Querelle des inventaires

Querelle des inventaires

La Querelle des inventaires est un ensemble de troubles survenus en de multiples régions de France, consécutif à la loi de séparation des Églises et de l'État de 1905 et au décret du 29 décembre 1905, prévoyant l'inventaire des biens des Églises, notamment de l'Église catholique, afin de préparer la dévolution de ces biens aux associations cultuelles définies dans l'article 4 de la loi. La mise en œuvre de cet inventaire suscita des conflits dans certaines régions de France, essentiellement les régions fortement catholiques (l'Ouest et une partie du Massif central).

Sommaire

Contexte

Lors des débats parlementaires sur la loi de séparation des Églises et de l'État, l'idée d'un inventaire des biens des bâtiments qui avaient depuis le Concordat de 1801 le statut d'« établissements publics du culte » s'est naturellement imposée. Tous les édifices construits avant 1905 restent, comme c'est le cas depuis la Révolution, propriété de l'État pour les cathédrales ou des communes pour les paroisses.

C'est pour cela que le 29 décembre 1905 est pris un décret d'administration publique concernant les inventaires. Il applique le passage de l'église paroissiale sous la tutelle de la mairie et donc l'inventaire dans son contenu dévolu aux associations cultuelles. Ce fut l'objet de l'article 3 de la loi. Seule la question d'éventuelles dettes antérieures anima un peu le débat parlementaire.

Le 2 février 1906, une circulaire destinée aux fonctionnaires des Domaines contient une phrase provocatrice qui va mettre le feu aux poudres : « les agents chargés de l'inventaire demanderont l'ouverture des tabernacles ». Les milieux politiques conservateurs ne tardent pas à s'emparer de l'affaire et à susciter l'émotion populaire dans certaines régions. Un communiqué gouvernemental est émis pour rassurer les catholiques : « Aucun inventaire n'aura lieu avant la discussion de l'interpellation fixée le 19 janvier ».

Les manifestations

Tout semble dès lors devoir se passer sans incident, mais d'importantes séries de manifestations ont lieu devant de nombreuses églises. La plupart des catholiques pense que l'opération des inventaires est une profanation et les communautés rurales pensent que c'est une spoliation. Selon eux, il s'agit d'une atteinte à la propriété individuelle.

L'importance des troubles lors des inventaires varie en fonction des régions. En effet, certaines populations par leur passé et leur attachement confessionnel apparaissent plus déterminées à défendre leurs convictions religieuses dont les symboles leur semblent remis en cause surtout dans les régions chrétiennes comme la Bretagne, une partie du Massif central, la Flandre.

Le gouvernement doit affronter une opposition virulente notamment dans les régions de la Bretagne comme Nantes et Quimper, des échauffourées se produisent entre les manifestants et les forces de l'ordre. Ils se barricadèrent dans les églises pour empêcher les agents du fisc de procéder à l'inventaire. Dans ces endroits virulents ou ailleurs, gendarmerie et armée ont dû intervenir. L'action de la gendarmerie se limite à la constatation des délits et de l'établissement des contraventions au cours des opérations des inventaires. Ils ne doivent pas répondre par la force.

Ce genre de dispositions restreint le champ d'action immédiat de la gendarmerie mais permet aussi de limiter les excès de la violence. Si pendant les manifestations, les gendarmes sont pris à partie et mis à mal, ils doivent se défendre et faire en sorte que « force reste à la loi ». Par ailleurs les textes sont la pour le rappeler :

« si l'exécution de la loi impose de recourir à la force publique, vous en ferez usage en conformant votre conduite aux instructions sur l'emploi de la force armée dans les grèves. »

Le commandement militaire joue pleinement son rôle d'encadrement, prévenant à plusieurs reprises les débordements. Certains militaires s'opposent cependant à ces mesures. Malgré cela, la violence est virulente et afin de prévenir toute action de maintien de l'ordre, le ministre de la Guerre [Qui ?] adresse un courrier au ministre de l'Intérieur Georges Clemenceau, dans lequel il lui demande qu'on lui communique les départements où les inventaires ont pris fin, pour lui permettre d'effectuer les prélèvements sur les effectifs des gendarmes d'une région à l'autre. Les autorités, notamment préfectorales, craignant des troubles plus importants, privilégient des actions de la gendarmerie afin de ne pas avoir à utiliser l'armée de ligne.

Les premiers incidents sanglants éclatent dans la Haute-Loire, dans le Velay, sur les confins des Cévennes. Le 27 février 1906 a lieu l'inventaire de la Chapelle de pèlerinage de Champels (commune de Monistrol-d'Allier)[1]. Quelque 150 manifestants, armés de bâtons, de fourches, et pour certains de barres de fer, se ruent sur le receveur de l'enregistrement qui est accompagné de trois gendarmes : la « fusillade » de Champels fait quatre blessés légers chez les manifestants[2], mais elle propage l'agitation dans toute la région. Le 3 mars, lors de la tentative d'inventaire faite dans la commune de Montregard, toujours en Haute-Loire, un habitant est grièvement blessé ; il décèdera le 24 mars[3].

La situation du gouvernement semble déjà bien délicate quand parvient la nouvelle de l'incident de Boeschepe : le 6 mars, à proximité de la frontière belge, un inventaire tourne au drame et entraîne la mort d'un homme[4]. Le préfet du département du Nord, confronté à une véritable surexcitation dans sa région, ne fut que trop heureux de suspendre les inventaires à la demande du ministre de l'Intérieur.

Un débat parlementaire est organisé entre le ministre des Cultes Aristide Briand et les autres partis, dans lequel ils décident de laisser la loi comme elle est, et donc de ne pas céder, ce qui entraîne le 7 mars 1906 la chute du cabinet Rouvier.

Clemenceau joue l'apaisement

À la suite de cette affaire, le nouveau ministre de l'Intérieur Georges Clemenceau, membre du cabinet Sarrien formé le 14 mars 1906, et anticlérical notoire, décide de renoncer aux opérations d'inventaire dans les cas où elles rencontrent une résistance violente. Le 20 mars 1906, alors qu'il ne reste plus que 5 000 sanctuaires, sur 68 000, à inventorier, il déclare à la Chambre : « Nous trouvons que la question de savoir si l'on comptera ou ne comptera pas des chandeliers dans une église ne vaut pas une vie humaine[5] ».

Le nouveau ministère mis en place est nettement plus axé à gauche que le précédent, et il veut absolument résoudre au plus tôt l'affaire des inventaires. Le 16 mars 1906, une circulaire confidentielle adressée aux préfets les invite à suspendre les opérations d'inventaire dans le cas où elles doivent se faire par la force. Clemenceau précise que « ça ne veut pas dire que nous ayons renoncé à l'application de la loi, seulement nous l'abordons à notre manière ». L'agitation née des inventaires, localisée mais considérable, prend fin.

Bibliographie

  • Jean-Michel Duhart, La France dans la tourmente des Inventaires ; La séparation des Églises et de l'État, éditions Alan Sutton

Notes et références

  1. L'Illustration. N°3289 - Les Inventaires dans La Haute-Loire; Le petit journal, supplément illustré du 18 mars 1906 n° 800.
  2. Duhart, op. cité, p.79
  3. Obsèques d'André Régis, à Montregard dans Le Petit Journal illustré du 8 avril 1906
  4. La victime est un boucher nommé Géry Ghysel, âgé de tente-cinq ans, père de trois enfants
  5. Michel Winock, Clemenceau, Paris, Perrin, 2007, 568 p. (ISBN 978-2-262-01848-1), chap. XX .

Voir aussi

Liberté de religion en France


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