Cambodge Colonial

Cambodge Colonial

Cambodge colonial

En octobre 1887, la France proclame l'Union indochinoise comprenant Cambodge et les trois régions constitutives du Viêt Nam : Tonkin, Annam, et Cochinchine « Kampuchea Krom » . Le Laos fut ajouté à l’union après avoir été séparé de la Thaïlande en 1893. Le chef colonial officiel, responsable auprès du gouverneur général de l’union et appointé par le ministère de la marine et des colonies à Paris, était le Résident Supérieur. Les résidents ou gouverneurs locaux étaient postés dans tous les centre principaux des provinces. En 1897 le résident général se plaint à Paris que le roi Norodom Ier ne pouvait plus assumer et reçu la permission d’émettre les décrets, collecter les taxes et nommer les fonctionnaires royaux. Norodom et ses successeurs n’étaient plus que des fantoches et le chef religieux bouddhiste. La bureaucratie coloniale augmenta rapidement. Les Français tenaient les postes les plus haut placés mais même dans les postes moins interessant les Cambodgiens trouvaient peu d’ouverture car le gouvernement colonial préférait embaucher les Vietnamiens.

Quand Norodom mourut en 1904 les Français firent le transfert du trône plutôt qu’à ses enfants, à son frère Sisowath Yuthevong (1904-1927). La branche de Sisowath était estimée comme plus coopérative car la première était considérée comme en partie responsable pour la révolte des années 1880 et le fils favori de Norodom, le Prince Yukanthor, s’était plaint publiquement des injustices de la colonisation. Pendant leur règne généralement pacifique, Sisowath et son fils Monivong (1927-1941) collaborèrent. Une mesure du statut des monarques était leur pension en opium. L’une des actions les plus importante du règne de Sisowath fut le succès de la France de faire signer la Thaïlande du roi Chulalongkorn un nouveau traité en 1907 pour rendre les provinces du nord-ouest de Battambang et Siemreab au Cambodge.

Sommaire

Un protectorat chétif

Le Cambodge, ou plus précisément l'État cambodgien, ne doit sa survie qu'au conflit des impérialismes français et anglais du siècle dernier. L'empire khmer de la période angkorienne (VIIIe-XIVe siècle) exerça longtemps son hégémonie sur l'Indochine, avant de céder peu à peu devant les coups de boutoir que lui portait un peuple descendu des confins chinois, les Thaïs. L'État khmer, sans doute épuisé par ses grands travaux et son mode d'exploitation des sols, entra dans une décadence continue que mirent à profit ses puissants voisins, les Thaïs, au Nord-Ouest, et les Viets, au Sud, qui envahirent les provinces khmères de Cochinchine, vieille terre hindouisée, au 18ème siècle. La décadence s'était faite léthargie. Un roi sans pouvoir et sans argent ne pouvait s'opposer à ces deux impérialismes rivaux sans leur faire, à chaque crise, des concessions irrémédiables. Pour échapper à la menace qui se précisait d'un condominium siamo-vietnamien, il ne restait au monarque cambodgien qu'à se placer sous la tutelle des Français. Ces derniers, qui avaient débarqué en Cochinchine, mirent quelque temps à répondre aux avances de la cour khmère pour, finalement, établir leur protectorat sur le Cambodge en 1864.Les Français cherchaient à l'époque une voie de pénétration vers la Chine méridionale Le Mékong leur apparut longtemps comme l'axe le plus propice à leurs visées, mais la géographie devait bientôt les détromper. Ils reportèrent alors leurs efforts sur le Fleuve Rouge, dans le Nord du Viêt Nam. La "protection" française devait tenir les Thaïs (appelés aussi Siamois) en respect, de façon d'ailleurs relative. Les stratèges coloniaux français voyaient dans le royaume khmer une région tampon entre le riche Delta du Mékong, où ils étaient solidement installés, et l'expansionnisme siamois, activement soutenu par la Grande-Bretagne qui voyait avec humeur les Français prendre pied en Extrême-Orient.

La faute du Cambodge fut d'être pauvre. Après vingt ans d'administration indirecte, les autorités du Protectorat voulurent rationaliser le système d'exploitation et l'étendre au pays tout entier. Sous la menace des canonnières ancrées à quelques encablures du Palais Royal, les Français obligèrent le roi Norodom à signer, en 1884, une convention par laquelle il abandonnait la réalité de ses pouvoirs aux mains des administrateurs français. Le pays commença à s'agiter et six mois plus tard, au début de 1885, une insurrection éclata. Des petites bandes tenaient la campagne, harcelaient les postes français et les colonnes envoyées pour les dégager. Peu sûrs de leurs troupes locales, les militaires français firent venir des renforts de tirailleurs «annamites», c'est-à-dire vietnamiens, mais en nombre limité parce que l'empereur de Hué, Ham Nghi, venait de prendre, lui aussi, le maquis et menait la vie dure aux colonnes françaises qui le pourchassaient dans les provinces du Centre Viêt Nam. Les Français tenaient solidement les rives du Mékong, grâce à leurs canonnières, mais l'arrière-pays était devenu dangereux. Ils durent même, à un moment, songer à fortifier Phnom Penh.

Les insurgés avaient à leur tête des notables et des mandarins, parfois même des princes, qui, légalement, semblaient se révolter contre l'autorité royale. Ce dernier leur fournissait un appui discret. Il savait que la moindre preuve de cette complicité suffirait aux Français pour l'envoyer en exil. L'étude attentive des événements, région par région, montre qu'il s'agissait d'une véritable guérilla populaire, soutenue par la complicité générale, à laquelle participaient d'ailleurs aussi bien des Chinois et des Vietnamiens, surtout dans les provinces frontalières. Après une accalmie pendant le temps des moissons, l'insurrection reprit de plus belle en 1886. Les autorités françaises, à court d'argent (les paysans ne payaient plus les impôts), ayant perdu plusieurs milliers d'hommes, surtout du fait des maladies, se résolurent à négocier avec le roi Norodom qui les attendait là. Il obtint la restitution de ses pouvoirs, appela les insurgés à déposer les armes et à se ranger sous son administration, ce qu'ils firent avec plus ou moins de réticences. L'accord de 1886 n'était qu'une étape dans la lutte sourde qui opposait les autorités coloniales à la monarchie et à la population cambodgiennes. Il ne s'agissait pour la monarchie que d'une victoire à la Pyrrhus: elle sauvait son autorité face aux colonisateurs en s'appuyant sur les forces populaires qu'elle devait ensuite réprimer pour maintenir cette même autorité que les Français, vingt ans plus tard, allaient vider de son contenu. Isolée du peuple, prisonnière de l'administration coloniale, la monarchie khmère, dès lors manipulée par les proconsuls français, n'allait plus être, pour longtemps qu'une forme sans pouvoir.

Les années 1885-1886 sont celles de la dernière grande insurrection populaire au Cambodge, dirigée contre les envahisseurs occidentaux. Ne fût-ce qu'à ce titre, le parallèle avec l'insurrection de 1970 s'imposerait: dans les deux cas, ce sont les mêmes régions qui se soulèvent d'abord; c'est l'ouest du pays, entre Phnom Penh et le Viêt-Nam; les bases de guérilla sont dans les mêmes zones: chaînes des Cardamomes et de l'Éléphant, forêt au nord de Kompong Cham, contreforts des hauts plateaux, vers Tây Ninh et Kratié. Dans les deux cas, une partie des élites locales rejoignent le maquis en restant nominalement sous l'autorité du souverain. Les Occidentaux commettent les mêmes erreurs, s'appuient sur les mêmes collaborateurs locaux, corrompus et souvent suspects de jouer double jeu. Les mêmes arguments sont échangés au parlement de la métropole entre les tenants et les adversaires de l'intervention militaire. L'histoire quand elle se répète devient, selon Marx, bouffonne. Pas en Indochine.

La déconvenue des Français fut bientôt évidente. Ils avaient espéré des richesses qui n'existaient pas; ils s'étaient certes fait octroyer, dès le début, la ferme des jeux et le monopole de l'opium, mais les Cambodgiens semblaient peu pressés de s'y adonner. La production artisanale restait stagnante, les ressources agricoles semblaient dérisoires comparées à celles du Delta du Mékong dont l'exploitation était alors en cours de rationalisation sous la tutelle française. Ainsi, à l'usage, le marché se révélait indolent. Les Cambodgiens, satisfaits de leur sort matériel, sans grand besoin, cultivaient pour vivre et fort peu pour vendre. Ce qui avait fait la pauvreté de la monarchie allait entretenir l'indigence de l'administration coloniale. On se désintéressa du Cambodge. On y envoya les fonctionnaires incapables, paresseux, mal notés; on leur adjoignit des subalternes vietnamiens, mieux rompus à la pratique des bureaux. Il y avait d'ailleurs dans le pays une notable minorité vietnamienne de marchands, de cultivateurs et de pêcheurs. Dans l'ensemble, cette administration s'occupa surtout de somnoler; on laissa l'artisanat [13] péricliter, on octroya les "terres rouges" à des compagnies françaises d'hévéaculture, qui firent venir leur main-d'oeuvre du Tonkin en utilisant des méthodes particulièrement brutales4; la construction de routes, d'hôpitaux ou d'écoles fut négligée; l'économie y fut coloniale à l'intérieur de l'ensemble colonial: «Le rôle économique du Cambodge dit un document de la Résidence supérieure, en 1942 consiste en partie à ravitailler le marché de Saigon-Cholon et secondairement de l'Indochine entière, en produits agricoles ainsi qu'en matières premières qui sont exportées, ou lui sont parfois retournées sous forme de produits finis ou demi-finis."

À aucun moment en effet l'administration française ne pouvait concevoir le Cambodge comme autre chose qu'un arrière-pays: l'absence de port, la configuration des routes en témoignent; certaines régions du pays, comme l'actuelle province de Ratanakiri n'étaient accessibles, à l'époque, qu'à partir du Viêt Nam. Et Phnom Penh, jolie petite ville provinciale, sommeillait à 300 km, par une fort bonne route, de Saigon, la grande métropole coloniale. Les Cambodgiens ne semblaient guère en concevoir d'amertume; ils vivaient, pour le plus grand nombre, dans l'ignorance du monde extérieur, ignorance entretenue par les bonzes dont l'enseignement et le savoir dépassaient rarement la psalmodie de quelques vieux textes consacrés. Le sentiment national existait, certes, mais il ne bouillonnait pas. Les grands symboles identificatoires, la religion et le trône, restaient apparemment en place. Le domaine privilégié de l'ingérence coloniale était l'administration. Les impôts, que les monarques faisaient autrefois lever par des mandarins souvent cupides s'étaient beaucoup alourdis à mesure que le contrôle français s'était resserré sur le pays. Cette soudaine pression engendrait dans le pays un besoin nouveau de signes monétaires. L'introduction de la monnaie coloniale, qui était "chère", dépréciait les anciennes sapèques. L'impôt était excessif et ne pouvait pas toujours être acquitté. Des jacqueries éclatèrent. On fit donner la troupe. Seul refuge des désespérés, des insolvables et des pourchassés, le banditisme traditionnel restait florissant en dépit de la paix française. Les montagnes et les jungles fournissaient des abris inexpugnables. Leurs maigres ressources rançonnées, les paysans ne dédaignaient pas toujours de razzier quelque village voisin pour se refaire. Pris, les bandits étaient décapités. Ainsi allaient les choses dans une campagne au demeurant fort pacifique.

Dans les années 30 pourtant apparut un petit groupe d'intellectuels formés à l'occidentale chez qui l'idée nationale commença à faire son chemin. Plusieurs étaient des Khmers krom, c'est-à-dire des Khmers de Cochinchine, qui, profitant de la vive effervescence qui caractérisait Saigon, étaient peut-être mieux situés pour s'imbiber là des grands courants du nationalisme asiatique qu'à Phnom Penh, la provinciale Le plus éminent d'entre eux, Son Ngoc Thanh, Khmer Krom né à Tra Vinh au Viêt Nam, vint s'installer à Phnom Penh et travailla à l'Institut bouddhique, nouvellement créé. Il lança un journal, Nagaravatta ("Notre cité") dont le succès suscita une inquiétude montante parmi les responsables français. L'agitation, latente à partir de ce moment-là à Phnom Penh, culmina en 1943 après l'arrestation d'un professeur de l'Institut bouddhique, Hem Hieu, dont les écrits stigmatisaient le régime colonial. De grandes manifestations eurent lieu: les bonzes y furent nombreux à brandir le manche noueux de leurs ombrelles. Des centaines d'arrestations furent effectuées. Hem Hieu fut déporté au bagne de Poulo Condore, où il mourut. Son Ngoc Thanh s'enfuit au Japon, où, pendant deux ans, il reçut à l'Ecole de la Grande Asie Orientale la formation que les Nippons donnaient à leurs séides étrangers.

En 1941, l'administration française eut à résoudre le problème de la succession au trône. Des deux branches de la famille royale, les Norodom et les Sisowath, les Français, depuis la mort du vieux roi Norodom en 1904, avaient toujours favorisé les Sisowath, considérés comme plus dociles et plus dévoués aux intérêts français. Mais, en 1941, le successeur le plus probable, Sisowath Monireth, inclinait un peu trop vers les idées d'indépendance. L'amiral Decoux, gouverneur général de l'Indochine, fit alors porter son choix sur un tout jeune homme, rejeton à la fois des deux branches de la famille royale, qui, pour l'heure, était lycéen à Saigon, Norodom Sihanouk.Le Cambodge n'avait pas d'école secondaire, Norodom Sihanouk a été pensionnaire au Lycée Chasseloup Laubat à Saigon. Le jugeant influençable et noceur, on le fit monter sur le trône sans autre forme de procès. L'occupation japonaise, installée avec l'accord de Vichy puis le coup de force de mars 1945 amenèrent la ruine complète et la disparition de l'administration coloniale dans toute l'Indochine française 7. Comme ailleurs en Asie, les Japonais poussèrent les nationalistes locaux à proclamer l'indépendance, ce que le roi Sihanouk fit aussitôt. Mais cette proclamation ne résolvait rien. Aucune force politique ne pouvait prétendre utiliser cette indépendance pour mobiliser la paysannerie, comme au Viêt Nam, à Java ou à Luçon. Les milieux dirigeants, c'est-à-dire l'aristocratie et quelques poignées de hauts fonctionnaires, se divisèrent sur la politique à suivre. Sihanouk et Monireth étaient partisans de rester sous l'aile française, quitte à obtenir une évolution graduelle vers l'indépendance. Un autre courant, animé par Son Ngoc Thanh, était partisan d'une rupture complète avec l'ancienne puissance coloniale. S'alignant complètement sur les Japonais qui régissaient le pays par l'intermédiaire de leur gendarmerie, la Kampetaï, et de leurs sociétés secrètes, Son Ngoc Thanh réussit avec leur aide un coup d'État qui le fit Premier ministre, quelques jours avant la capitulation japonaise d'août 1945. Le moment n'était guère choisi. Sihanouk qui, entretemps, avait rétabli la monarchie absolue et jalousait la grande popularité de Son Ngoc Thanh, fit discrètement appel aux forces anglo-françaises qui venaient de réoccuper Saigon. En octobre 1945, elles arrivèrent à Phnom Penh, parachutées sur ordre du général Leclerc. Elles arrêtèrent Son Ngôc Thanh et l'exilèrent en France; sa popularité devait lui éviter le poteau d'exécution. Diverses négociations entre les autorités françaises, le roi et les nouveaux leaders du courant nationaliste, comme le prince Sisowath Youtevong, aboutirent à l'octroi au Cambodge du statut d'un «État autonome au sein de l'Union française» (janvier 1946). Mais il ne s'agissait là que d'un très mince écran de fumée derrière lequel les autorités coloniales continuaient à tirer les ficelles et à garder la haute main sur toutes les décisions importantes, en particulier sur toutes celles qui touchaient l'ordre public.

L'économie coloniale

Peu après avoir établi leur protectorat en 1863 les Français réalisèrent que la richesse cachée du Cambodge était une illusion et que Phnom Penh ne serait jamais le Singapour de l’Indochine. À part obtenir les taxes plus efficacement ils firent peu pour changer la structure basée sur le village. Les Cambodgiens payaient le taux de taxes par tête le plus élevé d’Indochine et en 1916 une protestation non violente de plusieurs milliers de paysans dans la capitale apporta une pétition au roi pour une réduction. Cet incident choqua l’administration coloniale qui s’était imaginée que les Cambodgiens étaient trop indolents et individualistes pour organiser une protestation collective. Le taux de taxes continua à être considéré comme abusif. En 1925 des villageois tuèrent un résident français qui menaçait de faire arrêter les délinquants. Pour les paysans pauvres le service de la corvée - un substitut aux impôts - obligeait à participer jusqu’à trois mois par an sur des travaux publics.

Suivant Hou Yuon (un vétéran du mouvement communiste qui fut assassiné par les Khmers Rouges après qu’ils eurent pris le pouvoir en 1975), l’usure augmentait sensiblement la charge des taxes. La thèse doctorale à l’Université de Paris en 1955 fut l’une des premières et des plus complètes études sur les conditions de vie dans les zones rurales pendant la période coloniale. Il argumentait que bien que la plupart des exploitations agricoles étaient petites (de un à cinq hectares) les paysans pauvres et des classes moyennes étaient victimes de pratiques usuraires qui incluaient des taux d’intérêts effectifs de 100 à 200 pour cent. Le défaut de paiement les réduisait au statut de prolétaires ou de main d'œuvre. Bien que l’esclavage pour dettes et la féodalité étaient formellement interdits les élites anciennes contrôlaient toujours la campagne. Suivant Hou, les grandes fermes féodales à cause de leur caractère précapitaliste étaient déguisées en unités plus petites sous la forme de location et de divisions les rendant impossibles à distinguer des véritables. Que oui ou non la campagne fut polarisée en termes de classes sociales est ouvert au débat mais il est clair qu’il y avait une grande tension et conflit malgré les sourires et les manières décontractées des villageois.

Pour développer l’infrastructure économique l’administration construisit un certain nombre de routes et de lignes de chemin de fer notamment celles reliant Phnom Penh à travers Batdambang à la frontière thaïlandaise. Les plantations d’hévéa et de maïs étaient très importantes et les provinces fertiles de Batdambang et Siemrab devinrent des greniers à riz de l’Indochine. Les années 1920 furent très prospères avec la demande extérieure mais la grande dépression cassa l’expansion.

L’industrie resta rudimentaire et seulement pour traiter les matières premières comme le caoutchouc. L’immigration fut importante qui créa une société comparable à beaucoup de pays du sud-ouest de l’Asie avec une portion importante de Vietnamiens qui étaient de petits entrepreneurs. Les Chinois vivaient depuis plusieurs siècles et dominaient le commerce local et ils étendirent leurs réseaux de banques.

L'émergence du nationalisme

En net contraste avec la Cochinchine voisine et les autres territoires peuplés de Vietnamiens, le Cambodge fut assez calme politiquement pendant les quatre premières décennies du XXe siècle. La fiction prudemment maintenue du pouvoir royal fut un facteur important car légitime. Le faible taux de ceux qui étaient instruits politiquement, que l’administration ne souhaitait pas augmenter, les maintenaient hors des courants nationalistes qui balayaient le reste du sud ouest de l’Asie.

Néanmoins, la conscience nationaliste émergeait de la poignée de ceux qui étaient l’élite. La restauration des monuments à Angkor éveillaient la fierté dans leur culture et leurs réussites du passé. Beaucoup dans cette nouvelle élite étaient diplômés du lycée Sisowath à Phnom Penh, où régnait un certain mécontentement pour la discrimination positive en faveur des étudiants vietnamiens, et commencèrent à publier en 1936 le premier journal en langage khmer Nagaravatta (Angkor Wat) par Son Ngoc Thanh et Pach Choeun qui dénonçaient la mainmise des vietnamiens.

Les Khmers furent heureux d’éviter les souffrances de presque tous les autres peuples de la région pendant la Seconde Guerre mondiale. Après l’établissement du régime de Vichy en France en juin 1940, les forces japonaises entrèrent au Tonkin (septembre). Les violents combats qui s'ensuivirent laissèrent des centaines de morts et de blessés (700 morts japonais,300 morts français) mais surtout un profond malaise chez les autorités Françaises forcées d'admettre la faiblesse extrême de leurs défenses. Les Japonais profitèrent de ces actes, qualifiés par eux-mêmes "de regretables incidents dû à l'insubordination de l'armée de Canton", pour exiger l'installation de leurs troupes à certains points stratégiques en Indochine. Le 23 juillet 1941, un ultimatum permit aux Japonais de contrôler tout le sud de l'Indochine Française (terrains d'aviation et base aéronavale de Cam-Ranh). Ils entrèrent ainsi au Cambodge mais ne touchèrent pas à l’administration coloniale. Le régime pro-japonais en Thaïlande, avec à sa tête le maréchal Phibunsonggram, exigea qu’en cas d’arrêt de la souveraineté française les territoires qui étaient autrefois à son pays lui seraient rendus. Devant le refus Français, une force thaïlandaise envahit le Cambodge. La guerre sur terre fut indécise mais les Français eurent une victoire indiscutable sur la marine thaï dans le golfe de Thaïlande (Bataille de Koh Chang). À ce moment Tokyo intervint en "médiateur" et obligea les autorités françaises à signer un traité cédant la province de Batdambang et une partie de celle de Siemrad à la Thaïlande pour une compensation symbolique. Le Cambodge gardait Angkor. L’agression thaïlandaise eu un impact minimal sur les vies de la population en dehors des provinces de l’ouest.

Le roi Monivong mourut en avril 1941. Bien que son fils, le prince Monireth fusse son héritier, l’administration coloniale choisit plutôt Norodom Sihanouk, l’arrière petit fils du roi Norodom. Son jeune âge (19 ans) et sa francophilie apparente expliquant peut-être ce choix.

L’appel des Japonais pour « l’Asie aux Asiatiques » trouva une audience réceptive parmi les nationalistes cambodgiens, bien que la politique de Tokyo en Indochine était de laisser nominalement l’autorité coloniale. Quand un moine bouddhiste actif politiquement Hem Chieu, fut arrêté et déshabillé sans cérémonie par l’administration en juillet 1942, les éditeurs de Nagaravatta menèrent une démonstration pour demander sa libération. Eux, comme les autres nationalistes, apparemment avaient surestimés la volonté japonaise de les soutenir, ce qui permit aux autorités de Vichy de les arrêter et de condamner Pach Choeun, l’un des éditorialistes à la prison à vie. L’autre s’enfuit et on le retrouva l’année suivante à Tokyo.

Dans un effort désespéré de recruter du support local dans les derniers mois de la guerre, les Japonais prirent le contrôle de l'Indochine le 9 mars 1945 et pressèrent le Cambodge de déclarer son indépendance dans la Sphère de coprospérité la grande Asie orientale. Pour quatre jours le roi Sihanouk déclara un Kampuchea indépendant. Son Ngoc Thanh revint de Tokyo en mai et fut nommé ministre des affaires étrangères. Le 15 août 1945 il fut nommé premier ministre. Quand une force des Alliés occupa Phnom Penh en octobre, Thanh fut arrêté pour collaboration avec les Japonais et fut envoyé en France pour rester confiné à son domicile. Quelques uns de ses supporters allèrent dans le nord ouest du Cambodge, encore sous contrôle thaïlandais, pour s'associer au mouvement Khmer Issarak.

La lutte pour l'indépendance

La situation du Cambodge à la fin de la guerre fut chaotique. Les Français du général de Gaulle étaient décidés à récupérer l’Indochine, bien qu’ils offrirent au Cambodge et aux autres protectorats de l’Indochine des mesures d’autonomie limitée. Convaincu qu’ils avaient une mission civilisatrice ils envisageaient la participation de l’Indochine à une sorte d’union des pays partageant la même culture française. Ni les professionnels urbains, ni le peuple n’étaient intéressés par cet arrangement. Pour presque tous les Cambodgiens la période brève de l’indépendance fut une bouffée d’air frais. Leur résignation était une chose du passé.

À Phnom Penh Sihanouk agissant comme chef de l’État était placé dans une position délicate de négocier avec les Français pour une indépendance complète pendant qu’il essayait de neutraliser les politiciens et supporters des Khmer Issarak et le Viet Minh qui le considérait comme un collaborateur des Français. Pendant la période tumultueuse entre 1946 et 1953 Sihanouk montra une aptitude remarquable pour la survie politique qu’il continua jusqu’à sa chute du pouvoir en mars 1970. Les Khmer Issarak était un mouvement de guérilla extrêmement hétérogène agissant dans les zones de la frontière. Ce mouvement comprenait des gauchistes, des nationalistes anti-monarchiques et de simples bandits qui prenaient avantage du chaos pour terroriser les villageois. Bien que leurs fortunes varient (ils subirent une perte importante avec la perte du support de la Thaïlande en 1947) en 1954 opérant avec le Viet Minh il contrôlait presque la moitié du territoire.

En 1946 l’administration autorisa la formation de partis politiques et de tenir des élections pour une assemblée consultative qui conseillerait le monarque pour rédiger une constitution. Les deux partis principaux avaient à leur tête un prince royal. Le parti démocratique, mené par le prince Sisowath Yuthevong, mit l’indépendance en avant avec des réformes démocratiques et un gouvernement parlementaire. Ses partisans étaient les enseignants, les fonctionnaires, ceux politiquement actifs chez les prêtres bouddhistes et ceux influencés par les appels nationalistes du Nagaravatta. Ils approuvaient au moins partiellement les méthodes violentes de Issarak. Le parti libéral, avec le prince Norodom Norindeth, représentait les vieilles élites rurales qui préféraient une relation coloniales avec la France et des réformes très graduelles. Dans l’assemblée issue des élections de septembre 1946 les démocrates détenaient cinquante des soixante sept sièges.

Avec cette solide majorité les démocrates établirent une constitution copiée sur celle de la quatrième république de la France avec le pouvoir dans les mains de l’assemblée. Le roi proclama avec regret la nouvelle constitution le 6 mai 1947. Bien qu’il soit reconnu comme le chef spirituel de l’état elle le réduisait à être un monarque constitutionnel et laissait flou le rôle qu’il pouvait avoir. Sihanouk tourna cetteambiguïté à son avantage les années suivante, cependant.

En décembre 1947 aux élections pour l’assemblée nationale les démocrates gagnèrent à nouveau une large majorité. Malgré cela la dissension dans le parti était rampant. Son fondateur était mort et aucun chef évident n’avait émergé pour lui succéder. En 1948 et 1949 les démocrates ne sont unis que dans leur opposition à la législation supportée par le roi ou ceux qu’il a nommés notamment l’union proposée par la France qui assurait 50% d’indépendance.

En juin 1952 Sihanouk prit le contrôle total du pouvoir et même décréta la loi martiale en janvier 1953. L’indépendance fut déclarée le 9 novembre 1953.

Saigon et son « Far West »

Fin avril, un officier de Saigon, le colonel Vo Huu Hành, commandant la zone spéciale 44 sur la frontière cambodgienne, débarque de son hélicoptère à l'aéroport de Pochentong-Phnom Penh. Il est le premier représentant militaire du président Nguyên Van Thiêu en visite officielle, mais secrète, au Cambodge. Une délégation civile est en effet déjà sur place pour tenter, sans grand succès, de régler les problèmes posés par la répression de la communauté civile vietnamienne. D'autres équipes des services de renseignements de Saigon sont déjà au travail dans la capitale khmère ainsi que dans deux villes de province. Le colonel Hành vient prendre contact avec l'état-major khmer. La partie moderne du contentieux Khméro-vietnamien se situe là, alors que la partie ancienne se rapporte à la conquête du delta du Mékong par les Vietnamiens au dépens du royaume Khmer aux siècles derniers.

À ses interlocuteurs, qui s'étonnent que le président Thiêu ne leur ait pas dépêché un officier général, il rappelle que les forces placées sous son commandement sont supérieures à celles de tout le royaume. Il dispose d'une division complète à huit heures de marche seulement de Phnom Penh et avec laquelle il est en liaison radio permanente. Du colonel Hành, le général Lon Nol aurait dit plus tard: "C'est l'ambassadeur vautour." Dès les premiers contacts les officiers de Saigon ont en effet trouvé le ton à l'égard de leurs nouveaux alliés khmers. Ils n'ont pas l'intention de mâcher leurs mots ou de tenir compte des susceptibilités. Il n'y aura pas d'ambiguïtés: le cadeau du président Nixon est empoisonné. Le régime du général Lon Nol souhaitait la venue rapide d'un protecteur. L'armée de Saigon va d'abord le sauver, ensuite le défendre et enfin s'en assurer le contrôle.

Au départ, Saigon hésite devant la proposition américaine. Le général Abrams, commandant en chef des troupes américaines au Viêt Nam, suggère en effet une expédition combinée au Cambodge. Le président Thiêu se montre réceptif mais ce n'est pas le cas de l'état-major saigonnais. Il s'inquiète de l'ampleur et de la nouveauté de la tâche qu'on lui propose. Si les Américains doivent en effet limiter leur intervention à la partie nord-est du pays et porter le gros de leur effort dans la région de l'Hameçon où ils pensent trouver d'importantes installations vietcong, les militaires sud-viêtnamiens sont invités à faire bien davantage: monter des opérations tout le long de la frontière, du "Bec de Canard" au golfe du Siam sans trop savoir quelles limites on leur fixe en profondeur. On leur promet le soutien aérien et l'appui de bases d'artillerie volantes américaines. Mais ce n'est pas, de toute façon une opération de routine: il s'agit, au bas mot, de mettre en branle l'équivalent de deux divisions, sans compter la flottille de quelque 200 embarcations d'assaut qui doit remonter le Mékong jusqu'à Phnom Penh et même Kompong Cham pour y recueillir les civils vietnamiens parqués dans es camps de concentration. On leur demande donc d'engager dans cette expédition quatre fois plus de troupes que leurs alliés américains. C'est bien ce qui rebute l'état-major opérationnel.

Les résistances ne céderont que devant le miroitement du butin. Les militaires sont invités à ménager la population civile khmère et, notamment, à ne pas tuer des paysans innocents. En revanche, le pillage est toléré, autant dire qu'il est franchement autorisé. Les soldats sud-vietnamiens vont d'ailleurs non seulement violer mais rafler ce qu'ils trouvent sur leur passage et le charger sur des camions qui font le va-et-vient entre le champ d'opérations et la frontière. Des voitures particulières seront même transportées au Viêt Nam par hélicoptère. C'est une bonne occasion pour le régime de calmer, en période d'inflation, le mécontentement d'une armée bien mal payée.Les plans des généraux de Saigon se révéleront, à l'usage, bien meilleurs que prévus. Entre les trois états-majors opérationnels créés le long de la frontière, ceux de Tây Ninh, Moc Hoa et Chau Dôc, et un quatrième, établi plus tard à Hà Tiên, la coordination est bonne. Pendant que les troupes américaines, celles du général Do Cao Tri (Tây-Ninh), du colonel Vo Huu Hành (Moc-Hoa) et du général Ngô Dzu (Chau Dôc) balaient les zones de "sanctuaires" et rouvrent les principales routes qui les traversent, la flottille de Saigon débarque d'autres troupes sur les rives du Mékong avant de gagner Phnom Penh et Kompong Cham. Il s'agit de prendre les insurgés à revers. Entretemps, des opérations combinées sont montées par le général LuLan, dans la région des hauts plateaux et une autre division de Saigon occupe le Sud-Est du royaume, sur le golfe du Siam. Enfin, une flotte opère le blocus du port de Sihanoukville.

Dans une première phase, à partir du 29 avril et jusqu'au 10 mai, les troupes de Saigon interviennent donc dans les régions contrôlées par le FUNK. et le FNL. Dans un deuxième temps, pour faire face à la guérilla qui gagne tout le pays, elles vont prendre directement la relève de l'armée khmère: occupation des plantations de Chup, prise de Kompong Cham et de Tonlé Bet, sur le Mékong, de plusieurs villes dans le Sud-Est et l'Est notamment Kampot, Prey Veng et Kompong Speu. Takeo et Svay Riêng, deux autres villes de la région sont dégagées. Le 10 mai, après avoir repris Neak Leung, là où la route n• 1 qui relie Saigon à Phnom Penh franchit le Mékong par un bac, les Sud-Viêtnamiens décident d'aménager une base assez spacieuse pour accueillir en 24 heures seulement l'équivalent d'une division Neak Leung se trouve à 60 km en contrebas de Phnom Penh. Le but de l'opération est de disposer d'une tête de pont efficace au cas où la capitale cambodgienne serait directement menacée par une offensive des maquisards. Comme le souligne également le débarquement à Pochentong de la "mike force", la protection de Phnom Penh est, dès le début du mois de mai, au premier rang des préoccupations des états-majors saigonnais. L'aménagement de Neak Leung ne vient, en fait, que dévoiler oe qui se tramait depuis deux mois.

Avant leur invasion en force du Cambodge le 29 avril 1970, les Américains et leurs alliés sud-vietnamiens ont déjà commis, comme on le sait, plusieurs incursions en territoire khmer: le 20 mars, opération sud-vietnamienne dans le "Bec de Canard", avec appui aérien le 27 mars intervention d'une unité blindée et bombardements aériens des Sud-Vietnamiens; le 5 avril, deux bataillons de Saigon s enfoncent jusqu'à 16km à l'intérieur du Cambodge, du 12 au 16 avril, pénétration de plusieurs unités sud-vietnamiennes à 8 km, à l'intérieur du Cambodge. Le 14 avril, première opération combinée entre les états-majors de Saigon et de Phnom Penh (c'est à cette époque, selon M. Laird, secrétaire américain à la défense que les insurgés ont commencé l'évacuation du "Bec de canard" pour se diriger, selon ses propres déclarations "pour la première fois dans l'autre direction" et réduit ainsi "de beaucoup les risques pour les forces américaines"); le 20 avril, invasion de nuit du "Bec de Canard" par des bataillons de blindés et de "rangers" sud-vietnamiens. Le 21 avril, intervention de forces sud-vietnamiennes dans la province de Takeo. Le 25 avril, début du bombardement systématique du Nord-Est du royaume par l'aviation américaine. Le 26 avril, première opération américaine héliportée dans le secteur de l'Hameço.Entre-temps, Washington et Phnom Penh reconnaissent respectivement le 15 et le 21 avril, que le général Lon Nol a demandé au gouvernement américain d'abord des armes et de l'équipement militaire, et ensuite l'envoi de la "mike force"3. La Maison Blanche procède, pour sa part, à une "escalade" des déclarations et des décisions qui préfigure l'invasion massive: elle "décourage" d'abord les incursions sud-viêtnamiennes (M. Rogers, secrétaire du Département d'Etat, le 2 avril) après les avoir désapprouvées; elle annonce plus tard que devant "l'escalade de l'ennemi au Laos et au Cambodge", elle "n'hésitera pas à prendre des mesures sévères et efficaces pour faire face à la situation" (Président Nixon, le 20 avril); elle reconnaît que des armes capturées au Viêt-Nam sont fournies à Phnom Penh (22 avril) et qu'un premier lot a été livré par Saigon avec l'approbation de Washington (23 avril); elle déclare enfin que plusieurs incursions sud-viêtnamiennes ont effectivement eu lieu au Cambodge, qu'elles ont été "assez fructueuses" et qu'un renversement du régime de Phnom Penh pourrait remettre en cause les retraits de troupes américaines du Viêt-Nam (M. Rogers, le 27 avril).

En fait, les Américains n'ont effectué qu'une prise de relais. Leur intervention dans la crise cambodgienne se situe au début, quand les choses se mettent en place, quand le complot prend une tournure définitive, que le général Lon Nol cherche des garanties et des assurances, que Saigon a besoin d'être bousculé. C'est l'époque de l'arraisonnement du Columbia Eagle4, celui des encouragements discrets et des premiers gages, des démentis et des avertissements. Mais une fois l'intervention lancée, Washington se retire du devant de la scène. Saigon se pose de plus en plus à la fois comme un intermédiaire et un écran entre Phnom Penh et les Américains. Au 30 juin 1970, les troupes américaines se retirent du Cambodge, seule leur aviation continue à intervenir sur l'ensemble du territoire. Les Sud-Viêtnamiens restent sur place avec des effectifs variables, mais qui tournent le plus souvent autour de vingt à trente mille hommes. Les Cambodgiens sont obligés de s'entendre directement avec eux5. Ils sont loin de s'en réjouir. Avec l'accord de l'état-major américain et surtout son soutien matériel et l'appui de son aviation, Saigon prend en main la direction des opérations au Cambodge. Un état-major est installé à Phnom Penh; il a la haute main sur les décisions de l'état-major cambodgien puisqu'il lui procure l'équipement, les armes, les munitions, les moyens de transport et de radio, la logistique en général, sans compter qu'il décide seul en ce qui concerne l'appui aérien, l'envoi de renforts sud-viêtnamiens, le déblocage de crédits et l'entraînement des troupes cambodgiennes. Cet état-major dépend directement de Saigon qui répercute les décisions proposées sur les différents services ou états-majors opérationnels chargés de les exécuter6. Ces dispositions sont provisoires. L'armée de Phnom Penh devrait peu à peu, c'est du moins l'intention initiale, prendre la relève des Sud-Viêtnamiens, "khmériser" la guerre.

Les pressions politiques de Saigon sur Phnom Penh vont être d'autant moins discrètes que les Sud-Vienamiens peuvent revendiquer la loi du plus fort et se retrancher facilement derrière un prétexte tout trouvé, la politique raciste du "gouvernement de sauvetage". Le régime de Saigon, comme les services américains, a ses propres compagnons de route cambodgiens. On les voit réapparaître sur le devant de la scène. Le gouvernement de sauvetage est remanié pour leur faire une place. Le 21 juillet 1970, le prince Sirik Matak, tout en restant vice-premier ministre, abandonne la charge de cinq ministères pour s'occuper des affaires gouvernementales. On sait que le président Thiêu préfère cet homme jugé énergique au général Lon Nol, que soutient en revanche le vice-président Ky. L'entourage du général Thiêu reproche à l'époque au chef du "gouvernement de sauvetage" de ne pas manifester assez de "bonne volonté" dans la coopération avec Saigon. En fait, il s'agit d'enrayer une manoeuvre amorcée par le général Ty et qui lui permettrait de se servir de Phnom Penh, comme il le fait de certains politiciens saigonnais, dans ses disputes avec le président Thiêu. Sirik Matak devient donc premier ministre par intérim, ce qu'il était déjà plus ou moins, mais il contrôle moins le gouvernement dont il assume désormais, dans les faits, la direction. Le même jour, M. Yem Sambaur, ministre des Affaires étrangères qui, à ce titre, vient de se rendre à Saigon et d'échanger avec les Sud-Viêtnamiens des propos plutôt acerbes, abandonne ses importantes fonctions pour s'occuper des relations avec le parlement et de la justice. Il est remplacé aux Affaires étrangères par un homme plus effacé en la personne de Koun Wick.

Le "gouvernement de sauvetage", qui a tenté pendant plusieurs semaines de faire face à la situation, est au même moment confronté à une "révolte" de l'Assemblée nationale. Les députés demandent la démission de plusieurs ministres et obtiennent qu'un comité exécutif désigné par l'Assemblée contrôle désormais l'action du gouvernement. Cette crise, en fait, rentre dans le jeu de Saigon. Douc Rasy, l'un des plus intelligents représentants de l'extrême-droite, et surtout un fidèle de Sirik Matak, est élu à la tête de ce comité. L'Assemblée, d'un autre côté, furieuse du déroulement du voyage de Yem Sambaur à Saigon, réclame également sa démission7. Comme Yem Sambaur est connu pour ses liens avec les Américains, le prince Sirik Matak se retrouve du coup pratiquement seul à la direction des affaires mais dans une position très précaire. D'un côté le général Lon Nol, pour des raisons diplomatiques, resté le Premier ministre nominal. D'un autre, il ne peut compter que sur le soutien du président Thiêu, qui ne l'appuiera que tant que cela lui conviendra. Enfin, il est doublé en la personne de Son Ngoc Thanh, d'un agent de la CIA qui, tout en n'étant que conseiller du gouvernement, a rang de vice-président du conseil. En l'espace de trois mois, Phnom Penh est devenu le reflet de Saigon. On y retrouve les mêmes clivages et les factions s'y heurtent de la même manière.

L'aventure communiste : les Khmer rouges

c'est alors que Sar Salot, universellement connu par le nom de code de Pol Pot, sort de l'obscurité.

Engagé dans le mouvement anti-Français avec Ho Chi Minh, il adhère au Parti Communiste en 1949 et obtient du gouvernement une bourse pour faire des études à Paris de 1949 à 1953. Peu après son retour au Cambodge en 1953, il devint professeur de français dans deux établissements privés de Phnom Penh, Chamroeun Vichea et Kampuchaboth (1956-1963). Lorsque les Français partirent d'Indochine en 1954, il s'opposa à la nomination du roi Norodom Sihanouk à la tête du Cambodge, milita dans le Parti Révolutionnaire du Kampuchéa, "Khmer Rouge", et rédigea de nombreux articles pour le journal communiste. Il mit en place les congrès du parti communiste du Kampuchéa en 1960, et fut investi du poste de secrétaire du comité central du Parti Révolutionnaire en 1962 en remplacement Tou Samuth qui venait de décéder dans des circonstances inexpliquées. C'est de cette époque qu'il reçut du Parti Communiste Chinois qui venait de le faire élire, le surnom (américain?) de "Pol Pot", c'est-à-dire "Political Potential".

Il prit alors le maquis avec ses compagnons Khmers Rouges qui s'étaient révoltés contre une taxe nouvellement instituée sur le riz par le roi Sianouk. C'est dans la jungle cambodgienne qu il rencontra les partisans de la guérilla dont le Général Giap avait défini la tactique et dont il prit la tête, grâce à l'aide et au soutien de Mao Tsé Toung qui voyait en lui un moyen de se prémunir contre le communisme soviétique qui contrôlait déjà le Vietnam. Grâce aussi au soutien logistique américain. Pol Pot décida d'engager son pays sur la même voie communiste que Mao Tsé Toug auquel il vouait une immense admiration.

Pol Pot triompha de l'armée régulière du roi Sihanouk le 17 avril 1975, date à laquelle Phnom Penh tomba entre les mains des Khmers Rouges. Pol Pot devint alors le "grand frère" ou le "frère n°1" et le premier ministre d'un régime que l'opinion internationale considérèra comme étant une force libératrice.

Très vite, Pol Pot, avec l'aide de ses anciens camarades de la Sorbonne Yeng Sary et Khieu Samphan, mirent en place un régime communiste visant à rééduquer tous les individus susceptibles de devenir "réactionnaires". L'épuration de la population commença par s'en prendre à tous les tenants de la tradition et à toutes les personnes instruites que ses commissaires politiques envoyèrent faire des travaux de force dans les campagnes. Elle allait ensuite s'amplifier. En effet, Pol Pot voulut ensuite rééduquer tous les Cambodgiens qui avaient été au contact d'autres civilisations que celle de la "population rizicole khmère", ainsi que leurs enfants. Il ordonna d'abord l'évacuation des habitants de Phnom Penh, puis de toutes les autres villes vers les campagnes pour les forcer eux aussi à travailler aux champs. Pendant quatre ans, les Khmers Rouges firent régner la terreur dans le pays.

La réponse khmère a, en effet, été de massacrer par milliers des résidents civils vietnamiens au Cambodge depuis des générations. Enterré à Cao Lanh, en région frontalière avec le Cambodge, le père de Ho Chi Minh a fait ses premières agitations nationalistes auprès de cette population vietnamienne du Cambodge, tout comme Garibaldi a commencé en Argentine auprès des immigrants italiens.

En 1977, Pol Pot pose la définition des "trois extirpations" à réprimer: l'ensemble des Vietnamiens présents au Cambodge, les Khmers parlant vietnamien, ainsi que tous les Khmers entretenant des relations ou ayant des intérêts avec les vietnamiens. En plus de ces populations, étaient visées toutes les personnes qui avaient bénéficié d'une éducation, ou qui manifestaient une appartenance religieuse, quelle qu'elle fût. La régénération du pays fut opérée principalement au cours de cinq purges, deux en 1976, deux en 1977 et une en 1978.

Au total, plus de trois millions et demi de ses concitoyens ont péri, soit presque la moitié de la population du pays, au cours de massacres, d'actes de torture particulièrement cruels, décimés par les travaux forcés et la famine programmée par le régime. Les océans étaient couverts d'embarcations de fortune surchargées de malheureux essayant d'échapper aux bienfaits du paradis communiste: les "Boat people". La plupart sombrèrent, quelques unes parvinrent à atteindre les rivages où ils étaient soit repoussés par les autorités des pays voisins, soit enfermés dans des camps de réfugiés.

Le 7 janvier 1979, le Vietnam envahit le Cambodge avec l'aide de l'U.R.S.S., renversant le gouvernement et mettant ainsi fin à la Révolution. Pol Pot et les Khmers Rouges s'enfuirent alors dans la jungle, où ils commencèrent une guérilla contre le nouveau gouvernement pro-vietnamien qui avait trahi la Révolution.

En 1982, on retrouve Pol Pot qui tentait de s'allier avec son ennemi d'antan, le roi Norodom Sianouk, pour constituer un front commun contre les envahisseurs Vietnamiens. Ce n'est qu'en 1985 qu'il est contraint d'abandonner le commandement des Khmers Rouges. Condamné à mort par contumace pour les crimes commis, il disparait jusqu à la date de sa mort.

Liens externes

Ce video témoigne de ce massacre. http://www.youtube.com/watch?v=zzIVQeecEW8

Pour visualiser les fichiers video de massacres anti-vietnamiens : http://www.youtube.com/watch?v=HrTPQIHxfMs&mode=related&search=

http://www.youtube.com/watch?v=OgFuEu4gZSE&mode=related&search=

- Exécutions, décès en prison:de 500 000 à 1 million.

- Morts de faim ou de maladie (résultant de l'envoi en zone insalubre sans protection médicamenteuse: de 700 000 à 900 000.

- Morts pendant la déportation ou par épuisement au travail: de 100 000 à 400 000.

- Total: 1,3 à 2,3 millions (sur une population d'environ 7,5 millions de personnes en 1975)

Massacre de Ba Chuc et Phi lai

En avril 1978, les Khmers rouges passaient la frontière et massacraient la population des villages vietnamiens frontaliers. http://www.youtube.com/watch?v=_h5vJRuK_rA&mode=related&search=

http://khmercanada.site.voila.fr/atrocites.htm

Video du retour à la vie :

1970 “Coup d'État” de Lon Nol et massacre des minorités vietnamiennes du Cambodge:

Voir aussi

  • Portail du Cambodge Portail du Cambodge
Ce document provient de « Cambodge colonial ».

Wikimedia Foundation. 2010.

Contenu soumis à la licence CC-BY-SA. Source : Article Cambodge Colonial de Wikipédia en français (auteurs)

Игры ⚽ Поможем написать реферат

Regardez d'autres dictionnaires:

  • Cambodge colonial — En octobre 1887, la France proclame l Union indochinoise comprenant Cambodge et les trois régions constitutives du Viêt Nam : Tonkin, Annam, et Cochinchine « Kampuchea Krom » . Le Laos fut ajouté à l’union après avoir été séparé de …   Wikipédia en Français

  • Colonial Medal — Médaille Coloniale (colonial Medal) French Médaille Coloniale, with multiple clasps Awarded by …   Wikipedia

  • Colonial Cambodia — Infobox Former Country native name = Cambodge conventional long name = Cambodia Cao Miên common name = Cambodia continent = moved from Category:Asia to Southeast Asia region = Southeast Asia era = New Imperialism status = Protectorate empire =… …   Wikipedia

  • Histoire Du Cambodge — L’histoire du Cambodge est l histoire des peuples qui ont occupé le pays que l on appelle le Cambodge. Elle est surtout l histoire de l’ethnie majoritaire, les Khmers dont les différents royaumes ont pu largement déborder les frontières actuelles …   Wikipédia en Français

  • Histoire du cambodge — L’histoire du Cambodge est l histoire des peuples qui ont occupé le pays que l on appelle le Cambodge. Elle est surtout l histoire de l’ethnie majoritaire, les Khmers dont les différents royaumes ont pu largement déborder les frontières actuelles …   Wikipédia en Français

  • Chronologie Du Cambodge — Cet article fait partie de la série Cambodge Général Cambodge …   Wikipédia en Français

  • Chronologie du cambodge — Cet article fait partie de la série Cambodge Général Cambodge …   Wikipédia en Français

  • Protectorat français du Cambodge — Protectorat du Cambodge កម្ពុជាសម័យអាណានិគម 1863 – 1953 Drapeau …   Wikipédia en Français

  • Histoire de l'Empire colonial français pendant la Seconde Guerre mondiale — Troupes américaines débarquant à Arzew (Algérie française) pendant l opération Torch. L Empire colonial français a connu, pendant la période 1940 1945 de la Seconde Guerre mondiale, une situation évolutive et contrastée. À l issue de la bataille… …   Wikipédia en Français

  • Empire colonial français — Pour les articles homonymes, voir Empire colonial. Empire colonial français Fr 1534 – 1980 …   Wikipédia en Français

Share the article and excerpts

Direct link
Do a right-click on the link above
and select “Copy Link”