Suzanne Hiltermann

Suzanne Hiltermann
Suzanne Hiltermann.


Suzanne Hiltermann, alias Touty (née le 17 janvier 1919 à Amsterdam aux Pays-Bas et décédée le 2 octobre 2001 à Desaignes en France), est une résistante française de la seconde guerre mondiale.

Touty a sauvé la vie d'un nombre important de pilotes alliés et a participé à leur réacheminement vers l'Angleterre. Suite à une dénonciation, elle est arrêtée par la Gestapo. Après des interrogatoires répétés, comportant l'usage de la torture, elle est déportée au camp de concentration de Ravensbrück. Libérée à la fin de la guerre, elle se marie avec Pierre Souloumiac. Le couple a trois enfants et s'établit à Balizy où Touty écrit ses premiers contes, dont certaines publications restent accessibles[1]. Elle traduit divers autres contes[2] et ouvrages. À la fin de sa vie, elle se retire en Ardèche.

Ses actes de résistance lui valent d'être décorée de la Presidential Medal of Freedom par le président des États-Unis.

Sommaire

Biographie

Suzanne Hiltermann, issue d'une famille de magistrats et d'industriels appartenant à la bourgeoisie hollandaise, quitte en 1939 son pays natal pour entreprendre des études de philosophie et d'ethnologie à Paris.

Seconde guerre mondiale

Peu de temps après l'Occupation allemande, elle entre en résistance. Avec Micheline Goeschel, Herman Laatsman, Jean Milleret et Léo Marc Mincovschi, elle appartient au réseau Dutch-Paris. Elle rend service à de jeunes hollandais qui veulent rejoindre l'Angleterre pour combattre et à d'autres qui fuient les persécutions raciales. Puis, elle étend ses activités de résistance au rapatriement des pilotes alliés.

Elle travaillera notamment sous les ordres du Capitaine Weidner (en). Le Capitaine Weidner est un héros hollandais de la seconde guerre mondiale distingué par plusieurs nations pour ses hauts faits. Il est notamment décoré pour avoir permis à de nombreux juifs persécutés d'échapper à une mort certaine. Israël a attribué à John Henry Weidner le titre de Juste parmi les nations et a planté un arbre à son nom à Yad Vashem. Sous son influence, un des principes essentiels du réseau est le refus de la détention et de l'emploi des armes.

Évacuation des pilotes

À partir de 1943, répondant aux priorités stratégiques données par Londres, le réseau se spécialise dans l'évacuation des pilotes tombés en France et en Europe. Des moyens importants sont mis en œuvre pour acheminer les pilotes, depuis le nord de la Hollande jusqu'en Espagne. Les forces aériennes sont le grand vecteur stratégique dont dépend l'issue de la guerre. Churchill résume l'équation par la formule : « Never in the field of human conflict was so much owed by so many to so few. »

Beaucoup d'avions sont abattus et les pilotes qui ont survécu se retrouvent seuls en divers points d'Europe. Une grande partie des pilotes tombés en Hollande, en Belgique et en France sont ramenés vers le réseau Dutch-Paris par la Résistance. Ils sont, pour la plupart, américains. Un suivi étroit est organisé pour que ces précieux combattants regagnent leurs bases. Dutch Paris informe Londres et Londres se coordonne avec Washington.

La première préoccupation est d'habiller les pilotes, de sorte à ce qu'ils ne soient pas remarqués. Comme ils sont souvent de grande taille, ce n'est pas une mince affaire. La Résistance fonctionne bien. On trouve tout au marché noir. Touty s'occupe de ces opérations : cacher les pilotes, les nourrir, leur apprendre quelques rudiments de français et se procurer de faux papiers pour permettre leur retour vers Londres le plus rapidement possible. Le réseau gère l'acheminement — souvent par l'Espagne.

Au commissariat de Drancy, Michel Duchanel a accepté de prendre en charge la fabrication des faux papiers (cartes d'identité et de rationnement) pour les pilotes, avec des tampons venus de différentes mairies de France. Des tampons provenant d'une seule commune apparaîtraient suspects. Des passeurs sont recrutés pour franchir la frontière espagnole à travers les massifs pyrénéens. Des itinéraires, des interconnexions et des relais sont mis en place.

En janvier 1944, Touty doit faire face à des afflux de pilotes alliés, américains principalement, de plus en plus denses. La difficulté est toujours de les déguiser en français ordinaires, de faire des photographies d’identité et des faux papiers ; et surtout qu'ils évitent de parler trop fort en langue anglaise. Ceux de la première vague sont : le second lieutenant Jack O. Norton, le second lieutenant Karl D. Miller, le sergent James E. Tracy, le second lieutenant Chauncey Hicks, le second lieutenant Charles O. Downe, Ernest O. Grubb, Jan Triobansky[3].

Trois autres en provenance de Bruxelles viennent les rejoindre au 11 rue Jasmin : Loral Martin, Harry D. Kratz et Herman Morgan. Puis viennent encore dix américains et deux anglais. Le réseau ne sait plus où loger tout ce monde. Grâce à l’aide d’un prêtre, des cachettes sont aménagées dans les caves de l'Ecole Normale Supérieure.

Huit autres nouveaux arrivants sont logés près de Montfermeil.

Touty et Marie France accompagnent les pilotes à la Gare d'Austerlitz où Suzy Kraay[4], qui doit assurer leur prise en charge, n'est pas là. Face aux nécessités, Touty et Marie France décident d'escorter le groupe jusqu'à Toulouse. Là, M. Moen (personnage clé du réseau dont le vrai nom est Edward Chait) qui les attend, les prend en charge pour le transfert vers l'Espagne, selon les procédures prévues[5].

La filière d'évacuation des pilotes a été décrite en détail, dans son rapport au Department of Defence, par le navigateur américain Victor Ferrari. Un résumé de ce rapport du rescapé d'un bombardier américain, tombé en Hollande près de la ville de Zwolle, figure dans l'article que consacre Wikipedia au réseau Dutch-Paris. Plus de 120 pilotes au total, selon les statistiques du ministère américain de la Défense, ont ainsi pu être sauvés et reprendre le combat.

Dénonciation

À son retour, Léo Marc Mincovschi lui annonce que Suzy Kraay a été arrêtée par la police française le 10 février. Tous deux foncent vers l'appartement de Touty, rue du Laos, pour détruire les papiers, vêtements et outils compromettants. Puis ils rejoignent Laatsman et le capitaine Weidner qui tempèrent leurs inquiétudes et se montrent rassurants : « C'est simplement une histoire de marché noir. Il n'y a rien à craindre. »

Le 26 février commence le coup de filet qui va conduire à l'arrestation de tous les membres du réseau Dutch-Paris, suite aux informations livrées par Suzy, à l'exception du capitaine Weidner qui parvient à s'échapper. Touty est arrêtée le 27 février 1944. Elle est internée à Fresnes, ensuite à Romainville, puis déportée à Ravensbrück par le convoi du 18 avril 1944[6].

Déportation

Du camp, comme le dira plus tard Michel Anthonioz rapportant les propos de sa mère, Geneviève de Gaulle, une des amies de Touty à Ravensbrück : « Elle n'en parlait jamais, mais il était présent à chaque instant ». Dans le wagon à bestiaux qui les transporte à travers l'Allemagne, Jacqueline Péry[7] se souvient que Touty était une des rares prisonnières à avoir une idée précise de ce qui les attendait. Habitant près de la frontière allemande, parlant cette langue couramment, connaissant Mein Kampf qu'elle avait lu avant que la guerre ne se déclenche, ayant entendu et compris le sens des discours du chancelier Hitler, gardant des liens étroits avec des anti-nazis, jusque dans l'ambassade d'Allemagne à Paris[8], et ayant escorté des juifs plusieurs fois à la frontière suisse, elle était bien informée de l'univers dans lequel elles entraient.

Au camp, elle demeurera dans le bâtiment occupé par les françaises. Elle exercera successivement les activités de couturière, déménageuse et bûcheronne. La vie au camp est dure (voir en particulier le témoignage détaillé de Jacqueline Péry de la Rochebrochard). Lorsque son amie et future belle sœur, Simone Souloumiac se décourage, Touty lui murmure : « Tiens bon ! Il faut que nous puissions voir la fin du film. »

Président de la Croix Rouge suédoise, le comte Folke Bernadotte est pressenti par Himmler pour discuter d'une « paix des braves » avec les Alliés. Au cours de la seconde entrevue, le Comte exige du responsable des camps de concentration la libération des déportées de Ravensbrück. Himmler lui donne finalement son accord.

Le commandant du camp Suhren obtempère, non sans difficultés. Les nouveaux ordres apparaissent contraires à ceux d'extermination totale donné par le Führer. L'opération Bernadotte est menée par un médecin suédois, le Dr Arnoldson : dix-sept autocars blancs se rangent devant l'entrée du camp le 23 avril 1945. La fin de la guerre est proche. Le commandant du camp se résigne à laisser partir trois cents miraculées françaises, hollandaises et belges, qui vont échapper à la menace de solution finale ordonnée pour toutes les internées. Elles sont ramenées jusqu'à Göteborg en passant par le Danemark, encore sous domination nazie.

Libération

Elle revient en France quelques semaines plus tard grâce à un avion de la US AIR FORCE qui la ramène à Paris. Quelque temps plus tard, Touty fait la connaissance du frère de Simone Souloumiac, sa meilleure amie du camp. Pierre Souloumiac est un miraculé des sous-marins allemands. Capitaine au long cours, il s'est spécialisé pendant toute la guerre dans le transport rapide — hors convoi — de matériel de guerre entre l'Angleterre et les États-Unis. Ils se marient le 9 février 1946. En 1951, Pierre Souloumiac cesse de naviguer et entre au Ministère de la Marine Marchande où il participe à la rédaction du Code sur le transport des marchandises dangereuses. Le couple s'installe dans une vieille ferme du hameau de Balizy, à 23 kilomètres au sud de Paris. Touty y reçoit souvent ses anciennes amies du camp, notamment Germaine Tillon. Elles ont de longs échanges sur ce qui se passe en Algérie. Leur passé les conduit à favoriser le parti de l'indépendance.

C'est à Balizy que Touty compose ses contes pour enfants. Son mari meurt le 3 février 1956. Elle traverse alors une période difficile. Touty devient correspondante pour la France du modifier] Chine

En 1959, elle rencontre le baron Albrecht Van Aerssen, un diplomate néerlandais. Ils se marient à La Haye le 1er avril 1960. Van Aerssen est nommé à Hong Kong, où il exerce les fonctions de consul général au service de la Couronne néerlandaise. En 1963, Touty reçoit la visite de Bernard Anthonioz, conseiller d'André Malraux. Les conversations portent notamment sur la reconnaissance de la Chine par la France. Touty, dont le beau-père est à l'origine de la reconnaissance de la Chine communiste par les Pays-Bas, soutient avec force la reconnaissance de la Chine par la France. Les discussions vont si loin que le nom du premier ambassadeur est évoqué (Lucien Paye[9]).

Pour l'éducation des enfants de la petite colonie française, Touty fonde une école en 1963. Au démarrage, cette école n'occupe que trois pièces, le matin, dans les locaux de l'Alliance française. Elle fonctionne avec quelques enseignants bénévoles, dont la plupart viennent du consulat de France. Le Commandant Houël s'occupe des mathématiques. Le Révérend Père Chagny y enseigne les cours de littérature. Jean-Pierre Angremy en sera le premier professeur d'histoire.

Avec le soutien structuré des cours par correspondance du CNTE de Vanves, petit à petit, l'école prend souche et grandit : 1 200 élèves étudient à présent au lycée Victor Segalen de Hong Kong, le plus grand lycée français d'Asie[10].

Ardèche

En février 1964, Touty et ses enfants quittent l'enclave britannique à bord du Laos, paquebot affrété par les Messageries maritimes. La même année, Touty divorce du Baron Van Aerssen. De retour à Balizy, Touty s'investit dans les événements de Mai 68. Étudiante en chinois, elle noue de nombreuses et solides amitiés à l'université de Jussieu.

Les Van Waveren lui font découvrir l'Ardèche. Elle s'y installe définitivement à partir de 1981. Là, aux Baux du Peyron à Desaignes, elle commence une nouvelle vie. Enchantée par les habitants, qui sont d'authentiques résistants - Chambon-sur-Lignon est à deux pas de là. Enivrée par les paysages, qui lui rappellent la Chine - les montagnes environnantes flottent souvent sur les nuages comme on le voit sur les scrolls chinois. Pleine d'espoir pour ce monde de la communication qu'ouvrent les satellites et les ordinateurs - le rideau de fer disparaît - la citoyenneté mondiale se développe. Elle se passionne pour les travaux que son fils, Alain Souloumiac, consacre au maintien de la paix, à l'harmonisation des législations nationales et au développement durable. C'est sur cette terre d'Ardèche qu'elle choisit de mourir et que ses cendres furent dispersées.

Bibliographie

  • (en) Herbert Ford, Flee the Captor, Hagerstown, Review and Herald Pub Assoc, 1966, poche, 373 p. (ISBN 978-0-8280-0882-2) .

Sources

  1. S. Souloumiac, « Le Chemin perdu », in Rachel du vert bocage et autres contes et nouvelles, Le soutien par le livre, 1983
  2. http://bib.tarn.fr/scripts/opsys.asp?MODULE=3W9501&NOTICE=0149554&ETAPE=E2&NUMORDRE=54
  3. http://commons.wikimedia.org/w/index.php?title=File%3AHilterman_NARA_298-290-55-35-4_Box_406_Weidner-1-.pdf&page=1
  4. Flee the Captor.
  5. Flee the Captor, p. 272.
  6. Transport parti de Paris le 18 avril 1944 (I.204.)
  7. http://larochebrochard.free.fr/perydalincourt.htm
  8. Voir le livre de Karl-Heinz Gertstner intitulé Sachlich, kritisch, optimistich (publié aux éditions ost en 1999) pp. 146 et ss où l'auteur décrit ses relations avec la résistance française et avec Suzanne Hiltermann.
  9. Claude Chayet - premier représentant de la France à Pékin en 1964 - charles-de-gaulle.org.
  10. Lycée Français International - Consulat général de France à Hong Kong et Macao

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