Caravagisme

Caravagisme

Le caravagisme, ou école caravagesque, est un courant pictural de la première moitié du XVIIe siècle. Apparu suite au travail du Caravage à la fin du XVIe siècle, il est parfois assimilé à une forme de Baroque romain face au Classicisme des Carraches. Cette idée est cependant à nuancer en raison des nombreuses similitudes qui rapprochent ces deux écoles romaine et bolonaise.

Caractérisé par la prédominance de scènes obscures[1] transcendées par la maîtrise virtuose du clair-obscur, il se constitue autour du style du Caravage et de ses plus proches suiveurs, tel Bartolomeo Manfredi.

Bartolomeo Manfredi, Mars châtiant l'amour, exemple de l'influence du Caravage

Sommaire

Contexte historique et culturel

Peu de révolutions artistiques auront été aussi explicites et marquantes. En plein contexte de la contre-réforme, où le Concile de Trente préconise une peinture noble et lisible, Caravage cherche à peindre une vérité qui refuse les conventions et ne recule pas devant la laideur. Par son sens révolutionnaire du sacré Le Caravage substitue un naturalisme extrême aux artifices du maniérisme. Fidèle à la nature et très influencé par Michel-Ange, il fait du corps humain le véritable objet de sa peinture.

Caravage ouvre la voie, par une peinture méditative et intime, à une exploration anxieuse de l'âme (démarche que poursuivra Rembrandt dans le contexte plus austère du protestantisme hollandais). Voulant témoigner des émotions humaines, il cherche à rendre tangibles les événements religieux qu'il va donc représenter comme des scènes de genres. Humanisant l'art sacré, sa vision crue et sa piété intime s'opposent totalement à l'approche préconisée à cette période. Même si ces toiles sont souvent refusées, les artistes et les intellectuels de son époque le reconnaissent comme un inventeur de génie.
Libérant les artistes des stéréotypes maniéristes et amorçant une nouvelle approche de la réalité physique des choses, la peinture du Caravage connaîtra une diffusion rapide et étendue en Europe. Le caravagisme ne se cantonne donc pas à un cadre stylistique et peut être rapproché aussi bien des références et de la rigueur classique d'un Georges de La Tour que des emphases baroques de Rubens.

Evolution stylistique

La Diseuse de bonne aventure, Caravage, c.1594, Musée du Louvre (Paris)

Originaire de Milan, le Caravage y est formé par Simone Peterzano mais s'installe à Rome dès 1592. Rome est en effet le grand foyer artistique italien où se retrouvent des artistes de toutes origines (Annibal Carrache est bolonais, Simon Vouet est français, José de Ribera est espagnol, etc.) qui viennent débattre à l'Académie de Saint-Luc (fondée en 1593) et profiter de l'important mécénat religieux (papes et cardinaux).

On distingue trois périodes dans l'art du Caravage :

  • La Manière Claire : Première période romaine entre 1594 et 1600. On y sent encore l'influence maniériste avec une palette claire, une facture lisse et brillante. On y observe cependant la mise en place du schéma caravagesque dans le cadrage et la composition (détaillé dans la partie suivante). La Diseuse de bonne aventure (c. 1595) conservée au Musée du Louvre en est un excellent exemple. Notons que cette période est celle de la création de nombreux sujets et thèmes qui connaîtront une très grande pérennité dans la peinture occidentale.
  • La Manière Noire : Entre 1600 et 1606, s'affirme le rôle de la lumière et le jeu des contrastes avec le développement du « clair-obscur caravagesque ».
  • La Période d'errance : Entre 1606 et 1610, où la facture devient de plus en plus vibrante et obscure. Parfois appelé le « piétisme caravagesque », le peintre abandonne son ironie et son insolence probablement en raison de la culpabilité qui l'assaillit suite à un duel ayant tourné au meurtre. Cette période semble marquée par une recherche d'absolution divine.

Précisons que les recherches les plus récentes ont tendance à relativiser, même si elle est indéniable, une évolution de sa peinture vers l'obscurité.

Les caractéristiques

La Vocation de saint Matthieu, Caravage, c.1599, Chapelle Contarelli de l'église Saint-Louis-des-Français (Rome)

Le « schéma caravagesque » se met en place très tôt. Les compositions, principalement en largeur, présentent des personnages grandeur nature, souvent coupés à mi-corps. Cette organisation permet, par la succession des plans, de créer l'illusion de profondeur sans avoir à traiter le problème de la perspective. De plus l'artiste introduit directement le spectateur dans la scène. Celle-ci semble encore plus proche en raison du fond neutre. Ces artifices de composition que l'on observe dans le tableau du Musée du Louvre cité plus haut seront repris par la plupart de ses imitateurs (exception faite de Orazio Gentileschi).

La lumière est elle aussi un élément essentiel de ses compositions. D'abord baignant tout le tableau (La Diseuse de bonne aventure, 1594, La Fuite en Égypte, c. 1596), elle tend à se concentrer sur certaines zones créant un contraste de clair-obscur qui donne une dimension de plus en plus dramatique à ses œuvres. Presque toujours extérieure au tableau, la lumière fait irruption dans la scène et guide l'œil vers l'essentiel. Apportant une dimension symbolique et spirituelle, elle participe autant à la compréhension de la scène qu'à sa sacralisation. Notons que, chez Caravage, le caractère divin des personnages est littéralement « mis en lumière » plutôt que représenté par des attributs symboliques et artificiels. Ces deux éléments sont très visibles dans le tableau La Vocation de saint Matthieu du cycle de la chapelle Contarelli à Rome (1599-1600).

Les rouges, les bruns et les noirs dominent. La couleur est appliquée alla prima, sans dessin préparatoire.

En ce qui concerne les thèmes traités, Caravage permet un renouveau perpétué par ses imitateurs. On observe généralement une double lecture de ses œuvres, avec une forte dimension morale. Afin d'atteindre ce but, il recherche l'archétype et utilise fréquemment les mêmes modèles. Ces deux caractéristiques s'atténueront au sein du courant caravagesque, pour tendre vers un style plus anecdotique et décoratif, comme l'illustrent les œuvres de Nicolas Régnier (Diseuse de bonne aventure, Musée du Louvre, 1626). Parmi les sujets représentés par Caravage et repris par les caravagesques citons :

Diffusion

Le caravagisme commence avec l'arrivée à Rome de Michelangelo Merisi (Le Caravage) (1591) et s'achève avec la disparition de Georges de La Tour et de José de Ribera (1652). Moins prégnant en Italie à partir du second quart du XVIe siècle, c'est à partir de cette période qu'il commence à influencer profondément la peinture européenne, et ce jusqu'à la fin du XVIIe siècle[5].

Il s'étend en Italie (Rome, Naples, Gênes), en trouvant un écho dans les toiles de Bartolomeo Manfredi (1580-1620), considéré comme sont plus proche suiveur et le théoricien du caravagisme. Orazio Gentileschi (1563-1639) va quant à lui poétiser les scènes par la douceur de la lumière, des drapés soyeux et un chromatisme raffiné. Il sera suivi par sa fille Artemisia (1593-1652). José de Ribera (1591-1652), napolitain d'origine espagnole, contribue à la vigueur du foyer napolitain et à l'influence prépondérante du caravagisme en Espagne, puisqu'à cette époque le royaume de Naples est sous tutelle espagnole. Citons enfin Giovanni Caracciolo, dit Battistello (1578-1635) chez qui l'on retrouve, comme chez Ribera, le style des dernières années du Caravage, caractérisé par des atmosphères très sombres.

Les peintres étrangers venus se former à Rome sont nombreux. Influencé par les proches disciples italiens que nous venons de citer[6], ces artistes vont, à partir des années 1625, diffuser ce courant hors d'Italie. Un des premiers fut le peintre d'origine flamande Ludovicus Finsonius.

Le Souffleur à la lampe, Georges de la Tour, 1640, musée des Beaux-Arts de Dijon

Pour la France, c'est Valentin de Boulogne, dit Le Valentin (1591-1632), qui amorce le courant. Chef de file des artistes français à Rome, il s'engage dans le caravagisme et entraîne avec lui les autres artistes français, chacun développant toutefois sa propre approche. Le foyer toulousain, représenté par Nicolas Tournier (Crucifixion, conservée au Musée du Louvre[7]), montre un caravagisme épuré et austère. Valentin de Boulogne est formé dans l'atelier de Manfredi et poursuit le schéma caravagesque tout en compliquant ses compositions. Suivant la même démarche, Nicolas Régnier apporte quant à lui un raffinement et une richesse qui le différencient du Caravage. Redécouvert tardivement dans la seconde moitié du XXe siècle, Guy François (vers 1578-1650) fait également partie des peintres qui ont fait le voyage à Rome (1608) et qui ont rapporté en France les leçons du Caravage.

Au sein du caravagisme français, le foyer Lorrain représenté par Georges de La Tour représente une figure à part. Plus tardif, il développe un style très personnel s'inspirant du schéma caravagesque mais avec une géométrisation de formes très marquée et une traitement virtuose de la lumière (dont la source est située cette fois à l'intérieur du tableau). Il applique le luminisme en accentuant l'atmosphère silencieuse et recueillie, l'éclairage ténu d'une chandelle rendant l'atmosphère du tableau quasi mystique. Les personnages donnent une impression d'introspection, de réflexion, ayant l'air de poser silencieusement, attentifs. La palette se réduit aux bruns et aux rouges.

Si plusieurs peintres originaires du Nord de la France tels Simon Vouet (1590-1649) et Claude Vignon (1593-1670), participent au mouvement caravagesque à Rome, Paris, où déjà se font jour des tendances au classicisme, lui reste imperméable.

Au XVIIe siècle, Rome constituait un pôle d'attraction pour les artistes des Pays-Bas septentrionaux et méridionaux qui y venaient parfaire leur art, un voyage d'étude qui commença à s'organiser, avec notamment la création, vers 1620, des « Bentvueghels », un groupe dont le rôle était surtout social. Ces séjours romains, qui habituellement duraient plusieurs années, furent le principal vecteur de la diffusion du caravagisme au Nord, où l'on verra la formation de ce qui est aujourd'hui appelé l'« École caravagesque d'Utrecht ». Les artistes de cette école s'inspirent principalement de la première période du Caravage et de ses disciples, caractérisée par une lumière claire et une facture lisse. Gerrit van Honthorst (1590-1656) ainsi que Hendrick ter Brugghen (1588-1629) (Le Duo, 1628, Musée du Louvre) et Dirck Van Baburen (ca.1595-1624) en sont les plus notables représentants.

Les développements

Le luminisme

Le luminisme, à la fin de la première moitié du XVIIe siècle est un caravagisme dont la particularité se situe dans l'accentuation de la lumière dans l'atmosphère calme du tableau. Les couleurs deviennent chaleureuses avec la source lumineuse. Ses principaux représentants sont Georges de La Tour en France et Gerrit van Honthorst en Hollande ; le Génois Luca Cambiaso en étant le précurseur.

Le ténébrisme

José de Ribeira, Ixion

Dans le Ténébrisme, apparu vers 1610, les contrastes d'ombres et de lumière sont plus violents, l'effet est plus sombre. Le courant des Tenebrosi, regroupés pour la plupart dans ce grand centre artistique qu'est Séville au « Siècle d'Or », est représenté par José de Ribera (1591 - 1652) ou Mattia Preti (1613-1699), peut-être influencé par le napolitain Battistello Caracciolo, un des premiers caravagistes italiens. En effet, le Royaume de Naples est alors sous domination espagnole et les échanges étaient nombreux entre les artistes de l'un et l'autre pays. Francisco de Zurbarán (1598 - 1664) adopte un style ténébriste qui lui vaut le surnom de « Caravage espagnol » dans sa première période. Francisco Ribalta (1551-1628) s'illustre lui à Valence dans des peintures religieuses où l'influence du Caravage est très sensible.

Les peintres espagnols Juan Sánchez Cotán Fray (1561-1627) et Juan Van der Hamen (1596-1631), spécialistes des natures mortes dites Bodegónes, assimilent les leçons de la peinture hollandaise et du caravagisme.

Bibliographie

  • Roberto Longhi, Le Caravage (et deux chapitres : les antécédents, et ensuite, chez les peintres français) - Seuil, collection Regard (1927 et réédition 2004), ISBN 2 84105 169 2
  • Patricia Fride-Carrassat et Isabelle Marcadé, Les mouvements dans la peinture, Paris, Larousse, coll. « Comprendre, reconnaître », 1999 (réimpr. 2005), 239 p. (ISBN 2-03-505525-3) 
  • Dossier de l'art n° 75 du 30/03/2001 : « Les Caravagesques français »

Notes et références

  1. Selon Roberto Longhi, le Caravage ne disposait dans son atelier que d'une seule lucarne, manifestement placée à gauche, ce qui explique, l'aspect sombre et l'éclairage particulier de toutes ses œuvres. Notons toutefois que les peintres droitiers placent en général leur source de lumière sur la gauche afin de ne pas être gênée par l'ombre portée de leur main.
  2. Fiche de la base Atlas
  3. Fiche de la Base Atlas
  4. Fiche de la base Atlas
  5. Le caravagisme connaîtra quelques sursauts au XVIIIe siècle en Italie, notamment avec la figure de Gaspare Traversi.
  6. Le Caravage part en exil à partir de 1606 et ne reviendra à Rome qu'en 1610, année de sa mort.
  7. Fiche de la base Atlas

Voir aussi

Liens externes

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