Tour d'extensions quadratiques

Tour d'extensions quadratiques

En mathématiques et plus particulièrement en algèbre, dans le cadre de la théorie de Galois, une tour d'extensions quadratiques est une suite de corps L0, L1, ...,Ln ayant les propriétés suivantes : si i est un entier entre 1 et n alors Li-1 est inclus dans Li et Li est une extension quadratique de Li-1.

Une tour d'extensions quadratiques possède en général des propriétés fortes. Si le corps de base n'est pas de caractéristique deux alors c'est une extension algébrique finie et séparable.

Le concept de tour d'extensions quadratiques est celui qui permet de démontrer le théorème de Wantzel et de clore trois des grandes questions ouvertes des mathématiques de l'antiquité, à savoir la duplication du cube, la trisection de l'angle et d'élaborer la liste des polygones réguliers constructibles à la règle et au compas.

Sommaire

Motivation

Historiquement, c'est l'analyse des polynômes cyclotomiques par Carl Friedrich Gauss (1777 1855) qui introduit l'origine de l'idée d'une tour d'extensions quadratiques. Dans son livre Disquisitiones arithmeticae publié en 1801, il rédige une méthode de résolution du polynôme cyclotomique d'une racine primitive dix-septième de l'unité et en déduit une construction à la règle et au compas de l'heptadécagone c’est-à-dire le polygone régulier à dix-sept côtés.

Les progrès réalisés par Evariste Galois (1811 1832) permettent alors une compréhension beaucoup plus profonde des extensions algébriques. Plusieurs résultats sur la construction à la règle et au compas deviennent alors démontrables. Il suffit d'établir la relation entre un nombre constructible et une tour d'extensions quadratiques. En fait un nombre est constructible si et seulement s'il est élément d'une tour d'extensions quadratiques dont le premier élément est le corps des nombres rationnels.

Pierre-Laurent Wantzel (1814 1848) dans un article de 1837 intitulé Recherches sur les moyens de reconnaître si un problème de Géométrie peut se résoudre avec la règle et le compas formalise le concept de tour d'extensions quadratiques et établit la relation avec les nombres constructibles. Cette technique ne traite néanmoins que des extensions finies. Le dernier problème antique, à savoir la quadrature du cercle demande le développement d'autres techniques, sur les nombres transcendants pour pouvoir être résolu. Ce résultat sera démontré en 1882 par Ferdinand von Lindemann (1852 1939).

Si la notion d'extension quadratique se marie harmonieusement avec les racines primitives de l'unité constructibles, dans le cas général, elles ne sont pas des extensions de Galois, en conséquence leur utilité est essentiellement restreinte à la compréhension des propriétés des nombres constructibles.

Définition

Soient K un corps commutatif, Ω sa clôture algébrique et Lii parcourt l'ensemble des entiers de 0 à n une suite d'extensions de K telle que L0 soit égal à K. Ici toutes les extensions sont identifiées à un sous-corps de Ω. Ces notations sont reprises dans toute la suite de l'article.

  • La suite Li est dite tour d'extensions quadratiques sur K si pour tout i entier de 1 à n, Li contient Li-1 et est une extension quadratique de Li-1.
  • Une extension de K telle que toute équation du deuxième degré admette au moins une racine et soit contenue dans toutes les extensions de Ω ayant cette propriété est dite clôture quadratique. Sur le corps des nombres rationnels, ce corps est généralement appelé corps des nombres constructibles.
  • Un nombre complexe est dit constructible s'il est élément d'une extension quadratique dont le corps de base est celui des nombres rationnels.

Remarque 1 : comme il est remarqué dans l'article extension quadratique, la théorie de Galois présente l'essentiel de ses résultats si les extensions sont séparables. C’est-à-dire si les polynômes minimaux à coefficients dans le corps de base sont séparables c’est-à-dire n'ont pas de racines multiples. C'est le cas ici si la caractéristique de K est différente de deux. Dans toute la suite de l'article, cette hypothèse est supposée vérifiée.

Remarque 2 : une autre définition des nombres constructibles est donnée dans l'article Nombre constructible. Si le plan euclidien est identifié au plan complexe alors les deux définitions sont équivalentes comme indiqué dans l'article.

Exemples

Toute extension quadratique (comme le corps des nombres complexes sur les nombres réels, ou le corps engendré par la racine carrée de deux sur le corps des nombres rationnels) est une tour (à un seul élément) d'extensions quadratiques, mais la notion de tour n'est pas vraiment pertinente dans ce cas : le concept d'extension quadratique est suffisant.

Soit n un entier tel que sa fonction indicatrice d'Euler soit un nombre premier de Fermat ; alors l'extension cyclotomique d'une racine primitive de l'unité se décompose en tour d'extensions quadratiques. Ce résultat est établi dans l'article Théorème de Gauss-Wantzel pour les cas cinq et dix-sept. Il est établi de manière générale dans le paragraphe sur les propriétés des tours d'extension quadratique.

Soient a un entier et r une racine p-ième de a telle que p soit une puissance de deux. Alors a est inclus dans une tour d'extensions quadratiques de longueur p. En effet, si p est noté p = 2n alors une simple récurrence sur n permet de conclure. Si n est égal à 1 alors r est racine de l'équation X2 - a donc r est élément d'une extension quadratique et donc d'une tour d'extensions quadratiques. Supposons le résultat établi à l'ordre k et que n soit égal à k+1. Alors par hypothèse de récurrence, la racine carré s de r est élément d'une tour d'extensions quadratiques, L0, ...,Lk. Or r est solution de l'équation X2 - s, r est donc élément d'une extension quadratique de Lk que l'on note Lk+1. Ce qui démontre le résultat. En revanche, cette extension ne contient pas toutes les bonnes propriétés. Elle n'est pas normale dans le cas général. Considérons le cas où n est égal à deux. Deux des quatre racines du polynôme minimal de la racine quartique de deux sont complexes, or l'extension ne l'est pas.

Propriétés

  • Une tour d'extensions quadratiques est séparable si le corps est de caractéristique différente de deux.
  • Une tour d'extensions quadratiques est de dimension 2n où n est le nombre d'extensions emboitées.
  • Soit P[X] le polynôme minimal d'un élément d'une tour d'extensions quadratiques, alors son degré est une puissance de deux.
  • Toute extension de Galois dont la dimension est une puissance de deux est une tour d'extensions quadratiques.

Dans le cas général une tour d'extensions quadratiques n'est pas galoisienne. Les automorphismes de l'extension dans la clôture quadratique n'ont pas toujours pour image un élément de l'extension, comme illustré dans le troisième exemple.

Applications

Les propriétés précédentes permettent alors de résoudre trois des problèmes de l'antiquité.

  • La duplication du cube n'a pas de solution constructible à la règle et au compas.

La duplication du cube demande la résolution de l'équation algébrique X3 - 2 = 0. Cette équation n'admet pas de racine rationnelle et est de degré trois, le polynôme associé est donc irréductible. Or trois n'est pas un diviseur d'une puissance de deux. La solution, c’est-à-dire la racine cubique de deux n'est donc pas un nombre constructible.

  • La construction à la règle et au compas d'un polygone ayant un nombre de côtés différent d'une puissance de deux que multiplie des nombres de Fermat distincts est impossible.

La construction d'un polygone régulier de n côtés revient à expliciter une racine p-ième primitive de l'unité. « Primitive » signifie ici que cette racine engendre toutes les autres. Or le polynôme minimal d'une racine p-ième primitive de l'unité a pour degré une puissance de deux si et seulement si p est produit d'une puissance de deux et de nombres premiers de Fermat distincts. Cette proposition est démontrée dans l'article polynôme cyclotomique. Ce qui permet de dresser la liste des polygones réguliers constructibles.

  • La construction à la règle et au compas d'un polygone ayant un nombre de côtés égal à une puissance de deux que multiplie des nombres de Fermat distincts est possible.

L'article sur le polynôme cyclotomique montre que le corps de décomposition d'une racine primitive est une extension abélienne dont la dimension est une puissance de deux. Les conditions sont alors réunies pour affirmer qu'une racine primitive est alors élément d'une tour d'extensions quadratiques et est donc constructible.

  • la trisection de l'angle n'a pas de solution constructible à la règle et au compas dans le cas général.

Il existe des cas particulier où la trisection est réalisable. Par exemple l'angle de mesure 2.π est divisible en trois parties égales, ce qui permet de construire un triangle équilatéral.

On remarque que neuf n'est pas dans la liste des polynômes constructibles. Celui à trois côtés l'est. Il n'est donc pas possible de réaliser la trisection de l'angle 2.π / 3. Il n'existe donc pas dans le cas général de possibilité de réaliser une trisection d'angle.

Clôture quadratique

  • L'ensemble des nombres constructibles possède une structure de corps. Ce corps est algébrique.

Il suffit de montrer que si x et y sont constructibles, alors leurs somme, produit, inverses et opposés le sont. Il existe une démonstration graphique donnée dans l'article nombre constructible ; nous proposons ici une démonstration algébrique.

Soit L1x, ...,Lnx (respectivement (L1y, ...,Lmy)) la tour d'extensions quadratiques de x (respectivement y). Alors il existe une suite yj telle que Ljy soit égal à Lj-1y(yj). Notons alors la suite (Fjy) de corps définie par L0y est égal à Lnx et Fjy est égal à Fj-1y(yj ). C'est une suite croissante de corps où chaque élément est soit égal au précédent soit une extension quadratique. Il est donc possible d'en extraire une sous-suite définissant une tour d'extensions quadratiques. Le dernier élément de cette tour contient les éléments cités dans la proposition. Ce qui termine la démonstration.

Tout corps dont tous les éléments ont une racine carrée, c’est-à-dire tel que tout polynôme du deuxième degré est scindé, contient le corps des nombres constructibles. En conséquence, la proposition suivante est vérifiée:

  • L'ensemble des nombres constructibles est la plus petite clôture quadratique de K.
  • La plus petite clôture quadratique du corps des nombres rationnels est une extension algébrique de dimension infinie.

Tout élément de cette clôture est constructible et tout nombre constructible est algébrique, l'extension est donc algébrique. Soit une tour d'extensions quadratiques ; il est toujours possible de lui adjoindre un nouveau corps qui est l'extension associée à un polynôme du type X2-aa est un élément de la dernière extension de la tour et n'ayant pas son carré dans cette extension. Ce procédé permet d'exhiber une tour dont le dernier élément est de dimension double de la précédente. En conséquence quel que soit n il existe une extension de dimension 2n. Ce qui montre que la clôture n'est pas de dimension finie.

  • La seule tour d'extensions algébriques des nombres réels est de dimension deux. Cette extension est isomorphe au corps des complexes.

La démonstration est donnée dans l'article Théorème de d'Alembert-Gauss ; elle est une étape d'une démonstration possible du fait que les complexes forment un corps algébriquement clos.

Voir aussi

Liens externes

Références

  • Jean-Claude Carrega, Théorie des corps - La règle et le compas [détail des éditions]
  • Serge Lang, Algèbre [détail des éditions]
  • Pierre Samuel, Théorie algébrique des nombres [détail des éditions]

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Contenu soumis à la licence CC-BY-SA. Source : Article Tour d'extensions quadratiques de Wikipédia en français (auteurs)

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