Marc-Antoine-Nicolas de Croismare

Marc-Antoine-Nicolas de Croismare
Marc-Antoine-Nicolas
de Croismare
Gravure du marquis de Croismare par Halmsur un dessin de Cochin fils.
Gravure du marquis de Croismare par Halm
sur un dessin de Cochin fils.

Surnom « Le Philosophe »
Naissance 1694
Décès 3 août 1772 (à 78 ans)
Paris
Nationalité Française
Conjoint Suzanne Davy de la Pailleterie

Marc-Antoine-Nicolas de Croismare, marquis de Lasson, né en 1694 et mort le 3 août 1772 sur la paroisse Saint-Roch de Paris, est un dilettante français, passé à la postérité surtout pour avoir inspiré la Religieuse à Diderot. Galiani l’a également peint dans ses Dialogues sur le commerce des grains, sous le nom de marquis de Roquemaure.

D’ancienne noblesse originaire de Normandie, avantageusement établie à la cour, fils de François-Nicolas, seigneur des Botoirs et de la Plesse, et d’Elisabeth de Croismare, héritière de la branche des seigneurs de La Pinelière et de Lasson, descendant de Nicolas de Croixmare, le marquis avait servi dans sa jeunesse, comme capitaine dans le régiment du Roi infanterie, où son frère Louis-Eugène fut longtemps lieutenant-colonel. Ne se sentant pas l’ambition de parvenir aux grades supérieurs, il quitta le service, après avoir obtenu la croix de Saint-Louis.

Prototype du Français aimable, dont il réunissait toutes les qualités au suprême degré, le marquis de Croismare s’était attiré le surnom de « Philosophe » pour avoir renoncé de bonne heure aux vues d’ambition. Ce dilettante joignait au caractère le plus solide, au commerce le plus sûr, à une façon de penser pleine de délicatesse et d’élévation, une imagination vive et riante, un tour d’esprit piquant, assaisonné de tous les agréments. Sa conversation se distinguait par son sel, sa finesse, sa délicatesse et sa gaieté. La grâce et la légèreté avaient sous sa plume ou dans sa bouche un caractère inexprimable. Il n’y avait rien de de plus étranger à son esprit que les lieux communs.

Tour à tour de la plus haute dévotion, puis esprit fort, puis indifférent, et toujours également aimable, Croismare était tombé amoureux d’une fille de condition de son pays, mais protestante, Suzanne Davy de la Pailleterie, fille d’Anne-Pierre Davy, marquis de la Pailleterie[1], mort le 11 août 1725, âgé de 76 ans. Sa ferveur pour la religion catholique et pour Suzanne de La Pailleterie fut telle qu’il en fit sa prosélyte. Sa conversion, opérée le 30 octobre 1734 à Cagny, est peut-être la seule qui se soit faite de bonne foi. Après son mariage, le 3 août 1735, elle lui donna deux fils et une fille. L’ayant perdue de bonne heure, il pensa en mourir de chagrin.

Après la mort de sa femme, il quitta sa terre de Lasson, près de Caen, et vint à Paris, où il fut bientôt recherché par la meilleure compagnie. Il avait laissé en Normandie une dévotion que les Fontenelle, les Mairan, les Mirabaud, les d’Alembert, les Diderot, avec lesquels il passait sa vie, n’étaient pas propres à lui faire regretter. La vivacité de ses passions et l’ardeur avec laquelle il suivait celle qui l’occupait dans le moment le faisaient parfois perdre de vue lorsque, occupé de la poursuite de quelque matière nouvelle, il s’y livrait tout entier. Mais il reparaissait bientôt toujours le même, toujours charmant par le récit qu’il avait à faire des aventures qui lui étaient arrivées. Personne ne connaissait Paris comme lui. Les éclipses qu’il faisait de temps en temps dans la bonne compagnie étaient employées à étudier les mœurs de tous les étages dans des quartiers perdus, mœurs entièrement ignorées, et dont il rapportait des détails souvent plus pittoresques que les voyageurs n’en donnaient des contrées les plus éloignées. Rien n’était négligé dans ces recherches, et le plus bas peuple y avait sa part, comme la foule d’originaux ignorés dont Paris fourmille, et qui n’ont rien de commun avec les gens du monde que l’air qu’on y respirait. Croismare savait les découvrir dans les promenades publiques et dans leurs galetas et il était ordinairement longtemps leur ami intime avant de savoir leur nom. Ses amis craignirent plus d’une fois que ces liaisons ne le fissent tomber dans quelque coupe-gorge, mais le génie qui veillait sur lui le préserva. Il convenait qu’il n’était pas toujours bien payé de ses frais et de sa peine, mais ses amis y gagnaient toujours, parce que les récits qu’il faisait même de l’ennui qu’il avait éprouvé étaient délicieux.

Croismare aimait la poésie, la musique, les arts, la lecture, et par-dessus tout l’amitié, la liberté et l’indépendance. Il ne se donnait pas de spectacle, il ne se plaidait pas de grand procès, mais il ne se passait rien de nouveau à Paris sans lui. Le grand monde ne l’amusait pas, mais il était charmant dans la petite coterie de ses amis. Il faisait très joliment les vers, et tout l’hiver précédant sa mort fut consacré à faire des couplets de société, pour un diner que la marquise de La Ferté-Imbault avait fondé les lundis pour lui, le chevalier de Valory, le chevalier de Hautefeuille et Grimm, et qu’elle appelait le dîner des Lanturelus.

Il peignait très joliment dans sa jeunesse, et il reste de lui des tableaux qui se font remarquer par une touche spirituelle et piquante. Quant aux autres arts, ils lui occasionnaient tour à tour des accès violents de passion, et, comme il lui fallait toujours un objet dominant, il était à la poursuite tantôt de la musique, tantôt des vieux bouquins, tantôt des estampes, tantôt de la meilleure manière de faire le chocolat ou bien les omelettes, et son zèle ne se ralentissait que lorsque la matière était totalement épuisée. Dans ses opinions, l’extrême mobilité de son âme ne lui permettait pas d’avoir des idées bien arrêtées, et son imagination y influait plus qu’une méditation approfondie. Il en résultait un scepticisme qui ne contribuait pas peu aux agréments de sa conversation.

En 1759, ses affaires le rappelèrent dans sa terre pour quelques mois. Il y retrouva sa dévotion chez son curé, qu’il aimait beaucoup, et, au lieu de revenir à Paris, il resta près de huit ans enfermé dans sa terre, ni plus ni moins heureux qu’au milieu de ses amis. C’est à cette occasion que Diderot et ses amis machinèrent une mystification, inspirée de l’histoire réelle d’une religieuse du nom de Marguerite Delamarre qui avait fait appel de ses veux, en imaginant cette religieuse échappée du couvent et s’adressant au marquis pour solliciter son aide. Cette supercherie visant à attirer de nouveau à Paris le marquis qui s’était retiré chez lui en Normandie échoua à remplir ce but, le marquis persistant à offrir asile à la soi-disant religieuse chez lui au lieu de remonter à Paris, mais elle donna lieu à un des romans les plus poignants de la littérature française. C’est lui que l’abbé de Galiani a peint, sous le nom de marquis de Roquemaure, dans ses Dialogues sur le commerce des grains comme il s’est peint lui-même sous celui du chevalier Zanobi. Ceux qui ont trouvé le marquis bête, dans ces dialogues, n’ont pas fait preuve de goût et de discernement. La bêtise du marquis de Roquemaure dans ces dialogues est du même type que celle d’Alcibiade avec Socrate dans les dialogues de Platon.

Lorsque Croismare retourna enfin à Paris, en 1767, sa dévotion resta de nouveau en Normandie, mais il n’avait perdu aucun des agréments, de la gaieté, de l’enjouement et des grâces, qui lui ont tenu fidèle compagnie jusqu’au moment où il est mort, avec beaucoup de simplicité et de philosophie pratique, en dépit du flottement continuel de ses opinions. Il avait conservé toute la fraîcheur de son esprit, jusqu’au dernier moment. La plaisanterie du marquis de Croismare était un modèle de finesse et de délicatesse qui ne blessait jamais. Diderot la comparait à la flamme de l’esprit-de-vin : « Elle se promène sur ma toison, disait-il, et la parcourt sans jamais la brûler. » Sa vie a été un enchaînement de procédés nobles et généreux, d’actions justes et désintéressées, de services rendus avec autant de zèle que de simplicité et de modestie. Tout en n’ayant jamais rien fait ni rien dit comme un autre, il a cependant toujours fait et dit au mieux.

Références

  1. Ce qui l’apparente à Alexandre Dumas, né « Thomas Alexandre Davy de la Pailleterie ».

Sources


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Contenu soumis à la licence CC-BY-SA. Source : Article Marc-Antoine-Nicolas de Croismare de Wikipédia en français (auteurs)

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