Conference consultative tunisienne

Conference consultative tunisienne

Conférence consultative tunisienne

La Conférence consultative tunisienne est un organe consultatif tunisien mis en place durant le protectorat français en Tunisie.

Sommaire

Naissance

Créée en janvier 1891, la Conférence consultative tunisienne réunit les représentants élus de la colonie française et constitue un organe relationnel entre le résident général de France en Tunisie et les résidents français de Tunisie. Le décret beylical du 2 février 1907, consacrant la revendication des Jeunes Tunisiens, y adjoint une section tunisienne composée de représentants nommés par le pouvoir de tutelle pour les différentes régions du pays. Dès 1910, les délibérations des deux sections se déroulent séparément.

Institution hybride

Il s'agit d'une institution hybride, embryon de parlement auquel on donne une voix consultative dans l'examen du budget de la Tunisie. Elle est présidée par le résident général ou son représentant. Le domaine de ses délibérations est initialement strictement délimité : à l'interdiction d'aborder toute question d'ordre politique ou constitutionnel s'ajoutent la restriction concernant l'organisation financière, les règles de la comptabilité publique et les ressources et emplois du trésor public. Enfin, s'imposent de plein droit à la conférence les dépenses dites « obligatoires » concernant la liste civile du bey et les dotations et services de la famille husseinite d'une part, les services de la dette tunisienne et les dépenses de gestion des services français d'autre part (art. 8 du décret du 2 février 1907).

De l'examen du budget aux revendications nationales

Nazli Hafsia, juriste, écrit à propos de la Conférence consultative que par « ce canal, si limité et hybride soit-il, les Tunisiens intervenaient directement et au plus haut niveau à la gestion et [ainsi] à l'évolution du pays dans son ensemble : le décret du 2 février 1907 stipule en effet dans ses considérants :

« Désireux de nous entourer, pour l'établissement du budget général de l'État, des avis des représentants élus de la colonie française et des délégués choisis parmi les notables de nos sujets... »

Or, le budget de l'État est le plan annuel, prévisionnel, du pays. Les recettes du budget sont autant de charges du contribuable tunisien et ses dépenses définissent les services publics et l'évolution des différents secteurs socio-économiques du pays. Être admis à discuter du budget, même à titre consultatif, est donc une participation essentielle à la gestion et à l'évolution de la chose publique, tant en amont quant aux prévisions qu'en aval quant au contrôle de l'exécutif. Le budget de l'État figure donc la volonté réelle, précise, de l'État. Il est à cet égard, déterminant pour la vie nationale. »

Représentativité et scission des Jeunes Tunisiens

La première tâche des Jeunes Tunisiens est d'énoncer un programme qui sera construit ensemble puis énoncé par chacun : Ali Bach Hamba dans le journal Le Tunisien (confer Notre Programme, premier numéro paru le 7 février 1907 soit quelques jours après le décret beylical consacrant la section tunisienne), Béchir Sfar à l'asile de la Takiya et Abdeljelil Zaouche à la première séance mixte de la Conférence consultative. Zaouche est par ailleurs désigné avec deux autres Tunisiens comme représentant de la région de Tunis et élu par les délégués tunisiens à la commission des finances. La section tunisienne compte au total seize membres.

Le désignation de Zaouche à la Conférence consultative et sa participation marque la première scission au sein du mouvement des Jeunes Tunisiens entre Zaouche et Bach Hamba (par ailleurs beaux-frères). Non seulement le choix du bey agace ce dernier mais cette charge devait, selon Bach Hamba, faire l'objet d'élections. Zaouche, écrit lui-même dans son rapport de novembre 1910) :

« Il est possible que, malgré notre désir de bien faire, nous n'ayons pas toujours eu la notion exacte des besoins ou des aspirations de la population que nous représentions. Notre excuse, s'il en était ainsi, serait dans le fait même que nous n'étions pas à proprement parler des mandataires... Le gouvernement du protectorat pourrait traiter les affaires du pays avec les représentants [élus] de la population indigène, tout au moins de la partie éclairée, dont les avis auraient certes plus de poids que ceux de seize homme pleins de bonne volonté sans doute mais en somme ne représentant qu'eux mêmes... La Tunisie est arrivée à un degré de civilisation suffisant pour permettre à beaucoup de ses enfants de désigner ceux qu'ils jugent les mieux qualifiés pour défendre les intérêts de la collectivité. Depuis longtemps d'ailleurs, et même dans les villages les plus reculés, les cheikhs sont élus par les notables. À Tunis, les conseillers municipaux l'étaient jadis. Nous concevons parfaitement qu'on ne saurait, du jour au lendemain, établir en Tunisie le suffrage universel, la masse certes n'y est pas préparée. Mais on pourrait instituer une sorte de cens qui comprendrait tous les indigènes majeurs sachant lire et écrire soit en arabe soit en français. Le rôle des membres indigènes de la Conférence consultative serait sinon plus enviable, du moins plus aisé à remplir, si au lieu de tenir les pouvoirs de l'administration, ils les tenaient de leurs pairs. Leurs votes auraient un sens qu'ils ne sauraient avoir aujourd'hui. »

À ces revendications, la colonie française s'opposera régulièrement.

Zaouche ou l'État service public

Pour Abdeljelil Zaouche, la participation à la Conférence consultative est une occasion de faire entendre la voix tunisienne. Il s'infiltre donc dans cette brèche qui s'ouvre aux Tunisiens. Dans la biographie qu’elle lui consacre, Nazli Hafsia écrit :

« Car il apparaît à l'expérience que la perfection engendre l'immobilisme dans les actions humaines. Ce n'est semble-t-il que dans l'imperfection et les contraintes que les esprits sont stimulés. Ils donneront au cadre offert, quelle que soient son étroitesse, la fausseté de son caractère politique, son imperfection congénitale, un sens et un pouvoir que les textes, l'ayant créé et organisé, ne prévoyaient guère [...] À cet égard, ce pseudo parlement qu'est la Conférence consultative va évoluer en pratique en tendant d'une part à affirmer de plus en plus fort la présence de la voix tunisienne qui d'avis consultatif s'imposera à la tutelle française. D'autre part, on assiste, à la lecture des procès-verbaux des diverses séances, au débordement des champs abordés et discutés : c'est que le budget, par sa nature même, implique tous les aspects et problèmes de la politique générale même dans le cadre traditionnel d'un budget de gestion et, au terme de l'année, comptes sont demandés aux gouvernants. »

Parmi les questions abordées à la Conférence consultative par Zaouche figurent celles de :

  • l'unité de l'entité nationale et l'égalité de tous ses membres devant la loi et le service public
  • la protection de la nationalité tunisienne agressée selon lui par les nouvelles dispositions françaises (notamment la naturalisation des israélites et le dessaisissement du tribunal de l'Ouzara)
  • la modernisation et l'assise solide à construire pour une justice viable et indépendante
  • l'allégement de la charge fiscale qui grève les classes démunies

On assiste donc avec les Jeunes Tunisiens à la naissance de l'« État service public » conçu non seulement comme gestionnaire des prestations publiques classiques mais surtout comme promoteur d'une société moderne, active et avant tout instruite : « La section tunisienne ne peut accepter une diminution dans les crédits de l'enseignement pour les travaux de routes » (propos tenus par Zaouche en 1913). Ce programme d'action porte sur trois secteurs vitaux : l'enseignement, la justice et la fiscalité. Il assure que

« tant dans les discussions que dans leurs rapports avec leurs collègues français, ils sauront « apporter la courtoisie et la modération qui siaient à une réunion d'hommes désintéressés, n'ayant d'autres préoccupations que celle du bien public. Ni haine ni passion, telle sera notre devise. » »

Négociations

Résumant la réponse de Zaouche à l'allocution de bienvenue du résident général Gabriel Alapetite, Marie Dauphin rapporte avec quelle « défiance » les Arabes se présentent à cette séance :

« Mais le secrétaire indigène Abdeljelil Zaouche y répond très froidement dans une allocution où il s'empresse de tracer le programme des revendications de ses coreligionnaires : enseignement franco-arabe, justice modernisée, réformes fiscales. Il aborde donc immédiatement au cours de cette première séance, la question de l'enseignement, celle de l'admission des Tunisiens aux chambres de commerce l'année suivante. Leurs collègues français, qui avaient protesté contre l'adjonction de ceux-ci à leurs réunions, entamèrent le débat avec le ferme propos de se refuser à toutes réformes proposées dans l'intérêt des musulmans. »

Le veto est entériné. La question revint donc devant la conférence, poursuit Marie Dauphin, mais elle se pose maintenant sous un autre aspect :

« Puisqu'il faut en accorder un, quelle sorte d'enseignement donner aux indigènes ? M. Zaouche déposa une motion en faveur de l'enseignement franco-arabe qui fut repoussée. Les écoles seront donc spéciales aux musulmans mais, de plus, l'instruction se servira aussi de méthodes particulières car, en 1908, l'assemblée se prononça pour eux en faveur d'un enseignement professionnel, surtout agricole, et complété par l'institution de jardins scolaires dans les écoles rurales. »

Bibliographie

  • Marie Dauphin, La Conférence consultative tunisienne (thèse de doctorat), éd. Faculté de droit de Paris, Paris, 1919
  • Nazli Hafsia, Les premiers modernistes tunisiens. Abdeljelil Zaouche. 1873-1947, éd. MIM, Tunis, 2007, p. 148 (ISBN 9789973736017)
  • Rapports disponibles à l'Institut des belles lettres arabes de Tunis et aux archives nationales de Tunisie :
    • programme directeur (11 novembre 1907)
    • impôt mejdba et fiscalité (novembre 1909)
    • israélites et juridiction (décembre 1909)
    • représentativité des représentant indigènes (novembre 1910)
    • économie et apprentissage (1910)
    • rapports sur l'emprunt de la ligne de chemin de fer (1910)
    • agriculture indigène (1910-1912)
    • exportation du poisson (1912)
    • budget de 1914 et situation générale des indigènes (décembre 1913)
    • exportation de poisson (décembre 1915)
    • rapport sur le budget de 1917 (décembre 1917)
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