Choc des cultures

Choc des cultures

Le Choc des civilisations

Le Choc des civilisations (en anglais The Clash of Civilizations and the Remaking of World Order[1]) est le titre d'un essai d'analyse politique rédigé par l'Américain Samuel Huntington, professeur à Harvard, paru en 1996 et traduit en français en 1997. Très controversé depuis sa parution, l'ouvrage a donné lieu à de nombreux débats.

Le projet de Huntington est d'élaborer un nouveau modèle conceptuel pour décrire le fonctionnement des relations internationales après l'effondrement du bloc soviétique à la fin des années 1980. Toutefois, il ne prétend pas donner à son modèle une validité qui s'étend forcément au-delà de la fin du XXe siècle et du début du XXIe siècle[2] et s'appuie sur une description géopolitique du monde fondée non plus sur des clivages idéologiques « politiques », mais sur des oppositions culturelles plus floues, qu'ils appelle « civilisationnelles », dans lesquelles le substrat religieux tient une place centrale, et sur leurs relations souvent conflictuelles.

Sommaire

Plan du livre

Préface[3]
Première partie - Un monde divisé en civilisations
  • Chapitre premier - Le nouvel âge de la politique globale
  • Chapitre II - Les civilisations hier et aujourd'hui
  • Chapitre III - Existe-t-il une civilisation universelle ? Modernisation et occidentalisation
Deuxième partie - L'équilibre instable des civilisations
  • Chapitre IV - L'effacement de l'Occident : puissance, culture et indigénisation
  • Chapitre V : Économie et démographie dans les civilisations montantes
Troisième partie - Le nouvel ordre des civilisations
  • Chapitre VI : La recomposition culturelle de la politique globale
  • Chapitre VII : États phares, cercles concentriques et ordre des civilisations
Quatrième partie - Les conflits entre civilisations
  • Chapitre VIII : L'Occident et le reste du monde : problèmes intercivilisationnels
  • Chapitre IX : La politique globale des civilisations
  • Chapitre X : Des guerres de transitions aux guerres civilisationnelles
  • Chapitre XI : La dynamique des guerres civilisationnelles
  • Chapitre XII : L'Occident, les civilisations et la civilisation

La thèse

La chute du mur de Berlin en 1989 annonce le passage d'un monde caractérisé par des clivages idéologiques, entre communisme et capitalisme, ou impérialisme et anti-impérialisme, à un monde marqué par des clivages culturels. « Pour la première fois dans l'histoire, la politique globale est à la fois multipolaire et multicivisationnelle. »[4] À l'appui de sa thèse, Huntington montre que la chute des idéologies s'est accompagnée d'une résurgence des sentiments identitaires, que ce soit dans le monde musulman, avec le réveil de l'islam radical, qu'en Asie ou dans les pays d'Europe orientale (comme la Pologne par exemple), qui ont fait leur révolution au nom de leur nation et de leur culture.

Le deuxième temps de la « thèse du grand seigneur » d'Huntington consiste à avancer que ce réveil identitaire ne s'affirme plus par le biais des nations, comme au XIXe siècle et au XXe siècle, ni celui des ethnies, mais à l'échelle civilisationnelle, du fait de la mondialisation des échanges. Or, pour Huntington, les civilisations ont toutes pour origine une grande religion qui en a formé le socle moral et politique.

L'argumentation

  • D'autres arguments rappellent les analyses historiques
  • En proportion, de plus en plus de guerres ont désormais un caractère ethnique.

Les civilisations selon Huntington

Les civilisations selon Huntington.

Huntington décrit les grandes civilisations contemporaines suivantes :

La civilisation chinoise

La civilisation chinoise[8] (sinic) comprend le monde chinois (au sens large, y compris la diaspora chinoise : Chine, ainsi que les cultures connexes de Corée et du Vietnam[9], et Philippines[réf. nécessaire].

La civilisation japonaise

Le Japon forme une civilisation spécifique[10].

La civilisation hindoue

La civilisation indienne ou hindoue[11] recouvre le sous-continent indien : Inde, Sri Lanka et diaspora indienne), et fondée sur l'hindouisme. Huntington cite Fernand Braudel à ce propos : « C'est davantage qu'une religion ou qu'un système social ; c'est le noyau de la civilisation indienne. »[12]

La civilisation islamique

La civilisation islamique (du Sénégal à la Nouvelle-Guinée)se fonde sur la religion musulmane. Huntington y distingue des sous-ensembles (qu'il appelle « cultures » ou « sous-civilisations » (sans connotation péjorative) : les cultures arabe, turque, perse et malaisienne[13].

La civilisation occidentale

La civilisation occidentale se compose de trois grands ensembles : L'Europe, l'Amérique du Nord et l'Amérique latine.(Europe de l'Ouest, États-Unis, Canada, Australie et Nouvelle-Zélande), fondée sur le christianisme.

L'Amérique latine

Pour Huntington, bien qu'elle dérive de la civilisation européenne, l'Amérique du Sud n'en a pas moins suivi un développement différent des deux autres composants : Europe et Amérique du Nord. Elle se caractérise par un corporatisme et un autoritarisme spécifiques, par un contact avec d'autres cultures (Incas, Aztèques, etc.) et par le fait qu'elle soit demeurée seulement catholique, alors que les deux autres entités ont l'influence de la Réforme protestante[14].

L'Amérique du Nord

Huntington insiste sur le fait que les rapports avec les Européens ont beaucoup évolué avec le temps. L'Amérique du Nord s'est longtemps définie contre l'Europe. Ce n'est qu'au XXe siècle, alors que l'Amérique du Nord prend le commandement de « l'Occident » qu'elle se reconnaît « européenne ». « Cependant, on appelle généralement « occidentale » la civilisation euro-américaine. Malgré ses défauts, c'est ce terme qui sera utilisé ici. »[15]

La civilisation africaine

La civilisation africaine (si possible)[16](sans l'Afrique du Nord ni la Corne de l'Afrique), civilisation pour laquelle Huntington reconnaît qu'il n'y a pas de religion dominante, mais plutôt un ensemble de pratiques animistes. Pour lui, l'existence d'une grande religion est une condition préalable à l'existence d'une grande civilisation.

La civilisation orthodoxe

La civilisation orthodoxe (Russie, Ukraine, Serbie, Grèce...), fondée sur le christianisme orthodoxe. Huntington n'y fait aucune allusion dans le chapitre où il définit les grandes civilisations. Par contre, dans les analyses ultérieures, la civilisation orthodoxe est considérée comme telle.

Remarques

Huntington précise qu'on ne peut pas parler de civilisations bouddhiste ou juive[17]. Le bouddhisme est une grande spiritualité mais son extinction en Inde et sa capacité à se fondre dans des modèles préexistants ne permettent pas d'en faire le socle d'une grande civilisation. En ce qui concerne le judaïsme, sa faiblesse démographique est antinomique avec la définition même de civilisation et l'identification subjective des juifs est complexe : de nombreux juifs diasporiques se reconnaissent comme juifs mais pas comme Israéliens, se réclamant de fait comme membres de leur civilisation de rattachement.

Selon Huntington, les conflits civilisationnels peuvent se manifester de plusieurs manières :

  1. entre deux civilisations sur leurs frontières : cas de l'Islam au contact des autres civilisations (Bosnie-Herzégovine, Cachemire, Nigeria, Pakistan...) ;
  2. entre civilisations du fait de la domination de l'Occident : les autres civilisations cherchent à s'affirmer face à un Occident dominateur ;
  3. à l'intérieur d'une civilisation : lutte de pouvoir pour le contrôle d'une civilisation, comme la lutte entre islamistes et réformateurs dans le monde islamique ;
  4. lutte à l'intérieur d'un pays : cas d'un pays déchiré entre plusieurs civilisations (Huntington cite la Turquie, le Mexique, la Russie et l'Australie).

Critiques

Cette théorie est contestée dans les milieux intellectuels et universitaires nord-américains.

Elle constitue un tenant de la base idéologique de la guerre contre le terrorisme[18]. Parmi les détracteurs de M. Huntington et de sa thèse géopolitique figurent l'écrivain britannique Naipaul, auquel se joint Edward Saïd dans l'introduction à la nouvelle édition de son ouvrage L'Orientalisme ; ils s'inscrivent en faux par rapport à cette définition des rapports du Monde, lui opposant la thèse de la civilisation universelle.

Critiques d’ordre géopolitique

Selon ses critiques, la thèse d’Huntington offre un axe de lecture tentant, mais réducteur et simplificateur. En effet, le découpage des aires civilisationnelles est arbitraire et l’auteur lui-même reconnaît quelquefois la faiblesse de certains choix, comme l’incertitude de l’existence d’une civilisation sub-saharienne. Quant à la civilisation musulmane, elle masque l’extrême complexité des différentes tendances de la religion et les éventuels conflits internes.

Par cette grille sont ignorés la présence de conflits au sein même de ce qu’il appelle les civilisations, tels les affrontements interethniques (Bosnie, Rwanda), avec les cultures « en guerre contre elles-mêmes » (Yvon Le Bot), ou encore l’enjeu du pétrole au Moyen-Orient.

Outre le manque de pertinence du critère géographique pour le tracé approximatif de ces aires, le choix du facteur de la religion comme facteur déterminant occulterait complètement d’autres variables géopolitiques, économiques, etc. La thèse serait contredite par le libéralisme économique contemporain et la mondialisation, qui montreraient que chaque aire considérée échange avec les autres et tendrait à s’uniformiser avec le reste du monde (voir plus bas, la citation d'Huntington).

L’ASEAN seule montrerait le recoupage de plusieurs aires d’une zone de libre-échange[19].

Abdelwahab Meddeb, auteur de La Maladie de l'Islam, s’oppose à une telle conception et avance que le fondamentalisme n’est pas spécifique à une religion, mais les touche bien toutes, notamment à cause justement des rapports et des échanges avec les autres cultures.

Critiques d'ordre anthropologique

Pour Huntington, une civilisation est valable par sa définition essentialiste. En effet, chacune aurait son identité propre et serait comme un bloc revanchard, cohérent, anhistorique et intègre. Or en réalité les civilisations se caractérisent par leur capacité à s’ouvrir à l’extérieur et à échanger avec d’autres pour apporter et recevoir.

Cette interprétation du monde actuel peut être dangereuse, car pouvant légitimer des politiques qui ont tendance à lui conférer une réalité : c’est la dérive des prophéties auto-réalisatrices.

Il ne tient pas compte non plus du métissage possible entre les cultures et il considère même que certaines civilisations ne seraient pas en capacité de pouvoir se moderniser.

Remarques

L'un des premiers ouvrages maîtres sur les questions des identités et des civilisations a été celui de l'historien français Fernand Braudel (Grammaire des civilisations, 1987). Samuel Huntington s'appuie fortement sur l'œuvre de Braudel, cité à de nombreuses reprises.

Citation

« L'idée selon laquelle la diffusion de la culture de masse et des biens de consommation dans le monde entier représente le triomphe de la civilisation occidentale repose sur une vision affadie de la culture occidentale. L'essence de la culture occidentale, c'est le droit, pas le MacDo. Le fait que les non-Occidentaux puissent opter pour le second n'implique pas qu'ils acceptent le premier. »

— Samuel Huntington, Le Choc des civilisations, p. 72

Bibliographie

Notes

  1. Basé sur The Clash of Civilizations?, un article de 1993 dans la revue Foreign Affairs et qui avait déjà suscité beaucoup de débats à l'époque (Le Choc des civilisation, préface, p. 9)
  2. Le Choc des civilisations, p.10
  3. La table des matières se fonde sur l'édition 2000 de la traduction française chez Odile Jacob. La table des matières ne compte que quatre parties, mais dans son introduction (p.17 et 18), Huntington fait explicitement référence au cinq parties de l'ouvrage.
  4. Le Choc des Civilisations, p 17
  5. Samuel Huntington, Le Choc des Civilisations, p.  15
  6. Le Choc des Civilisations, p. 16
  7. Le Choc des civilisations, p. 71
  8. Dans son premier article sur le sujet, Huntington avait d'abord nommé celle-ci «confucéenne » avant de choisir une dénomination moins restrictive. (Le Choc des civilisations, p. 51)
  9. Le Choc des civilisations, p. 51
  10. Le Choc des civilisations, p. 51
  11. Huntington admet les deux adjectifs (ibid. p.51
  12. Le Choc des civilisations,p.52 + note 15
  13. Le Choc des civilisations, p. 52
  14. Le Choc des civilisations, p. 52-53
  15. Le Choc des civilisations, p. 54
  16. La parenthèse est de l'auteur. Huntington met en avant la difficulté à parler d'une « civilisation africaine », en raison du découpage historique en sphères d'influence occidentale et musulmane et par l'impact de la colonisation impérialiste. p. 55
  17. Le Choc des Civilisations, p 56
  18. « Depuis le 11 septembre, l’un de ces monstres est invoqué d’un studio de télévision à l’autre par ceux qui dénoncent la menace que représentent ces barbares pour notre civilisation capitaliste mondiale. » Tariq Ali, « Au nom du "choc des civilisations" », Le Monde diplomatique, octobre 2001.
  19. Huntington traite de cette critique à la page 188 et suivantes et insiste sur le caractère problématique et limité de cette coopération.

Voir aussi

Articles connexes

Liens externes


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