Carlo Gesualdo

Carlo Gesualdo
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Carlo Gesualdo, prince de Venosa

Carlo Gesualdo (né le 8 mars (?) 1566 et mort le 8 septembre 1613 à Gesualdo) est un compositeur italien de la fin de la Renaissance. Grand représentant, aux côtés de Luca Marenzio et Monteverdi, du madrigal italien de la Renaissance, il a marqué l'histoire de la musique, tant par sa vie excessive que par ses compositions, parmi les plus innovantes de cette période.

Sommaire

Sa vie

Naissance

Carlo Gesualdo, prince de Venosa, naquit très probablement dans la ville éponyme en 1566, au sein d’une famille aristocratique ayant des liens étroits avec l’Église – on trouve, parmi ses oncles, les archevêques Alphonso Gesualdo et saint Charles Borromée, ainsi que le Pape Pie IV parmi ses grands-oncles.

Éducation musicale

Son père s’entoura d’une sorte d’académie musicale, constituée entre autres des musiciens Dentice et Filomarino, et des théoriciens Effrem, Nenna, et Macque. Carlo Gesualdo fut ainsi initié dès son plus jeune âge à la musique - notamment au luth et à la composition - et en devint vite obsédé. Il composa tout d’abord sous le pseudonyme de Gioseppe Pilonij, mais la reconnaissance de son talent et l’intérêt porté par le public eurent raison de son anonymat.

Premier mariage

Ce mariage avec Maria d’Avalos, fille du duc de Pescara et cousine du compositeur, se termina sordidement quatre ans après par l'assassinat de Maria et de son amant, le duc d'Andria, et l’issue tragique de ces noces contribua à la postérité de Gesualdo, qui est devenu le compositeur meurtrier de l’histoire de la musique.

Cette scène se déroula le 17 octobre 1590 et connaît deux versions bien différentes. La première est celle que l'on peut retrouver par le témoignage de Bartodo, serviteur de Gesualdo au moment des faits. Cette version est contenue dans les comptes-rendus de l'enquête instruite par les juges de la Grand-Cour de la Vicariat de Naples[1].

Dans cette version des faits, le meurtre eut lieu à la "sixième heure de la nuit", c'est-à-dire environ à une heure du matin (la septième heure sonna peu de temps après). Bartodo fut réveillé par son maître qui lui demanda de lui apporter de l'eau. Ce faisant, il s'aperçut que le petit porche de la porte donnant sur la rue était ouvert. Bartodo apporta l'eau à son maître et l'aida à s'habiller. Étonné, Bartodo demanda à son maître ce qu'il souhaitait faire, et celui-ci lui répondit qu'il partait chasser. Plus surpris encore, il lui fit remarquer qu'il n'était pas l'heure, ce à quoi Gesualdo répondit (approximativement) "Tu verras quelle sorte de chasse je fais !". Bartodo alluma ensuite sur ordre de son maître deux torches dans la chambre de celui-ci, et Gesualdo tira de sous son lit une épée bien affutée, une dague, un poignard et une petite arquebuse (d'environ deux paumes). Puis ils montèrent tous deux l'escalier menant aux appartements de l'épouse, et à la porte se trouvaient trois hommes armés chacun d'une hallebarde et d'une arquebuse longue de trois palmes. Ces derniers enfoncèrent la porte, et entrèrent dans la chambre de Maria d'Avalos. Bartodo maintenait la servante Silvia et une nourrice dans l'antichambre. Il y eut deux coups de feu, des insultes. Les trois jeunes hommes ressortirent, et ce fut ensuite Carlo Gesualdo, les mains recouvertes de sang. Il désira savoir où se trouvait Laura, l'entremetteuse, celle-ci étant absente. Bartodo et Gesualdo retournèrent dans la chambre où ce dernier acheva le couple agonisant.

Il est très important de noter que cette version est la plus fidèle que l'on puisse avoir, car malgré les mœurs de l'époque en faveur de Gesualdo, il s'agit d'une source administrative, officielle. Cette histoire fit couler beaucoup d'encre, et ce jusqu'au XIXe siècle. Un poème de Torquato Tasso, dit Le Tasse, raconte également ce meurtre, mais ce dernier faisant partie de la famille du duc d'Andria, on ne peut être complétement sûr de la fiabilité du récit.

Une autre version nous vient, faute de date précise, d'avant 1728[2]. Cette version, qui fut la plus lue, est cependant la plus subjective, mettant en scène les derniers mots des amants, faisant passer l'épouse pour une dame peu vertueuse face aux inquiétudes du Duc, par de nombreux dialogues dans un style trop moderne pour le XVIe siècle, et dont l'authenticité est impossible à prouver.

Le mythe veut aussi que les blessures portées à Maria aient été uniquement à la région du bas-ventre, et que l’amant soit resté pendu jusqu’à ce que la pourriture trop avancée de son corps oblige Gesualdo à l’enterrer afin d’éviter une épidémie.

Cette condamnation si sévère de l’adultère, autorisée à l'époque, l’obligea cependant à se retirer dans la ville de Gesualdo, dans son domaine, qu'il ne quitta plus guère, pour se prémunir contre les effets de la colère d’une des deux familles.

Deuxième mariage

Gesualdo épousa, en seconde noce, Leonora d'Este, nièce du Duc Alphonse II de Ferrare, en 1594, à Ferrare, où il rencontra Luzzasco Luzzaschi, qui l'influença (il fit paraître ses deux premiers livres de madrigaux cette même année).

Ce mariage fut un nouvel échec, à cause de l'infidélité de Gesualdo, qui alla jusqu'à partager sa couche avec un valet, et qui prit fin avec les scènes de flagellation qui contribuèrent à sa célébrité.

Deux enfants

Gesualdo eut deux fils, un par mariage, qui mourront l’un après l’autre en bas âge. La mort du premier, par étouffement, serait imputable à Gesualdo. Celle du second, en octobre 1600, le marqua fortement, et pourrait être le point de départ des séances de pénitence si particulières, qu’il s'infligea par la suite.

Scènes de flagellation

Les crimes de Gesulado revinrent le hanter vers la fin de sa vie. La mort de son second fils fut-elle considérée par ce mystique comme l'œuvre de la justice divine, la condamnation de ses péchés, ce qui déclencha en lui le besoin d’expier ses fautes ? Cela expliquerait les pratiques masochistes, les scènes de flagellation avec de jeunes garçons pour, selon sa propre expression, « chasser les démons ».

Dans le même esprit, Gesualdo, fort pieux, offrit à sa chapelle, après son double crime, un tableau sur le Jugement dernier où il s'était représenté suppliant le Christ, et dans lequel se trouvait également Marie-Madeleine (ayant eu des mœurs légères...). On peut ainsi retrouver, symbolisés, tous les autres protagonistes de ce crime.

Une mort suspecte

Carlo Gesualdo aurait été retrouvé mort, nu, le 8 septembre 1613, suite à une des séances de pénitence, au caractère si particulier, qu'il affectionnait. Selon certaines sources, cette mort aurait pu être volontaire, désirée - entre autres - par ces éphèbes qui étaient forcés à se prêter aux séances de flagellation.

L'œuvre

Impunité

Son rang et les liens de sa famille avec l’Église lui permirent de mener sa vie et ses compositions, pour le moins originales et dérangeantes, sans aucune forme de censure et en toute impunité. Ses compositions sortent des canons de l’époque, car Gesualdo n’avait à plaire à personne d’autre qu'à lui-même, ce qui donna au final l’une des œuvres les plus originales, étranges et surprenantes de la Renaissance.

Entre renaissance et musique baroque

Gesualdo est cependant un compositeur « traditionnel ». À la différence de Monteverdi, son contemporain, véritable charnière entre Renaissance et Baroque, considéré comme le père de l’opéra, chez lequel on voit, par exemple, une révolution entre les premiers livres de madrigaux, a cappella, et les derniers, au style déconcertant (qui n’ont pour tout dire plus aucun point commun avec les premiers), Gesualdo n’a pas modifié les formes préexistantes. Il a composé à la manière vieillissante de l’époque, mais avec un style très personnel, reflétant sa personnalité exacerbée : riche en chromatismes, en dissonances et en ruptures rythmiques et harmoniques.

Inspiration

Gesualdo mettait un grand soin dans le choix des textes de ses madrigaux, qui ont souvent un lien avec les épisodes de sa vie. Il trouvait les poèmes à illustrer chez Le Tasse, par exemple, son ami, excessif et passionné comme lui, à qui il doit neuf madrigaux, et qui finira fou. Sa musique colle au texte, l’accompagne, et peut passer d’un extrême à l'autre (de la lumière à l’obscurité, de la joie à la tristesse, avec les changements adéquats au niveau de l'harmonie, du tempo) en quelques notes, si le texte l'exige - ce qui est à l'opposé des goûts de l'époque, où les mélodies se devaient principalement d’être belles, et pouvaient se plaquer sur n’importe quel texte (ou presque).

Gesualdo a également puisé dans les textes de Giovanni Battista Guarini.

Influences

Luzzasco Luzzaschi, qu’il a connu pendant son deuxième mariage, a probablement influencé Gesualdo dans sa manière « expressionniste » de composition de madrigaux, à la musique proche du texte, à partir de son quatrième livre de madrigaux. À Ferrare se trouvaient également Le Tasse et le Concerto delle Donne, qui ont été de quelque importance dans la manière de composer de Gesualdo.

D’autre part, Gesualdo fit une escale à Florence, au cours d'un voyage à Ferrare, et il est possible qu’il entretint alors des relations avec la camerata Bardi.

Œuvre sacrée

N’étant nullement tenu de composer de la musique religieuse, du fait de son rang et de ses protections, on pourrait s’étonner, après avoir lu l’histoire de sa vie, si éloignée de celle attendue d’un croyant, et après avoir écouté ses œuvres profanes, si sensuelles, de trouver des œuvres sacrées au catalogue de Gesualdo. Leur existence ne peut s’expliquer que par un besoin, un choix personnel, Gesualdo étant aussi passionné dans ses amours profanes que dans son amour de Dieu.

Des œuvres sacrées de Gesualdo :

  • deux livres de Sacræ Cantiones (cinq à sept voix) ;
  • des Respons des Ténèbres pour la semaine sainte ;
  • quatre Motets à Marie.

Œuvre profane

Les madrigaux de Gesualdo, au contenu sensuel contrastant avec sa musique sacrée, sont à l'origine de sa postérité. On distingue ses quatre premiers livres de madrigaux à cinq voix, à l'écriture conventionnelle et au style proche de ceux de Marenzio et du premier de Monteverdi, des œuvres ultérieures où abondent harmonies inhabituelles, chromatismes et figuralismes. Citons entre autres :

  • six livres de madrigaux à cinq voix (1594-1611);
  • un livre de madrigaux à six voix, posthume (1626).

Postérité

Les regards portés sur Gesualdo ont grandement changé au cours du XXe siècle. De compositeur marginal, déséquilibré, dont la musique sombrait petit à petit dans l’oubli, il accéda pour certains à un statut de visionnaire, le premier, 300 ans avant Wagner et les post-romantiques, à faire un usage important de chromatismes et de dissonances, tout en étant un précurseur des modernes par son utilisation de contrastes extrêmes et de ruptures rythmiques inhabituelles.

Gesualdo a inspiré certains grands compositeurs du XXe siècle :

  • Alfred Schnittke a écrit un opéra sobrement intitulé Gesualdo traitant de la vie de ce dernier.
  • Stravinski a quant à lui composé un Monumentum pro Gesualdo à son honneur.
  • Salvatore Sciarrino dont l'opéra Luci mie traditrici a été composé en 1998. Cet opéra en deux actes sur texte de Sciarrino, a été inspiré de Il tradimento per l'onore de Giacinto Andrea Cicognini (1664) qui raconte la vie de Gesualdo.
  • les "Gesualdo Variations" où le guitariste et compositeur David Chevallier fusionne madrigaux tardifs, écriture contemporaine et musique improvisée.
  • Le compositeur australien Brett Dean a écrit une pièce pour orchestre à cordes et bande magnétique intitulée Carlo (1997) qui reprend et sample les premières mesures du célèbre madrigal Moro lasso al mio duolo.

Enfin, Anatole France évoqua le meurtre de la première femme de Gesualdo dans Le Puits de Sainte-Claire (1875), sa vie fut ensuite romancée dans Le Témoin de poussière de Michel Breitman (prix des Deux-Magots 1986) et racontée dans Mort à cinq voix docu-fiction réalisé par Werner Herzog en 1995.


Écouter

Moro lasso al mio duolo
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Bibliographie

  • Annibale Cogliano: Carlo Gesualdo omicida fra storia e mito. Napoli: Edizioni Sscientifiche Italiane, 2006. ISBN 88-495-1232-5.
  • Annibale Cogliano: Carlo Gesualdo. Il principe l'amante e la strega. Napoli: Edizioni Sscientifiche Italiane, 2005. ISBN 88-495-0876-X.
  • Catherine Deutsch: Carlo Gesualdo. Paris: Bleu Nuit, 2010. ISBN 978-2-35884-012-5
  • The Concise Edition of Baker's Biographical Dictionary of Musicians, 8th ed. Revised by Nicolas Slonimsky. New York, Schirmer Books, 1993. ISBN 0-02-872416-X
  • Glenn Watkins: Gesualdo: The Man and His Music. 2nd edition. Oxford, 1991. ISBN 0-19-816197-2
  • The New Grove Dictionary of Music and Musicians, ed. Stanley Sadie. 20 vol. London, Macmillan Publishers Ltd., 1980. ISBN 1-56159-174-2
  • Gustave Reese, Music in the Renaissance. New York, W.W. Norton & Co., 1954. ISBN 0-393-09530-4
  • Alfred Einstein: The Italian Madrigal. Princeton, 1949.
  • Cecil Gray, Philip Heseltine : Carlo Gesualdo, Musician and Murderer. London, St. Stephen's Press, 1926.

Liens externes

Références

  1. Processo per l'Omicidio di don Carlo Gesualdo fatto alla sua moglie donna Maria d'Avalos e duca d'Andria a 17 ottobre 1590, manuscrit conservé à la Biblioteca Provinciale di Avellino, transcrit in Annibale Cogliano, Carlo Gesualdo, Omicida fra storia e mito, Napoli : Edizioni Scientifiche Italiane, p.22-23
  2. Successo di don Fabrizio Carafa, Duca d'Andria e di donna Maria d'Avalos, de Silvio et Ascanio Corona (pseudonymes), conservé à la bibliothèque nationale de Naples

Wikimedia Foundation. 2010.

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