851 1856 1861
469 992 474 828 481 060

Les ressorts de ce dynamisme démographique

Globalement, le département enregistre une croissance positive, s'accroissant de 11 068 habitants entre 1851 et 1861, soit un gain annuel de 1 107 habitants, ce qui est nettement plus important que dans la période précédente.

Cette croissance démographique repart nettement pendant la première décennie du Second Empire. De 1851 à 1856, elle enregistre un net rebond, affichant une croissance de 5 836 habitants, puis entre 1856 et 1861, cette croissance s'accélère avec un gain de 6 232 habitants. L'origine de cet essor démographique, qui va s'amplifiant, s'explique par un courant migratoire positif où le département attire de nouvelles populations, à la fois grâce à l'essor remarquable de la vigne et à l'attractivité des principales villes de la Charente-Inférieure.

Ce maximum démographique est l'aboutissement d'un demi siècle de croissance très régulière, même si la tendance dans les deux dernières décennies est caractérisée par un réel ralentissement. Ainsi, dans la période 1831-1861, une analyse détaillée des données démographiques indique que le département enregistre à la fois un solde naturel et un solde migratoire largement positifs :

Tableau récapitulatif de l'évolution démographique du département de la Charente-Inférieure dans la période 1831-1861
Variation de la population Solde naturel Solde migratoire
Période 1831-1861 + 35 700 hab. + 21 400 hab. + 14 300 hab.

À partir de la seconde moitié du XIXe siècle, le département entre dans une période de grands bouleversements, qui affectent aussi bien les campagnes que les villes.

La transformation et l'enrichissement des campagnes

De véritables transformations s'opèrent dans les campagnes charentaises, surtout à partir du Second Empire. L'application des nouvelles techniques agricoles, introduites pendant la Monarchie de Juillet, apporte un réel progrès et un changement des méthodes d'exploitation. En 1849, l'implantation d'une ferme-école à Puilboreau[47], aux portes de La Rochelle, inaugure symboliquement cette transformation du monde agricole au début de la seconde moitié du XIXe siècle. La modernisation de l'agriculture a été favorisée par l'utilisation des nouvelles charrues Dombasle[N 17] qui remplacent désormais les vieux araires et les herses en bois[48]. Les techniques agricoles, longtemps restées archaïques, n'apportaient que de faibles rendements, 10 quintaux à l'hectare pour le blé était la moyenne obtenue à la veille du Second Empire[48]. L'application des engrais et l'emploi des nouvelles charrues a permis de démultiplier rapidement la productivité agricole. L'utilisation des nouvelles techniques agricoles a fini par supprimer les jachères et mettre fin progressivement à l'agriculture d'auto-subsistance, pratiquée notamment par les métayers.

Les surfaces consacrées à la culture du blé, ainsi qu'à l'avoine, ont rapidement augmenté au détriment des cultures traditionnelles comme le seigle et la baillarge. La culture du maïs, importé depuis le XVIIIe siècle, fait également des progrès, elle est surtout pratiquée dans les vallées humides et commence à être appliquée dans les marais desséchés. De même, la culture des pommes de terre, introduites pendant le Premier Empire, commence à se généraliser, tandis que la culture des plantes sarclées (topinambours, betteraves fourragères) fait ses premiers pas.

Le petit village de Lonzac et son église près des coteaux plantés de vignes de la champagne d'Archiac. Les vignes de Saintonge et d'Aunis ont commencé leur fulgurante ascension dès le début du Second Empire.

Mais la grande affaire de cette époque c'est la vigne. Celle-ci devient en effet la principale source de richesse du département. C’est que la vigne, plus que toute autre culture, a apporté un véritable enrichissement aux habitants du département, et a contribué à améliorer leurs conditions de vie. En un mot, la vigne enrichit et fait vivre dans l'aisance ceux qui la possèdent.

La viticulture a été considérablement développée et stimulée pendant le Second Empire. Le traité de libre échange avec la Grande Bretagne, signé en 1860, a favorisé un essor sans précédent du négoce des eaux de vie de cognac. Il succède au trafic commercial déclinant avec les États-Unis d'Amérique, dont les échanges s'amenuisent déjà avant la guerre de Sécession. Ainsi, la Charente-Inférieure détenait le plus grand vignoble du monde[49], avec plus de 116 000 hectares de vigne en 1856. La progression du vignoble a été impressionnante pendant la première décennie du Second Empire où, entre 1852 et 1862, 3 433 hectares ont été plantés en vigne chaque année dans le département[50]. Cette extension de la vigne s'est faite aux dépens des cultures de céréales, même de celle du blé.

L'hôtel de ville de Gémozac a été érigé pendant l'"âge d'or" des eaux de vie de cognac durant le Second Empire. Il témoigne de la fortune que la vigne procurait aux villages et aux bourgs viticoles de Saintonge et d'Aunis.

Les grosses communes rurales, situées au cœur des campagnes viticoles de la Saintonge et de l'Aunis, connaissent un véritable « âge d’or » pendant le Second Empire. Celles-ci sont les plus dynamiques et les plus prospères du département, enregistrant alors des croissances démographiques remarquables. C'est à partir de cette époque que les bâtiments anciens sont démolis et sont remplacés systématiquement par des constructions modernes. De belles fermes, entourées de hauts murs, sont érigées à l'entrée des villages, tandis que les hautes maisons en pierre de taille, construites dans le centre des bourgs et des petites villes, leur donnent un air avenant. Les exploitations de carrières de pierre se multiplient en Saintonge et connaissent une activité exceptionnelle. De grosses bourgades de la Saintonge, comme Brizambourg, Burie, Cozes, Gémozac, Mirambeau ou Matha, et de l'Aunis, comme Aigrefeuille d'Aunis, Saint-Sauveur-d'Aunis ou Saint-Georges-du-Bois, connaissent de notables transformations, s'embellissent et se parent d'édifices publics quelquefois remarquables comme l'hôtel de ville de Gémozac ou celui, plus modeste, d'Aigrefeuille d'Aunis, ou bien encore le somptueux château de Mirambeau. Gémozac rénove de fond en comble son centre bourg, organisé autour de son église médiévale et d'un nouveau bâtiment public rassemblant l'hôtel de ville et les halles. Tous ces villages et bourgs profitent pleinement de la manne que procure la vigne.

L'essor économique du littoral

Poches d'huîtres sur une plage de Fouras. Dès le Second Empire naît l'ostréiculture moderne sur le littoral charentais.

Sur le littoral, un autre bouleversement économique va apporter une heureuse contribution au département. À partir de 1850 naît l'ostréiculture moderne.

Les premières applications ont été effectuées dans d'anciennes salines à Angoulins-sur-Mer, où le naissain d'huître est cultivé sur des tuiles enduites de chaux, leur apportant le calcaire nécessaire pour la formation de leur coquille[51]. Ces essais ont été diffusés avec succès dans l'île d'Oléron, sur sa côte orientale, puis sur les rives de l'estuaire de la Seudre, dans les marais salants qui avaient été abandonnés à cause de la mévente du sel de l'Atlantique à partir de 1840. L'île de Ré n'est pas en reste, elle participe également à l'essor de l'ostréiculture, dont les sauniers avaient déjà une certaine pratique, mais la consommation demeurait locale[51].

Les cabanes ostréicoles, composantes typiques du paysage du Bassin de Marennes-Oléron, sont apparues avec l'essor de l'ostréiculture dès le Second Empire.

Les claires, bassins où sont affinées les huîtres de Marennes et d'Oléron, produisent des huîtres qui prennent une teinte verdâtre et donnent un goût savoureux. Ce verdissement des huîtres - ou engraissement - consacre alors la célébrité de la "verte marennes" dans tout le pays, à commencer par la capitale. A la fin des années 1850, les huîtres plates de Marennes sont concurrencées par les "portugaises", huitres issues d'un naufrage "providentiel" sur les rives de la Gironde en 1857. Ces dernières, qui ont commencé à pulluler rapidement sur le littoral charentais, prendront un essor fulgurant dans les décennies suivantes, quand le plus grand bassin ostréicole de France sera desservi par des voies ferrées. Ainsi, dès le début du Second Empire, les anciennes aires des marais salants se transforment progressivement en parcs à huîtres, et sauvent la région d'un véritable désastre social et démographique.

Au nord de La Rochelle, dans la baie de l'Aiguillon, la mytiliculture fait de réels progrès à partir du Second Empire. L'élevage des moules se concentre essentiellement à Charron, à Esnandes et à Marsilly, mais la mytiliculture commence à se répandre dans la baie d'Yves, entre Fouras (Pointe de la Fumée) et Châtelaillon-Plage (sur le site des Boucholeurs). Des milliers de personnes vivent de cette industrie[52], qui permet de fixer des populations nombreuses sur la côte charentaise.

La grave crise économique dans l'île de Ré

Par contre, l'île de Ré entre en récession pendant la première décennie du Second Empire. En une dizaine d'années, de 1851 à 1861, l'île de Ré perd plus d'un millier d'habitants (- 1 040 habitants) et, pratiquement toutes les communes sont touchées par l'exode rural.

Évolution démographique de l'île de Ré de 1846 à 1861
1851 1856 1861
île de Ré 17 658 hab. 16 966 hab. 16 618 hab.

Cette situation assez surprenante provient de deux crises majeures qui affectent durement son économie insulaire.

Tout d'abord, la crise des salines a touché profondément l'ouest de l'île de Ré, où la seule commune d'Ars-en-Ré perd un quart de sa population entre 1851 et 1861, passant de 4 043 habitants à 3 547 habitants.

Ensuite, la partie orientale de l'île subit une crise viticole sans précédent. Les vignes sont ravagées par l'oïdium. Cette "destruction quasi totale du vignoble rétais" est "responsable de la misère des îliens" qui n'ont d'autre solution que de quitter leur île[50]. Six années plus tard, le vignoble de l'île de Ré a pu être reconstitué, mais "en 1859, les vignes ne produisent plus que le tiers des récoltes habituelles"[50].

Les débuts de la Révolution des transports

C’est dans cette brillante période de l’histoire de la Charente-Inférieure que commence la « Révolution des transports ».

L'implantation des chemins de fer

La gare de Rochefort. Rochefort fut avec La Rochelle l'une des deux premières villes du département à être desservie par le train et à être équipée d'une gare ferroviaire.

C'est le Nord-Ouest du département qui est le premier équipé en voies ferrées, et ce, dès septembre 1857[53]. L’implantation des chemins de fer commence par les deux principaux centres urbains, en l'occurrence Rochefort et La Rochelle, où les deux villes sont reliées directement à la capitale. Deux bourgs importants de l'Aunis, Aigrefeuille et Surgères, ont aussi le privilège d'être les premiers desservis par la voie ferrée et possèdent chacun une belle gare ferroviaire. Ce qui constituait en ce temps-là un évènement retentissant[54].

Cependant, la poursuite de l'équipement ferroviaire de la Charente-Inférieure n'aura lieu qu'une décennie plus tard, mais les travaux se multiplieront rapidement à partir de 1867, à l'époque où le Second Empire sera à son apogée. La mise en place progressive d'un réseau ferroviaire à partir des trois villes principales, (Rochefort, La Rochelle et Saintes), apportera des transformations considérables dans la vie de ce département encore très rural.

Les grands travaux de construction des canaux de navigation

Les voies d'eau (fleuves et rivières, canaux) continuent à être modernisées et leur utilisation s'accroît davantage encore par l'essor des trafics de marchandises.

Le Canal de la Charente à la Seudre, également appelé Canal de la Bridoire, fut mis en service en 1862 et permit de désenclaver Marennes.

Pendant le Second Empire, deux importants canaux de navigation sont construits dans le département. La construction du Canal de la Bridoire, qui est un canal de jonction entre la Charente et la Seudre à partir du Canal de Brouage, dont les travaux ont été relancés en mai 1846, est poursuivie avec assiduité pendant le Second Empire[N 18]. Le chantier est achevé en 1862. Il va apporter un désenclavement très important à la région et à la ville de Marennes et contribuer à son développement une vingtaine d'années avant la mise en place d'une voie ferroviaire. Les travaux de construction du Canal de Marans à La Rochelle se poursuivent également, mais avec lenteur, souvent parsemés de longues interruptions, car l'emploi des forçats pour le creusement de ce canal se fait non sans difficulté. D'ailleurs, les travaux ne seront achevés qu'en septembre 1870, alors que la reprise des travaux de creusement avait eu lieu en 1847[55].

Mais ces canaux n'atteindront jamais la même intensité d'exploitation que celle du fleuve Charente dont le trafic n'a cessé d'augmenter pendant tout le Second Empire.

L'âge d'or du fleuve Charente

En effet, un intense trafic fluvial anime le fleuve et toutes les villes et bourgs en bordure de la Charente connaissent une prospérité jamais atteinte jusque là. C'est l'« âge d'or » de la voie fluviale[56].

Les quais du port fluvial de Tonnay-Charente. Ce dernier connaît un essor fulgurant pendant le Second Empire, il éclipse celui de Saint-Savinien et devient le principal port exportateur des eaux de vie de cognac jusqu'à la fin du XIXe siècle.

A Saintes, l'aménagement des quais du fleuve, entrepris depuis la Monarchie de Juillet, est poursuivi avec assiduité pendant le Second Empire. De même, dans le cours moyen du fleuve, entre Saintes et Saint-Savinien, les dragages sont menés avec régularité, les chemins de halage sont bien entretenus, et des digues et des écluses sont construites. A Saint-Savinien, un nouveau pont enjambe le fleuve dès 1867. C'est encore à Saint-Savinien qu'est entrepris l'un des plus importants chantiers d'aménagement du fleuve à partir de 1866 avec, notamment, la réalisation d'un canal de dérivation muni d'écluses afin d'éviter les hauts fonds de la Charente[57].

L'importance du trafic fluvial se reflète dans celui du port de Tonnay-Charente où le seul transport des eaux de vie de cognac a plus que doublé depuis la fin de la Monarchie de Juillet. Il est passé d'un trafic moyen annuel de 50 000 hl à 100 000 hl avant le traité de libre échange de 1860 avec la Grande Bretagne. Or, ce trafic « explosera » bien après cette date[58].

C'est aussi pendant cet âge d'or de la Charente que le trafic de voyageurs atteint son apogée. La ligne régulière pour le transport des passagers entre Saintes et Rochefort avec desserte locale des ports fluviaux de Saint-Savinien et Tonnay-Charente, ouverte dès 1822, est particulièrement florissante transportant entre 36 000 et 40 000 voyageurs par an vers 1855[59]. Mais, depuis 1867, l'implantation du chemin de fer entre ces deux villes porte un rude coup au trafic voyageurs sur le fleuve qui est condamné à péricliter inexorablement dans les années suivantes. A la fin du Second Empire, il disparaîtra définitivement[59].

Par contre, le trafic fluvial de marchandises a encore de beaux jours devant lui malgré la concurrence de plus en plus accrue de la ligne de chemin de fer établie tout le long de la vallée de la Charente d'Angoulême à Rochefort. C'est que la batellerie sur le fleuve s'est modernisée et adaptée aux nouvelles exigences du commerce, notamment avec l'apparition de la batellerie à vapeur dès 1864[59] et peut dès lors faire face à la concurrence ferroviaire.

Un département en voie d'urbanisation

L’accroissement des richesses économiques, stimulé par la modernisation des modes de transport (voies d'eau, voies ferrées), a aussi bénéficié aux villes qui, en 1861, concentrent 1/5e de la population départementale.

Évolution démographique des quinze villes de la Charente-Inférieure de 1846 à 1861
Liste par ordre décroissant établi en 1861
Ville 1846 1851 1856 1861
Rochefort 21 840 hab. 24 330 hab. 28 998 hab. 30 212 hab.
La Rochelle 17 465 hab. 16 507 hab. 16 175 hab. 18 904 hab.
Saintes 11 363 hab. 11 569 hab. 11 927 hab. 10 962 hab.
Saint-Jean-d'Angély 6 484 hab. 6 413 hab. 6 203 hab. 6 392 hab.
Pons 4 661 hab. 4 765 hab. 4 757 hab. 4 894 hab.
Marans 4 897 hab. 4 670 hab. 4 586 hab. 4 510 hab.
Marennes 4 580 hab. 4 589 hab. 4 508 hab. 4 455 hab.
Royan 3 110 hab. 3 329 hab. 3 560 hab. 4 005 hab.
Tonnay-Charente 3 304 hab. 3 538 hab. 3 699 hab. 3 703 hab.
Le Château d'Oléron 3 052 hab. 2 869 hab. 3 003 hab. 3 518 hab.
Saint-Savinien 3 612 hab. 3 438 hab. 3 209 hab. 3 306 hab.
Surgères 2 191 hab. 2 942 hab. 3 239 hab. 3 289 hab.
La Tremblade 2 640 hab. 2 712 hab. 2 853 hab. 3 042 hab.
Jonzac 2 631 hab. 2 718 hab. 2 792 hab. 3 005 hab.
Saujon 2 444 hab. 2 564 hab. 2 826 hab. 2 889 hab.


Rochefort, la plus grande ville de la Charente-Inférieure

L'évolution urbaine des trois principales villes du département au début du Second Empire est fort contrastée. Seule Rochefort enregistre une forte croissance, alors que La Rochelle et Saintes ont plutôt tendance à stagner.

Rochefort, rue de la République. La ville militaire est aussi une ville commerçante et industrielle. Pendant le Second Empire, elle demeure et de loin la première ville de la Charente-Inférieure, mais elle est aussi la seconde ville du Centre-Ouest de la France, juste après Poitiers. La ville est alors parvenue à son apogée.

C’est en 1861 que Rochefort franchit pour la première fois de son histoire le cap des 30 000 habitants, la ville atteint alors 30 212 habitants. Elle demeure toujours et de loin la plus grande ville du département. A cette même date, Rochefort devient la deuxième ville de Poitou-Charentes, talonnant de très près Poitiers qui recense 30 563 habitants, mais devançant nettement Angoulême qui était alors la troisième ville de la région avec 24 961 habitants. Sa croissance urbaine a été régulière et soutenue, doublant largement sa population depuis le début du siècle. C'est alors la première des villes du département à avoir connu une forte mutation urbaine. Elle doit cette rente de situation à son port militaire et à son arsenal maritime qui font travailler et vivre des milliers d’ouvriers. Bien que le bagne soit supprimé en 1854[60], la ville continue sa croissance urbaine. Rochefort ambitionne de devenir un port marchand en commençant à aménager un premier bassin à flot à partir de 1857[61], et la ville est reliée à la nouvelle ligne de chemin de fer qui la met directement en contact avec la capitale depuis septembre 1857. Pendant le Second Empire, un nouveau quartier ne tarde pas à se former spontanément près de la gare ferroviaire, où un boulevard arboré la relie au centre-ville. L'extension urbaine se poursuit à l'ouest avec le Faubourg ainsi qu'au sud, débordant au-delà du cœur historique de la ville dont les fortifications, construites en 1682 et devenues obsolètes au XIXe siècle, commencent à être démantelées.

La Rochelle et Saintes, deux villes en voie de transformation

Dans cette même période, La Rochelle enregistre une évolution très contrastée et, malgré l’annexion de deux communes en 1858[N 19], la ville ne franchit toujours pas le cap des 20 000 habitants. En 1861, elle est toujours la deuxième ville du département, avec 18 904 habitants, et elle se situe au cinquième rang des villes de Poitou-Charentes, venant après Poitiers, Rochefort, Angoulême et Niort, cette dernière recensant 20 831 habitants. Mais la croissance de La Rochelle a été "artificiellement" gonflée par les extensions territoriales. C'est que La Rochelle aborde difficilement la période du Second Empire, où de graves problèmes économiques affectent son économie urbaine. Tout d'abord, son port de pêche subit la concurrence de plus en plus vive des ports morutiers de Saint-Malo, Fécamp et Bordeaux, ces derniers étant mieux armés et équipés et étant plus proches des lieux de consommation[61]. Le port de pêche de La Rochelle doit effectuer une reconversion assez douloureuse de ses activités, qui cependant l'orientera avec succès vers la pêche au thon dans la décennie suivante. Ensuite, La Rochelle subit un revers dans son trafic maritime avec les États-Unis d'Amérique. Avant que n'éclate la guerre de Sécession qui va mettre un terme aux exportations des eaux de vie de cognac, ces dernières sont de plus en plus lourdement taxées. Or, La Rochelle était l'unique port de transit des eaux de vie vers les États-Unis. Par ailleurs, le port subit des problèmes d'envasement qui menacent son accessibilité aux grands navires à vapeur. Il ne peut recevoir que des navires jaugeant au maximum 800 tonneaux, alors que les besoins de la navigation à vapeur exigent des tirants d'eau de plus en plus importants[61]. La solution passera par la création du port de La Pallice, mais celui-ci ne sera opérationnel qu'en 1890. Cependant, la ville entre dans la modernité. Tout d'abord, elle est reliée directement à la capitale, comme Rochefort, par la nouvelle voie ferrée depuis septembre 1857. De plus, elle est la première ville du département à être équipée d'une ligne télégraphique qui la met en contact avec Poitiers dès 1853[60]. La même année, elle est dotée d'une succursale de la Banque de France en compensation de la perte de l'hôtel des monnaies en 1838[60]. La Rochelle est alors à la veille de très grands bouleversements qui vont considérablement changer la ville dans les décennies suivantes.

La basilique Saint-Eutrope vue depuis le cours Reverseaux à Saintes. La ville conservera son troisième rang durant tout le XIXe siècle, mais c'est à partir des dernières années du Second Empire que commence son véritable essor urbain.

Saintes, de son côté, a enregistré une croissance régulière depuis la fin de la Monarchie de Juillet où, entre 1846 et 1856, la ville a gagné environ 600 habitants, approchant même les 12 000 habitants. Elle demeure un gros marché agricole et une ville commerçante, tout en étant un grand centre de batellerie sur la Charente. Il est vrai qu'elle ne se relève toujours pas de la perte des services de la préfecture, bien qu’elle ait pu conserver son rôle de chef-lieu judiciaire du département. Durant la première décennie du Second Empire, la ville engage des travaux d'urbanisme, notamment la construction du Cours Royal - actuel Cours National - sur les anciennes lignes de fortifications. Ces travaux ont commencé durant la Monarchie de Juillet. Elle fait également édifier un nouveau pont sur la Charente, et commence à mettre en place le Cours Neuf - actuel Cours Gambetta - sur la rive droite du fleuve dans le quartier Saint-Pallais, où se trouvent les casernes militaires et le haras. Malgré ces travaux, la ville enregistre une baisse démographique assez importante entre 1856 et 1861. Ce qui lui donne une impression de stagnation, car Saintes ne s'est pratiquement pas accrue depuis le début de la Seconde Restauration, se maintenant difficilement au-dessus du seuil des 10 000 habitants (10 274 habitants en 1821, 10 962 en 1861). Mais la ville est à la veille d’une mutation urbaine considérable avant la fin du Second Empire, quand elle sera choisie pour abriter le siège de la Compagnie des Charentes.

Des petites villes aux développements contrastés

Les autres villes notables sont Saint-Jean-d'Angély, Pons, Marans et Marennes, mais leur évolution urbaine est plutôt mitigée, sauf, peut-être pour les deux premières.

Saint-Jean-d'Angély s’accroît modérément, mais doit son essor à celui du négoce des eaux de vie de cognac et à son port fluvial sur la Boutonne, par lequel la cité continue d'expédier des céréales, des vins et des eaux de vie, ainsi que des bois d'équipement. La ville approvisionne l'arsenal de Rochefort en produits agricoles par la voie fluviale mais le trafic a beaucoup décliné entre ces deux villes depuis l'explosion accidentelle de la poudrerie militaire en mai 1818 et son transfert à Angoulême[62]. La ville passe de 5 541 habitants en 1821 à 6 392 habitants en 1861. Elle demeure toujours la quatrième ville du département.

Le donjon de Pons sert d'emblème à la petite cité qui sera, pendant le Second Empire, la cinquième ville de la Charente-Inférieure.

Pons connaît une situation bien meilleure, enregistrant une belle évolution démographique durant cette même période. La petite ville passe de 3 605 habitants en 1821 à 4 894 habitants en 1861 sans jamais enregistrer de baisse de population. Elle passe du dixième rang en 1821 au cinquième rang départemental en 1861. Ce qui est tout de même remarquable. Comme Saint-Jean-d'Angély, elle doit son essor urbain à la prospérité du négoce des eaux de vie, la cité étant située idéalement au milieu d'une riche campagne viticole, mais aussi à ses nombreuses activités industrielles établies le long de la Seugne. C'est près de la rivière et aux portes de la ville haute qu'un quartier ouvrier s'est développé depuis la Monarchie de Juillet. C'est alors une petite cité dynamique et riche, dont la transformation urbaine a commencé dès le règne de Louis-Philippe Ier. La ville continue ses travaux d'urbanisme, s'embellissant et se dotant de nouveaux immeubles en pierre de taille, dans le style Empire de l'époque, et fait édifier des bâtiments publics dans son centre ville. La petite cité de la Seugne vit un véritable « âge d’or » pendant tout le Second Empire, mais il est vrai qu'elle est alors parvenue à son apogée.

Par contre, Marans est une ville en crise depuis la fin de la Monarchie de Juillet. Après avoir connu une croissance soutenue jusqu’en 1846, où elle a d'ailleurs enregistré son maximum démographique, la ville perd régulièrement de la population depuis cette date. En une quinzaine d'années, elle perd plus de 380 habitants. Son port fluvial subit de plus en plus la concurrence de celui de La Rochelle. Ses activités périclitent, en même temps que les mégisseries de Niort.

Marennes, bien que sous-préfecture et dotée de nombreuses administrations, se classe au septième rang des villes du département en 1861. La ville est entrée dans une longue phase de déclin, elle ne se relève pas de la crise des salines qui affecte durement son port saunier, ainsi que de l'abandon de son port morutier. Elle ne participe pas à la grande prospérité économique qui caractérise le Second Empire, son économie traditionnelle a besoin d'être modernisée. La ville se trouve aussi à l'écart de la « Révolution des transports ». Pendant la première décennie du Second Empire, la ville végète. Elle est cependant à l'aube de grandes transformations qui s'accompliront dès la décennie suivante.

L'émergence de quelques petits centres urbains

Il serait incomplet de ne pas mentionner l'émergence de quelques petites villes au Second Empire, bien que celles-ci aient encore des allures de gros bourgs ruraux. Toutes ces petites cités franchissent ou approchent le cap des 3 000 habitants. Elles sont toutes caractérisées par une croissance démographique soutenue, et de nouveaux quartiers urbains commencent à se former, soit le long des nouvelles artères ferroviaires et des gares (quartier de la gare à Surgères), soit le long des fleuves (quartier du port à Tonnay-Charente, port de Ribérou à Saujon).

Il faut noter le cas de Tonnay-Charente. La cité fluviale, située avantageusement sur le fleuve où de puissants courants de la marée remontent, peut recevoir des navires jaugeant au moins 5 000 tonneaux de port en lourd, ce qui rend son port hautement accessible à la navigation à vapeur dont le tirant d'eau est devenu beaucoup plus important que par les passé. Pour cette raison, Tonnay-Charente devient le grand port des eaux de vie de cognac, supplantant La Rochelle durant le Second Empire, ainsi que Saint-Savinien. Ce dernier port entre dans une profonde crise dès le début des années 1850. Le déclin fluvial est lié à la fois à la perte de son chantier de construction navale et au problème d'accessibilité des navires de haute mer à vapeur. Mais l'effondrement du port de Saint-Savinien est lié à celui de La Rochelle, qui dépendait beaucoup du trafic avec les États-Unis d'Amérique.

Jonzac, qui est la plus petite sous-préfecture du département, voit sa population croître régulièrement depuis 1836 et franchit pour la première fois de son histoire démographique le cap des 3 000 habitants pendant le Second Empire (3 005 habitants en 1861). La petite cité s'affaire activement avec le négoce des eaux de vie de cognac. Elle s'affirme de plus en plus comme une ville commerciale en Haute Saintonge.

Pendant le Second Empire, Saujon est une petite ville en croissance démographique régulière puisqu'elle passe de 2 444 habitants en 1841 à 2 889 habitants en 1861 et son essor urbain est loin d'être terminé. Cette petite ville connaît une des évolutions démographiques les plus étonnantes. En effet, à la fin du XVIIIe siècle, ce n'est qu'un gros bourg assoupi sur les rives de la Seudre comptant 1 524 habitants en 1793.

Le Minage à Saujon a été construit en 1856, en pleine période d'essor urbain de la ville lié à celui de son avant-port de Ribérou.

C'est pendant la Restauration, puis la Monarchie de Juillet, que ce gros bourg va connaître un réel réveil économique et urbain passant de 1 837 habitants en 1821 à 2 122 habitants une décennie plus tard et approchant les 3 000 habitants au milieu du Second Empire. C'est que sa situation sur le fleuve est assez remarquable, son avant-port étant situé au lieu de rupture de charge entre le trafic maritime et le trafic fluvial à l'endroit précis où le pont sur la Seudre sert de limite. Cette situation géographique lui est en effet tout à fait favorable en un temps où le trafic des marchandises se fait davantage sur les cours d'eau que par les voies terrestres, malgré le fait que son port ne peut recevoir des navires jaugeant plus de 25 tonneaux. Saujon bénéfice alors d'un site portuaire de fond d'estuaire et va aménager ses installations portuaires pendant la Monarchie de Juillet où, en 1842, le port de Ribérou est inauguré[32]. L'avant-port de Saujon est alors doté de quais lui permettant d'assurer un trafic consistant en l'expédition de vins et d'eaux-de-vie, de céréales et de fruits, de cuirs bruts, de toiles et d'étoffes de la Saintonge et en l'importation du charbon, des métaux bruts, de la laine et de la viande salée provenant essentiellement de la Grande-Bretagne[32]. De plus, Saujon est un port sardinier et morutier actif. Les activités portuaires stimulent le commerce local et favorisent l'émergence d'une petite industrie. Saujon voit non seulement sa population croître mais aussi son urbanisation se développer rapidement au point que le bourg se soude à son avant-port de Ribérou pendant la Monarchie de Juillet[63]. Ainsi, en un peu plus d'un demi siècle, Saujon a doublé sa population et a beaucoup changé de physionomie avec la construction de beaux immeubles en pierre de taille et d'édifices publics dont le Minage construit en 1856. Son évolution urbaine n'est pas encore achevée pendant le Second Empire.

Jusqu’en 1851, Royan est encore un port sardinier sur la Gironde, bien qu'une réelle mutation urbaine soit en marche depuis la Seconde Restauration. Ce n’est qu’à partir du Second Empire que la ville commence à devenir une station balnéaire renommée et un lieu de destination de plus en plus prisé des bourgeois de Bordeaux, puis plus tard de Paris. La croissance démographique, déjà soutenue et régulière depuis le début de la Seconde Restauration, va s'accélérer à partir de 1851. En 1861, la jeune station balnéaire recense 4 005 habitants, et sa population a presque doublé depuis 1821 (2 339 habitants). Elle est devenue la 8e ville du département, ne cessant de progresser dans le classement départemental.

L'héritage urbain des villes du Second Empire

Les halles couvertes du Second Empire de style Eiffel à Jonzac sont le cas typique des villes et des bourgs de la Charente-Inférieure qui se transforment beaucoup à cette époque.

Pendant le Second Empire, les villes se transforment, se dotent la plupart d’entre elles de beaux édifices publics (généralement des hôtels de ville, des écoles publiques, des halles couvertes) et entreprennent souvent des travaux d’urbanisme, avec élargissement de rues, aménagement de carrefours et de places publiques, mise en place de fontaines et bornes fontaines, construction de châteaux d’eau, sans compter les bouleversements causés par l’implantation du chemin de fer et des gares ferroviaires.

Toutes les villes du département ont participé à ce mouvement de rénovation urbaine souvent systématique, où nombre de bâtiments antérieurs au XIXe siècle ont été radicalement démolis et remplacés par des constructions modernes, plus vastes et plus aérées. Ces dernières empruntent un nouveau style d'architecture, le style Empire pour les constructions en pierre de taille ou le style Eiffel pour les édifices employant des structures métalliques (souvent des halles couvertes, des marquises des gares ferroviaires, des ponts ferroviaires ou routiers).

Ces innovations architecturales ont souvent eu un bel effet et ont donné un air avenant aux villes et bourgs du département, laissant un héritage intéressant aux générations suivantes.

La période 1861-1911 : Un demi siècle de crise démographique

À partir de 1861, année qui marque l'apogée démographique de la Charente-Inférieure et qui a eu lieu pendant le milieu du Second Empire, s’amorce un lent mouvement de décroissance démographique avec un léger répit dans la période 1872-1881. Cette baisse inexorable de la population commence à atteindre, en premier lieu, les campagnes surpeuplées de la Saintonge, région géographique comprenant les arrondissements de Jonzac, Saint-Jean-d’Angély et Saintes, et les îles charentaises, notamment l'île de Ré.

Évolution démographique
1861 1866 1872 1876 1881 1886 1891 1896 1901 1911
481 060 479 529 465 653 465 628 466 416 462 803 456 202 453 455 452 149 451 044


Tableau de l'évolution démographique de la Charente-Inférieure de 1861 à 1911 : un demi siècle de déclin démographique

Pendant ce demi siècle de décroissance de la population, le département enregistre deux étapes dans son déclin démographique.

  • La période 1861-1881 : début du déclin démographique du milieu du Second Empire jusqu'à la fin de la première décennie de la Troisième République. Cette période est notamment marquée par la guerre franco-prusse de 1870-71 et la crise du phylloxéra dès 1875.
  • La période 1881-1911 : accélération du déclin démographique pendant la Troisième République jusqu'à la première décennie du XXe siècle. Cette période est caractérisée à la fois par les mutations profondes du monde rural et l'essor de l'urbanisation du département.

La période 1861-1881 : Les débuts du déclin démographique

Le mouvement de dépopulation de la Charente-Inférieure qui commence dans cette période charnière entre le milieu du Second Empire et le début de la Troisième République est imputable à trois faits historiques majeurs :

  • Tout d'abord, le mouvement de l’exode rural, qui a commencé bien avant la crise du phylloxéra, s'enracine inexorablement.
  • Ensuite, les conséquences de la guerre franco-prussienne de 1870 ont exercé un impact très négatif sur la démographie départementale.
  • Enfin, la crise du phylloxéra a ruiné de nombreux petits paysans, propriétaires de leurs vignes, et les a contraints massivement à l'émigration au début des années 1880.

Cependant, un répit est observé dans la décennie des années 1870 où la population départementale tend vers une très légère et inattendue reprise démographique.

Évolution démographique
1861 1866 1872 1876 1881
481 060 479 529 465 653 465 628 466 416

La guerre franco-prussienne de 1870 a constitué un événement retentissant en Charente-Inférieure, entamant sévèrement la démographie du département qui, entre 1866 et 1872, enregistre une chute de population de 13 876 habitants. Cette importante baisse démographique s'explique par un fort excédent des décès sur les naissances dû au conflit franco-prusse, aggravé par une épidémie de variole en 1866. 5 000 hommes du département avaient été mobilisés sur le front, sur les bords de la Loire et à la bataille du Mans[64]. En réalité 15 131 décès sont enregistrés dans la seule période 1866-1872[22].

Le mouvement de dépopulation qui s'ensuivra beaucoup plus tard aurait pu être plus limité si la guerre franco-prusse n'avait eu lieu, car le solde naturel est resté assez élevé en raison d'un taux de natalité encore dynamique. D'ailleurs, cette vitalité démographique se vérifie par un arrêt de la chute démographique entre 1872 et 1881, où dans cette décennie, une très légère croissance est constatée avec un gain de 763 habitants.

Les débuts de la crise du phylloxéra

Les signes de l'exode rural avant la crise du phylloxéra

Si une très légère reprise démographique est constatée à la fin de la décennie des années 1870, celle-ci masque en fait le phénomène déjà bien présent de l'exode rural. Cette déprise agricole, décelée à la fin de la Monarchie de Juillet, s'est durablement installée pendant le Second Empire et va aller en s'aggravant avec la crise du phylloxéra qui ravage le vignoble de la Saintonge dès 1875 et celui de l'Aunis à partir de 1876. L'exode rural va en fait s'accélérer brusquement à partir des années 1880.

Tableau récapitulatif de l'évolution démographique du département de la Charente-Inférieure dans la période 1861-1885
Variation de la population Solde naturel Solde migratoire
Période 1861-1885 - 17 400 hab. + 4 100 hab. - 21 500 hab.

Le solde migratoire est déjà très fortement négatif à la fin de la première décennie de la Troisième République, c'est-à-dire en 1881, puisque le département enregistre plus de 21 500 départs. Les effets de la crise du phylloxéra dès 1875 ont fortement aggravé le mouvement de l'exode rural, où celui-ci a commencé bien avant le Second Empire. De plus, l’implantation du chemin de fer en Charente-Inférieure a paradoxalement joué un rôle de catalyseur dans le mouvement de déprise rurale, facilitant grandement l'exode des jeunes travailleurs, ruraux et paysans, vers Paris en particulier. Ces derniers sont déjà attirés par les « lumières de la ville ». Il faut en effet souligner que le Second Empire, puis plus tard, la Troisième République, sont une période de forte croissance urbaine qui a également touché les villes de la Charente-Inférieure, même si l’évolution urbaine du département a été de moindre ampleur que dans le reste de la nation. Les villes ont malgré tout contribué à résorber et à limiter en partie les effets négatifs de cet exode rural intradépartemental.

Cet exode rural a donc commencé dans les régions viticoles alors en plein "âge d'or". Beaucoup de communes rurales et de gros bourgs de la Saintonge, comme ceux situés dans la plaine de l'Aunis, enregistrent d’ailleurs leur maximum démographique dans la dernière décennie avant la fin du Second Empire, soit en 1861, soit le plus souvent en 1866, ce qui correspond exactement à une décennie avant la crise du phylloxéra. Beaucoup de ces communes situées en milieu viticole vont subir par la suite une dégradation irréversible de leur démographie, où l'exode des jeunes a vidé progressivement les campagnes, aggravant le phénomène tout nouveau du vieillissement de la population.

Dans un premier temps, les conséquences de cet exode rural sont à peine perceptibles. C'est après le désastre des vignobles phylloxérés que ce phénomène se fera nettement ressentir. En seulement une dizaine d'années, c'est-à-dire de 1872 à 1881, nombre de communes viticoles voient leur chiffre de population baisser d'au moins entre - 10 % et - 20 %. C'est le cas spectaculaire de la commune de Chérac, dans le canton de Burie, où le phylloxéra a été signalé pour la première fois dans le département, en 1872. Cette commune voit perdre - 19 % de sa population entre 1872 et 1881.

Évolution démographique décennale de quelques communes viticoles de la Saintonge de 1861 à 1881
Liste par ordre alphabétique
Commune 1861 1872 1881
Brizambourg 1 606 hab. 1 620 hab. 1 546 hab.
Burie 1 787 hab. 1 634 hab. 1 530 hab.
Chérac 1 672 hab. 1 641 hab. 1 322 hab.
Gémozac 2 598 hab. 2 693 hab. 2 503 hab.
Matha 2 287 hab. 2 214 hab. 2 087 hab.
Mirambeau 2 404 hab. 2 189 hab. 2 095 hab.
Saint-André-de-Lidon 1 411 hab. 1 222 hab. 1 169 hab.
Saint-Hilaire-de-Villefranche 1 321 hab. 1 338 hab. 1 240 hab.
Saint-Romain-de-Benet 1 716 hab. 1 636 hab. 1 624 hab.
Sonnac 1 285 hab. 1 210 hab. 1 091 hab.
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Évolution démographique décennale de quelques communes viticoles de l'Aunis de 1861 à 1881
Liste par ordre alphabétique
commune 1861 1872 1881
Aigrefeuille d'Aunis 1 821 hab. 1 745 hab. 1 762 hab.
Forges 1 233 hab. 1 158 hab. 1 002 hab.
La Jarrie 1 195 hab. 1 202 hab. 1 113 hab.
Saint-Christophe 1 126 hab. 955 hab. 851 hab.
Saint-Sauveur-d'Aunis 1 530 hab. 1 423 hab. 1 284 hab.
Vérines 1 430 hab. 1 272 hab. 1 212 hab.

Les deux tableaux ci-dessus montrent clairement que les communes viticoles ont commencé à se dépeupler avant que le vignoble charentais soit phylloxéré. L'exode rural avait donc commencé à toucher les campagnes surpeuplées de l'Aunis et de la Saintonge, alors que celles-ci entraient dans une véritable prospérité que plus jamais elles n'ont connue par la suite.

L'âge d'or du vignoble charentais

Le département, alors premier département producteur national de vin à la fin du Second Empire, possède également le plus grand vignoble du monde[65]. La vigne est alors parvenue à son apogée en Charente-Inférieure. Avec le département voisin de la Charente, le vignoble du cognac atteint la surface record de 280 000 hectares[66]. L'évolution des surfaces plantées en vigne n'a cessé de progresser depuis la Monarchie de Juillet, elle s'est même considérablement accélérée dans les dernières années précédant 1876, c'est-à-dire quatre années après les premières apparitions signalées du phylloxéra.

L'évolution du vignoble de la Charente-Inférieure de 1839 à 1876
Vignoble 1839 1858 1866 1876
Superficie (en hectares)
111 000
116 000
130 000
164 651

Déjà, en 1866, la vigne occupe plus de la moitié de la surface agricole du département[49]. Elle est devenue une véritable monoculture dans un très grand nombre de communes de la Saintonge comme de celles situées dans la plaine de l'Aunis. L'influence du traité du libre-échange signé en 1860 avec la Grande Bretagne a eu des répercussions considérables dans le vignoble charentais où « l'ouverture du marché britannique entraîna un vaste mouvement de plantation : l'âge d'or du vignoble charentais commença et, bien souvent, les agriculteurs abandonnèrent purement et simplement la culture du blé, se disputant le sol à prix d'or »[66]. Cette culture était devenue hautement spéculative où « avec un très modeste lopin de terre consacré à la vigne, la rémunération annuelle du capital pouvait atteindre 15 %, voire 20 % et plus dans les zones favorisées »[49].

L'apparition du phylloxéra
Le phylloxéra commença à ravager le vignoble charentais à partir de 1872.

Les premières apparitions du phylloxéra sont signalées en 1872[67], dans le département voisin de la Charente, à Crouin[N 20], près de Cognac, et la même année en Charente-Inférieure, à Chérac, canton de Burie[68]. Puis dans le canton d'Archiac l'année suivante. L'importation des plants américains à partir de 1867 dans les terroirs de la Saintonge, notamment dans les Borderies[N 21], avait été activement encouragée car ils avaient la particularité de pousser plus rapidement et de produire un vin avec de meilleurs rendements[65], mais elle est à l'origine accidentelle de l'introduction du phylloxéra. Les plants indigènes comme le pinot, le colombard et la folle blanche furent décimés par le puceron à une vitesse vertigineuse. En quelques années seulement, il ravagea les 3/4 du vignoble charentais. En 1875, la plus grande partie du vignoble de la Saintonge était phylloxérée. Une année plus tard, celui de l'Aunis fut détruit. Le fléau frappa la presqu'île d'Arvert en 1878, tandis que le vignoble des îles charentaises était encore indemne à cette date[49]. Les ravages du phylloxéra touchèrent les îles au début des années 1880. La production du vin a en conséquence subi une chute spectaculaire, jamais enregistrée jusque-là, passant de 7 277 000 hectolitres en 1873 à 7 0000 hectolitres seulement en 1880[65].

Le désastre n'était pas seulement économique, il était avant tout social et allait avoir des conséquences démographiques durables dans les décennies suivantes. À partir de la fin des années 1870, le mouvement d'émigration rurale s'accéléra avec force, et beaucoup de villages commencèrent à se vider de leurs habitants, surtout les jeunes générations. Les conséquences économiques de la destruction du vignoble charentais furent visibles au tournant des années 1880, où le département dut faire face à la pire crise agricole jamais connue jusque-là.

L'impact des grands chantiers de travaux publics

Mais c'est également dans cette période charnière entre la fin du Second Empire et le début de la Troisième République que les chantiers de travaux publics sont multipliés dans le département.

La poursuite de la modernisation des voies d'eau
Le canal de Rompsay au lieu-dit Moullepied est une partie du canal de Marans à La Rochelle. Ce dernier a été ouvert au trafic en 1870 et mis officiellement en service en 1875.

Tout d'abord, la modernisation des voies d'eau est maintenue et même encouragée. La réalisation de la jonction entre la Charente et la Seudre par le creusement du canal de la Bridoire scelle près d'une quinzaine d'années de travaux qui avaient commencé sous la Monarchie de Juillet. Ce canal de 25 km de longueur, qui permet enfin de désenclaver Marennes, est mis en service dès 1862[55]. Rapidement des entreprises chimiques s'implantent à Marennes et le canal est utilisé pour le trafic du sel produit dans les salines du bassin de la Seudre comme pour celui des pyrites en provenance de Tonnay-Charente.

Les travaux s'achèvent en 1870 pour le canal de Marans à La Rochelle, dont les premiers coups de pioche avaient commencé en 1808, et son exploitation commerciale est aussitôt mise en service.

Quant au fleuve Charente, le trafic fluvial va vers son apogée, et il connait une activité qui ne cessera de s'intensifier pendant les années 1880.

L'intensification du réseau ferroviaire

C'est pendant le Second Empire que les voies ferrées sont activement construites dans le département. À partir de 1867, soit une décennie après la première réalisation de la voie ferrée en Charente-Inférieure, une nouvelle ligne de chemin de fer est créée. Celle-ci relie Rochefort à Saintes via Tonnay-Charente et Saint-Savinien. Cette ligne est prolongée la même année en direction de Cognac et d'Angoulême. Établie sur la rive droite de la Charente sur la plus grande partie de son cours, cette nouvelle voie ferrée ne concurrencera sérieusement le fleuve qu'à partir des années 1890.

La gare de Saintes fut construite en 1867. Saintes devint un très important centre ferroviaire dès le Second Empire.
La gare de Surgères fut édifiée en 1857, elle fut parmi les toutes premières à être mise en service en Charente-Inférieure.

C'est également à Saintes que la Compagnie des Charentes fixe son siège d'exploitation et ses administrations, ainsi que les ateliers d'entretien du matériel roulant ferroviaire[69]. Un nouveau quartier ferroviaire naît sur la rive droite de la ville et fait surgir de toute pièce un faubourg ouvrier qui s'étendra tout autour de la gare et de ses vaste emprises ferroviaires. À partir de Saintes va se constituer progressivement une étoile ferroviaire dont l'extension maximale aura lieu pendant le premier tiers de la Troisième République.

De cette étoile ferroviaire part d'abord une voie ferrée en direction de Coutras qui sera par la suite prolongée vers Bordeaux en 1874. La ligne ferroviaire qui part de Saintes, franchit le fleuve à Beillant et atteint Pons en mars 1869. Elle est prolongée vers Jonzac en janvier 1870 et rejoint Montendre en novembre 1871[70].

Après la guerre franco-prusse de 1870 et l'effondrement du Second Empire, les travaux de construction de voies ferrées sont activement poursuivis pendant la Troisième République. Tout d'abord, une voie ferrée est établie entre La Rochelle et La Roche sur Yon, sa mise en service est effective dès mars 1871. La nouvelle ligne, qui longe le canal de La Rochelle à Marans, dessert notamment Marans qui est alors dotée d'une gare en 1872. La voie ferrée va rapidement concurrencer le canal de Marans à La Rochelle, dont l'exploitation commence une année seulement avant la mise en service de la voie ferrée.

Sur le littoral de l'Aunis, une ligne directe est construite entre La Rochelle et Rochefort et est mise en service en octobre 1873, permettant de desservir Aytré et Angoulins. Cette nouvelle voie ferrée va permettre de sauvegarder pour un temps les salines de l'Aunis et surtout de faire naître de nouvelles stations balnéaires comme Châtelaillon-Plage et Fouras.

Le train arrive en 1875 à Royan, au départ de la gare de Pons qui devient un important carrefour ferroviaire. Cette nouvelle voie ferrée dessert notamment Gémozac, Cozes et Saujon. Cette dernière, alors grosse bourgade rurale qui commence sa mutation urbaine, va devenir également un important carrefour ferroviaire d'où partira en 1876 une voie ferrée en direction de La Tremblade.

Enfin, Saint-Jean d'Angély est desservie par une voie ferrée à partir de janvier 1878. La sous-préfecture va connaître par la suite, dans la décennie des années 1880, un rôle important en matière de centre ferroviaire.

La mutation urbaine des principales villes du département

Toutes ces réalisations exercent un impact considérable sur l'économie du département, qui profitent surtout aux villes. Celles-ci commencent réellement leur mutation urbaine à cette époque, principalement trois d'entre elles, La Rochelle, Saintes et Royan, tandis que Rochefort entre en récession depuis la fermeture de la Corderie royale en 1867 et la réduction des activités de son arsenal maritime.

Les halles de Rochefort (actuel Palais des congrès). La cité militaire demeure toujours la première ville de la Charente-Inférieure entre la fin du Second Empire et la Troisième République, mais elle connaît une crise démographique dans cette période suite à la fermeture de la Corderie royale et à la forte réduction des activités de son arsenal militaire.
Évolution décennale de la population des quinze villes de la Charente-Inférieure de 1861 à 1881
Liste par ordre décroissant établi en 1881
Ville 1861 1872 1881
Rochefort 30 212 hab. 28 299 hab. 27 854 hab.
La Rochelle 18 904 hab. 19 506 hab. 22 464 hab.
Saintes 10 962 hab. 12 347 hab. 15 763 hab.
Saint-Jean-d'Angély 6 392 hab. 6 812 hab. 7 279 hab.
Royan 4 005 hab. 4 685 hab. 5 445 hab.
Marennes 4 455 hab. 4 495 hab. 4 945 hab.
Pons 4 894 hab. 4 738 hab. 4 895 hab.
Marans 4 510 hab. 4 284 hab. 4 736 hab.
Tonnay-Charente 3 703 hab. 3 872 hab. 3 904 hab.
Surgères 3 289 hab. 3 580 hab. 3 784 hab.
Jonzac 3 005 hab. 3 260 hab. 3 210 hab.
Saint-Savinien 3 306 hab. 3 214 hab. 3 192 hab.
Le Château d'Oléron 3 518 hab. 3 328 hab. 3 132 hab.
Saujon 2 889 hab. 2 891 hab. 3 130 hab.
La Tremblade 3 042 hab. 2 636 hab. 3 090 hab.

L'évolution des villes est assez inégale mais la majorité d'entre elles enregistre des croissances démographiques assez remarquables, seules les villes militaires ne participent pas à cette expansion, ayant payé un lourd tribut au conflit franco-prusse de 1870. Parmi celles-ci se trouve la citadelle du Château d'Oléron qui a perdu beaucoup d'habitants entre 1861 et 1881, enregistrant une baisse de 11 % de sa population entre ces deux recensements.

Le déclin temporaire de Rochefort

De même en est-il pour Rochefort qui passe sous la barre des 30 000 habitants et perd dans cette même période 2 358 habitants, ce qui est considérable. Bien qu'elle demeure toujours la première ville de la Charente-Inférieure, Rochefort connaît quelques difficultés avec la réduction drastique des activités de son arsenal où les bâtiments de guerre qui nécessitent de plus grands tirants d'eau ne peuvent être construits sur le site rochefortais : « L'arsenal, pour des raisons techniques, déclinera au profit de Brest qui offrait plus de facilités, surtout pour les navires de haut rang »[71]. De plus, la fermeture définitive de la Corderie royale en 1867 contribue au ralentissement des activités de l'arsenal maritime. La Corderie royale, qui avait fourni depuis sa création toute la Marine de guerre en cordages dont la matière première était le chanvre livré par les paysans d'Aunis et de Saintonge, avait commencé à décliner rapidement dès l'apparition de la marine à vapeur et la généralisation de l'emploi du câble-chaîne. Cependant, la municipalité de Rochefort décide de miser sur son port de commerce où, pendant le Second Empire, deux bassins à flot sont creusés de 1857 à 1869 pouvant accueillir des navires d'un tirant d'eau de 5,50 mètres[61]. Cet agrandissement portuaire s'avèrera vite insuffisant et un troisième bassin à flot est alors mis en chantier à partir de 1880. Dans cette même période, Rochefort développe sa desserte ferroviaire par la nouvelle jonction avec La Rochelle dont la voie ferrée est inaugurée en décembre 1873[72] tandis qu'une ligne ferroviaire est projetée en direction de Marennes à partir de 1874[73]. Ces efforts se révèleront payants dans la décennie suivante où Rochefort renouera avec la croissance démographique et urbaine.

La mutation urbaine de La Rochelle, Saintes et Royan

Si la plupart des villes sont en croissance, trois d'entre elles se détachent nettement du lot et commencent leur véritable essor urbain à partir de la fin du Second Empire : La Rochelle, Saintes et Royan.

Le Vieux-Port de La Rochelle. La ville franchit pour la première fois les 20 000 habitants en 1881, mais elle demeure encore la seconde ville de la Charente-Inférieure.

La Rochelle franchit pour la première fois, au XIXe siècle, le cap des 20 000 habitants, recensant 22 464 habitants en 1881, après l'annexion d'une troisième commune[N 22]. Mais elle demeure toujours la seconde ville de la Charente-Inférieure, se situant après Rochefort (27 854 habitants en 1881). C'est véritablement à partir de la seconde moitié du XIXe siècle que La Rochelle commence sa mutation urbaine dont les prémices du développement avaient commencé pendant la Monarchie de Juillet. Cette croissance urbaine se fait sans à-coups, elle est régulière et soutenue. Il faut préciser que l'expansion de la ville se fait vers l'ouest en direction de Saint-Maurice et de Laleu, petits villages qui sont peu à peu absorbés par la ville. Centre administratif et commercial par excellence, La Rochelle commence à devenir un grand port de pêche depuis l'aménagement du bassin des chalutiers dont les travaux sont achevés en 1862. Conçu à l'origine pour les besoins du trafic maritime pouvant recevoir des navires jaugeant 800 tonneaux maximum, ce nouveau bassin va rapidement devenir le haut-lieu de la pêche rochelaise. Depuis la création d'une première gare ferroviaire inaugurée en septembre 1857, un nouveau faubourg urbain s'est spontanément formé au sud de la ville et devient le quartier des cheminots (Tasdon). Le paysage urbain de La Rochelle change rapidement depuis que la ville déborde au-delà de son vieux noyau urbain toujours cerné par d'obsolètes murailles et dont les portes de ville sont devenues inadaptées au nouveau trafic urbain.

Le Palais de justice de Saintes a été construit en 1863 sur le cours national. Saintes est alors le chef-lieu judiciaire de la Charente-Inférieure en compensation de la perte de sa fonction de préfecture en 1810. À partir du Second Empire, la ville connait un essor urbain sans précédent.

Saintes, demeure la troisième ville de la Charente-Inférieure, mais elle enregistre une croissance démographique remarquable grâce à sa fonction ferroviaire de premier plan dans le département. Le siège de la Compagnie des Charentes fait travailler des milliers de personnes (2 382 emplois créés en 1877)<refLe Dret 2004, p. 53</ref>, ce qui est considérable. La ville voit naître un nouveau quartier qui s'établit sur la rive droite de la Charente. Ce nouveau faubourg se développe au voisinage immédiat de vastes ateliers ferroviaires et d'infrastructures ferrées dont l'emprise au sol est supérieure au vieux noyau urbain de la ville. La création d'un nouveau boulevard qui relie la rive gauche de la cité à la rive droite où se trouve la gare via le nouveau pont sur la Charente accroît sensiblement le trafic urbain. Saintes continue de s'embellir et de s'équiper, notamment par la construction d'un nouveau Palais de Justice en 1863 et d'un nouvel hôtel-de-ville édifié en 1874, en remplacement de celui dévasté par un incendie en 1871 et dont la perte de précieuses archives de la ville est une vraie catastrophe. La population de Saintes s'accroit de près d'un tiers entre 1861 et 1881, passant de 10 962 habitants à 15 763 habitants. Elle fait alors partie des villes du département qui enregistrent les plus fortes augmentations démographiques.

Photographie d'une villa en pierre taillée claire, à plusieurs étages et haut toit d'ardoises, flanquée de deux clochetons de chaque côté. Accès par un escalier monumental à double révolution en pierre et hautes fenêtres aux huisseries blanches avec des balcons à colonnades.
La villa « Les Campaniles » s'inspire largement de l'ancien casino de Foncillon, détruit en 1945. Pendant le Second Empire et la première décennie de la Troisième République, Royan devient la station du "Tout Bordeaux".

Royan franchit pour la première fois de son histoire démographique le cap des 5 000 habitants dès 1876. De plus, la station balnéaire est devenue la cinquième ville de la Charente-Inférieure, et sa croissance est d'une remarquable constance depuis le début du siècle. La station balnéaire continue de se couvrir de magnifiques villas et le quartier de Foncillon sort de terre dès le milieu du Second Empire. Elle devient une ville très prisée de la haute société urbaine de Bordeaux, puis de Paris après 1875, ainsi que de la bourgeoisie provinciale. Son site remarquable, son front de mer, ses larges plages de sable fin, ses pinèdes et ses promenades urbaines aménagées, alliés à la douceur de son climat, en font une station très en vogue, elle devient la station du "Tout Bordeaux"[46]. L'arrivée du chemin de fer en 1875 lui impulse un nouvel élan urbanistique où, à partir de cette date, la ville va entrer dans une profonde mutation urbaine et architecturale, se couvrant de magnifiques et somptueuses villas, nichées en bord de mer ou dans des écrins de verdure ou de forêt. Royan se dote d'une politique municipale très ambitieuse, à la hauteur de ses moyens, et qui portera ses fruits durablement dans les décennies suivantes.

L'évolution contrastée des petites villes

Les petites villes connaissent des évolutions démographiques globalement positives, mais trois d'entre elles vont connaître de sérieux revers après la crise du phylloxéra.

Le cas de Pons est assez parlant. La petite ville ne franchit jamais le cap symbolique des 5 000 habitants. La cité pontoise atteint d'ailleurs son maximum démographique avec 4 969 habitants au recensement de 1866, chiffre de population qu'elle n'a plus jamais dépassé par la suite. Elle fait partie des quelques villes du département qui n'ont toujours pas retrouvé et dépassé leur maximum démographique. Pourtant, parmi les villes de la Saintonge, Pons fait partie de celles qui ont été parmi les toutes premières à être équipées d'une gare ferroviaire et d'équipements importants. La ville n'a pas su tirer profit de ces infrastructures innovantes pour l'époque, ce qui lui aurait permis un véritable décollage de ses activités économiques et urbaines. Vivant repliée sur son négoce des eaux de vie, Pons sera par la suite durablement "paralysée" par la crise du phylloxéra.

Surgères est dans une situation identique à celle de Pons, où ces deux villes ont connu un véritable "âge d'or" pendant toute la période du Second Empire. Surgères voit sa population croitre très fortement jusqu'en 1876, avant que les effets pernicieux du phylloxéra ne viennent ruiner son économie urbaine. En 1876, année de son maximum démographique pendant tout le XIXe siècle, la ville enregistre alors 3 855 habitants, chiffre qu'elle ne dépassera que dans les années d'après-guerre, malgré la brillante reconversion de ses activités économiques au début du XXe siècle.

Les halles de Saint-Savinien ont été construites en 1865. À partir de la Troisième République, la petite cité fluviale entre dans une récession inexorable caractérisée par un déclin démographique ininterrompu.

Le cas de Saint-Savinien est plutôt atypique. La petite cité fluviale, bien que desservie par le train en 1867 et dotée d'une gare importante, entre dans une récession inexorable. La construction d'un pont sur le fleuve en 1867 rompt l'isolement de ce bourg en déclin mais ne contribue pas à faire de Saint-Savinien un carrefour d'échanges dans la vallée de la Charente. C'est que les activités de son port fluvial se sont considérablement réduites malgré d'importants travaux d'aménagement des bords de la Charente avec la construction d'un canal de dérivation. Le port de Saint-Savinien n'était pas équipé pour recevoir les gros navires à vapeur. Il subit de plein fouet la concurrence de Tonnay-Charente, devenu alors le grand et unique port exportateur des eaux de vie de cognac des pays Charentais. Pendant ce temps, Saint-Savinien a perdu son chantier de construction navale et les activités de ses carrières ont commencé à se réduire fortement du fait de la crise du phylloxéra qui a entraîné une crise du bâtiment. Ce secteur d'activité a été en effet très durement touché par la crise viticole qui a atteint en premier lieu la Saintonge. Cependant, cette industrie se maintiendra jusqu'à la fin du XIXe siècle et une importante distillerie d'eaux de vie se développera même après que le phylloxéra aura ruiné la région.

Une des rues commerçantes parallèles à l'ancienne rue principale de Tonnay-Charente avec au fond le pont suspendu

Tonnay-Charente est devenu à partir du Second Empire le grand port du cognac. Son trafic portuaire a quasiment "explosé" depuis la signature du traité de libre échange avec la Grande Bretagne de 1860. Les exportations des eaux de vie de cognac sont passées de 200 000 hl après 1860 à 450 000 hl en 1871[58]. Le port, dont les travaux d'aménagement des quais avaient eu lieu pendant la Monarchie de Juillet, profite pleinement de la modernisation de ces équipements et se trouve parfaitement adapté aux conditions nouvelles de la marine à vapeur qui exige des tirants d'eau de plus en plus importants. Pouvant alors accueillir sans encombre des navires de haute mer allant jusqu'à 5 000 tonneaux de port en lourd, il concurrence désormais le petit port fluvial de Saint-Savinien, alors en plein déclin, et qui ne peut recevoir des bâtiments jaugeant plus de 250 tonneaux. La cité fluviale qui est également desservie par la voie ferrée Angoulême-Saintes-Rochefort depuis 1867 est également un centre routier de premier plan depuis la construction du Pont suspendu qui enjambe le fleuve depuis 1842. Desservie désormais par la route royale Bordeaux-Saint-Malo - qui deviendra plus tard la route nationale 137 -, Tonnay-Charente se développe à la fois comme centre commercial, carrefour routier et port fluvial et voit sa population croître régulièrement depuis le Second Empire occupant le 9e rang en Charente-Inférieure en 1881.

Sur le littoral, le triomphe de l'ostréiculture moderne, stimulée par la desserte ferroviaire, contribue à faire vivre les petites villes du bassin de la Seudre. Ainsi, trois d'entre elles vont continuer leur mutation urbaine : Marennes, La Tremblade et Saujon. Parmi celles-ci, Marennes va connaître un véritable essor urbain qui en fera une des villes les plus attractives du département, et ce, jusqu'au début du siècle suivant.

Saujon enregistre une croissance démographique plus modérée mais celle-ci demeure tout de même positive. La petite ville, située au fond de l'estuaire de la Seudre, franchit pour la première fois de son histoire démographique le cap des 3 000 habitants en 1881 enregistrant 3 130 habitants.

Les quais du port de Saujon

Saujon connaît deux étapes importantes dans son évolution urbaine qui vont déterminer les bases de son avenir. Tout d'abord, à partir de 1875, Saujon devient un carrefour ferroviaire étant située sur la ligne ferrée reliant Pons à Royan[74] puis, depuis 1876, elle est reliée à La Tremblade sur la rive gauche de la Seudre[75]. Elle est en fait choisie pour être "la gare principale de triage du réseau de la Seudre"[76] et conservera longtemps ce rôle de plaque tournante ferroviaire en Charente-Inférieure. Cette fonction ferroviaire est importante pour la ville car, en même temps que se développe l'activité d'échanges ferroviaires, le port de Ribérou décline petit à petit. Son port subit les problèmes récurrents d'envasement dû à la marée montante et les opérations de désenvasement finissent par devenir trop coûteuses. Ensuite, il ne peut recevoir des navires à vapeur de gros tonnage. Le port de Ribérou est alors condamné à un abandon certain et son trafic à un déclin rapide que va grandement faciliter le train dans la décennie suivante. Mais, à partir de 1860, la petite ville a commencé à devenir une station thermale, ce qui lui permettra de développer une fonction hôtelière et résidentielle grâce également à sa proximité privilégiée de Royan, la grande station balnéaire du littoral charentais.

Une personne sur quatre vit dans les villes en 1881

Ce développement urbain va contribuer à freiner le mouvement de l'exode rural enclenché depuis les années 1860 et à stabiliser en partie la population du département jusqu'au seuil des années 1880.

De 1872 à 1881, le taux de population urbaine passe de 23,6 % à 24,8 %, ce qui fait que désormais un habitant sur quatre vit dans l'une des quinze villes du département. Ce qui est encore peu, mais l'urbanisation va s'accélérer dans les principales villes à partir de la décennie suivante, bien qu'elles ne pourront absorber les populations issues de l'exode rural qui deviendra massif à partir des années 1880, étant amplifié cette fois par la grave crise du phylloxéra.

La période 1881-1911 : La poursuite du déclin démographique

À partir des années 1880, l’exode rural s’est fortement accéléré et, ce, pendant une trentaine d’années, où, de 1881 à 1911, le département perd 15 372 habitants. La Charente-Inférieure devient dès lors un département d'émigration, situation démographique nouvelle qui touche l'ensemble des départements du Centre-Ouest.

Pourtant, l'économie agricole va connaître de profondes mutations et les principales villes du département devenir de véritables pôles d'attraction et des points d'ancrage pour fixer les populations rurales à la recherche d'un emploi.

Évolution démographique
1881 1886 1891 1896 1901 1911
466 416 462 803 456 202 453 455 452 149 451 044

La crise du monde rural

Dans cette longue période où d'importants changements vont s'opérer, quelquefois dans la douleur, les graves répercussions de la crise du phylloxéra qui ravagea le vignoble charentais à partir de 1875 se sont fait durablement ressentir. Une véritable crise économique et sociale a alors secoué le monde rural et les petites villes viticoles. C’est alors que les campagnes se sont vidées inexorablement de leurs habitants et nombre de villages ont perdu plus du quart à un tiers de leur population. Ce qui est considérable.

Les chiffres sont particulièrement parlants. Dès 1872, la population rurale a cessé de progresser et a commencé à diminuer très fortement à partir de 1881 comme le montre le tableau suivant. Ainsi, de 1872 à 1911, la Charente-Inférieure enregistre un départ record de près de 50 000 ruraux, plus précisément, ce sont 49 667 habitants qui ont quitté les campagnes d'Aunis et de Saintonge.

Évolution de la population rurale de 1872 à 1911 en Charente-Inférieure
Commune 1872 1881 1891 1911
Population rurale 355 633 350 713 325 653 305 966
Proportion des ruraux en Charente-Inférieure 76,4 % 75,2 % 71,4 % 67,8 %

Alors qu'en 1872 la proportion des ruraux était écrasante avec plus des trois-quarts de la population totale, celle-ci s'est beaucoup amenuisée à la veille de la Première Guerre mondiale tout en demeurant largement majoritaire avec une proportion correspondant à un peu plus des deux-tiers de la population départementale[39].

Cette baisse démographique de la population rurale est visible dans toutes les communes rurales de la Charente-Inférieure et rares sont les villages et les hameaux qui ont été épargnés par cet exode agricole d'une ampleur jamais égalée jusque là. Quelques exemples suffisent à montrer l'intensité de ce phénomène social et démographique qui a profondément touché l'ensemble du département dans le dernier tiers du XIXe siècle et au début du siècle suivant.

Évolution démographique décennale de quelques communes viticoles de la Saintonge de 1881 à 1911
Liste par ordre alphabétique
Commune 1881 1891 1901 1911
Archiac 1 110 974 855 802
Asnières-la-Giraud 1 281 1 130 1 002 886
Brizambourg 1 546 1 345 1 177 1 069
Burie 1 530 1 599 1 623 1 407
Chérac 1 322 1 278 1 177 1 125
Cozes 1 837 1 688 1 553 1 446
Ecoyeux 1 144 980 902 887
Matha 2 214 2 087 2 034 1 916
Meursac 1 516 1 380 1 322 1 240
Mirambeau 2 189 2 095 1 951 1 877
Saint-Romain-de-Benet 1 624 1 416 1 346 1 379
Sonnac 1 091 1 014 960 910
Évolution démographique décennale de quelques communes viticoles de l'Aunis de 1881 à 1911
Liste par ordre alphabétique
Commune 1881 1891 1901 1911
Aigrefeuille d'Aunis 1 762 1 648 1 542 1 561
Forges 1 002 906 892 893
La Jarrie 1 113 968 796 774
Marsais 1 542 1 233 1 150 1 105
Saint-Georges-du-Bois 1 685 1 557 1 422 1 423
Saint-Mard 1 563 1 214 1 151 1 091
Saint-Sauveur-d'Aunis 1 284 1 123 940 950
Vérines 1 212 974 914 877

La baisse démographique a concerné toutes les communes rurales de l'Aunis et de la Saintonge dans la période allant de 1881 à 1911 et pratiquement aucune de ces communes n'a échappé à la déprise rurale.

Ce phénomène a été particulièrement fort dans la décennie 1881-1891 où les villages ont connu des baisses spectaculaires de leur population, notamment ceux de l'Aunis. Les communes de Marsais et de Saint-Mard dans le canton de Surgères ou bien celle de Vérines dans le canton de La Jarrie ont enregistré des chutes démographiques exceptionnelles, respectivement - 20 %, - 22,3 % et - 19,6 %. En Saintonge, ce phénomène est également constaté mais avec une moindre ampleur. Ainsi en est-il des communes d'Archiac, de Brizambourg ou encore de Saint-Romain-de-Benet qui affichent respectivement - 12,3 %, - 13 % et - 12,8%. En fait, c'est dans la durée que la baisse démographique s'affiche de manière spectaculaire.

Ainsi, les villages de la Saintonge paraissent avoir été touchés plus profondément que ceux de l'Aunis. Dans la période 1881-1911, nombre de communes ont perdu plus d'un quart à environ un tiers de leur population. C'est le cas précisément d'Asnières-la-Giraud qui affiche l'une des pertes démographiques les plus sévères avec - 30,8 % ou bien de Brizambourg qui perd dans ce même laps de temps 30,9 % de sa population, ou bien encore d'Ecoyeux qui enregistre une baisse de 22,5 %. Parmi les gros chefs-lieux de canton, les décroissances démographiques sont également très fortes. Archiac perd 27,7 % de sa population, Cozes - 21,3 %, Mirambeau - 14,3 %. Certains de ces chefs-lieux de canton passent au-dessous de la barre des 2 000 habitants comme Mirambeau et Matha.

Les conséquences de la crise du phylloxéra ont été multiples à bien des égards. Parmi celles-ci, une des répercussions les plus sévères est celle du départ des jeunes générations. Ainsi, entre 1875 et 1890, la crise du phylloxéra provoque un exode massif de 10 000 jeunes de moins de 20 ans[77]. Ce départ engendre par la suite un inéluctable vieillissement de la population rurale où, pour la seule année 1893, les décès sont devenus plus nombreux que les naissances. Cette année-là, 9 317 décès sont enregistrés dans l'ensemble du département contre 8 079 naissances[78]. Si l'espérance de vie moyenne a sensiblement augmenté, elle était de 44 ans en 1893, elle ne suffit pas pour autant à enrayer la dépopulation du département, ni à stabiliser l'évolution démographique départementale[78].

Il faut préciser qu'après la tourmente des années 1880 où nombre de terres viticoles ont été abandonnées, la reconversion partielle de la monoculture d'origine viticole vers l'élevage laitier et les cultures fourragères a entrainé l'apport de nouvelles populations limitant en cela une dépopulation dramatique du département. Ainsi, plus de 3 000 Vendéens et Limousins ont racheté des terres vendues à moitié prix et se sont fixés dans les plaines de l'Aunis et les plateaux de la Saintonge effectuant une spectaculaire reconversion agricole des régions charentaises. Mais cet apport de population nouvelle n'a pas jugulé la baisse démographique du département[22]. Tout au plus, a-t-elle ralenti pendant un temps l'hémorragie démographique en Aunis où quelques villages comme Aigrefeuille-d'Aunis, Forges, Saint-Georges-du-Bois ou Saint-Sauveur-d'Aunis ont même enregistré une légère reprise démographique entre 1901 et 1911. Mais cette accalmie a été de bien courte durée.

La reconversion d'une partie de l'économie agricole a eu des répercussions différentes d'une région à une autre. L'abandon des vignes et son remplacement par l'élevage laitier a permis de préserver temporairement les campagnes de l'Aunis de la dépopulation à l'aube du XXe siècle tandis que la Saintonge en diversifiant ses productions agricoles par l'introduction d'une polyculture familiale de production n'a pas pu enrayer le mouvement inexorable de l'exode rural.

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Les mutations de l'agriculture

C'est dans cette période cruciale de l'économie rurale du département que l'agriculture connaît de profondes mutations. Si la Saintonge qui correspond aux arrondissements de Saint-Jean-d'Angély, Saintes et Jonzac a reconstitué en grande partie son vignoble, il n'en a pas été ainsi de l'Aunis qui a quasiment abandonné cette culture qu'elle pratiquait depuis le Moyen Âge à l'exception de l'île de Ré. L'introduction de l'élevage laitier et des prairies artificielles ainsi que le développement des cultures céréalières datent de cette époque et ont permis une reconversion spectaculaire de la vie agricole du département.

L'évolution agricole

La crise du phylloxéra a exercé un impact profond et durable sur les formes traditionnelles de l'agriculture charentaise. Ce bouleversement de la vie agricole du département se caractérise à la fois par la modification des paysages agricoles et par l'utilisation de nouvelles techniques agricoles.

Tout d'abord, l'arrachage de la vigne a laissé des terres libres, dont les unes étaient assez humides pour devenir des prairies naturelles (vallées de la Charente, de la Boutonne et de la Seugne), dont les autres pouvaient être transformées en prairies artificielles avec utilisation d'engrais phosphatés sur les sols décalcifiés. Ces dernières seront très présentes en Aunis et dans le nord de la Saintonge (cantons de Loulay, de Tonnay-Boutonne et de Saint-Savinien) et verront les anciennes parcelles de vignes transformées en champs de trèfle, de sainfoin et de luzerne. Le changement du paysage agricole de l'Aunis a été certainement le plus radical de tout le département. Cette utilisation nouvelle du sol charentais a été, d'autre part, en relation étroite avec l'essor de l'élevage laitier qui naît en Aunis et devient le berceau de la coopération laitière dans tout le Centre-Ouest de la France. Vers 1880, les vaches laitières sont représentées localement par les saintongeaises, les maraîchines et les parthenaises, mais les gâtinaises représentent l'essentiel du cheptel laitier. Si ces troupeaux ne cessent d'augmenter, ils évoluent aussi vers d'autres races plus productives. En effet, à partir des années 1900, elles seront remplacées par les normandes réputées pour leur lait riche en matières grasses et donnant d'excellents résultats[79].

Il faut préciser que l'élevage était majoritairement constitué avant la crise du phylloxéra par des bœufs utilisés pour les labours, par des chevaux, surtout dans la région de Rochefort et de Marennes et destinés principalement pour les besoins de l'arsenal et de l'Armée, et par des mulets dans la région d'Aulnay et la vallée de la moyenne Boutonne. Mais l'essor du mouvement coopératif laitier va accroître l'élevage des vaches laitières dans d'importantes proportions. Le cheptel laitier fait un bond en avant passant de 42 000 têtes en 1882 à 60 000 en 1892 et 100 000 en 1922[80]. Cet élevage est à l'origine de la création de nombreuses laiteries et notamment de laiteries coopératives qui se sont spécialisées dès le début dans la fabrication du beurre.

La mutation de l'agriculture est signalée également par trois autres formes de culture qui, avant la crise du phylloxéra, étaient très secondaires ou marginales.

Dans les années 1880-1890, les marais qui ont connu d'importants travaux de dessèchement (Marais poitevin, Marais de Rochefort) deviennent de grandes terres à céréales où le blé, le seigle, l'avoine et les plantes légumineuses connaissent un "immense développement"[81]. C'est également dans cette même période que les terres calcaires de l'Aunis, autrefois entièrement dévolues à la vigne, sont reconverties en une grande plaine de culture céréalière et de cultures fourragères[82].

À partir des années 1890, la culture de la betterave à sucre se développe rapidement là où les vignes ont été arrachées et les terres reconverties comme en Aunis, principalement dans le canton d'Aigrefeuille-d'Aunis, et même en Saintonge où la région de Pons adoptera cette nouvelle production plutôt rentable à ses débuts. Bien que cette culture fut déjà introduite vers 1840 en Aunis, elle ne subsistera pas au-delà des années 1930 et au plus fort de son développement, en 1912, seulement 2 870 ha de terres étaient consacrées à la betterave sucrière en Charente-Inférieure[82]. Pourtant, cette culture innovante pour l'époque faisait tourner plusieurs distilleries et sucreries industrielles dont celle de Forges qui fut créée en 1892[82].

Enfin, un des aspects le plus souvent méconnu dans les nouvelles formes de l'agriculture suscitées par la crise du phylloxéra est le développement rapide des peupleraies en bordure des vallées fluviales. En effet, de nombreux paysans, traumatisés par la ruine de la vigne, en pratiquant la polyculture de subsistance vont devoir multiplier les ressources agricoles pour augmenter leurs revenus. Les plantations de peupliers, notamment le blanc du Poitou, vont se généraliser au début du XXe siècle dans les grandes vallées fluviales au milieu de larges prairies naturelles (vallées de la Charente, de la Boutonne et de la Seugne en Saintonge, vallées de la Sèvre niortaise, du Curé et de la Gères en Aunis...) et créer un nouveau paysage agricole, devenu familier aujourd'hui.

Il serait incomplet de ne pas mentionner l'impact des nouvelles techniques agricoles introduites vers la fin du XIXe siècle dans la foulée de la crise du phylloxéra et qui ont d'ailleurs largement contribué à accélérer l'exode rural. Génératrices du progrès agricole et libératrices de main d'œuvre, les nouvelles machines sont apparues à partir de 1875, plus souvent après 1880, comme la moissonneuse à vapeur, la herse articulée, le semoir en ligne et, autour de 1900, la batteuse-vanneuse à vapeur tandis que le rouleau de pierre est pratiquement abandonné[83]. Au début du XXe siècle, à peu près tous les villages du département sont pourvus en batteuses-lieuses, ce progrès agricole a permis de mettre fin à la longue tradition de la fauchaison manuelle, appelée plus souvent fenaison[83]. En Aunis, une vraie révolution apparaît dans les labours avec l'emploi des engrais phosphatés et de la charrue Brabant puis, vers 1900, de la Brabant double et va faire de cette région agricole une terre d'exportation de céréales à partir des années 1920[84]. Il est vrai que l'introduction de ces outils de production modernes pour l'époque ne s'est pas faite uniformément et ne s'est pas faite non plus sans inquiétudes, ni sans heurts, suscitant localement la colère des métiviers qui perdaient irrémédiablement leur emploi[85].

La reconstitution du vignoble en Saintonge

Tout d'abord, le vignoble de la Saintonge s'est reconstitué peu à peu, principalement dans la partie orientale, en limite du département voisin de la Charente, du canton de Matha jusqu'à celui de Jonzac enserrant le vignoble du Cognaçais. Les vignes les mieux implantées furent préservées et mises en valeur. Les vignerons qui avaient pu écouler leurs stocks d'eaux de vie s'enrichirent et achetèrent de nouvelles terres qu'ils plantèrent de nouveau en vignes, notamment dans les Borderies et dans les Champagnes de Pons, d'Archiac et de Jonzac.

Zone de production du cognac

C'est dans cette région que les distilleries d'eaux de vie de Cognac sont les plus nombreuses, étant situées idéalement dans les vignobles les mieux reconstitués et tout près de Cognac qui devient plus que jamais la grande place marchande des eaux de vie. A la demande des puissants négociants de Cognac, une délimitation des eaux de vie du cognac est mise en place au début du XXe siècle, et officialisée le 1er mai 1909 en « zone d'appellation contrôlée » du cognac. Ce zonage qui englobe les deux départements charentais délimitent six zones de production préservant la qualité d'un produit de renommée mondiale[86].

La reprise en mains du vignoble charentais ne s'est pas accomplie sans difficultés et a nécessité une vraie ténacité. La dévastation causée par le terrible puceron a entraîné de vrais drames humains. Les terres avaient perdu jusqu'à la moitié de leur valeur initiale et nombre de petits vignerons avaient été contraints de vendre leurs exploitations. Si l'année 1884 voit l'interruption du fléau dans le vignoble charentais[87], l'arrachage des vignes s'est poursuivie systématiquement jusqu'en 1890, année où elles n'occupent plus que 20 000 hectares dans l'ensemble du département. Mais en 1894-95, les ravages causés par le mildiou firent craindre à une recrudescence d'un nouveau fléau. Cependant, de grands progrès avaient pu être obtenus grâce à la greffe de plants américains, immunisés contre la maladie, sur des plants d'origine. Dès 1894, le vignoble put être reconstitué[87].

La reconstitution du vignoble ne s'est donc pas effectuée uniformément, puisque les cantons du nord et du nord-ouest de la Saintonge (cantons d'Aulnay, de Loulay, de Saint-Savinien et de Tonnay-Boutonne) ainsi qu'une grande partie de l'Aunis (cantons de Surgères et d'Aigrefeuille-d'Aunis et tout l'arrondissement de La Rochelle à l'exception de l'île de Ré) ont abandonné la viticulture. Ainsi, au tout début du XXe siècle, la superficie consacrée à la vigne est-elle trois fois inférieure à celle de l'année record de 1876 qui sert de référence.

L'évolution du vignoble de la Charente-Inférieure de 1876 à 1900
Vignoble 1876 1882 1892 1894 1896 1900
Superficie (en hectares) 164 651 84 055 24 908 33 368 45 000 50 000

Le vignoble reconstitué en Saintonge n'est plus celui d'avant la crise du phylloxéra ayant considérablement changé de physionomie[88]. Tout d'abord, il s'est fait de préférence sur les coteaux les mieux exposés et sur les sols les plus siliceux. Ensuite, ses plants d'origine américaine sont profondément différents des anciens plants représentés par le pinot qui donnait une vigne rampante. Les rangs de vigne sur des piquets bien alignés datent de l'époque de la reconstitution du vignoble qui s'est faite entre 1895 et 1900. Enfin, les courèges ont été abandonnés et remplacés jusqu'au seuil des années 1980 par des plantations d'arbres fruitiers (pêchers, abricotiers, poiriers, pruniers…)[88].

De plus, il est intéressant de noter que le centre de gravité du vignoble saintongeais s'est déplacé entre Saintes et Jonzac, alors qu'il était historiquement tourné vers Saint-Jean-d'Angély et l'Aunis[89].

L'hôtel de ville de Burie fut érigé en 1888 après le désastre de la crise du phylloxéra de 1875.

En Saintonge, beaucoup de villages sont profondément touchés par la crise démographique, aggravée par le phylloxéra, mais les bourgs plus importants, généralement de gros chefs-lieux de canton, ont résisté plus longtemps au déclin démographique. C'est dans ces grosses communes viticoles que de nouvelles maisons de maître sont édifiées, ainsi que des logis et quelquefois de petits châteaux construits par de riches négociants en eaux de vie, tandis que la puissance publique se manifeste par l'édification de beaux bâtiments publics en pierre de taille, généralement de style néo-classique, comme les mairies, les écoles publiques, les halles, les gendarmeries. Le nouvel hôtel de ville de Burie en est une des plus étonnantes illustrations alors qu'il fut construit dans cette période de crise du phylloxéra qui avait affecté les riches campagnes de la Saintonge et de l'Aunis depuis le début de la Troisième République.

La reconversion agricole de l'Aunis

Les vignobles de l’Aunis ont également été durement touchés par le fléau du phylloxéra, mais dans cette partie septentrionale du département, la vigne a quasiment été abandonnée. Les conséquences démographiques ont été là aussi très sévères. Un gros bourg comme Aigrefeuille-d'Aunis voit sa population diminuer d’un sixième de ses habitants entre 1881 et 1901.

Mais l'Aunis va faire face à cette dramatique situation en se détournant de la vigne et en se tournant vers l'élevage laitier, les productions fourragères et la céréaliculture. Cette reconversion s'avèrera radicale au point que la plaine d'Aunis si réputée pour ses plantations interminables de vignes[N 23] deviendra une terre d'élevage laitier particulièrement dynamique.

La nouvelle économie laitière naît au nord de Surgères, dans un petit hameau de la commune de Saint-Georges-du-Bois, à Chaillé où, en 1888, un paysan introduit ingénieusement le système de la production laitière coopérative. Cette activité se révèle si rentable qu'elle fédère un grand nombre d'agriculteurs et entraîne dès lors la multiplication des laiteries coopératives. A la fin de l'année 1889, déjà cinq coopératives laitières fonctionnent dans le canton de Surgères, à Bois-Hardy (commune de Saint-Georges-du-Bois), Saint-Mard, Surgères, Vandré et Vouhé[90]. En 1893, l'Association Centrale des Laiteries Coopératives est fondée à Surgères et va assoir durablement les assises de la coopération laitière dans le Centre-Ouest de la France[90]. Le mouvement coopératif laitier qui est né en Aunis se propage rapidement en Saintonge, puis dans les départements limitrophes de la Charente-Inférieure. Dès 1894, 40 laiteries coopératives sont en activité autour de Surgères[91], elles seront 95 à fonctionner en 1900[90]. Cette nouvelle spécialisation agricole qui apparaît avec l'élevage laitier introduit une véritable innovation économique dans le département, c'est ce qui fera dire à un célèbre auteur régional : "C'est de la crise du phylloxéra qu'est née la vocation laitière de notre région"[89].

L'essor des activités du littoral

Pendant tout le Second Empire, le littoral a joué un rôle économique et social d'égale importance avec les campagnes viticoles de l'Aunis et de la Saintonge. Après la crise du phylloxéra et pendant toute la longue période de la IIIe République, la frange côtière du département devient nettement attractive, à l'exception cependant des îles doublement frappées par la crise viticole et la crise salicole.

La poursuite du déclin des salines

Les chiffres sont particulièrement évocateurs dans ce domaine. La crise de la saliculture charentaise qui remonte au tout début de la Monarchie de Juillet n'a cessé de s'amplifier et est allée en s'aggravant fortement au début du XXe siècle.


L'évolution de la surface des salines de la Charente-Inférieure de 1830 à 1913[52]
Salines 1830 1885 1913
Superficie (en hectares)
50 000
11 000
4 000

Durant tout le XIXe siècle, le déclin des salines de la Charente-Inférieure n'a fait que d'empirer en raison de l'ouverture des marchés extérieurs et surtout de la concurrence du sel gemme, ce dernier ayant porté un coup très rude aux sels de l'Atlantique[52].

Les salines ont le mieux résisté dans l'île de Ré mais la saliculture est en plein déclin pendant tout le XIXe siècle sur l'ensemble du littoral charentais.

La production des sels marins est pourtant fort diversifiée, consistant en sels légers, comme les sels blancs pour les usages culinaires, et en sels lourds, composés des sels rouges expédiés aux raffineries du Nord[N 24] et des sels verts, ces derniers étant destinés aux salaisons de poissons. C'est dans ce dernier domaine que les salines de l'Île de Ré vont se spécialiser et ainsi pouvoir mieux résister à la concurrence et d'ailleurs subsister plus longtemps que celles de l'Île d'Oléron et des marais de la Seudre, alors en total abandon. En 1893, les salines de la Charente-Inférieure produisent encore 94 465 tonnes de sel sur une surface totale de 11 000 hectares exploités et font travailler 4 000 ouvriers, cette activité entrant dans la nomenclature des industries extractives[81].

Le déclin des salines sur les îles de Ré et d'Oléron, couplé à la crise du phylloxéra qui a fini par atteindre les deux îles charentaises à partir de 1883, ont entrainé une sévère récession économique et une très grave crise sociale. Les conséquences ont été dramatiques affectant en premier lieu la démographie des deux îles qui, de 1881 à 1911, ont enregistré une baisse d'un quart de leur population, situation comparable à l'ensemble des campagnes charentaises.

L'évolution démographique décennale de 1881 à 1911 des Îles de Ré et d'Oléron
Île 1881 1891 1901 1911
Île de Ré 15 370 hab. 15 376 hab. 14 232 hab. 12 380 hab.
Île d'Oléron 18 244 hab. 17 190 hab. 17 033 hab. 16 778 hab.

La ruine du sel charentais résulte d'un manque total d'organisation et d'adaptation aux exigences du monde moderne. Malgré l'amélioration de la desserte ferroviaire, notamment dans le bassin de la Seudre, à La Tremblade dès 1876[75] et à Marennes à partir de 1889[73], ainsi que sur le littoral de l'Aunis, à Aytré et à Angoulins-sur-Mer, à partir de la fin de l'année 1873[72], le sel charentais ne peut faire face à une concurrence très vive. Ses méthodes de production, par trop artisanales, et ses modes de commercialisation, trop individualistes, ne peuvent faire face à des productions de type industriel et une organisation commerciale puissante comme les Salins du Midi qui écoulent sur le marché des sels à des prix beaucoup plus compétitifs.

Cependant, les salaisons de morues vertes qui exigent du sel marin ont sauvé d'une disparition certaine les salines de l'île de Ré qui, plus est, sont toutes proches du grand port de pêche de La Rochelle, alors en plein essor.

L'essor de la pêche rochelaise

Vers la fin du XIXe siècle, la pêche connaît de profondes transformations autant techniques que professionnelles et s'oriente vers un début de spécialisation des ports charentais. C'est dans cette période que la profession de pêcheur devient un métier à part entière qui, jusqu'alors, n'était qu'une activité d'appoint. Ce secteur d'activité subit « un bouleversement considérable » et « devient une véritable industrie »[92]. La Rochelle devient le grand port de la pêche hauturière tandis que les autres ports charentais deviennent des ports artisanaux pratiquant la pêche côtière et tous ces ports connaissent une forte activité[93].

Seule la pêche à la morue est engagée dans un déclin inexorable à La Rochelle aussi bien que dans les ports secondaires du littoral charentais comme Saujon, Marennes et La Tremblade. Cette activité déclinante subit la concurrence de ports mieux armés comme celui de Bordeaux et surtout ceux de la Bretagne (Paimpol et Saint-Malo) ou de la Manche (Fécamp). Malgré la persistance de la pêche à la morue à La Rochelle et la présence des sécheries de morues vertes qui créent un spectacle insolite, cette activité devient marginale et « les goélettes qui partent pour l'Islande se font de plus en plus rares à la fin du siècle »[92].

La Rochelle devient un port de pêche industriel au tournant du XXe siècle spécialisé dans la pêche hauturière

A l'inverse, la flottille de pêche se modernise rapidement dans les dernières années du XIXe siècle. A La Rochelle notamment, l'apparition des bateaux à vapeur, équipés de glaces et de filets de pêche davantage performants, remplacent les voiliers dragueurs et augmentent considérablement les prises. La pêche industrielle naît à La Rochelle au tournant du XXe siècle où 25 chalutiers à vapeur sont enregistrés à la veille de la Première Guerre mondiale[94]. C'est dans cette période que les armateurs rochelais font venir des pêcheurs bretons et 3 000 d'entre eux s'installent avec leurs familles dans les quartiers de Saint-Nicolas et de Saint-Sauveur qui deviennent dès lors les quartiers des pêcheurs à La Rochelle. La ville a l'avantage de bénéficier d'un équipement de premier ordre pour la pêche industrielle grâce à la réorientation totale des activités du bassin à flot extérieur, inauguré en 1862, et devenu, après la création du port de La Pallice en 1890, le bassin des chalutiers. Ce dernier devient dès lors le haut lieu de la pêche rochelaise. Les apports du port de pêche rochelais ont décuplé et la production est expédiée par voie ferrée en direction de la capitale, faisant de La Rochelle "le grand marché du poisson frais du littoral Atlantique" à l'aube de la Première Guerre mondiale[94].

La conchyliculture moderne

Dans le même temps, l'ostréiculture et la mytiliculture connaissent un essor remarquable dans le dernier tiers du XIXe siècle, essor qui s'affirmera au siècle suivant.

Les claires à huîtres (ici à Étaules) ont succédé aux salines dès la seconde moitié du XIXe siècle

Déjà, dans la dernière décennie du XIXe siècle, la Charente-Inférieure est devenue le plus gros producteur de moules de France. En 1898, plus de la moitié de la production de moules provient du littoral charentais dont les plus gros centres de production sont la baie de l'Aiguillon autour de Charron, le bassin de Marennes et la Pointe de la Fumée autour de Fouras[95]. La mytiliculture fait vivre 4 000 personnes en 1885, ce qui est considérable[96]. Les moules sont expédiées par voie ferrée depuis les gares d'Andilly et de Marans tout comme les huîtres qui bénéficient elles aussi de ces importantes infrastructures de communication. Les voies ferrées ont véritablement permis le développement des productions locales en facilitant grandement leur commercialisation.

Les huîtres sont produites principalement autour de l'estuaire de la Seudre et dans la partie orientale de l'île d'Oléron ainsi que dans l'île de Ré. Dès le milieu du XIXe siècle, les parcs à huîtres ont assuré avec succès le relais des salines en plein déclin et permis de sauver la région d'un véritable désastre économique et social.

À partir de 1870, l'huître de Marennes, appelée la plate de Marennes, cède la place à l'huître portugaise beaucoup plus résistante et à la croissance plus rapide. Échouée sur les côtes des îles d'Oléron et de Ré, cette huître devient au début du XXe siècle largement prédominante et assure à la région une solide notoriété autant pour sa saveur que pour sa qualité[96].

L'affirmation de la vocation balnéaire du département

La mode des bains de mer dont les origines sur la côte charentaise remontent aux années de la Restauration à La Rochelle et à Royan prend un essor remarquable pendant la IIIe République. Cette activité balnéaire, déjà bien présente pendant tout le Second Empire, s'affirme avec force grâce à la desserte ferroviaire dont le rôle n'est plus à démontrer.

C'est à Royan que l'élan touristique est véritablement lancé sur le littoral charentais. La « station estivale » du Tout-Bordeaux pendant le Second Empire va se muer en station touristique du Tout-Paris[46] après 1875 depuis qu'elle est reliée au chemin de fer.

Photographie d'un bâtiment de quatre étages, crépis et bordures de pierre, de style classique à pilastres et colonnades
L'hôtel de ville de Royan, symbole de la glorieuse période de la Belle Époque où Royan était devenue la station estivale du Tout-Paris.
La mairie de Fouras a été inaugurée en juillet 1902. C'est au tournant du XXe siècle que Fouras devient une des principales stations balnéaires de la Charente-Inférieure.

Royan connaît alors un essor extraordinaire et la construction du Grand casino de Foncillon en 1883 ouvre la voie à une métamorphose urbanistique remarquable. La réalisation du boulevard de bord de mer en 1890 crée une perspective des plus agréables de la ville qu'agrémentera le célèbre Casino municipal édifié en 1894 et qui deviendra le plus grand de France[46]. Sous l'impulsion du maire de Royan, Frédéric Garnier, Royan est reliée à Saint-Georges-de-Didonne par le Tramway de Decauville qui avait été « une des attractions de l'Exposition universelle de Paris de 1889 »[97] et qui sera dénommé dans la station le Petit train. Des lotissements poussent dans les espaces boisés à Pontaillac, Foncillon, Le Parc, et font surgir de nouveaux quartiers aux somptueuses villas à l'architecture typique de la Belle Époque. Au tout début du XXe siècle, Royan figure dans de grandes revues touristiques contribuant à accroître sa renommée. En 1901, une publicité faite à la ville la décrit comme « une ville moderne de 8 278 habitants ; une des premières de France pour les bains de mer, la première de l'océan de la Loire à la Gironde. Elle est maintenant, dit-on, fréquentée annuellement par 200 000 personnes, trop fréquentée par conséquent pour les baigneurs paisibles… »[46].

Plus au nord, La Rochelle possède également un casino qui a été édifié en bordure de l'océan dans le quartier balnéaire du Mail, au-delà des anciens remparts qui ceinturent encore la vieille ville. A partit de 1887, la municipalité aménage le long du front de mer de beaux parcs (parc Charruyer notamment) avec des allées (Allées du Mail) et des kiosques à musique[17]. Mais La Rochelle ne devient pas pour autant une cité balnéaire et de loisirs comme Royan. Sa plage est bien trop petite et la fonction balnéaire ne sera en fait qu'une activité secondaire dans la préfecture du département.

Outre Royan qui est devenue la "reine" des stations balnéaires du littoral charentais, de nouvelles stations touristiques émergent dans ce dernier tiers du XIXe siècle. Parmi celles-ci, il convient de citer Fouras, Châtelaillon, Ronce-les-Bains, nouveau quartier balnéaire de La Tremblade, Marennes-Plage, annexe balnéaire de Marennes et, dans l'île d'Oléron, Saint-Trojan-les-Bains. Il serait notoirement incomplet de ne pas évoquer les "satellites" balnéaires de Royan, alors en plein bouleversement à partir de 1900, comme Saint-Georges-de-Didonne et Bureau-les-Bains (ancien nom de Saint-Palais-sur-Mer), voire Vaux-sur-Mer.

La plupart de ces jeunes stations sont desservies par le train, notamment Fouras et Châtelaillon, et voient affluer pendant l'été des milliers de touristes. Outre de belles villas et des hôtels qui sont érigés le long des plages et quelquefois des édifices publics comme les mairies, les halles, même les églises, ces stations balnéaires se dotent rapidement d'activités de loisirs comme les casinos, les salles de fêtes et les kiosques à musique et deviennent de véritables petites villes pendant la saison estivale. En hiver, elles retrouvent le rythme de vie de gros villages assoupis. Pourtant, ces communes littorales se transforment progressivement en lieux de résidence permanents, à l'instar de Royan qui devient une ville à part entière.

L'évolution démographique décennale de 1881 à 1911 de quelques stations balnéaires en vogue
Classement par ordre démographique de 1911
Ville 1881 1891 1901 1911
Royan 5 445 hab. 7 247 hab. 8 374 hab. 9 330 hab.
Fouras 1 679 hab. 1 887 hab. 2 171 hab. 2 499 hab.
Saint-Georges-de-Didonne 1 127 hab. 1 211 hab. 1 409 hab. 1 541 hab.
Saint-Trojan-les-Bains 989 hab. 1 100 hab. 1 293 hab. 1 465 hab.
Châtelaillon-Plage ... ... 814 hab. 1 183 hab.
Bureau-les-Bains 791 hab. 797 hab. 895 hab. 1 044 hab.


Les bains de mer prennent un tel essor à la fin du XIXe siècle qu'ils finissent par exercer une forte influence dans la vie littorale du département. La Charente-Inférieure commence à devenir une destination touristique que facilitent grandement les chemins de fer. Ces derniers d'ailleurs font émerger de nouvelles stations balnéaires sorties de terre "ex-nihilo".

L'hôtel de ville de Châtelaillon-Plage. C'est en 1896 que cette station balnéaire est érigée officiellement en commune.

En effet, c'est dans cette période que Châtelaillon-Plage se transforme en station balnéaire et devient une commune à part entière en se détachant d'Angoulins-sur-Mer en 1896, que Fouras s'embellit en faisant édifier en 1902 une nouvelle mairie dans le style caractéristique des villas balnéaires et que certaines communes littorales font ajouter à leurs toponymes des noms évoquant leur vocation de station de bains de mer comme Saint-Trojan-les-Bains en 1898[98], Bureau-les-Bains ou même Ronce-les-Bains qui est une annexe balnéaire dépendant de la commune de La Tremblade.

Bien que le tourisme soit encore considéré comme une activité secondaire au XIXe siècle, il va s'affirmer comme un des secteurs économiques les plus dynamiques au siècle suivant ayant de bien meilleures bases pour réussir que l'industrie qui se fixera avant tout dans les villes principales du département.

L'amorce de l'industrialisation du département

Dans le dernier tiers du XIXe siècle, la Charente-Inférieure demeure avant tout un grand département agricole qui génère toute une industrie rurale traditionnelle, maintenant une certaine vitalité dans les villages et les gros bourgs de l'Aunis et de la Saintonge, tandis que sur le littoral et dans les villes principales émergent les bases d'une industrie moderne issue de la Révolution industrielle qui, cependant, reste assez marginale dans le département.

Vitalité et déclin des petites industries rurales

Les nombreuses industries rurales, implantées aussi bien dans les villages que dans les gros bourgs, sont avant tout des structures artisanales de production et quelquefois de petites entreprises semi-industrielles employant une dizaine d'ouvriers en général, rarement plus d'une vingtaine. Elles demeurent très traditionnelles dans leur forme d'exploitation comme de production, n'ayant comme simple objectif que de satisfaire au mieux les besoins du monde agricole et rural. Elles proviennent en grande partie de la vocation agricole du département qui en 1877 figure comme étant « un des pays agricoles les plus riches de France. A cet égard, il occupe le premier rang parmi les départements situés au sud de la Loire »[28].

Des petites industries agricoles très diversifiées

Le Moulin de Beauregard à Marans. Ces constructions traditionnelles ont essaimé dans tout le département de la Charente-Inférieure et faisaient partie du paysage des industries rurales au XIXe siècle

Les activités agricoles ont favorisé de bonne heure l'éclosion de tout un tissu de petites industries rurales présentes dans un très grand nombre de villages et de bourgs agricoles. Ces petites industries utilisaient les ressources naturelles des rivières ou du vent pour actionner les moulins à eau et à vent, ou bien le bois et la tourbe pour alimenter les chaufferies des distilleries.

Les ressources agricoles variées étaient ainsi transformées dans les nombreux moulins pour la production de farine ou dans les distilleries pour l'élaboration de l'eau de vie ou pour la production d'alcools. D'autres industries rurales étaient représentées par quelques distilleries de betteraves sucrières, davantage par des tonnelleries artisanales et des fabriques d'articles et d'outils agricoles en bois (sabots, paniers et baquets, râteaux, balais, …).

Au tournant du XXe siècle se développent de nombreuses laiteries issues du mouvement de la coopération laitière en Aunis, elles sont déjà 95 à fonctionner dans la région en 1900[99]. A leurs côtés sont créées les premières laiteries industrielles en milieu rural comme celles de Vervant, Saint-Julien-de-l'Escap ou encore Semussac.

Une industrie extractive aux productions variées

Si le sous-sol de la Charente-Inférieure ne possède ni houille, ni fer, la mettant à l'écart de la "Révolution industrielle", le département possède néanmoins une industrie extractive aux productions variées.

Parmi celles-ci se trouvent des exploitations pour les besoins énergétiques comme quelques charbonnières de bois qui étaient encore en activité à Benon, à Brizambourg et à Vénérand[N 25]. Ces petites industries fournissaient les marchés urbains du département jusqu'à ce que l'importation massive de la houille d'Angleterre ne vienne à ruiner définitivement cette activité rurale avant la fin du XIXe siècle. En Aunis, ce sont surtout les tourbières qui sont activement exploitées pour alimenter les chaufferies des nombreuses distilleries d'eaux de vie depuis la déforestation intensive des bois et forêts de l'Aunis. Elles sont présentes dans les cantons d'Aigreuille d'Aunis, Surgères et Marans[81]. Elles cesseront d'être exploitées au tournant du XXe siècle étant concurrencées par la houille dont l'approvisionnement se faisait sous forme de briquettes[N 26].

Mais l'importance des industries extractives concernait davantage celle de la production de matériaux de construction. Des carrières de pierres à chaux, de pierres meulières et surtout de pierres de taille, toutes à ciel ouvert, sont alors exploitées à Chermignac, Crazannes, Guitinières, la Clisse, Saint-Vaize, Tesson, Thénac, Villiers-Couture et dans quelques petites villes de la Saintonge (Saint-Savinien, Pons et Jonzac). A la fin du XIXe siècle, seules les carrières de Saint-Savinien avaient acquis une dimension industrielle et avaient une solide réputation régionale en raison de leur abondance et de leur qualité. Elles faisaient travailler 300 ouvriers dans "les nombreuses carrières à ciel ouvert ou à galeries"[81].

Tous ces matériaux issus du sol calcaire ou crayeux de la Saintonge sont à l'origine d'une florissante industrie de transformation où fonctionnent de nombreuses faïenceries (Brizambourg, Saint-Césaire, Saint-Germain-du-Seudre), poteries (Archingeay, Boisredon, La Chapelle-des-Pots, Chevanceaux,Mirambeau, Saint-Césaire, Vénérand), tuileries (Chamouillac, Chervettes, Chevanceaux, Orignolles, Saint-Césaire, Saleignes, Vénérand, Villiers-Couture), briqueteries (Archingeay, La Grève-sur-Mignon) ainsi que des fours à chaux (Chamouillac, Le Gua, Orignolles, Saint-Romain-de-Benet, Saleignes, Villiers-Couture) tandis que les sables fournissent les verreries de La Tremblade et surtout celles nombreuses dans la Double saintongeaise de La Clotte, Cercoux, Clérac[100].

Cette longue énumération des activités extractives et de transformation des matériaux montre combien cette industrie, essentiellement rurale, avait animé la vie économique de nombreux villages de la Charente-Inférieure jusqu'à la fin du XIXe siècle[N 25].

Une industrie textile rurale en fort déclin

La petite industrie textile se maintenait encore dans les villages et bourgs du département où des ateliers de fabrication de grosses étoffes ou de toiles en lin étaient encore en activité en Aunis, à Aigrefeuille-d'Aunis et à Marsais, mais surtout en Saintonge, notamment à Cravans, Gémozac, Montpellier-de-Médillan et en Haute Saintonge où à Saint-Martial-de-Vitaterne fonctionnaient des tissages de laine[N 25]. En fait, toute cette industrie rurale de la confection était en déclin et disparut à l'aube du XXe siècle.

Une industrie rurale globalement en déclin à la fin du XIXe siècle

Il faut préciser qu'un grand nombre de ces petites industries rurales étaient saisonnières, comme les distilleries d'eau de vie et de betteraves à sucre, les moulins à eau, les exploitations de tourbières, les ateliers de confection, et bien d'autres. Celles-ci employaient une main d'œuvre rurale qui recevait un revenu complémentaire améliorant quelque peu les condition de vie de nombreux paysans qui formaient la classe des ouvriers-paysans. En raison de ce caractère saisonnier, beaucoup de ces petites activités ont commencé à péricliter à partir du XXe siècle, surtout après la Première Guerre mondiale. D'une part, en raison des effets durables de l'exode rural qui a vidé progressivement les villages de leurs habitants et ainsi d'une main d'œuvre disponible, et d'autre part, à cause des nouvelles techniques industrielles de production qui ont concurrencé les petites unités artisanales et semi-industrielles. Ce qui a été notamment le cas des moulins, puis des ateliers de confection (fabriques d'étoffes, tissages de laines) et des nombreuses faïenceries, poteries et tuileries ainsi que des fours à chaux.

La plus grande partie de ces activités a fini par disparaître après la Première Guerre mondiale alors que, dans le même temps, le littoral et les villes principales commençaient à entrer dans l'ère industrielle.

Les débuts de l'industrialisation du littoral et des villes

L'industrialisation des villes du département est d'implantation ancienne comme l'arsenal maritime de Rochefort mais ce sont les activités traditionnelles qui vont progressivement disparaitre. A leurs dépens, de nouvelles usines, pourvues de nouvelles méthodes de production issues de la Révolution industrielle, vont s'implanter de préférence sur le littoral et dans les principaux centres urbains. Cependant, comme l'écrit l'universitaire Jean Soumagne, « la Révolution industrielle est un tournant manqué pour la Charente-Maritime »[101].

Dès la seconde moitié du XIXe siècle, beaucoup d'industries traditionnelles disparaissent comme les tanneries et les mégisseries à Pons, Tonnay-Charente et Saintes notamment, les fabriques de grosses étoffes de laine à Pons et à Saint-Jean-d'Angély[100] ainsi que les faïenceries, bien qu'une petite entreprise de fabrication de céramiques s'implante en 1880 à Saintes[102].

Les industries agro-alimentaires sont déjà bien présentes dans les villes principales comme les abattoirs ou les meuneries. Au début du XXe siècle, de nouvelles industries vont se développer et les villes vont attirer des laiteries industrielles concurrençant le mouvement coopératif laitier d'implantation rurale. Elles ont l'avantage d'être situées près des marchés urbains en forte expansion comme à Aytré[103], aux portes de La Rochelle, à Tonnay-Charente dans l'agglomération de Rochefort[104] ou à Nieul-les-Saintes[105], aux portes de Saintes, ou approvisionnent directement quelques petites villes comme Marans[106], Pons[107], et même Surgères[108], ville près de laquelle a été créée la toute première laiterie coopérative de France. Ces laiteries diversifieront leurs activités dans la fabrication de fromages et Surgères accueillera la première usine de fabrication de caséine en 1912[109]. Quelques villes élargissent la gamme de leurs industries alimentaires avec la création de biscuiteries à Pons et à Saintes[110]. Ces deux dernières villes, ainsi que Saint-Jean-d'Angély, Jonzac et Tonnay-Charente, s'affirment comme de véritables places du commerce des eaux de vie où de gros négociants implantent des distilleries de cognac qui concurrencent durement les petites unités en milieu rural et contribuent à faire disparaitre la profession de bouilleur de cru si présente dans les villages d'avant la crise du phylloxéra.

Pons fabriquait des tuyaux pour le chauffage en 1880

La métallurgie de transformation se développe rapidement à La Rochelle (chantiers navals, fonderies de fer et forges pour la marine)[100], à Surgères (construction de moteurs, fonderie, chaudronnerie), à Pons (fonderie de métaux et fabrication industrielle de tuyaux)[111] et à Saintes (fabrication de matériel agricole, essentiellement des batteuses et des faucheuses). Mais cette dernière ville se spécialisera davantage dans l'entretien et la maintenance du matériel roulant ferroviaire[112]. Rochefort vit de son arsenal militaire qui fait travailler 5 000 ouvriers qui construisent des bâtiments pour la marine de guerre. Ces derniers avaient la réputation "de construire à la fois 18 bâtiments de premier rang"[113].

C'est dans cette période qu'apparaissent les premières usines chimiques dans le département. Elles s'implantent à partir de 1875 grâce à l'essor des ports de commerce et du chemin de fer. Une grosse usine de fabrication de produits sulfuriques est créée à Marennes et fait travailler jusqu'à 200 ouvriers[114]. Mais les usines chimiques (fabrication d'engrais, de produits phosphatés, de transformation du guano) vont se multiplier à Tonnay-Charente et surtout à La Rochelle et feront travailler également des centaines d'ouvriers[115]. Près du nouveau port de commerce de La Pallice, inauguré en 1890 et qui est devenu l'avant-port de La Rochelle, une raffinerie de pétrole est créée en 1900[115]. A cela s'ajoutent des usines à gaz et d'autres de fabrication d'agglomérés et de briquettes de charbon implantées à La Rochelle, Rochefort et Tonnay-Charente[115], et même à Saintes[116].

L'industrialisation du département est comme partout ailleurs en France et en Europe un fait urbain. Une nouvelle classe sociale surgit dans les villes principales de la Charente-Inférieure, la classe ouvrière, si différente des ouvriers-paysans du monde rural. Celle-ci se caractérise dans son ensemble par des conditions de vie plutôt rudimentaires mais elle se distingue aussi par un fort mouvement de solidarité et de revendication qui fera naître au début du XXe siècle de retentissantes grèves à La Rochelle et à Rochefort en 1905 et en 1906, ainsi qu'en mars 1911 où éclate la grève des dockers de La Pallice[117]. Ces mouvements sociaux, phénomènes encore jamais vus dans le département, dont les revendications sociales seront en partie satisfaites, vont permettre d'améliorer le sort de ces nouvelles populations urbaines issues de l'exode rural.

L'industrialisation du département se distingue également par la création de vastes bâtiments en briques et de hautes cheminées, par la création de cités ouvrières implantées près des lieux de production ou à proximité de vastes emprises occupées par les voies ferrées et les gares, près desquels se greffent spontanément des bidonvilles où s'entassent toute une population de miséreux et de chômeurs, et crée des paysages totalement nouveaux dans ce département si profondément rural. Ces nouveaux espaces urbains, hérités de la Révolution industrielle du XIXe siècle, sont toutefois bien limités en Charente-Inférieure, n'étant visibles que dans les trois principales villes du département, La Rochelle, Rochefort, Tonnay-Charente et Saintes, et dans quelques petits centres urbains comme Pons, Saint-Jean-d'Angély ou Surgères.

Au début du XXe siècle, la Charente-Inférieure est loin d'être un grand département industriel mais il continue de moderniser son réseau ferroviaire et multiplie les infrastructures de communication où le chemin de fer ainsi que les canaux fluviaux sont parvenus à leur apogée.

L'apogée du réseau ferroviaire et des voies navigables

C'est dans cette période de la IIIe République que s'achève la réalisation des grandes infrastructures de communication concernant les voies navigables, puis les voies ferrées. Elles parviennent toutes deux à leur apogée à la veille de la Première Guerre mondiale. Quant aux routes, c'est au début du XXe siècle qu'elles vont faire l'objet de quelques améliorations notables et vont jouer dans un premier temps un rôle complémentaire à la voie ferrée.

L'apogée des voies de navigation

Dans un inventaire des voies de navigation établi en 1894[118], il apparaît que la Charente-Inférieure disposait de cinq rivières navigables totalisant 203 kilomètres dont la moitié pour le seul fleuve Charente, le reste étant partagé entre la Sèvre niortaise, la Boutonne, la Seudre et la Gironde. A cette même date, le département disposait également de cinq canaux navigables totalisant 73 kilomètres, dont 25 pour le Canal de la Charente à la Seudre et 24 pour le Canal de Marans à La Rochelle, le reste étant partagé entre le Canal du Mignon, édifié en 1845, le Canal du Curé et le Canal maritime de Marans à la mer.

Dans la période qui va de 1881 jusqu'en 1914, les voies de navigation fluviale parviennent toutes à leur exploitation maximale, notamment en ce qui concerne la Charente.

La vallée de la Charente à Taillebourg. C'est vers la fin du XIXe siècle que le fleuve perd son rôle de grande artère fluviale, étant concurrencé par le chemin de fer.

C'est à partir de 1892 que le trafic fluvial sur le fleuve atteint son apogée[119]. Jusqu'en 1867, le fleuve avait pu maintenir un certain monopole commercial[120] et il apparaissait comme la principale artère de communication dans les pays charentais. L'édification de la voie ferrée de Rochefort à Angoulême le long de la vallée de la Charente en 1867[121] a entamé progressivement cette situation de monopole en commençant par mettre fin au trafic fluvial des voyageurs[59]. Cependant, le trafic des gabarres s'est longuement maintenu sur le fleuve d'une part en raison de la modernisation de la flotte fluviale et d'autre part en raison des petits ports fluviaux comme Bussac-sur-Charente, Taillebourg ou Saint-Savinien qui ne furent pas raccordés à la voie ferrée alors que ces communes disposaient de gares ferroviaires avec des halles à marchandises[119]. Mais il est vrai que la ligne ferroviaire a été construite « dans une perspective de marginalisation progressive du trafic fluvial »[119].

Le trafic entre la basse vallée de la Charente - où se situent notamment les ports de Rochefort et de Tonnay-Charente - et Cognac se maintint jusqu'à la veille de la Première Guerre mondiale à un rythme convenable[122] bien qu'il était en baisse régulière, étant concurrencé de plus en plus par le train. Entre 1892 et 1910, le trafic fluvial sur la Charente avait été réduit de moitié[123]. Mais le déclin du trafic sur le fleuve, puis l'arrêt de la navigation fluviale, a en fait concerné en tout premier lieu le cours moyen de la Charente. Ainsi, entre Angoulême et Cognac, la voie ferrée eut raison du trafic fluvial avant le déclenchement de la Première Guerre mondiale où le port d'Angoulême, L'Houmeau, fut complètement ruiné[124].

Il est vrai qu'entretemps le fleuve a été totalement mis à l'écart du plan Freycinet d'amélioration des voies d'eau de 1878-1879 et ne put donc avoir une reconnaissance d'envergure nationale malgré son ouverture sur l'océan Atlantique et la présence de villes industrielles comme Angoulême, Cognac et Rochefort. Le centralisme parisien a fait un tort énorme à la Charente et finalement lui a sérieusement hypothéquée son avenir[125].

Cependant, c'est dans les deux ports de l'estuaire que le fleuve connut une recrudescence d'activité commerciale où Rochefort, en particulier, bénéficia d'aménagements portuaires importants de 1886 à 1889[126].

Barrage écluse du Carreau d'Or à Marans

Par ailleurs, le trafic sur les autres cours d'eau du département connut un sort différent. La navigation fluviale sur la Boutonne fut pratiquement abandonnée dès 1880[123] et sur la basse vallée de la Seudre, le port de Saujon fut progressivement abandonné au tournant du XXe siècle, tandis que, sur la Sèvre niortaise, il se maintint encore à un rythme satisfaisant. D'ailleurs, le fleuve fut l'objet de quelques aménagements intéressants comme la création en 1891 du Canal maritime de Marans à la mer. Sa jonction avec le Canal de Marans à La Rochelle, dont les travaux avaient été achevés vers 1880, permit de maintenir les activités du port fluvial de Marans. Ce dernier, qui pouvait recevoir des navires à vapeur jaugeant jusqu'à 1 200 tonneaux de port en lourd, importait du charbon d'Angleterre, puis plus tard des bois du Nord, et exportait des produits agricoles de la région. Le port de Marans ne connut jamais un grand trafic maritime étant concurrencé par le nouveau port de La Pallice inauguré en 1890.

Quant aux deux grands canaux de navigation du département, ils connurent un essor bien éphémère étant longés tous les deux par des voies ferrées. Le Canal de Marans à La Rochelle et le Canal de la Charente à la Seudre sont rapidement concurrencés par le rail, le premier dès la première année de son exploitation commerciale et le second à partit de 1889. La liaison fluviale entre Marennes et Tonnay-Charente aurait pu se maintenir plus longtemps si elle avait fait partie d'un plan d'ensemble mais la réalisation de ces canaux correspondit à « de grands travaux pour de faibles résultats »[127].

Ainsi les cours d'eau comme les canaux de navigation déclinèrent rapidement à cause du chemin de fer qui, à la fin de la première décennie du XXe siècle, parvient à son tour à son apogée en Charente-Inférieure.

L'apogée du réseau ferroviaire

Le XIXe siècle est au chemin de fer ce que le XXe siècle sera pour la route.

Gémozac fait partie des chefs-lieux de canton qui ont bénéficié de la voie ferrée à partir de 1875.

En Charente-Inférieure, il atteint sa plus grande extension en 1912[128] concernant le réseau de l'État où toutes les villes principales du département sont desservies c'est-à-dire la préfecture et les cinq sous-préfectures, la dernière, Marennes, ayant été atteinte par la voie ferrée en 1889[73]. De plus, ce réseau ferré est complété par un maillage très serré de voies ferroviaires secondaires où tous les chefs-lieux de canton de la Charente-Inférieure ont pu être desservis par le rail. Ainsi, le réseau ferré est-il d'un remarquable développement dans un département encore profondément rural et agricole. Cette situation assez exceptionnelle dans un département de l'ouest de la France découle à la fois de l'abandon progressif des voies d'eau comme mode de transport et d'un réseau routier encore peu développé vers la fin du XIXe siècle.

En 1894, un inventaire des voies ferrées du département enregistrait 514 kilomètres de voies de communication relevant du chemin de fer, ce dernier étant divisé en 15 sections de longueur fort inégale, la plus longue étant dénommée le chemin de fer de Nantes à Bordeaux avec 165 kilomètres et la plus courte, celle qui reliait Saint-Laurent-de-la-Prée à Fouras, avec seulement 5 kilomètres[113].

Le train en gare de Sablanceaux ; même l'Île de Ré a été équipée d'un réseau ferré à partir de 1898.

Mais à cette date, le réseau ferré était encore loin d'être entièrement achevé. En effet, deux années plus tard, se mettaient en place deux vastes réseaux secondaires. Celui qui fut établi au nord et au nord-est de la Charente-Inférieure s'articulait autour de Saint-Jean-d'Angély tandis qu'au sud, Saintes s'affirmait plus que jamais comme le grand carrefour ferroviaire du département avec l'implantation des Chemins de fer économiques des Charentes[129]. À partir de 1896, 292 kilomètres de voies ferrées supplémentaires ont été construites sur le département dont l'une des dernières à avoir été établie est la ligne Saintes-Burie mise en exploitation en 1915[130]. Ce réseau s'étendit également dans les deux îles principales, en 1898[131] et Oléron en 1904[132]. Enfin, la toute dernière ligne de chemin de fer secondaire à avoir été construite dans le département est celle qui reliait Jonzac à Archiac, elle fut ouverte au trafic en 1917[133].

Dans ce maillage très développé du réseau ferroviaire départemental, certaines villes occupaient une véritable fonction de carrefour ferroviaire. Outre Saintes qui doit une grande partie de son expansion urbaine au rôle ferroviaire de tout premier plan dans la région, d'autres étoiles ferroviaires s'étaient développées en Saintonge. Parmi celles-ci figuraient Saint-Jean-d'Angély, qui abritait le siège départemental de la C.F.D (Compagnie des Chemins de Fer Départementaux) implanté vers 1896, d'où convergeaient cinq lignes de chemin de fer, Pons et Saujon d'où rayonnaient également cinq voies ferrées et disposant chacune de vastes installations et emprises ferroviaires. Enfin, Gémozac était également un gros carrefour ferroviaire rural d'où partaient quatre lignes de chemins fer. Ces principaux centres de transit ferroviaire en Saintonge étaient parmi les plus affairés du département autant pour le trafic des marchandises (céréales, vins, eaux-de-vie, bois et pierres de construction) que pour celui des voyageurs. L'Aunis n'était pas en reste. Outre La Rochelle et Rochefort, qui plus est sont les plus grands ports commerce de la Charente-Inférieure desservis par le rail, deux autres centres ferroviaires étaient devenus d'actifs pôles d'échanges, Aigrefeuille-d'Aunis pour le trafic des voyageurs et Surgères pour le trafic des marchandises, en particulier pour le transport du lait par wagons frigorifiques en direction de Paris représentés par les "wagons blancs"[79].

La nouvelle gare de La Rochelle fut construite à partir de 1909 et son inauguration eut lieu en novembre 1922

L'augmentation constante du trafic des voyageurs dans les deux premières villes du département contraignent les édiles locaux à la reconstruction de nouvelles gares. Celle de Rochefort est envisagée par l'État en 1910 et, dès 1912, les travaux sont engagés. Le chantier s'achève à l'automne 1914. La ville est dotée d'une belle gare dans "le style des grands palais d'exposition réalisés à Paris sous le Second Empire"[134]. Dans la même période commence le chantier de la nouvelle et vaste gare de voyageurs de la Rochelle. La construction débute en 1909 mais la fin des travaux n'aura lieu qu'en ... 1922[135]. C'est incontestablement l'une des plus belles gares de France contribuant à enrichir le patrimoine historique de La Rochelle.

Les chemins de fer exercent à cette époque un impact aussi fort que les routes aujourd'hui. Ils assurent une grande ouverture vers l'extérieur, rompent l'isolement des campagnes et des petites villes et favorisent l'essor des échanges économiques en même temps que celui des mouvements de population. Sur ce dernier point, il est clair que les chemins de fer ont joué un rôle considérable dans le processus de l'urbanisation et de son accélération et ont largement facilité l'exode rural. Deux exemples illustrent cette situation. Entre Rochefort et Saintes, le mouvement des voyageurs a plus que doublé entre 1879 et 1903 passant d'une moyenne quotidienne de 490 voyageurs à 1 200 voyageurs[136]. Ces déplacements de population sont aussi stimulés par la rapidité des communications entre les villes. Déjà, en 1916, le parcours entre La Rochelle et Saintes se faisait en 1h11[137] ; ce qui était plutôt remarquable à cette époque.

Au début du XXe siècle, la Charente-Inférieure dispose d'un maillage ferroviaire des plus serrés et des plus développés de la France et elle est également pourvue d'un réseau routier en voie de constante amélioration. Mais, à ce moment-là, la route se positionne davantage comme une activité complémentaire que comme une concurrente directe du rail[138].

L'émergence du réseau routier et la construction des ponts routiers
Le Pont transbordeur du Martrou, qui enjambe sur la Charente entre Rochefort et Échillais, a été inauguré en juillet 1900.

La trame du réseau routier de la Charente-Inférieure au début du XXe siècle s'articule autour des trois villes principales que sont Rochefort, La Rochelle et Saintes, auxquelles il convient d'adjoindre quatre carrefours secondaires représentés par les petites villes de Saint-Jean-d'Angély, Pons, Surgères et Saujon. Au tout début du XXe siècle, Marennes commence à s'affirmer comme un centre de communications routières et ferroviaires, de même que Royan, la première comme pôle d'échanges commerciaux, la seconde comme ville touristique. A ces centres principaux, il faut également citer Tonnay-Charente qui n'était pas un carrefour de communications mais un très important centre de transit routier depuis l'ouverture, puis le réaménagement de son pont suspendu sur la Charente en 1884.

Il est intéressant de constater qu'au début du XXe siècle la trame routière principale se calque sur le réseau ferroviaire majeur du département. En effet, là où sont les grands carrefours ferroviaires, là sont également les grands pôles d'échanges routiers. Les voies de communications modernes suivent tout simplement l'évolution des villes et du développement de leur économie urbaine.

En 1894, l'inventaire des routes principales établissait 437 kilomètres de routes nationales et 651 kilomètres de routes départementales[118]. Ce réseau routier héritait du maillage des grandes routes établi par les intendants du XVIIIe siècle et n'avait pas varié au siècle suivant[138]. Seules les anciennes "routes royales" changèrent d'appellation pour devenir sous la IIIe République les "routes nationales" et reçurent des numéros à la place des noms.

Une ancienne borne de signalisation du réseau routier de la Charente-Inférieure conservée à Plassac.

La Charente-Inférieure disposait de grands axes routiers qui demeurent les mêmes aujourd'hui. Depuis La Rochelle rayonnaient trois grandes routes nationales. La route royale de Paris à La Rochelle était devenue la route nationale 22 (ou N.22), la route royale de Périgueux à La Rochelle devint la route nationale 139 (ou N.139) et la route royale de Bordeaux à Saint-Malo qui était la plus longue artère du département devint la route nationale 137 (ou N.137). Cette dernière qui passait par Pons, Saintes, Tonnay-Charente (par le pont suspendu), Rochefort, Châtelaillon-Plage, la toute nouvelle station balnéaire, aboutissait à La Rochelle par la grande rue de Tasdon dans le nouveau quartier ferroviaire de la ville[139]. Pour assurer la continuité de la route nationale, un pont dut être construit aux portes de la ville. Le Pont de Tasdon fut édifié en 1910, cet ouvrage métallique d'une longueur de 169 mètres enjambe les voies ferrées qui entrent dans la ville et a permis de lever un des nombreux obstacles à la circulation routière moderne[139]. Saintes était déjà un nœud important de communications routières. Outre la route nationale 137 qui la traversait du sud au nord-ouest en passant par le pont Bernard Palissy construit en 1879[140], deux autres axes importants aboutissaient dans l'ancienne capitale de la Saintonge. Au nord de la ville partait la route royale de Bordeaux à Rouen, devenue la route nationale 138 (ou N.138), et à l'est la route royale de Clermont à Saintes, ancienne voie Agrippa, était devenue la route nationale 141 (ou N.141). Depuis Saint-Jean-d'Angély, outre les N.138 et N.139, convergeait l'ancienne route royale de Poitiers à Saintes, devenue la route nationale 150 (ou N.150). Rochefort, en raison de son port militaire, fut reliée directement à la capitale par l'ancienne route royale de Paris à Rochefort, devenue la route nationale 11 (ou N.11). Enfin, tout au sud du département, la route royale de Paris en Espagne est devenue la route nationale 10 (ou N.10). Les routes nationales étaient à la charge de l'État, tout le reste du réseau routier était imputé à la gestion du département.

Il y eut une certaine dichotomie dans le traitement des routes. Si l'État entretenait régulièrement son réseau national, le département privilégiait davantage les investissements dans les lignes de chemin de fer et se préoccupait moins de son réseau routier départemental malgré une demande de plus en plus pressante pour une amélioration des routes.

Dans le département, le réseau routier national est l'objet d'améliorations importantes consistant en l'élargissement des chaussées et en un revêtement plus régulier et plus stable ainsi que dans la réalisation de tracés de routes plus rectilignes[138].

À partir du XXe siècle, apparaissent les premières automobiles qui se mêlent à un trafic routier en constante augmentation, composé alors de charrettes et de chariots tirés par des bœufs ou des chevaux, de fiacres, diligences et autres véhicules hippomobiles[138]. Ce n'est véritablement qu'à partir des années 1910 que le trafic automobile va s'accroître rapidement, surtout dans les villes, sans jamais toutefois vraiment menacer le chemin de fer à cette époque.

Le pont transbordeur du Martrou inaugure l'ère des routes du XXe siècle.

Face à l'augmentation du trafic routier, le problème du franchissement de la Charente devient épineux au sud de Rochefort. Les échanges interurbains entre le port militaire et Marennes ne cessent de croître et nécessitent pour parer aux besoins d'un trafic grandissant la réalisation d'un pont. C'est ainsi qu'en juillet 1900 est inauguré le célèbre Pont transbordeur du Martrou, qui constitue à la fois une formidable avancée technique pour l'époque mais aussi une vraie prouesse technologique[141]. Ce pont symbolise à lui seul dans le département la modernisation du réseau routier et de son formidable essor à venir.

Au tournant du XXe siècle, en un temps où la croissance des échanges économiques et des villes portuaires s'affirmait avec force, la modernisation des infrastructures de communication allait de pair avec celle des équipements portuaires.

La modernisation des ports de commerce

C'est en effet dans un contexte d'expansion économique générale de la nation que le département se lança dans de grands projets d'équipements portuaires. Face à l'augmentation régulière du trafic des marchandises et à celui du tonnage qu'exigeaient les navires à vapeur, il devenait urgent de moderniser les installations des ports du département.

La Rochelle, qui disposait dans son ancien site portuaire d'installations vieillissantes et de moins en moins bien adaptées aux exigences de la navigation moderne, fit construire un nouveau port à cinq kilomètres à l'ouest de la ville. Le chantier du nouveau port de La Pallice débuta en 1880 et fut inauguré en août 1890 par le Président de la République Sadi Carnot. Cet avant-port de La Rochelle avait l'avantage d'être le seul site portuaire en eau profonde et était d'un accès relativement facile. Il avait bénéficié d'installations ferroviaires lourdes qui équipaient les sites de l'avant-port et du bassin à flot. Le but affiché était d'en faire un site industrialo-portuaire capable de rivaliser avec les deux grands ports estuariens de la côte Atlantique de Bordeaux et de Nantes.

Si le port urbain (vieux-port, bassin à flot intérieur, bassin à flot extérieur) avait connu un trafic annuel allant jusqu'à deux millions de tonnes en 1908[142], il commença à décliner au profit de La Pallice dont le trafic atteignait en 1896 1 450 000 tonnes et, dès 1913, dépassait celui du port urbain[142].

A La Pallice, les usines commencèrent à s'installer après la mise en service du port en 1891 et l'arrivée du chemin de fer au printemps de la même année[143]. Des usines de charbonnages, de fabrication d'engrais chimiques et de produits chimiques (acide sulfurique, colles et gélatines, sulfates de potasse), une raffinerie de pétrole, une filature de chanvre et de jute s'implantèrent aux côtés des entrepôts d'expéditions de produits agricoles de la région[144].

Enfin, il faut rappeler que La Pallice devint également un important port d'escale pour les paquebots sud-américains. En 1896, la gare maritime fut reliée aux trains spéciaux desservant les paquebots des grandes lignes maritimes[145].

Dans l'estuaire de la Charente, les deux ports maritimes de Tonnay-Charente et de Rochefort cumulaient un trafic avoisinant le demi million de tonnes de marchandises au début du XXe siècle.

Port de rupture de charge sur le fleuve, Tonnay-Charente s'affirmait plus que jamais comme un port mixte, à la fois fluvial et maritime[146]. La cité portuaire maintenait son trafic sur le fleuve par la réception des eaux-de-vie de cognac et des vins et autres produits agricoles de l'arrière-pays charentais dont les cargaisons étaient acheminées par les longs convois de gabarres tirés par de puissants remorqueurs. Mais il est vrai qu'au début des années 1900, le trafic en amont est en baisse régulière, notamment en ce qui concerne l'expédition des eaux-de-vie de cognac. En 1871, le port recevait 450 000 hectolitres de cognac, ce trafic était tombé à 158 200 hectolitres en 1896[93].

Le port fluvial de Tonnay-Charente.

Cependant, l'activité portuaire est largement compensée par le trafic maritime alors en plein essor[146]. La ville devient un véritable centre industriel depuis l'implantation sur la rive droite du fleuve de deux importantes usines chimiques important des pyrites, puis des phosphates, et d'une usine de charbonnages où y sont fabriquées des briquettes de charbon. Les quais aménagés sur 850 mètres disposent de six estacades et supportent un trafic annuel d'environ 120 000 tonnes au début du XXe siècle. En 1896, son port avait traité 121 600 tonnes de marchandises dont 115 000 tonnes provenaient de l'étranger[93].

A six kilomètres en aval de Tonnay-Charente, Rochefort affirmait sa vocation de port marchand depuis l'aménagement d'un troisième bassin à flot dont les travaux furent achevés en 1890[122]. Ce troisième bassin, équipé d'une gare maritime et de voies ferrées, complétait les installations des deux autres bassins à flot construits vers 1868. Avec ce nouvel équipement portuaire, Rochefort put faire face à l'augmentation du trafic fluvial qui consistait en l'importation de charbon de Grande-Bretagne et de bois de Norvège. Dans de telles conditions, le trafic fluvial de Rochefort avait quasiment décuplé depuis la Monarchie de Juillet, passant de 28 500 tonnes en 1846 à 247 500 tonnes en 1900[122]. Enfin, à partir de 1902, de nouveaux travaux de dragage dans la partie estuarienne du fleuve furent entrepris afin de permettre l'accès à des navires de 9 mètres de tirant d'eau, voire de 10 mètres par vive-eau d'équinoxe[126]. Les deux ports charentais ont donc continué à se développer grâce d'une part à l'industrialisation de leurs villes et d'autre part à une importante desserte ferroviaire et routière.

Trois autres petits ports sont l'objet de quelque aménagement mais ils n'ont jamais connu un trafic aussi important que les ports de l'estuaire de la Charente et encore moins de celui de La Rochelle-La Pallice.

Tout au nord du département, Marans reste un petit port fluvial sur la Sèvre niortaise bien qu'il devient un site de confluence de deux canaux de navigation. Le Canal de Marans à La Rochelle, connecté à la Sèvre niortaise depuis septembre 1870, est ouvert à l'exploitation commerciale vers 1884. Il connait un trafic peu important avec seulement 5 700 tonnes relevées en 1887 et consistant en bois, charbon, engrais, vin et sel[147]. Ses concepteurs avaient escompté sur un trafic dix fois supérieur[147], mais le canal tombe rapidement en désuétude au seuil de la Première Guerre mondiale. Malgré cet échec patent, la ville affiche des ambitions portuaires et fait établir un nouveau canal qui relie directement son port à la mer et qui est édifié en 1891. Le Canal maritime de Marans à la mer ne peut recevoir des navires jaugeant plus de 1 200 tonneaux, ce qui limite les grands projets maritimes d'autant plus que La Pallice va devenir rapidement le grand port de la façade charentaise et concurrencer le port de Marans. Ce dernier reçoit ainsi un faible trafic maritime, autour de 10 000 tonnes annuelles, consistant en l'importation de charbon d'Angleterre, puis de bois du Nord et en l'exportation de blé. En 1896, le port a traité 9 805 tonnes de marchandises[93].

Le port de Saint-Martin-de-Ré est demeuré le principal port de l'île de Ré au tournant du XXe siècle.

Dans l'Île de Ré, Saint-Martin-de-Ré était le principal port des Rétais. Il était devenu également un port de voyageurs mais c'était avant tout un port de cabotage dont le trafic était limité essentiellement avec celui de La Rochelle. Les échanges entre les deux ports consistaient en la réception pour l'île des produits de base (produits agricoles, vins, bois, engrais et charbon) et en l'expédition vers le continent des productions locales (sels lourds et légers, poissons et coquillages, huîtres et moules, vins). Le trafic portuaire peut être estimé à quelque 25 000 tonnes annuelles mais il ne se développa pas davantage. En effet, le port de Saint-Martin ne bénéficia d'aucun projet d'aménagement, se contentant des installations existantes somme toute suffisantes pour les besoins de l'île. De fait, le trafic portuaire eut plutôt tendance à diminuer en raison, d'une part, de la baisse de la production des salines de l'île de Ré et, d'autre part, d'un très fort courant d'émigration de la population depuis 1872 entrainant une baisse régulière des besoins de l'île.

Il en fut tout à fait autrement sur l'estuaire de la Gironde où de grands espoirs furent fondés sur le port de Mortagne-sur-Gironde. La voie ferrée venant directement de Saintes atteint en 1895 son site portuaire[148] qui connut quelque aménagement afin de recevoir des navires de commerce. Une cimenterie industrielle fut installée à ses abords en 1904[149] ainsi qu'une importante minoterie[150]. Ces deux usines furent équipées de voies ferrées pour la réception et l'expédition de leurs productions[151]. Avec l'augmentation du trafic fluvial sur la Gironde et la montée en puissance du port de Bordeaux, Mortagne vit son trafic portuaire croître régulièrement. Grâce aux agrandissements du bassin à flot effectués par les militaires, des navires à vapeur assurèrent des liaisons commerciales régulières, en particulier avec l'Angleterre pour l'importation du charbon qui était livré "au rythme de trois ou quatre bateaux par mois et déchargés sur le port par 90 dockers"[152] . Le développement du port de Mortagne dont les activités étaient multiples (port militaire, port de pêche et port de cabotage) et les industries qu'il généra favorisèrent une croissance démographique remarquable.

Évolution démographique de Mortagne-sur-Gironde et du canton de Cozes de 1872 à 1911
Évolution décennale
Année 1872 1881 1891 1901 1911
Mortagne-sur-Gironde 1 560 hab. 1 705 hab. 1 638 hab. 1 742 hab. 1 987 hab.
Canton de Cozes 12 187 hab. 12 151 hab. 11 448 hab. 10 814 hab. 10 598 hab.

Certes, le bourg n'atteint jamais la dimension d'une véritable ville, d'ailleurs, il ne franchit jamais le seuil des 2 000 habitants. Mais en un demi siècle, de 1872 à 1911, Mortagne-sur-Gironde avait gagné 427 habitants, ce qui était assez remarquable dans un contexte de région fortement frappée par l'exode rural. En effet, le canton de Cozes, auquel Mortagne-sur-Gironde appartient, perdit continuellement de la population dans la même période affichant une lourde perte démographique de - 1 589 habitants.

Toutes ces conditions réunies - modernisation des voies de communication et des ports, industrialisation des villes, accroissement des échanges commerciaux - ont favorisé davantage les villes, alors en plein essor et transformation, que les campagnes, plongées dans une crise profonde et durable.

La poursuite du développement urbain

A la veille de la Grande guerre, l'urbanisation du département s'est accélérée puisque près du tiers de la population vit dans une quinzaine de villes en Charente-Inférieure. Le taux de population urbaine qui n'était que de 23,6 % en 1872 est passé à 32,2 % en 1911.

Évolution décennale de la population urbaine de la Charente-Inférieure de 1872 à 1911
Année 1872 1881 1891 1911
Population urbaine 110 020 hab. 115 703 hab. 130 549 hab. 145 078 hab.
Taux urbain 23,6 % 24,8 % 28,6 % 32,2 %

De 1872 à 1911, l'évolution urbaine s'est faite très régulièrement et a même eu tendance à s'accélérer au tournant du XXe siècle avec une croissance démographique de 35 058 habitants (soit + 31,9 %) alors que, dans cette même période, le département perdait 14 609 habitants. Il est clair que la croissance des villes de la Charente-Inférieure a pu juguler en grande partie la forte émigration de population qui a touché le département en limitant partiellement les conséquences négatives de l'exode rural.

Dans la région Poitou-Charentes, la Charente-Inférieure se distingue par un taux de population urbaine nettement plus élevé que celui de la région, étant respectivement de 32,2 % et 24,3 % en 1911[153].

Les villes de la Charente-Inférieure figurent effectivement parmi les plus dynamiques de la région ; sur les six villes de plus de 20 000 habitants en 1911, trois appartiennent au département.

Classement des villes de plus de 10 000 habitants en Poitou-Charentes en 1911
Rang Ville 1911
1 Poitiers 41 242 hab.
2 Angoulême 38 211 hab.
3 La Rochelle 36 371 hab.
4 Rochefort 35 019 hab.
5 Niort 23 775 hab.
6 Saintes 20 802 hab.
7 Cognac 19 188 hab.
8 Châtellerault 18 260 hab.

En 1911, la Charente-Inférieure dispose de trois centres urbains de plus de 20 000 habitants et de deux villes de plus de 5 000 habitants, le reste de l'armature urbaine étant constitué de petites villes ayant peu évolué.

Évolution décennale de la population des quinze villes de la Charente-Inférieure de 1881 à 1911
Liste par ordre décroissant établi en 1911
Ville 1881 1891 1901 1911
La Rochelle 22 464 hab. 26 808 hab. 31 559 hab. 36 371 hab.
Rochefort 27 854 hab. 33 334 hab. 36 458 hab. 35 019 hab.
Saintes 15 763 hab. 18 641 hab. 18 219 hab. 20 802 hab.
Royan 5 445 hab. 7 247 hab. 8 374 hab. 9 330 hab.
Saint-Jean-d'Angély 7 279 hab. 7 297 hab. 7 041 hab. 7 060 hab.
Tonnay-Charente 3 904 hab. 4 249 hab. 4 696 hab. 4 911 hab.
Pons 4 895 hab. 4 615 hab. 4 772 hab. 4 549 hab.
Marennes 4 945 hab. 5 415 hab. 6 459 hab. 4 519 hab.
Marans 4 736 hab. 4 609 hab. 4 387 hab. 4 427 hab.
Le Château d'Oléron 3 132 hab. 3 458 hab. 3 803 hab. 3 734 hab.
Surgères 3 784 hab. 3 375 hab. 3 235 hab. 3 579 hab.
La Tremblade 3 090 hab. 3 364 hab. 3 601 hab. 3 547 hab.
Jonzac 3 210 hab. 3 431 hab. 3 366 hab. 3 210 hab.
Saujon 3 130 hab. 3 132 hab. 3 355 hab. 3 137 hab.
Saint-Savinien 3 192 hab. 3 015 hab. 2 733 hab. 2 665 hab.

Le tableau démographique ci-dessus montre qu'au début du XXe siècle, la hiérarchie urbaine de la Charente-Inférieure a subi quelque modification intéressante.

En tout premier lieu, elle est dominée par la bipolarisation de La Rochelle, maintenant première ville du département, et de Rochefort. A ce moment-là, l'écart de population entre les deux premières villes n'est pas significatif et La Rochelle n'exerce pas encore un poids écrasant dans la population urbaine départementale contribuant pour un quart environ contre 18,5 % en 1821. Les deux premières villes de la Charente-Inférieure pèsent tout de même 49,2 % de la population urbaine en 1911, c'est-à-dire près de la moitié.

Vue générale de Saintes, la troisième ville du département est dominée par le clocher-porche de la cathédrale Saint-Pierre.

En seconde analyse, Saintes qui a commencé à perdre du terrain par rapport aux deux premières villes demeure malgré tout le centre urbain principal de la Saintonge et s'affirme plus que jamais comme la troisième ville de la Charente-Inférieure. Cette ville historique, devenue un grand carrefour de communications routières et ferroviaires, franchit le seuil des 20 000 habitants en 1896, puis de nouveau à partir de 1911. La ville a plus que doublé sa population depuis la Monarchie de Juillet. Elle fait partie des trois premières villes de la Charente-Inférieure qui exercent un poids énorme dans la hiérarchie urbaine puisqu'elles représentent presque les deux tiers de la population urbaine du département (63,5 % en 1911).

Enfin, entre les trois premières villes du département et le reste du réseau urbain, l'écart n'a fait que de se creuser. En effet, dans cette armature urbaine, l'étage suivant est représenté par seulement deux villes de plus de 5 000 habitants qui sont Royan et Saint-Jean-d'Angély. Il est vrai que si Marennes n'avait pas eu à subir de modification territoriale avec Bourcefranc qui s'est érigée en commune en 1908, la ville aurait compté 6 671 habitants, talonnant de très près la cité angérienne. Par contre, toutes les autres villes du département se caractérisent par une véritable stagnation démographique. Tout se passe comme si la crise du phylloxéra avait paralysé l'économie des petits centres urbains malgré la reconversion brillante d'une ville comme Surgères qui reste malgré tout une toute petite ville. Curieusement, aucune d'entre elles ne parvient à franchir le cap des 5 000 habitants, pas même Tonnay-Charente pourtant en plein essor industriel et portuaire, ni même Pons qui avait pourtant bien des atouts en main pour devenir un centre urbain majeur en Haute Saintonge ou encore Marennes qui avait bénéficié d'équipements modernes et qui était située au centre du premier bassin ostréicole du pays.

Cette inertie des petits centres urbains, malgré quelque croissance notable observée à Tonnay-Charente, La Tremblade, Le Château-d'Oléron et même Surgères (entre 1901 et 1911), frappe par sa persistance. Ce fait étonnant n'est pas inhérent à la Charente-Inférieure, il est observé dans les départements voisins. En Charente par exemple, des villes comme Jarnac, Barbezieux, Ruffec ou La Rochefoucauld ont exactement les mêmes évolutions urbaines que les petits centres urbains de la Charente-Inférieure. Déjà, au début du XIXe siècle, puis pendant la Monarchie de Juillet et dans le tout Second Empire, ces petites villes ne se sont jamais véritablement développées. Elles sont demeurées de petits centres au service de leurs régions rurales et n'ont pas su s'affranchir d'une mentalité rurale ou attachée à la ruralité.

Par ailleurs, il est clair que le littoral charentais est devenu nettement attractif dès le début du XXe siècle et que les villes se sont les mieux développées sur la façade atlantique que dans l'arrière-pays saintongeais. Outre les deux villes portuaires de La Rochelle et de Rochefort qui ont, en plus, bénéficié d'une forte industrialisation, la station balnéaire de Royan a connu un essor urbain spectaculaire. Les villes ostréicoles de Marennes, La Tremblade et Le Château-d'Oléron ont également contribué à cette croissance urbaine dynamique.

A l'inverse, à la seule exception de Saintes, toutes les autres villes de la Saintonge stagnent ou se développent à peine (Saint-Jean-d'Angély, Pons, Jonzac et Saujon) ou périclitent inexorablement comme Saint-Savinien.

Pendant tout le XIXe siècle, le fossé entre les petites villes et les trois plus grandes s'est continuellement élargi et cette tendance se poursuivra pendant tout le reste du XXe siècle, hormis Royan qui constitue une exception urbaine dans le département.

Un demi siècle d'essor urbain

La baisse démographique du département a été résorbée en partie par l’essor des villes, surtout des quatre villes principales qui, de 1861 à 1911, se sont considérablement développées.

Évolution de la population des quatre villes principales de la Charente-Inférieure de 1861 à 1911 par grande tranche de temps
Liste par ordre décroissant établi en 1911
Ville 1861 1891 1911
La Rochelle 18 904 hab. 26 808 hab. 36 371 hab.
Rochefort 30 212 hab. 33 334 hab. 35 019 hab.
Saintes 10 962 hab. 18 641 hab. 20 802 hab.
Royan 4 005 hab. 7 247 hab. 9 330 hab.

Pendant un demi siècle, La Rochelle, Saintes et Royan ont plus que doublé leur population, tandis que Rochefort a atteint son maximum démographique avec 36 694 habitants en 1906. La population urbaine est donc passée d’un cinquième de la population départementale au début du Second Empire (20 % en 1856) à un tiers à la veille de la Première Guerre mondiale (32,2 % en 1911).

Rochefort qui est demeurée la première ville du département pendant tout le XIXe siècle et jusqu’en 1906 perd cette prééminence à la veille de la Première Guerre mondiale. Pourtant, la population de cette ville s’est accrue assez régulièrement depuis 1876. En fait, durant tout le XIXe siècle, sa population a triplé et ses faubourgs périphériques sont passés de 3 000 à 15 000 habitants de 1800 à 1906[153].

La Rochelle devient un grand port de pêche industrielle dès le début du XXe siècle et la première ville du département.

La Rochelle s’est considérablement accrue durant toute cette période, annexant de nouvelles communes. Son extension urbaine s'est faite tout autour de son vieux centre, notamment vers l'ouest en direction du nouveau port de La Pallice, et au sud, avec le tout nouveau quartier de Tasdon. La prospérité nouvelle de la ville est en étroite association avec les activités maritimes. Son port de pêche en constant essor abritant un quartier de 3 000 marins bretons et son nouveau port de commerce de La Pallice attirant des industries nouvelles ont scellé le développement d’une ville longtemps endormie et l’ont transformée en une ville attractive. Sa population a doublé de 1861 à 1911 et elle enregistre la plus forte croissance démographique parmi toutes les villes de la Charente-Inférieure.

Saintes a connu une mutation importante avec la création d’un nouveau faubourg industriel et ferroviaire sur la rive droite de la Charente. Elle accueille alors les entrepôts ferroviaires de la Compagnie des Charentes et est devenue un véritable carrefour ferroviaire. Elle s’affirme également comme une ville très commerçante (création de la Coopérative régionale en 1912) et une ville administrative (rôle de sous-préfecture, siège judiciaire du département).

Royan devient la quatrième ville du département grâce à l’essor des bains de mer. Elle est alors la « perle de l’Atlantique », une grande et prestigieuse station balnéaire, fréquentée aussi bien par la bourgeoisie de Bordeaux que par celle de Paris depuis qu’elle est reliée par une voie ferrée. Elle constitue une exception urbaine dans la région. Sa croissance démographique est vraiment spectaculaire puisque sa population a presque quintuplé depuis le début du XIXe siècle. Son attractivité ne cessera de se renforcer dans le courant du XXe siècle.

Par contre, les petites villes ont peu participé à la croissance urbaine dans la période 1861-1911 affichant de plus une évolution démographique souvent très contrastée.

L'évolution contrastée des petites villes de 1861 à 1911
Ville 1861 1891 1911
Saint-Jean-d'Angély 6 392 hab. 7 297 hab. 7 060 hab.
Marennes 4 455 hab. 5 415 hab. 6 671 hab.
Tonnay-Charente 3 703 hab. 4 249 hab. 4 911 hab.
Pons 4 894 hab. 4 615 hab. 4 549 hab.
Marans 4 510 hab. 4 609 hab. 4 427 hab.
Le Château d'Oléron 3 518 hab. 3 458 hab. 3 734 hab.
Surgères 3 289 hab. 3 375 hab. 3 579 hab.
La Tremblade 3 042 hab. 3 364 hab. 3 547 hab.
Jonzac 3 005 hab. 3 431 hab. 3 210 hab.
Saujon 2 889 hab. 3 132 hab. 3 137 hab.
Saint-Savinien 3 306 hab. 3 015 hab. 2 665 hab.

Trois catégories de petites villes peuvent être distinguées en Charente-Inférieure pendant ce demi siècle qui va du milieu du Second Empire à la veille de la Grande guerre.

Les petites villes en croissance régulière sont au nombre de cinq. Ce sont Tonnay-Charente, Surgères, La Tremblade et Saujon ainsi que Marennnes[N 27]. Elles doivent leur croissance démographique au développement de leur économie urbaine (industrialisation du port de Tonnay-Charente, naissance et affirmation de l'industrie laitière à Surgères, essor de l'ostréiculture à Marennes et La Tremblade, fonction balnéaire à Ronce-les-Bains, nouveau quartier de La Tremblade). Elles s'affirmeront pendant le XXe siècle comme des pôles urbains secondaires, surtout Surgères et Marennnes. Le cas de Saujon mérite un développement à part. Si la ville assiste au déclin irrémédiable de son port morutier et de son site portuaire de Ribérou qui est abandonné, elle n'en demeure pas moins une active ville commerciale et un centre ferroviaire important. Saujon a atteint son maximum démographique pour tout le XIXe siècle affichant 3 355 habitants en 1901, la ville a plus que doublé sa population pendant tout ce siècle. Sa fonction thermale et résidentielle lui permettra de préserver son économie urbaine dans le courant du XXe siècle.

Saint-Jean-d'Angély, cinquième ville de la Charente-Inférieure au début du XXe siècle, demeure un centre du négoce des eaux de vie mais la ville stagne depuis la crise du phylloxéra en 1875

Les deux centres en stagnation que sont Saint-Jean-d'Angély et Jonzac sont marqués par des évolutions démographiques contrastées, tantôt positives, tantôt négatives, mais leur population a très peu varié pendant ce demi siècle. C'est que leur économie est atone, elles surmontent difficilement les conséquences de la crise du phylloxéra. Pourtant, Saint-Jean-d'Angély s'est affirmée comme un des carrefours routiers et ferroviaires les plus fréquentés du département, lui permettant de devenir un centre de commerces important qu'animent ses grosses foires mensuelles. Si Saint-Jean-d'Angély et Jonzac sont des sous-préfectures dont l'influence administrative leur permet de rayonner sur leurs arrondissements respectifs, elles demeurent cependant peu attractives malgré leurs fonctions urbaines multiples. Enfin, Saint-Jean-d'Angély, centre urbain ancien en Charente-Inférieure, occupe désormais le cinquième rang des villes du département et elle gardera ce rang pendant tout le XXe siècle.

Le reste des petits centres urbains est caractérisé par des villes en crise, affichant une dépopulation plus ou moins importante malgré une économie diversifiée que possèdent Pons et Marans alors que Saint-Savinien plonge dans une crise urbaine quasi irréversible qu'elle ne parvient pas à surmonter depuis le Second Empire. Cette dernière ville sera réduite à un simple rôle de marché rural, étant finalement reléguée au rang de commune rurale, tandis que Pons et Marans maintiendront leur statut urbain.

Dans le courant du XXe siècle, la majorité de ces petites villes ne se développeront pas davantage mais elles demeureront des points d'ancrage dans le milieu rural jouant dès lors le rôle de centre relais entre les grandes villes et les campagnes.

La période 1911 – 1946 : L'hécatombe de 1914-1918 et la stagnation démographique de l'Entre-deux-Guerres

Dans cette période historique marquée par deux guerres, le département enregistre deux chiffres records peu enviables.

Tout d'abord, une perte démographique sans précédent est constatée après la Première Guerre mondiale où la Charente-Inférieure a perdu plus de 7,3 % de sa population, baisse démographique qui a surtout affecté les jeunes générations. C'est ce qu'un auteur régionaliste nomme l'« hécatombe de 1914-1918 »[154].

Ensuite, en 1931, le département enregistre son plus bas niveau de population de tout le XXe siècle où, avec 415 249 habitants, la densité de population chute à 60 hab/km². C'est pendant la période de l'Entre-deux-Guerres que le département se relève difficilement des conséquences du premier conflit mondial et demeure confronté au problème chronique de l'exode rural.

Tableau de l'évolution démographique de la Charente-Inférieure de 1911 à 1946 :

Comme le montre le graphique ci-dessous, deux périodes nettement distinctes caractérisent la situation démographique de la Charente-Inférieure dans l'Entre-deux-Guerres.

  • Tout d'abord, les conséquences désastreuses provoquées par la Première Guerre mondiale ont été durement ressenties dans le département malgré son éloignement des fronts du conflit. Les pertes humaines ont été considérables.
  • Ensuite, les effets dramatiques de cette hécatombe ont entamé sérieusement la vitalité de la démographie départementale où la natalité est constamment demeurée inférieure à la mortalité pendant l'Entre-deux-Guerres. La légère reprise démographique constatée avant le Second conflit mondial a été de courte durée, et ce dernier aura été moins lourd en pertes humaines mais beaucoup plus dévastateur sur le plan matériel.

L'hécatombe de la Première Guerre mondiale

L'essor économique et urbain d'avant guerre a été brusquement stoppé par les évènements terribles de la Première Guerre mondiale, dont les répercussions sur la démographie du département ont été extrêmement préjudiciables.

Évolution démographique
1911 1921
451 044 418 310

Les conséquences catastrophiques de la Guerre 1914-1918

La Charente-Inférieure a subi une baisse démographique considérable au lendemain de la Première Guerre mondiale. Le département enregistre alors sa plus forte chute démographique jamais enregistrée jusqu’à cette date. Sa population est passée de 451 044 habitants en 1911 à 418 310 en 1921, soit une décroissance démographique record de 37 734 habitants.

Le Monument aux morts à Migré. Comme toutes les communes de la Charente-Inférieure, un Monument aux morts est érigé en mémoire des soldats tués au front lors de la Première Guerre mondiale.

Dans le détail, cette baisse démographique fait apparaître un excédent des décès de 19 781 habitants dû au seul effet de la guerre[22]. Pas une ville, pas un village, pas un hameau, pas une ferme qui n'ait été épargné par ce désastre où nombre de jeunes ont été envoyés au front comme de la chair à canon. Ces pertes humaines bien inutiles sont maintenant gravées dans la pierre, sur les longues listes des Monuments aux morts élevés au cœur des places de chaque village et de chaque ville du département à partir du début des années 1920.

La disparition des jeunes générations a entraîné inéluctablement une forte augmentation du taux de mortalité dans l'Entre-deux-Guerres, accélérant de fait le processus du vieillissement de la population départementale, déjà en place avant la Grande Guerre. Les conséquences les plus graves d'une telle démographie sont le manque de renouvellement de la population avec comme corollaires une baisse des mariages et la dénatalité. D'ailleurs, de 1918 jusqu'à la veille de la Seconde Guerre mondiale, les naissances sont constamment demeurées inférieures aux décès. Dans la période 1921-1936, l'excédent cumulé des décès sur les naissances a été de 1 539 dont plus de la moitié (775) sur la courte période de 1931-1936[155].

Le processus de l'exode rural, enclenché depuis la Monarchie de Juillet, puis intensifié depuis la crise du phylloxéra de 1875, n'a pas faibli au lendemain du premier conflit mondial. Il s'est même maintenu à un rythme élevé après la Grande Guerre puisque, de 1911 à 1921, le département a enregistré un solde migratoire fortement négatif de 15 870 habitants[155]. Cette émigration de population va exercer dans la décennie suivante un effet négatif sur l'économie départementale où, bien souvent, des forces vives vont manquer et l'esprit d'entreprise péricliter. D'ailleurs, sur ce dernier point, l'exode des couches de la petite et grande bourgeoisie provinciale, déjà observé dans la décennie précédant la Première Guerre mondiale[154], ne va que s'amplifier et être à l'origine de l'atonie économique de la Charente-Inférieure, touchant en premier lieu les villages et les petites villes. En Charente-Inférieure, il est clair que le déclin des industries rurales dans les villages et des industries traditionnelles dans les petites villes date de cette période de l'Entre-deux-Guerres et trouve son origine à la fois dans les hommes tués au front et au tarissement des artisans, des entrepreneurs et des industriels[156].

Le problème chronique de l’exode rural combiné à la baisse de la natalité ont généré un vieillissement prématuré de la population du département qui s'en ressentira fortement dans la période de l'entre-deux-guerres. Ce manque de vitalité démographique se retrouve également dans les villes, surtout les petites villes qui auront beaucoup de difficultés à surmonter le désastre de la Grande Guerre.

Le lourd tribut des villes de garnisons à la Grande Guerre

Si les villes comme les campagnes ont été durement touchées par le conflit, ce sont surtout les villes qui abritaient d'importantes casernes militaires comme Rochefort, Saintes, Saint-Jean-d'Angély, Marennes, Le Château-d'Oléron qui ont enregistré les plus fortes baisses de population à la fin des hostilités. Fait peu connu de l'histoire, parmi les dix premières villes de Poitou-Charentes à avoir perdu le plus grand nombre d'habitants entre 1911 et 1921, six proviennent de la Charente-Inférieure. En août 1914, tous ces régiments et les jeunes qui y sont incorporés sont mobilisés et partent au front mais, après l'armistice du 11 novembre 1918, des milliers d'hommes ne reviennent pas, les statistiques démographiques dans le tableau ci-dessous parlent d'elles-mêmes.

Évolution démographique des villes de la Charente-Inférieure de 1911 à 1921
Liste par ordre décroissant établie en 1921 et en caractères gras les variations négatives de population
Ville 1911 1921 Variation absolue Variation relative
La Rochelle 36 371 hab. 39 770 hab. +3 399 hab. + 9,3 %.
Rochefort 35 019 hab. 29 473 hab. -5 546 hab. - 15,8 %.
Saintes 20 802 hab. 19 152 hab. -1 650 hab. - 7,9 %.
Royan 9 330 hab. 10 242 hab. + 912 hab. + 9,8 %.
Saint-Jean-d'Angély 7 060 hab. 6 541 hab. - 519 hab. - 7,4 %.
Tonnay-Charente 4 911 hab. 4 529 hab. - 382 hab. - 7,8 %.
Pons 4 549 hab. 4 368 hab. - 181 hab. - 4 %.
Marennes 4 519 hab. 3 900 hab. - 619 hab. - 13,7 %.
Marans 4 427 hab. 3 828 hab. - 599 hab. - 13,5 %.
Surgères 3 579 hab. 3 557 hab. - 22 hab. - 0,6 %.
La Tremblade 3 547 hab. 3 207 hab. - 340 hab. - 9,6 %.
Le Château-d'Oléron 3 734 hab. 3 142 hab. - 592 hab. - 15,9 %.
Jonzac 3 210 hab. 2 896 hab. - 314 hab. - 9,8 %.
Saujon 3 137 hab. 2 852 hab. - 285 hab. - 9,1 %.

Selon le tableau ci-dessus, douze villes sur les quatorze villes de la Charente-Inférieure ont perdu de la population entre 1911 et 1921. Dans cette décennie, la population urbaine a perdu 10 763 habitants dont la moitié par la seule ville militaire de Rochefort.

Si La Rochelle et Royan ont exceptionnellement gagné des habitants entre 1911 et 1921 - et elles sont d'ailleurs les deux seules villes à avoir accru leur population -, la première doit cette situation grâce à la reprise dynamique et rapide des industries et de la pêche industrielle nécessitant une main d'œuvre très nombreuse, la seconde le doit grâce à sa fonction de villégiature et probablement à un rôle de ville refuge. Bien que La Rochelle abritait d'importantes casernes militaires, la forte attractivité de la ville et l'industrialisation de La Pallice lui ont permis de masquer une perte démographique qui a dû être très importante comme partout ailleurs dans les autres villes de sa dimension. En Poitou-Charentes, cette croissance démographique lui permet de devancer Poitiers et en fait alors la ville la plus peuplée de la région pendant toute la période de l'Entre-deux-Guerres. Cette situation à la fois surprenante et exceptionnelle dans un contexte de chute démographique générale détonne singulièrement avec toutes les autres villes du département et même de la région Poitou-Charentes.

En effet, ces dernières enregistrent toutes des baisses de population plus ou moins sévères selon les fonctions urbaines qu'elles exercent. Parmi celles-ci figurent toutes les villes abritant des casernes militaires et qui ont été marquées par de très lourdes pertes humaines.

C'est le cas notamment de Rochefort qui est la plus gravement touchée au point que cette ville ne retrouvera plus son niveau démographique d'avant-guerre. L'hécatombe observée à Rochefort, qui perd 5 546 habitants, est la plus importante qui soit observée dans tout le département comme dans toute la région Poitou-Charentes. A titre comparatif, les villes de Poitiers et d'Angoulême qui étaient des villes de la même importance que Rochefort avant guerre, ont perdu moins d'habitants que cette dernière, respectivement - 3 579 habitants et -3 316 habitants. Elles aussi étaient de grosses villes de garnisons.

Saintes a également payé un lourd tribut à la guerre 1914-1918 enregistrant une perte de 1 650 habitants. Cette forte baisse démographique, qui est la deuxième plus importante en Charente-Inférieure et la quatrième en Poitou-Charentes, est en relation là aussi avec les nombreux soldats tués pendant la guerre. Saintes en effet abritait d'importantes garnisons depuis l'époque napoléonienne. A la suite de cette guerre d'ailleurs, Saintes va perdre son rôle de fonction militaire. Toutes les casernes militaires qui occupaient le site de l'Abbaye-aux-Dames depuis les évènements de la Révolution seront fermées en 1924 et le champs de manœuvre situé à proximité sera reconverti en jardin public[157].

La lourde perte démographique constatée à Marennes (- 619 habitants) en fait la troisième ville de Charente-Inférieure la plus meurtrie par la guerre de 1914-1918. En Poitou-Charentes, elle est la sixième ville à avoir perdu le plus d'habitants, se classant après Rochefort, Poitiers, Angoulême, Saintes, Parthenay (- 962) et Châtellerault (-660). Ses nombreux soldats morts au front résidaient avant la mobilisation générale dans la vaste caserne implantée à l'entrée de la ville sur la route de Saintes. La caserne Commandant-Lucas fut construite en 1907 et était destinée à loger le troisième régiment d'infanterie coloniale. Au lendemain de la Grande Guerre, cette caserne verra ses activités fortement réduites.

Marans, Le Château-d'Oléron et Saint-Jean-d'Angély enregistrent des baisses de population particulièrement élevées, respectivement - 599 habitants, - 592 habitants et - 519 habitants. Elles font également partie des dix villes de Poitou-Charentes à avoir perdu le plus d'habitants entre 1911 et 1921. Les deux dernières villes abritaient des casernes militaires très importantes. La baisse démographique de Marans est exceptionnellement élevée et difficile à expliquer d'autant plus qu'elle n'abritait pas de casernes. Peut-être Marans a-t-elle fourni un gros effort de guerre par l'envoi massif de volontaires au front en raison d'une population plus jeune que dans les autres villes de taille comparable. Ou bien est-ce à la fois la combinaison d'un déclin démographique d'avant-guerre qui s'est poursuivi et d'un nombre important de jeunes tués pendant cette guerre incroyablement meurtrière.

Les effets démographiques sur les douze villes les plus touchées par les pertes humaines seront particulièrement catastrophiques dans les deux décennies suivantes. En effet, en 1936, hormis Saintes, La Tremblade et Jonzac, toutes les autres villes ne retrouveront pas ou ne dépasseront pas leur chiffre de population d'avant-guerre.

Dans l'entre-deux-guerres, le département entre dans une période de stagnation démographique qui durera jusqu'à la Seconde Guerre mondiale.

La stagnation démographique de l'Entre-deux-Guerres

Dans la période de l’Entre-deux-Guerres, la démographie du département est caractérisée par une relative stagnation démographique, qui s’explique à la fois par un léger fléchissement de l’exode rural et par le retour d'un solde migratoire positif. C’est dans cette période que le département enregistre d’ailleurs son plus bas niveau de population de tout le XXe siècle où, en 1931, il ne compte plus que 415 249 habitants.

Évolution démographique de la Charente-Inférieure de 1921 à 1936 :

Évolution démographique
1921 1926 1931 1936
418 310 417 789 415 249 419 021

Une stagnation démographique favorisée par un retour du solde migratoire positif

L'apport de 9 200 habitants venant principalement de la Vendée[22] et relevant quelque peu le taux de migration permet de stabiliser la population de la Charente-Inférieure dans l'Entre-deux-Guerres.

D'ailleurs, grâce à cet excédent migratoire, la population du département repart doucement à la hausse jugulant un taux de mortalité élevé, puisque de 1931 à 1936, la Charente-Inférieure voit sa population croitre de + 3 772 habitants. Cette légère croissance démographique lui permet de rattraper son niveau de population de 1921 et même de le dépasser mais pas celui d'avant la guerre.

Ce retour au solde migratoire positif signale un ralentissement certain de l'exode rural qui n'est certes pas stoppé mais qui se poursuit avec une moindre ampleur.

Le ralentissement de l'exode rural pendant l'entre-deux-guerres

Globalement, l'exode rural se ralentit dans le département dans la période de l'entre-deux-guerres. Certes, il n'est pas enrayé et nombre de villages continuent de perdre de la population mais beaucoup moins que dans la décennie qui a suivi la crise du phylloxéra. Quelques gros bourgs ruraux dont les chefs-lieux de canton voient même leur population se stabiliser, et quelquefois légèrement augmenter à la veille de la Deuxième Guerre mondiale. Ce qui est le cas par exemple de La Jarrie en Aunis ou de Matha, Cozes et Tonnay-Boutonne en Saintonge.

Les deux tableaux ci-dessous montrent que, si la majorité des villages continue de perdre de la population, cette décroissance s'est nettement ralentie.

Évolution démographique de quelques communes viticoles de la Saintonge de 1921 à 1931
Liste par ordre alphabétique
commune 1921 1926 1931 1936
Archiac 728 805 793 779
Burie 1 262 1 201 1 230 1 178
Chérac 1 049 1 001 974 950
Cozes 1 379 1 370 1 433 1 441
Ecoyeux 818 814 780 764
Matha 1 905 1 921 1 890 1 934
Meursac 1 074 1 061 1 046 1 052
Mirambeau 1 751 1 770 1 744 1 675
Saint-Hilaire-de-Villefranche 1 080 1 042 984 976
Taillebourg 787 729 734 683
Évolution démographique de quelques communes de l'Aunis de 1921 à 1936
Liste par ordre alphabétique
Commune 1921 1926 1931 1936
Aigrefeuille d'Aunis 1 498 1 438 1 369 1 349
La Jarrie 716 713 711 737
Marsais 1 039 955 916 891
Saint-Georges-du-Bois 1 375 1 363 1 234 1 157
Saint-Jean-de-Liversay 1 726 1 652 1 594 1 525
Saint-Mard 1 031 1 038 1 030 952
Saint-Sauveur-d'Aunis 842 780 762 742

Dans la partie saintongeaise de la Charente-Inférieure[N 28], les évolutions démographiques sont globalement négatives. L'exode rural qui frappe les communes agricoles de la Saintonge tend cependant à se ralentir dans la période de l'Entre-deux-Guerres. Très peu de villages et de bourgs voient leur population s'accroître dans cette période caractérisée par une agriculture prospère et aux productions diversifiées mais très peu pourvoyeuse d'emplois.

Il en est de même pour l'Aunis qui correspond au nord du département. Les villages et les gros bourgs de l'Aunis continuent de voir leur population chuter malgré la reconversion agricole réussie de cette partie du département et la création d'une active industrie agricole (laiteries, beurreries, caséineries, minoteries, distilleries d'alcools). La plupart de ces villages se vide de leurs habitants qui vont s'installer principalement à La Rochelle, ville alors en pleine expansion urbaine et économique.

Pendant toute la période de l'entre-deux-guerres, cette démographie quelque peu atone du département reflète l'état général d'une économie départementale en léthargie, hormis cependant une agriculture prospère et un littoral relativement attractif.

Une évolution urbaine modérée

Dans l’Entre-deux-Guerres, l’évolution urbaine se maintient dans le département à un rythme modéré, la population urbaine passant de 32,2 % en 1921 à 36,3 % en 1936. Cependant, l’évolution des villes est contrastée.

Évolution de la population urbaine de la Charente-Inférieure de 1921 à 1936
Année 1921 1926 1931 1936
Population urbaine 134 315 hab. 137 013 hab. 139 504 hab. 152 063 hab.
Taux urbain 32,2 % 32,8 % 33,6 % 36,3 %

De 1921 à 1936, le taux de population urbaine a légèrement augmenté pendant que la population départementale a continué de baisser. C'est surtout dans la période 1931-1936 que la population urbaine s'accélère et devient supérieure à ce qu'elle était en 1911.

Les villes principales du département redeviennent attractives à la veille de la Seconde Guerre mondiale et, dans le classement régional, la Rochelle devient la ville la plus peuplée de la région. Sur les dix villes de plus de 10 000 habitants en Poitou-Charentes, quatre sont situées dans la Charente-Inférieure en 1936.

Classement des villes de plus de 10 000 habitants en Poitou-Charentes en 1936
Rang Ville 1936
1 La Rochelle 47 737 hab.
2 Poitiers 44 235 hab.
3 Angoulême 39 399 hab.
4 Rochefort 29 482 hab.
5 Niort 27 830 hab.
6 Saintes 21 160 hab.
7 Châtellerault 19 369 hab.
8 Cognac 16 305 hab.
9 Royan 12 192 hab.
10 Thouars 10 077 hab.

Dans cette période à la démographie atone, seules les villes principales du département retrouvent un certain dynamisme urbain puisque trois d'entre elles (La Rochelle, Saintes et Royan) affichent une population supérieure en 1936 à celle relevée en 1911 alors que, dans l'ensemble, les petites villes sont en déclin, à l'exception des toutes jeunes stations balnéaires qui continuent de se développer et de se transformer en véritables centres de villégiature.

Évolution démographique des quatre villes principales de la Charente-Inférieure de 1921 à 1936
Liste par ordre décroissant établie en 1936
Ville 1921 1926 1931 1936
La Rochelle 39 770 hab. 41 251 hab. 45 043 hab. 47 737 hab.
Rochefort 29 473 hab. 28 275 hab. 26 452 hab. 29 482 hab.
Saintes 19 152 hab. 20 468 hab. 20 592 hab. 21 160 hab.
Royan 10 242 hab. 10 388 hab. 11 328 hab. 12 192 hab.

La Rochelle dépasse définitivement Rochefort et occupe de loin la première place départementale, sa population s’est accrue régulièrement de 1921 à 1936, passant de 39 770 habitants à 47 737 habitants en 1936. Elle fait partie des rares villes dont la population dépasse celle du recensement d'avant-guerre, c'est-à-dire de 1911.

Rochefort, par contre, est entrée dans son déclin depuis le lendemain de la Grande Guerre et la ville va être durement affectée par la fermeture de son arsenal maritime en 1927. De 1921 à 1931, sa population baisse régulièrement mais à partir de 1936, elle se relève vigoureusement et retrouve même son niveau de population de 1921, sans toutefois dépasser celui de 1911. Elle est d'ailleurs la seule ville du département qui n'a jamais retrouvé son niveau de population de 1911. Les conséquences du premier conflit mondial, puis le séisme économique et social provoqué par la fermeture de l'arsenal maritime, ont entraîné Rochefort dans une profonde léthargie urbaine. La ville ne s'en est jamais véritablement relevée par la suite.

Dans cette même période, Saintes s’accroît modérément. Après être repassée au-dessous des 20 000 habitants en 1921, la ville voit sa population croître de nouveau à partir de 1926 et, une décennie plus tard, elle dépasse le niveau de 1911. Elle demeure toujours la troisième ville du département et est relativement attractive.

Royan franchit pour la première fois de son histoire démographique le seuil des 10 000 habitants dès 1921, la station balnéaire ne cesse d’attirer du monde et devient un centre de villégiature très recherché. Elle fait partie des quelques villes du département qui ont dépassé le niveau de 1911.

Saint-Jean-d'Angély conserve sa cinquième place dans le département mais elle s’affaire moyennement et progresse peu. En fait, elle ne retrouve pas son niveau de population d'avant-guerre. Or, cette situation est quasi générale pour toutes les petites villes dont le chiffre de population est presque partout inférieur à celui d'avant la Grande Guerre comme le montre le tableau ci-dessous.

Évolution démographique des petites villes et de quelques stations balnéaires de la Charente-Inférieure de 1921 à 1936
Liste par ordre décroissant établie en 1936 et, en caractères gras, les villes qui n'ont pas retrouvé leur niveau de population de 1911
Ville 1911 1921 1926 1931 1936
Saint-Jean-d'Angély 7 060 hab. 6 541 hab. 6 745 hab. 6 610 hab. 6 728 hab.
Tonnay-Charente 4 911 hab. 4 529 hab. 4 495 hab. 4 537 hab. 4 859 hab.
Pons 4 549 hab. 4 368 hab. 4 427 hab. 4 375 hab. 4 266 hab.
Marennes 4 519 hab. 3 900 hab. 4 082 hab. 4 011 hab. 3 957 hab.
La Tremblade 3 547 hab. 3 207 hab. 3 351 hab. 3 438 hab. 3 690 hab.
Marans 4 427 hab. 3 828 hab. 3 707 hab. 3 575 hab. 3 584 hab.
Surgères 3 579 hab. 3 557 hab. 3 550 hab. 3 386 hab. 3 388 hab.
Le Château-d'Oléron 3 734 hab. 3 142 hab. 3 018 hab. 3 061 hab. 3 281 hab.
Jonzac 3 210 hab. 2 896 hab. 3 041 hab. 3 142 hab. 3 250 hab.
Saujon 3 137 hab. 2 852 hab. 2 963 hab. 3 015 hab. 3 063 hab.
Bourcefranc-le-Chapus 2 152 hab. 2 184 hab. 2 401 hab. 2 522 hab. 2 763 hab.
Fouras 2 499 hab. 2 399 hab. 2 322 hab. 2 166 hab. 2 474 hab.
Châtelaillon-Plage 1 183 hab. 1 267 hab. 1 724 hab. 2 106 hab. 2 233 hab.

Parmi les petites villes, seules trois petits centres urbains, La Tremblade, Jonzac et Bourcefranc-le-Chapus, ainsi que Châtelaillon-Plage qui est une station balnéaire non encore inscrite dans la nomenclature des villes, affichent une population supérieure en 1936 à celle de 1911, toutes les autres villes ne retrouvent pas ce niveau, soit elles stagnent, cas de Fouras, soit elles sont en déclin, cas de Pons, de Marennes, de Marans et du Château-d'Oléron, ainsi que de Surgères. D'autres villes se relèvent petit à petit, notamment Tonnay-Charente et Saujon, bien qu'elles ne parviennent pas à dépasser le chiffre de population d'avant-guerre.

Le déclin de Marennes dans l'entre-deux-guerres s'explique fort aisément. Outre la sévère perte démographique enregistrée entre 1911 et 1921, où Marennes fait partie des villes qui ont payé un lourd tribut à la guerre (- 619 habitants), cette petite ville est affectée par toute une série de crises qui ont durement secoué son économie urbaine. En 1920, une épizootie frappe ses parcs à huîtres et menace sérieusement l'ostréiculture locale. La même année, la grosse usine de fabrication de produits chimiques Saint-Gobain ferme ses portes, mettant du coup 200 ouvriers au chômage. En 1926, suite à l'arrêté Poincaré, Marennes perd sa sous-préfecture, ce qui a été un coup terrible pour la ville dont elle s'est à peine relevée par la suite. La ville assiste impuissante à cette série de catastrophes et plonge dans un véritable marasme économique et social, entraînant une dépopulation continuelle de son centre depuis 1911.

Les conséquences démographiques de la Seconde Guerre mondiale

Avant que n’éclate la Seconde Guerre mondiale, la Charente-Inférieure avait recommencé à gagner de nouveaux habitants, passant à 419 021 habitants en 1936. De plus, cette reprise démographique était tirée par les cinq premières villes du département qui enregistraient alors toutes des gains notables de population et laissaient augurer un nouveau dynamisme pour le département. La dernière guerre brisa momentanément cet élan.

A la fin de ce conflit, beaucoup moins meurtrier que le précédent mais plus dévastateur, la Charente-Inférieure qui devient Charente-Maritime enregistre une nouvelle baisse démographique. Le département compte alors 416 187 habitants en 1946. C’est son plus bas niveau démographique depuis le lendemain de la Seconde Guerre mondiale.

Évolution démographique
1936 1946
419 021 416 187

Là encore, les villes ont payé un lourd tribut à la guerre, cette fois surtout sur le plan matériel, mais la baisse démographique a été somme toute moins sévère par rapport au précédent conflit, la Charente-Maritime ayant perdu 2 834 habitants entre 1936 et 1946.

La Base sous-marine de La Rochelle. Les destructions matérielles pendant la Seconde Guerre mondiale ont été beaucoup plus nombreuses que les vies humaines en Charente-Maritime.

Si un certain nombre de villes ont connu des dévastations pendant ce conflit (quartier et port de La Pallice à La Rochelle, site de l'arsenal à Rochefort, quartier de la gare à Saintes pour ne retenir que les villes principales), une majorité d'entre elles sont devenues des villes refuges et ont gagné de la population entre 1936 et 1946.

La Rochelle a continué de croître mais sa croissance est nettement plus faible que celle de Saintes qui, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, affiche la plus forte croissance démographique de tout le département (+ 2 281 habitants). Quant à Rochefort, elle ne fait pas partie des villes en croissance. Elle stagne au lendemain de la guerre bien que la ville ait subi des dégâts matériels plutôt limités. En effet, hormis les secteurs de la gare et du port, les destructions ont été circonscrites au site prestigieux de la Corderie royale, inutilement incendiée, lors du retrait des soldats allemands.

Seule Royan peut être considérée à juste titre comme une ville martyre.

Royan avant la Seconde Guerre mondiale était une station balnéaire de renommée mondiale. Depuis sa destruction quasi totale en 1945, la ville a perdu à jamais son prestige d'antan.

Si la station balnéaire a été accidentellement détruite par les bombardements alliés en janvier 1945, puis dévastée au napalm en avril de la même année, elle a néanmoins subi une destruction quasi totale, seul le quartier du Parc a été partiellement préservé. La station a dès lors définitivement perdu son cachet d'antan qui lui assurait une renommée mondiale et un prestige qu'elle n'a plus retrouvé par la suite. Cette double dévastation, totalement inutile du reste, lui a fait perdre presque la moitié de sa population et la ville est passée de 12 192 habitants en 1936 à 6 649 habitants en 1946 (- 5 543 habitants) (soit en variation relative : - 45,5 %). C'est la perte démographique la plus importante de tout le département lors de la dernière guerre mondiale et, pour la première fois depuis le début du XIXe siècle, Royan enregistre une baisse de sa population. Du coup, elle se retrouve à la cinquième place départementale, étant de nouveau distancée par Saint-Jean-d'Angély.

Évolution démographique des villes de la Charente-Maritime de 1936 à 1946
Liste par ordre décroissant établie en 1946 et en caractères gras les villes en baisse démographique
Ville 1936 1946 Variation démographique
La Rochelle 47 737 hab. 48 923 hab. + 1 186
Rochefort 29 482 hab. 29 472 hab. - 10
Saintes 21 160 hab. 23 441 hab. + 2 281
Saint-Jean-d'Angély 6 728 hab. 7 280 hab. + 552
Royan 12 192 hab. 6 649 hab. - 5 543
Tonnay-Charente 4 859 hab. 4 830 hab. - 29
Pons 4 266 hab. 4 442 hab. + 176
Châtelaillon-Plage 2 233 hab. 4 121 hab. + 1 892
La Tremblade 3 690 hab. 4 028 hab. + 338
Marennes 3 957 hab. 3 806 hab. - 151
Jonzac 3 250 hab. 3 771 hab. + 521
Surgères 3 388 hab. 3 552 hab. + 154
Saujon 3 063 hab. 3 469 hab. + 406
Marans 3 584 hab. 3 377 hab. - 207
Fouras 2 474 hab. 3 013 hab. + 539
Le Château-d'Oléron 3 281 hab. 2 864 hab. - 417
Bourcefranc-le-Chapus 2 763 hab. 2 842 hab. + 79


Hormis quatre petites villes, toutes les autres sont en croissance et la performance de Châtelaillon-Plage est des plus inattendues. Il est vrai que les stations balnéaires et touristiques ont joué dans un premier temps le rôle de ville-refuge. C'est aussi le cas de Fouras qui affiche une croissance remarquable et de Saujon qui a accueilli au lendemain de la dernière guerre une partie des habitants de Royan sinistré car, par la suite, cette petite station thermale va stagner jusqu'au seuil des années soixante.

Les sous-préfectures, Saint-Jean-d'Angély et Jonzac, se démarquent nettement dans cette liste par des croissances vigoureuses jamais enregistrées jusque-là, respectivement + 552 habitants et + 521 habitants.

En somme, les petites villes ont gagné des habitants plutôt qu'elles n'en ont perdu, ce qui n'était pas le cas au lendemain de la guerre de 1914-1918. L'explication d'une telle situation provient en partie du fait que les villes de la Charente-Maritime étaient devenues des villes de refuge lors de la débâcle de mai 1940 qui avait provoqué le dramatique exode des populations du Nord de la France vers l'ouest et le sud-ouest du pays. Une partie de ces populations exilées s'est finalement fixée dans le département, principalement dans les villes, grandes et petites, malgré le fait que la Charente-Maritime était en zone d'occupation dès juin 1940.

La Porte Ouest, un des accès à la citadelle du Château-d'Oléron. Cette petite ville a subi d'importantes destructions a la fin de la Seconde Guerre mondiale et elle est la deuxième ville de Charente-Maritime à avoir perdu le plus grand nombre d'habitants après Royan.

En ce qui concerne les petites villes en baisse démographique, figure parmi celles-ci Tonnay-Charente qui, en fait, stagne plutôt qu'elle régresse. Ce qui n'est pas le cas des trois autres petites villes qui ont subi une décroissance assez importante, notamment Le Château-d'Oléron. Cette dernière, après avoir subi de gros dégâts matériels avec la destruction inutile de sa citadelle historique et de son arsenal militaire, alors désaffecté, lors du retrait des troupes d'occupation, est la deuxième ville de la Charente-Maritime à avoir perdu le plus grand nombre d'habitants (-417 habitants). Quant à Marans et Marennes, elles ont perdu respectivement 207 habitants et 151 habitants, enregistrant en même temps leur plus bas niveau de population depuis le début du XIXe siècle. Marennes entre dans une véritable crise urbaine au point qu'elle est dépassée par La Tremblade, sur la rive gauche de la Seudre, alors en plein essor démographique et économique. La chute démographique de Marans est assez spectaculaire ; au lendemain de la dernière guerre, elle ne figure même plus dans la liste des douze premières villes du département.

Malgré les séquelles matérielles assez lourdes laissées par la Seconde Guerre mondiale et ses conséquences dramatiques sur le plan humain, le département s'est relevé avec une vitalité exceptionnelle dans les années d'après-guerre.

Le renouveau démographique de la période contemporaine

C’est au lendemain de la Seconde Guerre mondiale que la population a recommencé à augmenter en Charente-Maritime et que le département a enregistré de nouveaux records démographiques, dont celui de dépasser le cap symbolique du demi million d’habitants après 1975.

Évolution démographique
1946 1954 1962 1968 1975 1982 1990 1999 2007
416 187 447 973 470 897 483 622 497 859 513 220 527 146 557 024 605 410[158]


L'évolution démographique contemporaine qui commence au lendemain de la Seconde Guerre mondiale fait apparaître plus d'un demi siècle de croissance ininterrompue comme le montre le graphique ci-dessous.

Tableau de l'évolution démographique de la Charente-Maritime de 1946 à 2007 : plus d'un demi siècle de croissance ininterrompue

Depuis le lendemain de la Seconde Guerre mondiale jusqu'aux premières années du XXIe siècle, trois périodes distinctes caractérisent ce renouveau démographique assez remarquable et soutenu en Charente-Maritime.

1946 – 1962 : la période de la reconstruction

Dynamisé par l’essor économique d’après-guerre, et fortement appuyé par les villes et le littoral alors en plein renouveau, le département de la Charente-Maritime a connu une forte augmentation de sa population, entre 1946 et 1962, gagnant en moins de 15 années plus de 54 000 habitants.

La densité de population du département qui avait chuté à 61 hab/km² en 1946 passe à 69 hab/km² en 1962. Le département est alors encore profondément rural, le taux de population urbaine est faible mais il s’accroît rapidement, passant de 38,4 % en 1946 à 44,5  % en 1962.

Cette croissance démographique a touché autant les campagnes que les villes. Mais dans cette période, les villes ont enregistré des croissances importantes, surtout La Rochelle et Royan, un peu moins Saintes, tandis que Rochefort est entrée dans une période difficile de mutation urbaine due aux problèmes de restructuration de l’armée. Les petites villes sont également en voie de modernisation et participent également à cet effort de reconstruction.

Les tours de Port-Neuf à La Rochelle, héritages d'une urbanisation caractéristique des années cinquante

Ce qui caractérise fortement cette période, c'est le phénomène d'une urbanisation rapide qui touche en premier lieu les quatre premières villes du département qui sont La Rochelle, Rochefort, Saintes et Royan mais également quelques petites villes en pleine expansion urbaine comme Saint-Jean-d'Angély, Tonnay-Charente, Surgères et même Pons et Marennes. Ces villes voient alors s'ériger progressivement des constructions toutes neuves, caractérisées par des immeubles de type tour et barre, qui sont établies en périphérie des cœurs urbains et qui reçoivent l'appellation générique de cités.

Port-Neuf, une nouvelle cité à La Rochelle, avec au fond les tours de Mireuil

A La Rochelle s'élève la Cité de Port-Neuf en bordure de l'océan, nouveau quartier construit « à la va-vite » et établi entre la vieille ville historique et La Pallice. Ce qui n'était encore qu'un vaste espace de prés salés et de marais devient une nouvelle cité abritant plus de 5 000 habitants. Cette cité, avec ses tours et ses immeubles barres si caractéristiques des années 1950/1960, passait pour l'époque pour un quartier moderne. La cité de Port-Neuf ouvre ainsi la voie à une urbanisation rapide à La Rochelle ayant commencé dans la décennie des années cinquante. Cette fièvre de construction va se perpétuer dans la décennie suivante où une nouvelle cité populaire surgit de terre au nord-ouest de La Rochelle. Cette dernière est alors dotée d'un ambitieux plan d'urbanisation où le nouveau quartier de Mireuil est programmé pour accueillir au moins 20 000 habitants.

C'est également dans cette période de forte croissance urbaine que les villes commencent à déborder de leurs cadres territoriaux et à former des banlieues résidentielles et industrielles. C'est ce qui est notamment le cas de La Rochelle qui finit par toucher les villes voisines de Lagord au nord et surtout d'Aytré au sud. Il en est de même pour Rochefort et Tonnay-Charente qui forment une seule et même agglomération ainsi que Royan avec Saint-Georges-de-Didonne où est en gestation la future conurbation touristique des bords de la rive droite de la Gironde. Les villes deviennent dès lors dévoreuses d'espaces et leur étalement urbain va s'accélérer dans les décennies suivantes.

1962 – 1982 : le département franchit le cap du demi million d’habitants

Les immeubles de la Cité de Mireuil, créée dans les années soixante, visibles depuis les toits de Port-Neuf à La Rochelle

Dans cette période de renouveau démographique qui se poursuit entre 1962 et 1982, la Charente-Maritime passe par une croissance plus modérée, tout en étant régulière.

Le solde migratoire devient nettement négatif jusqu’en 1975 et le solde naturel commence à fortement baisser. C’est dans cette période charnière de la démographie actuelle du département que le solde migratoire redevient franchement positif. À partir de 1975, la Charente-Maritime fait partie des départements les plus attractifs de France.

C’est en 1982 que la Charente-Maritime a franchi officiellement et pour la première fois de son histoire démographique, le cap du demi million d’habitants, atteignant à cette date 513 220 habitants. La densité de population s’établit alors à 75 hab/km² et le clivage entre les arrondissements littoraux et les arrondissements de l’intérieur du département commence à s’accentuer de plus en plus.

Les immeubles de la cité des Boiffiers à Saintes caractéristiques de la période d'urbanisation des années soixante et soixante-dix

C’est également dans cette période que beaucoup de villes atteignent leur maximum démographique « intra muros » et que commence à se développer le phénomène de la rurbanisation. C’est en 1968 que la population urbaine de la Charente-Maritime atteint la barre des 50 %.

En 1975, La Rochelle forme une agglomération urbaine qui, pour la première fois, franchit le cap des 100 000 habitants, atteignant alors 100 649 habitants et se classant au troisième rang régional après Angoulême et Poitiers.

1990–2007 : un département en pleine mutation

De profondes mutations ont touché le département depuis les quinze dernières années.

Tout d'abord, la croissance démographique s’est fortement accélérée depuis 1990, passant de 527 146 habitants en 1990 à 557 024 en 1999 et à 605 410 en 2007.

Cet essor démographique sans précédent est imputable au solde migratoire qui compense largement un solde naturel légèrement négatif.

Le vieillissement de la population est un phénomène qui s’est accentué depuis les années 1990, où le littoral s’est transformé progressivement en une grande zone de villégiature pour les retraités. Ces derniers, qui contribuent massivement au solde migratoire, sont soit des natifs du département qui sont revenus « au pays », soit des touristes qui ont décidé de passer leur retraite en Charente-Maritime.

L’accroissement démographique a profité aux villes comme aux campagnes, mais aujourd’hui, trois habitants sur cinq résident dans une unité urbaine.

La population tend à se concentrer de plus en plus dans les communes de plus de 2 000 habitants. En 2007, plus de 60 % des habitants vivent dans les 60 communes de plus de 2 000 habitants, contre seulement 40 % en 1946 où 23 communes avaient plus de 2 000 habitants.

Le département recense en 2007 18 villes de plus de 5 000 habitants, contre seulement 5 en 1946. Entre ces deux dates, le nombre de communes de plus de 5 000 habitants a donc plus que triplé et concerne aujourd’hui largement plus du tiers de la population départementale (38,5 % en 2006).

Ce phénomène de concentration de la population dans les communes les plus peuplées s’accentue de recensement en recensement et les principales aires urbaines tendent à se joindre.

Le nouveau quartier des Minimes à La Rochelle, symbole de l'urbanisation moderne de la ville au début du XXIe siècle.
  • Tout d’abord, La Rochelle et Rochefort forment un bipôle urbain dont les liens interurbains sont renforcés par les communications routières et ferroviaires. Cet ensemble urbain regroupe plus de 200 000 habitants, soit le 1/3 de la population totale du département. L’influence urbaine de La Rochelle s’étend nettement au-delà des 30 km de la ville-centre. C’est de loin la deuxième aire urbaine de Poitou-Charentes, après l’axe Poitiers-Châtellerault.
  • Un second axe interurbain est en train de se former depuis les années 1980. Il s’est accéléré depuis l’ouverture de la 2x2 voies entre Saintes et Saujon sur l’axe Saintes-Royan. Cet ensemble interurbain en pleine mutation rassemble plus de 120 000 habitants. Il constitue dorénavant le cinquième pôle interurbain de Poitou-Charentes.
  • Les petites villes sont redevenues attractives, autant celles qui sont situées sur le littoral que les villes de l’intérieur. Elles sont devenues des pôles d’attraction urbaine remarquablement bien équipés et exercent leur influence bien au-delà des limites de leur seul canton. C’est le cas de Saint-Pierre-d'Oléron qui exerce son attraction sur toute l’île d'Oléron, de Marennes sur le bassin de la Seudre qu’elle partage avec La Tremblade, de Surgères sur une partie de la plaine d’Aunis, de Saint-Jean-d'Angély sur pratiquement tout son arrondissement, de Pons dont l’influence déborde sur les cantons voisins de Gémozac et de Saint-Genis-de-Saintonge, enfin de Jonzac sur la partie centrale de son arrondissement.

Depuis le début du nouveau siècle, le sud du département connaît un renouveau démographique grâce à la proximité de Bordeaux, grande métropole du Sud-Ouest, dont l'aire urbaine tend à s'étendre sur un rayon d'environ 30 à 50 km.

Notes

  1. Ancien nom donné à l'actuelle Charente-Maritime jusqu'en 1941.
  2. « Il y avait dans cette ville et dans un assez grand rayon autour d'elle de grands travaux conçus depuis un quart de siècle, repris alors depuis cinq ans pour assainir les environs en ménageant l'écours des eaux marécageuses par de nombreux canaux creusés sur la rive gauche de la Charente, et la ville en lui donnant des eaux vives » (Delayant 1872, p. 344).
  3. « Le 24 octobre 1817, l'eau est pour la première fois introduite dans son château d'eau, entrepris depuis plus de dix ans » (Delayant 1872, p. 354).
  4. Le blocus continental prend fin en 1810.
  5. Le 15 juillet 1815, Napoléon 1er quitte l'île d'Aix.
  6. Le département de la Charente est le premier des départements de la région Poitou-Charentes à avoir été frappé par l'exode rural et à enregistrer une première baisse de sa population dès le milieu du XIXe siècle, pendant la Deuxième République. Ce département connaîtra d'ailleurs son maximum démographique en 1851, chiffre qu'il n'a du reste jamais dépassé depuis.
  7. appelé également Port du Chapitre
  8. actuel quai de l'Yser
  9. actuel quai des Roches
  10. C'est-à-dire des pêcheurs qui allaient au large de Terre-Neuve.
  11. Le bassin à flot extérieur devenu le bassin des Chalutiers.
  12. Les "tours" étaient des armoires pivotantes où étaient déposés les enfants abandonnés.
  13. Construit en 1788.
  14. Actuelle église Notre-Dame.
  15. Sauvé d'une destruction certaine par les soins de Prosper Mérimée, alors inspecteur des Monuments historiques pendant la monarchie de Juillet. Le monument romain avait été démantelé sur le vieux pont à partir de 1843. Il fut remonté tel quel pierre par pierre sur la rive droite de la Charente. Le chantier dura huit ans.
  16. Actuelle avenue Gambetta.
  17. La charrue Dombasle a joué un rôle considérable dans la transformation de l'agriculture.
  18. Les chantiers sont adjugés en 1856 pour l'achèvement du Canal de la Charente à la Seudre (Blier 2003, p. 113 à 117).
  19. Annexion des communes de Cognehors et de Saint-Maurice.
  20. Cette ancienne commune a été annexée à la ville de Cognac en 1867.
  21. Terroir viticole regroupant aujourd'hui quelques communes du canton de Burie situé au nord-ouest de Cognac.
  22. L'ancienne commune de Laleu a été annexée en 1880 et est la dernière commune participant à l'extension territoriale de La Rochelle.
  23. L'arrondissement de La Rochelle qui avait 17 927 ha de vignes en 1858 n'en avait plus que 3 660 en 1922 et, encore, cette surface plantée en vignes était majoritairement située dans l'île de Ré. De même en est-il pour l'arrondissement de Rochefort (dans ses limites d'avant la réforme de 1926) où la vigne passait de 12 451 ha à 1 818 ha entre 1858 et 1922 (Julien-Labruyère 1980, p. 277).
  24. Ce type de sel a également alimenté depuis 1864 et, pendant une trentaine d'années environ, la grosse usine de produits chimiques Saint-Gobain à Marennes (Pinard 1972, p. 374)
  25. a, b et c Les industries énumérées dans ces communes sont mentionnées dans le guide de Michel de la Torre, Charente-Maritime - Guide de l'art et de la nature, éditions Nathan - promotion culturelle, 1985.
  26. Ces briquettes de houille fabriquées dans les usines d'agglomérés de houille de La Pallice, Rochefort et Tonnay-Charente étaient reconnues pour leur qualité énergétique et étaient bien mieux appropriées pour alimenter les chaudières des distilleries d'eaux de vie et d'alcools ainsi que celles des laiteries. Ces nombreuses distilleries sont alors situées majoritairement en Saintonge alors qu'elles ont presque toutes disparu en Aunis suite à la crise du phylloxéra (Pinard 1972, p. 131).
  27. En incluant Bourcefranc, partie de la commune de Marennes qui a fait sécession en 1908 mais dont l'économie est tout à fait comparable à celle de Marennes.
  28. C'est-à-dire la partie géographique qui correspond aux arrondissements de Jonzac, de Saintes et de Saint-Jean-d'Angély.

Sources

Références

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  22. a, b, c, d et e Béteille et Soumagne 1987, p. 34
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  25. a, b, c, d et e Delayant 1872, p. 370
  26. Rapport de la Chambre de Commerce et d'Industrie de La Rochelle en 1833, Archives Départementales de La Rochelle, 14 M 12
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  41. a et b Charles Marteau dit « Chamart », Rochefort, ville thermale, 1966, p.26
  42. Luc 1981, p. 345
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  90. a, b et c Donnée parue dans un article du quotidien hebdomadaire L'Hebdo de Charente-Maritime, paru le jeudi 26 octobre 2006, et intitulé Filière laitière - La saga du lait par Bernard Maingot.
  91. Dumazet 1898, p. 277
  92. a et b Luc 1981, p. 351
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  101. Béteille et Soumagne 1987, p. 142
  102. L'entreprise de céramique à Saintes
  103. La laiterie industrielle d'Aytré
  104. La laiterie industrielle de Tonnay-Charente
  105. La laiterie industrielle de Nieul-les-Saintes
  106. Laiterie et fromagerie industrielle de Marans
  107. Laiterie et fromagerie industrielle de Pons
  108. Laiterie industrielle de Surgères
  109. La caséinerie coopérative de Surgères
  110. La biscuiterie de Saintes
  111. Fonderie de la Roulette à Pons
  112. Les Ateliers ferroviaires de Saintes
  113. a et b Joanne 2003, p. 65
  114. L'usine Saint-Gobain à Marennes
  115. a, b et c Luc 1981, p. 353
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  122. a, b et c Jouannet 1992, p. 180
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  128. Blier 2003, p. 93
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  130. Blier 2003, p. 101
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  132. Le Dret 2004, p. 71
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  134. Le Dret 2004, p. 69-70
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  141. Blier 2003, p. 120
  142. a et b Blier 2003, p. 122
  143. Le Dret 2004, p. 26
  144. Le Dret 2004, p. 33 à 39
  145. Le Dret 2004, p. 30
  146. a et b Blier 2003, p. 123
  147. a et b Blier 2003, p. 115
  148. Le Dret 2004, p. 21
  149. La cimenterie de Mortagne-sur-Gironde
  150. Minoterie de Mortagne-sur-Gironde
  151. Le Dret 2004, p. 29
  152. La cimenterie de Mortagne-sur-Gironde et la livraison du charbon pour l'usine
  153. a et b Combes 2001, p. 415
  154. a et b Julien-Labruyère 1980, p. 304
  155. a et b Luc 1981, p. 406
  156. Julien-Labruyère 1982, p. 15
  157. Combes et Daury 1985, p. 180
  158. Chiffre de population légale de l'INSEE [PDF]

Bibliographie

Ouvrage utilisé pour la rédaction de l'article : ce logo indique que la source a été utilisée pour la rédaction de l’article.
  • Roger Béteille et Jean Soumagne, La Charente-Maritime aujourd'hui : milieu, économie, aménagement, Jonzac, Publications de l'Université francophone d'été, 1987 Ouvrage utilisé pour la rédaction de l'article 
  • Gérard Blier, Histoire des transports en Charente-Maritime, Le Croît vif, coll. « documentaires », 2003 (ISBN 2-907967-80-0) Ouvrage utilisé pour la rédaction de l'article 
  • Jean-Marie Cassagne et Mariola Korsak, Origine des noms de villes et villages - Charente-Maritime, Bordessoules, 2002 (ISBN 2-913471-65-X) Ouvrage utilisé pour la rédaction de l'article 
  • Agnès Claverie, La Vie d'autrefois en Charente-Maritime, éditions Sud-Ouest, 1999 (ISBN 2-87901-296-1) Ouvrage utilisé pour la rédaction de l'article 
  • Jean Combes (dir.), Histoire du Poitou et des Pays charentais : Deux-Sèvres, Vienne, Charente, Charente-Maritime, Clermont-Ferrand, éditions Gérard Tisserand, 2001, 334 p. (ISBN 2-84494-084-6) [lire en ligne] 
  • Jean Combes et Jacques Daury, Guide des départements - La Charente-Maritime, Tours, éditions du terroir, 1985 (ISBN 2-903283-25-9) Ouvrage utilisé pour la rédaction de l'article 
  • Jean Combes (dir.) et Michel Luc (dir.), La Charente de la préhistoire à nos jours (ouvrage collectif), St-Jean-d'Y, Imprimerie Bordessoules, coll. « L'histoire par les documents », 1986, 429 p. (ISBN 2-903504-21-0) [présentation en ligne] 
  • Léopold Delayant, Histoire du département de la Charente-Inférieure, La Rochelle, H. Petit, libraire-éditeur, 1872 Ouvrage utilisé pour la rédaction de l'article 
  • J. M. Deveau, Histoire de l'Aunis et de la Saintonge, P.U.F., coll. « Que sais-je ? » (no 1553), 1974 Ouvrage utilisé pour la rédaction de l'article 
  • A. Dumazet, Voyage en France, 15e série, Charentes et plaine poitevine, 1898 
  • J. L. Flohic (dir.), Le Patrimoine des communes de la Charente-Maritime, Flohic, coll. « Le patrimoine des communes », 2002 Ouvrage utilisé pour la rédaction de l'article 
  • M. A. Gautier, Dictionnaire des communes de la Charente-Inférieure, Saintes, Les Chemins de la Mémoire, 2004 (ISBN 2-84702-107-8) Ouvrage utilisé pour la rédaction de l'article 
  • Adolphe-Laurent Joanne, La Charente-Inférieure au XIXe siècle, Saintes, Les Chemins de la Mémoire, 2003 (ISBN 2-84702-007-1) Ouvrage utilisé pour la rédaction de l'article 
  • Gérard Jouannet (dir.), La Charente fleuve et symbole, Le Croît vif, 1992 (ISBN 2-907967-02-9) Ouvrage utilisé pour la rédaction de l'article 
  • François Julien-Labruyère, À la recherche de la Saintonge maritime, La Rochelle, éditions Rupella, 1980 (ISBN 2-86474-009-05) Ouvrage utilisé pour la rédaction de l'article 
  • François Julien-Labruyère, Paysans charentais - Histoire des campagnes d'Aunis, Saintonge et bas Angoumois, vol. II, La Rochelle, Rupella, 1982 
  • Yves Le Dret, Le train en Poitou-Charentes : Naissance du chemin de fer en Poitou-Charentes, vol. 1, Les Chemins de la Mémoire Éditeur, 2004 (ISBN 2-84702-111-6) Ouvrage utilisé pour la rédaction de l'article 
  • Yves Le Dret, Le train en Poitou-Charentes : Le chemin de fer de l'État en Poitou-Charentes, vol. 2, Les Chemins de la Mémoire Éditeur (ISBN 2-84702-116-7) Ouvrage utilisé pour la rédaction de l'article 
  • Yves Le Dret, Le train en Poitou-Charentes : La Compagnie des Chemins de Fer Économiques des Charentes, vol. 3, Les Chemins de la Mémoire Éditeur, 2004 (ISBN 2-84702-173-6) Ouvrage utilisé pour la rédaction de l'article 
  • Yves Le Dret, Le train en Poitou-Charentes : La Compagnie des Chemins de Fer Départementaux des Charentes et des Deux-Sèvres, vol. 4, Les Chemins de la Mémoire Éditeur, 2004 (ISBN 2-84702-174-4) Ouvrage utilisé pour la rédaction de l'article 
  • Jean-Noël Luc (dir.), Jean Combes et al., La Charente-Maritime - L'Aunis et la Saintonge des origines à nos jours, Bordessoules, coll. « Hexagone - L'Histoire de France par les documents », 1981 (ISBN 2-903504-03-2) Ouvrage utilisé pour la rédaction de l'article 
  • MSM (Ouvrage collectif), Charentes, MSM, 2005 (ISBN 2-911515-91-9). Ouvrage utilisé pour la rédaction de l'article
  • Jacques Pinard, Les industries du Poitou et des Charentes, Poitiers, S.F.I.L. & Imprimerie Texier, 1972 Ouvrage utilisé pour la rédaction de l'article 
  • Michel de la Torre, Guide de l'art et de la nature - Charente-Maritime, Nathan - Promotion culturelle, 1985 Ouvrage utilisé pour la rédaction de l'article 
  • F. de Vaux-de-Foletier, Histoire d'Aunis et de Saintonge, Princi Negue, novembre 2000 (ISBN 2-84618-016-4) Ouvrage utilisé pour la rédaction de l'article 

Annexes

Articles connexes

Démographie des départements charentais
Géographie urbaine
Économie de la Charente-Maritime
Histoire des départements charentais

Liens externes


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