Chersonese Taurique

Chersonese Taurique

Chersonèse Taurique

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Chersonèse Taurique sur une carte éditée à Londres vers 1770

La Chersonèse Taurique est le nom donné par les Grecs antiques à la presqu'île de Crimée.

Elle fut le siège du royaume du Bosphore cimmérien (ou Tauride), royaume grec antique établi sur les rives du Bosphore Cimmérien (actuel détroit de Kertch entre la mer Noire et la mer d'Azov) et sur la Chersonèse Taurique.

Celle-ci est d'abord colonisée au VIe siècle av. J.-C. par des Grecs d'Ionie, plus précisément de Milet, qui y fondent le royaume vers -480 av. J.-C. Pour la première partie de l'histoire du royaume on débute la liste des souverains avec Spartokos (ou Spartocus, -438/-431), pour la terminer avec Pairisadès V (ou Parisades, -124/-108). Celui-ci, en 115, ne pouvant résister aux attaques des Scythes, demande de l'aide auprès du roi du Pont Mithridate VI (-123/-63).

Mithridate VI le débarrassa des envahisseurs, mais à sa mort récupéra le royaume. Le fils de Mithridate VI, Pharnace II (-63/-47) lui succéda comme Roi du Pont et Roi du Bosphore Cimmérien. En -47 av. J.-C. le royaume du Pont fut partagé par Rome. Une partie fut rattachée à la province romaine de Bithynie et une autre attribuée sous Marc Antoine (-83/-30) à une dynastie vassale de Rome, les Polémons (royaume du Pont Polémoniaque) avec Trapézonte pour capitale. Resta le royaume du Bosphore Cimmérien qui perdura jusqu'au roi Rhescuporis V (ou VI) en 336 ap. J.-C. où il disparut, conquis par les Goths, lors des invasions barbares.

Sommaire

Géographie

Le Bosphore Cimmérien est un détroit, qui n'est navigable qu'en été et qui n'a jamais eu l'importance du Bosphore de Thrace, même si les bateaux grecs remontaient jusqu'à l'embouchure du Tanaïs (Don). Vers l'ouest, depuis le Don, le royaume comprenait presque toute la Crimée et la péninsule de Taman, mais vers l'est ses limites restent encore assez vagues. Il contrôlait aussi le débouché du lac Méotide (auj. mer d'Azov). Sur la rive occidentale se trouvait la ville de Panticapée (auj. Kertch), fondée vers -550 par des Milésiens qui fut la capitale du royaume du Bosphore. Outre Panticapée, d'autres villes furent florissantes: Phanagoria sur l'autre rive, fondée par Téos, qui prospéra grâce à ses pêches en mer d'Azov, Chersonèsos (près de l'actuelle Sébastopol), fondée vers -600 par l'athénien Miltiade l'Ancien, puis Théodosie (auj. Féodosia), elle aussi fondée par Milet. L'activité principale de ces ports consistait en un approvisionnement en blé des cités grecques, dont Athènes, trop peuplée pour subvenir elle-même à ses besoins. Ce précieux blé, en provenance des riches terres de l'est de la Tauride, était emmené en Grèce par voie de mer, traversant au passage la Chersonèse de Thrace.

Histoire

Influence grecque

Colonies grecques de la mer Noire

L'histoire de ce royaume est assez mal connue sur la période avant le Ve siècle av. J.-C.. Lors de la fondation des cités, les contacts avec les tribus indigènes sont pacifiques, ce qui permet le développement rapide de ces nouvelles villes avec le reste du monde grec. Les cités vont ensuite être détruites, vers la fin du VIe siècle par l'expédition de Darius Ier (-522/-486) à laquelle elles participent, contre les Scythes. Puis, au début du Ve siècle, plusieurs poleis (Cité-État) de la région du Bosphore Cimmérien vont se regrouper sous la domination de la dynastie des Arkhéanaktides. Les spécialistes supposent que la pression qu'exerçaient les Scythes en est la cause.

Spartacides

En -438/-437, un Thrace du nom de (ou Spartakos ou Spartocus, -438/-431) chasse cette dynastie, prend le pouvoir et s'installe à Panticapée, qu'il prend pour capitale de son nouveau royaume (selon Diodore de Sicile). De là il peut contrôler le passage entre la mer d'Azov (Palus Méotide) et la mer Noire (Pont Euxin) ce qui fait prendre rapidement de l'importance à son royaume, les villes de Grèce ayant constamment à partir de ce moment des ambassadeurs auprès de lui. Les exportations du royaume du Bosphore reposent principalement sur le blé et le poisson. Les importations concernent la céramique, le vin, l'huile et le métal. Malgré sa position périlleuse, sa dynastie, les Spartocides, dure plus de trois siècles. Succèdent à Spartakos Ier, ses deux fils Séleucos (-431/-391) et (-431/-387) qui règnent conjointement pendant 42 ans, puis Satyros Ier seul jusqu'à sa mort. Les échanges économiques se font surtout avec Athènes. L'importance athénienne dans le royaume du Bosphore se manifeste aussi au travers des privilèges que lui accordent les rois, ainsi que du soutien des nobles à Panticapée. À la mort de Satyros Ier, son fils Leucon Ier (-387/-348) arrive sur le trône. Celui-ci, qui entretient de bonnes relations avec les Athéniens, reçoit d'eux le titre de citoyen pour leur avoir expédié du blé lors de la famine de 357 av. J.-C., lors de la Guerre sociale.

Ses petits-fils, Spartokos II (-348/-344) et (ou Parisades, -348/-310) prennent sa suite et règnent conjointement jusqu'en -344, puis Pairisadès Ier seul. Ce dernier est aussi connu pour avoir reçu des Athéniens le privilège d'enrôler au Pirée des soldats pour sa flotte. Au cours du IIIe siècle av. J.-C., suite à l'élargissement du monde grec, grâce aux conquêtes d'Alexandre le Grand(-336/-323), les relations commerciales entre le Bosphore Cimmérien et Athènes déclinent doucement. Le royaume se tourne vers de nouvelles puissances comme Délos ou l'Égypte pour les échanges commerciaux. Arrivent ensuite sur le trône Satyros II (-310/-309) qui règne un an conjointement avec Prytanis (-310). Mais quelques mois après la mort de celui-ci, un noble du Bosphore, Eumèle (-309/-304) s'empare du trône qu'il garde jusqu'en -304. À cette date Spartokos III (-304/-283), héritier légitime, reprend le pouvoir.

À partir de ce roi, les informations manquent sur la succession des souverains et la chronologie selon laquelle elle s'est effectuée. Les seules certitudes concernent le dernier, Pairisadès V (-124/-108). En -115, Pairisadès V, ne pouvant résister aux attaques des Scythes, demande de l'aide du roi Pont Mithridate VI (-123/-63). Celui-ci réussit à mettre un terme au conflit et, à la mort de Pairisadès V, récupère le trône du Bosphore Cimmérien, qu'il lègue en -82 à son fils aîné, Macharès. En -66, pendant la grande invasion de Pompée lors de la troisième guerre mithridatique, le fils du roi déserte son père pour se ranger du côté romain. À cette époque commencent les défaites successives de Mithridate VI (Ier comme roi du Bosphore) jusqu'à sa mort en -63.

« Protectorat » romain

Son autre fils, Pharnace II (-63/-47) est alors couronné par les habitants du Pont, roi du Pont et roi du Bosphore Cimmérien. Il est soutenu par les Romains, mais il les trahit. Rome envoie alors une armée commandée par César (-101/-44) qui le bat à Zéla en -47 ; il est tué peu après. Son royaume du Pont est ensuite partagé par Rome. Une partie est rattachée à la province romaine de Bithynie et une autre attribuée sous Marc Antoine (-83/-30) à une dynastie vassale de Rome, les Polémons (royaume du Pont Polémoniaque) avec au départ Trapézonte pour capitale. Le Royaume du Bosphore garde alors son autonomie interne, mais l'influence romaine s’exerce de diverses façons selon les régions.

Le gendre de Pharnace II, Asandros (ou Assandre ou Asender, -47/-17 av. J.-C.) prend le pouvoir, mais il est détrôné par César qui nomme à sa place Mithridate II de Pergame (-47/-45), puis, à la mort de César, il est rétabli sur son trône par Octave, c'est-à-dire Auguste (-27 Av. J.-C./14 Ap. J.-C.). Son fils Aspourgos (ou Aspurgus, 14-38) lui succède. Il va se chercher de nouveaux alliés et se tourne vers la Thrace, dont il épouse Gepaepyris, la fille du roi Cotys VIII (12-19) et petite-fille par sa mère, Antonia Tryphaena, de Polémon Ier du Pont. Il signe aussi, en 14, un premier traité d’amitié avec l'empereur romain Tibère (14-37), puis un deuxième peu de temps après (selon Natwoka). Ces traités engagent les rois du Bosphore à reconnaître comme leurs souverains les empereurs romains. Ses deux fils Claudius Mithridate III et Julius Cotys Ier lui succèdent.

Le premier à prendre le pouvoir est Mithridate III (39-45 ou 41-45). À la mort de Tibère en 37, Caligula (37-41), le nouvel empereur romain, veut réunifier le royaume du Pont et le royaume du Bosphore sous la tutelle du roi du Pont Polémon II du Pont. Mais les habitants du Bosphore se rebellent, ne voulant pas d'un roi étranger (38). Cela pousse l'empereur Claude (41-54), successeur de Caligula, à renoncer au projet de réunification. Polémon II décide alors d'attaquer le Bosphore, mais son action est contrecarrée par Rome, et Mithridate est confirmé sur son trône, tandis que la Cilicie lui est donnée en compensation. La paix, suite à la décision de l'empereur Claude, est de courte durée. De nouvelles discordes apparaissent, mais cette fois entre Mithridate et les Romains, Mithridate voulant rompre le traité le liant à eux. Selon Dion Cassius (Histoire Romaine), il aurait même préparé une offensive militaire contre Rome, mais aurait été trahi par son frère Cotys Ier. Les Romains doivent dépêcher une armée en Chersonèse et en 44, le légat de Mésie, Didius Gallus, est envoyé à Panticapée avec des troupes.

Mithridate est battu, il doit fuir sa capitale, et son frère Cotys Ier Tibérius Julius (45-62 ou 63) est proclamé roi du Bosphore. Didius Gallus repart alors vers Rome, ne laissant à Panticapée que quelques hommes sous les ordres de Julius Aquila. Mithridate profite de la situation pour essayer de reprendre son royaume. Il rassemble des partisans et avec l’appui des Siraces (tribu sarmate), marche sur la capitale. Cotys Ier et Aquila, en infériorité numérique, passent alors alliance avec les Aorses (autre tribu), les ennemis traditionnels des Siraces. Cette coalition l'emporte et Mithridate, vaincu, doit de nouveau prendre la fuite. Puis il choisit de se rendre au roi des Aorses, Eunonès, mais l'empereur Claude le fait emmener en captivité à Rome. Cotys Ier, après la victoire sur son frère, accentue ses rapports avec les Romains qui lui donnent le nom Tibérius Julius Cotys. Lors de son règne, on peut assister à un afflux important d'Aorses dans le royaume.

Son fils Rhescuporis Ier Tibérius Julius (ou Rascouporis Ier ou Rescupore Ier, 68-92) lui succède, mais seulement en 68, en raison d'un interrègne de cinq ans pendant lequel Rome annexe le royaume. Il épouse Eunice et a un enfant, Tibérius Julius (93-123 ou 124), qui est son successeur. Il est contemporain des empereurs romains Trajan (98-117) et Hadrien (117-138). La période qui suit, jusqu'à la fin du royaume, est assez imprécise. Sauromatès est le nom de plusieurs rois du Bosphore Cimmérien, qui pour la plupart ne sont connus seulement que par leurs pièces de monnaie. Celles-ci représentent plus généralement la tête de l'empereur romain régnant et de l'autre côté celle du roi du Bosphore. À partir de ce constat, les spécialistes tentent de définir la chronologie des rois suivants, qui est très approximative et très discutée ; de plus, il semble qu'il y ait eu des règnes conjoints.

Cotys II Tibérius Julius (123 ou 124-132) fils de Sauromatès Ier monte sur le trône, puis son fils Tibérius Julius (ou Rhoémétalcès ou Rhoematelces, on peut trouver encore d'autres manières d'écrire ce nom), 132-154), puis Eupator Tibérius Julius (154-174), fils de Rhoémétalkès Ier et son frère, Sauromatès II Tibérius Julius (174-210), qui meurt peu après une victoire sur une coalition de Sarmates, Siraces et Scythes. Son fils Rhescuporis II Tibérius Julius (211-228) lui succède, puis le fils de celui-ci Cotys III Tibérius Julius (228-233) pour un règne très court et conjoint avec son frère Sauromatès III Tibérius Julius (229-232). Rhescuporis III Tibérius Julius (233-235 ou 240) le fils de Cotys III est le roi suivant, régnant conjointement avec son oncle Ininthimaios Tibérius Julius (234-238), frère de Cotys III. Suit Rhescuporis IV Tibérius Julius (240-262 ou 240-253) qui est le fils de Rhescuporis III. Il doit se plier aux commandements des Boranes et des Goths, qui envahissent le royaume, et leur laisser l'usage des ports, d'où leur flotte part pour des raids de piraterie en Asie Mineure.

Rhescuporis IV a un enfant Teiranès Tibérius Julius (ou Tiranès ou Teinarès, 262-278) qui lui succède. Teiranès remporte une victoire contre les Goths, mais en fin de règne il doit faire face à un prétendant, son frère Sauromatès IV Tibérius Julius (275-276), et régner conjointement avec lui. Sous son règne les relations avec Rome se dégradent et des accrochages ont lieu entre les deux États. Il épouse Aelia et il a un fils Thothorsès Tibérius Julius (ou Phophorsès, 278-307) qui est le roi suivant[1].

Pendant le règne de Thothorsès, un certain Sauromatès, fils de Criscoronès, lève une armée avec l'aide des Sarmates, qui vivent près de la mer d'Azov, et attaque d'abord le royaume du Pont, en 291, puis le Bosphore et sa capitale. Thothorsès le repousse et Sauromatès est obligé, en 292, de signer la paix. Oliotès Tibérius Julius (ou Oliotos ou Oligotos ou Olympios ou Uhlatos, 307-309), fils de Thothorsès, lui succède. Sa fille Nana épouse le roi d'Ibérie Mirian III (284-345)). Suivent ses frères, les rois, Sauromatès V (308-312) et Rhadamsadès (ou Rhadamsadius, 309-318 ou 323), qui selon quelques spécialistes (dont Nadel) ne seraient pas de la dynastie légitime des rois du Bosphore. Ils portent un nom iranien et utilisent une écriture sarmate sur leur monnaie. Le trône du Bosphore a donc peut-être été occupé par des rois étrangers. Puis Rhescuporis V (ou VI si l'on tient compte du frère de Teinerès, 318-336 ou 309-336), fils d'Oliotès, arrive au pouvoir, quelques spécialistes faisant débuter son règne en 309 ; il aurait donc eu un règne commun avec son oncle Rhadamsadès. En 335, le royaume est conquis par les Ostrogoths et Rhescuporis V est tué en défendant son royaume qui s'éteindra avec lui.

Il est à remarquer que, durant toute l'histoire grecque, un net contraste sépare les inscriptions grecques concernant les rois du Bosphore et les écrits des orateurs de l'époque : alors qu'Eschine parle de « tyrans », les inscriptions se refèrent à eux comme « archontes » ou « dynastes » du Bosphore…

Période russe

Sous l'Empire russe, la région est dénommée Goubernia de Tauride (Таврическая губерния), entre octobre 1802 et octobre 1921. Son centre administratif est Simféropol. La Goubernia inclut des territoires variables suivant les époques, dont la totalité de la Crimée et son arrière-pays.

Liste des rois

Dynastie Spartacides

  • (438-431)
  • Séleucos (431-391)
  • (431-387)
  • Leucon Ier (387-348)
  • Spartokos II (348-344)
  • (348-310)
  • Satyros II (310-309)
  • Prytanis (310)
    • Eumèlos (309-304) usurpateur
  • Spartokos III (304-283)
  • Pairisadès II (283-245)
  • Spartokos IV (245-215)
  • Leucon II (215-?)
  • Pairisadès III (215-190)
  • Pairisadès IV (190-160)
    • Pharnace I (roi du Pont, 184-156) usurpateur
  • Spartokos V Philometôr (160-150)
  • Leucon III
  • Pairisadès V (124-109)

occupation du royaume par les Scythes du roi Saumokos

Divers et Odrysse

  • Mithridate VI-Ier (roi du Pont,108-63)
  • Pharnace II (63-47)
  • Mithridate II de Pergame (47-45)
  • Dynamis (45.av. J.-C. à 8.ap. J.-C.) reine, fille de Pharnace II
  • Tibérius Julius Aspurgos (8.ap. J.-C.-38) fils d'Asandros et de Dynamis
  • Gepaepyris (38-39) reine épouse d'Aspurgos et petite fille de Polémon Ier
  • Polémon II du Pont (38-39) petit-fils de Polémon Ier
  • Claudius Mithridate III (39-45) ou (41-45) fils d'Aspurgos
  • Tiberius Julius Cotys Ier (45-62) frère du précédent
  • Tiberius Julius Rhescuporis Ier (68-92)
  • Ti.J. (93-123)
  • Ti.J Cotys II (123-131)
  • Ti.J (130-153)
  • Ti.J Eupator (154-170)
  • Ti.J Sauromatès II (174-210)
  • Ti.J Rhescuporis II (211-228)
  • Ti.J Cotys III (228-233)
  • Ti.J Sauromatès III (228-232)
  • Rhescuporis III (233-240)
    • Ininthimaios (234-238) usurpateur
  • Rhescuporis IV (240-262)
  • T.J Teiranès (262-278)
  • Sauromatès IV (275-276)
  • Julius.Thothorsès (285-308)
  • Oliotos ou Oliotès (307-309)
  • Sauromatès V (308-312)
  • Rhadamsadès (309-322)
  • Rhescuporis V (304-341)

Description

En 1788, l'abbé Jean-Jacques Barthélemy publia un livre intitulé Voyage du jeune Anacharsis en Grèce dans le milieu du IVe siècle, où il rédigea avec un soin méticuleux une description de tous les territoires que traverse son héros, un jeune Scythe. Au début de son voyage, au début de l'an 363 av. J.-C., celui-ci traverse justement le Bosphore Cimmérien, afin d'atteindre le Pont-Euxin. Voici la vivante description qu'en donne l'abbé (ainsi que les notes extrêmement érudites qu'il y ajoute):

« Vers la fin de la première année de la 104ème olympiade[2], je partis avec Timagène à qui je venais de rendre la liberté. Après avoir traversé de vastes solitudes, nous arrivâmes sur les bords du Tanaïs[3], près de l’endroit où il se jette dans une espèce de mer, connue sous le nom de Lac ou de Palus Méotide. Là, nous étant embarqués, nous nous rendîmes à la ville de Panticapée, située sur une hauteur[4], vers l’entrée du détroit qu’on nomme le Bosphore Cimmérien, et qui joint le lac au Pont-Euxin. Cette ville où les Grecs établirent autrefois une colonie[5], est devenue la capitale d’un petit empire qui s’étend sur la côte orientale de la Chersonèse Taurique. Leucon y régnait depuis environ 30 ans[6]. C’était un prince magnifique et généreux[7], qui plus d’une fois avait dissipé des conjurations, et remporté des victoires par son courage et son habileté[8]. Nous ne le vîmes point : il était à la tête de son armée. Quelque temps auparavant, ceux d’Héraclée en Bithynie s’étaient présentés avec une puissante flotte, pour tenter une descente dans ses états. Leucon s’apercevant que ses troupes s’opposaient faiblement au projet de l’ennemi, plaça derrière elles un corps de Scythes, avec ordre de les charger, si elles avaient la lâcheté de reculer[9]. On citait de lui un mot dont je frissonne encore. Ses favoris, par de fausses accusations, avaient écarté plusieurs de ses amis, et s’étaient emparés de leurs biens. Il s’en aperçut enfin ; et l’un d’eux ayant hasardé une nouvelle délation : « Malheureux, lui dit-il, je te ferais mourir, si des scélérats tels que toi n’étaient nécessaires aux despotes[10].

La Chersonèse Taurique produit du blé en abondance : la terre, à peine effleurée par le soc de la charrue, y rend trente pour un[11]. Les Grecs y font un si grand commerce, que le roi s’était vu forcé d’ouvrir à Théodosie[12], autre ville du Bosphore, un port capable de contenir 100 vaisseaux[13]. Les marchands Athéniens abordaient en foule, soit dans cette place, soit à Panticapée. Ils n’y payaient aucun droit, ni d’entrée, ni de sortie ; et la république, par reconnaissance, avait mis ce prince et ses enfants au nombre de ses citoyens[14].

Nous trouvâmes un vaisseau de Lesbos près de mettre à la voile. Cléomède, qui le commandait, consentit à nous prendre sur son bord. En attendant le jour du départ, j’allais, je venais ; je ne pouvais me rassasier de revoir la citadelle, l’arsenal, le port, les vaisseaux, leurs agrès, leurs manœuvres ; j’entrais au hasard dans les maisons des particuliers, dans les manufactures, dans les moindres boutiques ; je sortais de la ville, et mes yeux restaient fixés sur des vergers couverts de fruits, sur des campagnes enrichies de moissons. Mes sensations étaient vives, mes récits animés. Je ne pouvais me plaindre de n’avoir pas de témoins de mon bonheur ; j’en parlais à tout le monde : tout ce qui me frappait, je courais l’annoncer à Timagène, comme une découverte pour lui, ainsi que pour moi ; je lui demandais si le lac Méotide n’était pas la plus grande des mers ; si Panticapée n’était pas la plus belle ville de l’univers. Dans le cours de mes voyages, et surtout au commencement, j’éprouvais de pareilles émotions, toutes les fois que la nature ou l’industrie m’offrait des objets nouveaux ; et lorsqu’ils étaient faits pour élever l’âme, mon admiration avait besoin de se soulager par des larmes que je ne pouvais retenir, ou par des excès de joie que Timagène ne pouvait modérer. Dans la suite, ma surprise, en s’affaiblissant, a fait évanouir les plaisirs dont elle était la source ; et j’ai vu avec peine, que nous perdons du côté des sensations, ce que nous gagnons du côté de l’expérience.[15] »

Notes

  1. Certains spécialistes ont une chronologie différente, après Rhescuporis IV (ou V, 240-262 ou 240-253), ils donnent son fils, Pharsanzès (253-255), puis le frère de celui-ci, Rhescuporis V (255-276), puis son frère Sauromatès IV (276-278), puis son frère
  2. Au mois d'avril de l'an 363 av. J.-C.
  3. Le Don
  4. Strabon, livre VII, page 309 / Pline, livre IV, chapitre 12, page 218
  5. Strabon, livre VII, page 310
  6. Diodore de Sicile, livre XVI, page 432
  7. Chrysippe, cité par Plutarque, Des contradictions des Stoïques, tome II, page 1043
  8. Polyen, Stratagèmes, livre VI, chapitre 9
  9. Ibidem, idem
  10. Athénée, livre 6, chapitre 16, page 257
  11. Strabon, idem, page 311
  12. Aujourd'hui Caffa
  13. Démosthène, Contre Leptine, page 546 / Strabon, idem, page 309
    « Afin que ces privilèges fussent connus des commerçants, on les grava sur trois colonnes, dont la première fut placée au Pirée, la seconde au Bosphore de Thrace, la troisième au Bosphore cimmérien : c'est-à-dire au commencement, au milieu et à la fin de la route que suivaient les vaisseaux marchands des deux nations. »
  14. Démosthène, idem, page 545
  15. Texte tiré de Remacle.org, notes des Œuvres complètes de Barthélémy, pages 228-230.

Sources

  • R.D.Barnett, The Sea Peoples dans The Cambridge Ancient History, vol. II, part 2, 1975
  • G.Kochelenko avec V.Kouznetsov, La Colonisation grecque du Bosphore Cimmérien, dans Lordkipanidzé
  • M.Rostovtzeff, Pontus, Bithynia and the Bosporus, Annual of the British School at Athens, 22, 1916-1918
  • Pauline Schmitt Pantel et Claude Orrieux, Histoire grecque, PUF, 2004
  • Neal Ascherson, Black Sea, New Ed, 1996
  • Yann Le Bohec, Les provinces danubiennes de l'Empire romain : Celtes, Romains, Germains, Paris, 2002

Lien externe

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