Crise du 16 mai 1877

Crise du 16 mai 1877
Gravure en noire et blanc de Mac Mahon debout, la main gauche posée sur un bureau, le visage vers la droite. Il arbore les insignes de grand maître de l'ordre de la légion d'honneur.
Portrait officiel du président Mac Mahon, initiateur de la crise du 16 mai.

La crise du 16 mai 1877 est une crise institutionnelle de la Troisième République française qui a opposé le président de la République, le maréchal Patrice de Mac Mahon, monarchiste, à la Chambre des députés élue en 1876, à majorité républicaine, et à l'une de ses grandes figures, Léon Gambetta.

Si cette crise s'est bien ouverte le 16 mai, lorsque le président a nommé un chef de gouvernement conforme à ses vues politiques, qui étaient opposées à celles du parlement, elle s'est de fait poursuivie tout au long de l'année 1877 et n'a trouvé son épilogue que le 13 décembre 1877, lorsque Mac Mahon a reconnu sa défaite politique.

La portée de cette crise politique est immense : elle a ancré le régime républicain, alors tout jeune[note 1] en France, ruinant les espoirs des monarchistes de voir une troisième restauration advenir, et elle a, par dessus tout, orienté définitivement la pratique politique des institutions, en mettant de côté l'interprétation « orléaniste » des lois constitutionnelles de 1875 — un gouvernement responsable à la fois devant le chef de l'État et le parlement, ce qui revient bien sûr à reconnaître au président un rôle actif dans la gestion du pays —, au profit d'une interprétation strictement républicaine, révolutionnaire même, où le gouvernement ne dépend que du parlement, qui l'investit et le révoque.

Sommaire

Contexte historique

Un régime parlementaire dualiste

Entre la monarchie constitutionnelle et la république parlementaire

Le 4 septembre 1870, dans les décombres du Second Empire vaincu par la Prusse, la république est proclamée. Jusqu'en 1877, monarchistes et républicains se livrent une lutte politique intense pour le contrôle des institutions et la définition juridique à leur donner.

Consultez la légende de l'image, dont le texte suit.
L'Assemblée nationale élue en 1871, à majorité monarchiste, avec près de 396 députés monarchistes sur 768 — dont 214 orléanistes et 182 légitimistes.

Après la large victoire des monarchistes le 18 février 1871 lors des élections législatives, Adolphe Thiers est nommé « chef du pouvoir exécutif de la République française », en attendant la signature de la paix et le rétablissement de l'ordre. Cependant, l'intransigeance du comte de Chambord, chef des monarchistes légitimistes qui exige l'adoption du drapeau blanc à la place du drapeau tricolore, brise toute possibilité d'une restauration royaliste à brève échéance, alors qu'il avait obtenu le soutien du parti orléaniste.

Les monarchistes conservent Adolphe Thiers au pouvoir le temps de solder les conséquences de la guerre tout en préparant le retour de leurs prétendants. Thiers, à la tête d'un groupe de conservateurs, considérant qu'une nouvelle monarchie est impossible, prend alors position pour une république conservatrice. Après la mort de Napoléon III en janvier 1873, les bonapartistes s'allient aux royalistes pour préserver les chances du prince impérial. Thiers démissionne en mai. Il est alors remplacé par le maréchal de Patrice de Mac Mahon, élu par 390 voix sur 391 exprimées (1 voix pour J. Grévy) et 380 abstentions (la Gauche).

Sous sa présidence d'obédience orléaniste, Mac Mahon, dont l'ambition politique semble se limiter au retour du roi, laisse la tâche du gouvernement au duc Albert de Broglie, qui entreprend une politique très conservatrice de retour à « l'Ordre moral ».

Photographie en noir et blanc du duc Albert de Broglie (prononcez « Breuil »), assis à un bureau.
Le duc Albert de Broglie, l'un des principaux théoriciens des lois constitutionnelles de 1875, et par deux fois président du Conseil.

Dans ce contexte, la droite prépare des institutions qui seraient susceptibles de fonctionner et d'être modifiées en monarchie. Le duc de Broglie fait voter le 20 novembre la loi portant le mandat du président à sept ans pour prolonger la présidence de Mac Mahon. Malgré l’effritement de la majorité monarchique du fait de multiples élections partielles remportées par des républicains, Mac Mahon va faire confiance à des gouvernements de droite jusqu’aux élections de 1876.

La constitution de la Troisième République

Article détaillé : Lois constitutionnelles de 1875.

Le principe républicain du régime semble établi définitivement en droit le 30 janvier 1875 par l'adoption, à une voix de majorité en première lecture par 353 voix contre 352, puis à une plus large majorité en deuxième lecture à 413 voix contre 248, de l’amendement Wallon. Celui-ci dispose :

« Le président de la République est élu à la majorité absolue des suffrages par le Sénat et la Chambre des Députés réunis en Assemblée nationale. Il est nommé pour sept ans ; il est rééligible. »

Les lois constitutionnelles de 1875 ont ensuite été votées entre février et juillet 1875. Elles ont donné une constitution à la Troisième République qui fonctionnait depuis 1870 avec des institutions provisoires (la loi Rivet par exemple).

La théorie constitutionnelle fait du président de la République le principal acteur du pouvoir exécutif — il dispose de pouvoirs étendus, il a la possibilité de dissoudre la Chambre des députés, et il est irresponsable — contre un parlement bicaméral (au sein duquel la Chambre des députés a au moins une prééminence politique de fait sur le Sénat puisqu'elle est issue du suffrage universel direct) qui, principalement, vote les lois et contrôle le gouvernement.

Le gouvernement est nommé par le président de la République (« Il nomme à tous les emplois civils et militaires » disent les lois constitutionnelles) mais tire son pouvoir d'une majorité au sein du parlement (sans elle il prend le risque d'être renversé par l'une ou l'autre des chambres à la moindre occasion). Il est donc, en théorie toujours, à la fois soumis au président et aux chambres — c'est ce qu'on appelle un régime parlementaire « dualiste ».

Le gouvernement est ainsi le « véritable centre de l'opposition entre les organes constitués [c'est-à-dire président et parlement] qui s'efforcent de peser sur son orientation[1] ».

Les protagonistes

Le président de la République

Le président de la République, Patrice de Mac Mahon, monarchiste, a été nommé à ce poste en remplacement d'Adolphe Thiers en mai 1873, et confirmé à ce poste pour une durée de sept années par la suite (loi du 20 novembre 1873). Il œuvre au retour du roi.

Les chambres

Consultez la légende de l'image, dont le texte suit.
Composition de la Chambre des députés au lendemain des législatives de 1876 : la majorité est devenue républicaine (393 sièges sur 533), les monarchistes sont battus.

Les élections de 1876 ont donné aux républicains une confortable majorité, à la Chambre des députés, avec 393 sièges sur 533[note 2].

Le Sénat lui, garde une majorité conservatrice (151 sièges contre 149[2]) pour sa première législature. Les sénateurs inamovibles, au nombre de 75, ont été élus par l'Assemblée nationale avant sa séparation en décembre 1875 ; les 225 autres sièges le sont par un collège électoral le 30 janvier 1876.

Le gouvernement

Au gouvernement de Jules Dufaure nommé au lendemain des législatives de 1876, mais encore trop marqué à droite pour les républicains[1], a succédé, le 12 décembre 1876, le ministère de Jules Simon. Jules Simon, ministre de l'Intérieur et président du Conseil, est un homme « profondément républicain et résolument conservateur selon ses propres mots[2] », il devait donc être en mesure d'équilibrer les forces contraires. Il forme un gouvernement un peu plus à gauche que le précédent.

Les événements

Ouverture de la crise

Photographie en noir et blanc de Jules Simon, assis sur une chaise, regardant vers la gauche.
Jules Simon, président du Conseil à l'ouverture de la crise du 16 mai.

Genèse de la crise

Jules Simon donne des gages à la gauche en épurant la haute administration (préfets et magistrats), ce qui lui vaut l'hostilité de Mac Mahon[3]. Malgré cela, les républicains menés par Léon Gambetta formulent des exigences accrues. Simon ne s'oppose pas à l'abrogation d'une loi « réactionnaire[2] » sur les délits de presse de 1875 par la Chambre des députés. Début mai 1876, un débat à propos de la restauration du pouvoir temporel du pape entraîne l'adoption d'un ordre du jour condamnant les manifestations ultramontaines sans que le gouvernement ne s'y oppose. C'est à cette occasion que Léon Gambetta, paraphrasant Alphonse Peyrat prononce la phrase suivante : « Le cléricalisme, voilà l'ennemi ! »

Le 16 mai

Le 16 mai 1877, le président de la République, Mac Mahon, reproche au président du Conseil, Jules Simon, son manque de fermeté[1] et exige une « explication[2] ». La lettre est publiée aussitôt au Journal officiel. Jules Simon présente logiquement sa démission au président après ce désaveu alors même qu'il n'a pas été mis en minorité par l'une ou l'autre des chambres :

« Monsieur le président de la République,
La lettre que vous voulez bien m'écrire m'impose le devoir de vous donner ma démission des fonctions que vous aviez bien voulu me confier[4]. »

Le même jour, Mac Mahon nomme Albert de Broglie président du Conseil (troisième gouvernement de Broglie), qui forme un ministère de droite[2], d'ordre moral, dit « ministère du 16 mai », en concordance avec les vues du président de la République.

Les jours qui suivent

Ce faisant, Mac Mahon fait une lecture dualiste[2] de la constitution : pour lui le gouvernement est tout autant son émanation que celle de la Chambre des députés. Le lendemain, Gambetta fait voter une motion refusant la confiance[5] au gouvernement d'Albert de Broglie[note 3]. Le 18 mai 1877, le président de la République donne à lire un message aux chambres dans lequel il explique sa position, et il y joint un décret ajournant les chambres pour un mois[note 4] (conformément à l'article 2 de la loi du 16 juillet 1875).

Le 18 mai 1877, des députés des différents groupes républicains de la Chambre, le Centre gauche d'Édouard de Laboulaye, l'Union républicaine de Gambetta et la Gauche républicaine de Jules Ferry se réunissent en séance plénière à Versailles, et signent un manifeste adressé à la France dénonçant « la politique de réaction et d'aventure ». Le texte qui a été rédigé par un ami de Gambetta, Eugène Spuller[6], reçoit trois cent soixante-trois signatures.

Dissolution de la Chambre des députés

Peinture représentant Léon Gambetta, debout, les mains dans les poches de son pantalon, le corps, visage compris, tourné vers la gauche.
Portrait de Léon Gambetta, « leader » des républicains en 1875.

Le 16 juin 1877, la session de la Chambre reprend — un mois après son renvoi. Le jour même, Patrice de Mac Mahon demande au Sénat son « avis conforme » pour dissoudre la Chambre des députés[2], ainsi que l'article 5 de la loi du 25 février l'y autorise (« Le Président de la République peut, sur l'avis conforme du Sénat, dissoudre la Chambre des députés avant l'expiration légale de son mandat. »).

Le 16 juin, lors d'un débat à la Chambre, Gambetta prononce un discours véhément contre la politique du gouvernement, dans lequel il dit notamment : « Nous partons trois cent soixante-trois, nous reviendrons quatre cent[2] », allusion à la fois à l'ordre du jour voté par la Chambre, et à « l'Adresse des 221 » de 1830.

En effet, l'ordre du jour adopté le 19 juin, signé par les présidents des groupes de gauche au nom des signataires du manifeste du 18 mai[4] est défiant vis-à-vis de l'exécutif : « La Chambre des députés, considérant que le ministère, formé le 17 mai par le président de la République et dont M. le duc de Broglie est le chef, a été appelé aux affaires contrairement à la loi des majorités, qui est le principe du gouvernement parlementaire […], déclare que le ministère n'a pas la confiance des représentants de la nation[4] ». La défiance est votée par 363 députés contre 158[6].

Le 22 juin 1877, le Sénat rend son avis : la demande de dissolution est acceptée par 149 voix contre 130[4].

Le 25 juin 1877, le décret dissolvant la Chambre des députés est publié[1],[4].

La campagne électorale

La campagne électorale officielle s'est ouverte trois mois après la dissolution, le 19 septembre 1877. Néanmoins, les mois qui la précèdent sont très agités politiquement.

Cette campagne est l'une « des plus véhémentes[1] » de l'histoire de France. Le ministre de l'Intérieur Oscar Bardi de Fourtou déplace nombre de préfets et fonctionnaires, révoque des maires et adjoints, multiplie les appels et manifestes conservateurs[3].

Les candidatures officielles

Mac Mahon effectue des voyages de propagande dans le pays[2].

Le procédé des « candidatures officielles » semble refaire son apparition quand le maréchal, par un message, fait dire : « Mon gouvernement vous désignera parmi les candidats ceux qui peuvent s'autoriser de mon nom[2] ». Les républicains dénoncent cette méthode issue du Second Empire.

Le 1er juillet 1877 le président de la République adresse une proclamation aux soldats de la garnison de Paris où il écrit : « Soldats […] vous comprenez vos devoirs, vous sentez que le pays vous a remis la garde de ses plus chers intérêts […] [7]! ». La rumeur court alors que le maréchal de Mac Mahon pourrait tenter de résister si les résultats des élections lui étaient défavorables[2].

Le discours de Lille

Gambetta avait de la même manière parcouru le pays — il a été surnommé alors le « commis voyageur de la République ».

En réponse à Mac Mahon, le 15 août 1877, il prononce à Lille un discours dont la péroraison est restée célèbre. Il est acclamé par l'auditoire[7] et termine en ces termes :

« Ne croyez pas que quand ces millions de Français, paysans, ouvriers, bourgeois, électeurs de la libre terre française, auront fait leur choix, et précisément dans les termes où la question est posée ; ne croyez pas que quand ils auront indiqué leur préférence et fait connaître leur volonté ; ne croyez pas que lorsque tant de millions de Français auront parlé, il y ait personne, à quelque degré de l'échelle politique ou administrative qu'il soit placé, qui puisse résister.

Quand la France aura fait entendre sa voix souveraine, croyez-le bien, Messieurs, il faudra se soumettre ou se démettre[7]. »

Les élections et leurs conséquences

Résultats des élections

Les 14 et 28 octobre 1877 les législatives ont eu lieu dans tout le pays au scrutin uninominal à deux tours par arrondissements, au suffrage universel masculin. Elles se déroulent bloc contre bloc avec une forte participation électorale. Sur cinq cent trente-et-une circonscriptions, seules quinze ne sont pas pourvues au premier tour[6].

Consultez la légende de l'image dont le texte suit.
Composition de la nouvelle chambre élue en 1877 : la majorité reste à gauche, mais elle a diminué (60 % des sièges contre 73 % en 1876).

La victoire des républicains est incontestable, mais elle n'a pas l'ampleur que Gambetta a prédite au début de la crise : les députés de l'Union républicaine remportent 323[note 5] sièges — avec environ 4 367 000 voix contre 3 578 000 allant aux conservateurs.

Plus remarquable est donc la remontée de la droite conservatrice, qui passe de 140 députés à 208[note 2], avec surtout une remontée des bonapartistes, de 76 députés à 104[note 2], ce qui fait d'eux le premier groupe parlementaire de l'opposition dans la nouvelle chambre. Le nombre de légitimistes passe de 24 à 44. En revanche, les orléanistes, proches du parlementarisme, sont les grands perdants, passant de 40 à 11 : la « droite parlementaire », qui a accepté de transiger en 1875 et d'instaurer la République, est défaite[1].

Dernières tentatives de résistance du président

Mac Mahon songe à dissoudre une nouvelle fois la Chambre des députés mais le président du Sénat, le duc d'Audiffret-Pasquier l'en dissuade en refusant le concours de la chambre haute[1].

Le 19 novembre 1877, le ministère de Broglie démissionne. Le président de la République tente alors de constituer un « ministère d'affaires[1] » sous la conduite de Gaëtan de Rochebouët (gouvernement Gaétan de Rochebouët) hors de la majorité parlementaire, mais, le 24 novembre, une motion, déposée par Émile de Marcère, conduit la Chambre à refuser par 325 voix contre 208[2] de reconnaître ce nouveau gouvernement, qui est pour elle « la négation des droits de la nation et des droits parlementaires[2] ».

Pour Jean-Jacques Chevallier, dans ces semaines, « on perçoit dans le gouvernement des oscillations, des angoisses, des velléités, tout cela est extrêmement faiblard. On a l'impression d'un sabre de bois brandi sans conviction, et “d'ombres d'hommes pour une ombre de résistance” (D. Halévy) ».

Le président se soumet

Photographie sépia de Jules Dufaure, de face, assis. Son bras est accoudé sur une table, et sa tête repose dans sa main.
Portrait de Jules Dufaure, rappelé à la présidence du Conseil.

Le 13 décembre 1877, le président Mac Mahon se soumet finalement aux résultats électoraux. Il rappelle Jules Dufaure pour former un ministère de centre gauche (cinquième gouvernement Dufaure), et, le 14 décembre, il adresse un message au parlement qui sonne comme une capitulation politique[2]. Il reconnaît que la dissolution ne peut être une façon normale de gouverner un pays, et il conclut en disant : « […] La Constitution de 1875 a fondé une République parlementaire en établissant mon irresponsabilité, tandis qu'elle a institué la responsabilité solidaire et individuelle des ministres. Ainsi sont déterminés nos devoirs et nos droits respectifs. L’indépendance des ministres est la condition de leur responsabilité. Ces principes, tirés de la Constitution, sont ceux de mon gouvernement[8] ».

Ce message est donc le désaveu « humiliant[2] » de sa lettre à Jules Simon du 16 mai, et des thèses qu'elle portait.

La Chambre, qui vérifie elle-même ses pouvoirs, invalide 70 élections sous prétexte de pressions cléricales ou politiques. Ces nouvelles partielles portent à près de 400 le nombre des républicains[6].

Événements ultérieurs

Après le 13 décembre, la Chambre des députés est à majorité républicaine, le gouvernement l'est aussi, mais le président de la République et le Sénat demeurent conservateurs. L'équilibre institutionnel demeure incertain jusqu'en 1879, « année cruciale de l'enracinement du régime républicain[1] ».

Peinture représentant Jules Grévy, debout, vêtu d'un austère costume noir. Sa main gauche repose sur deux épais livres, posés sur une table.
Portrait officiel du président Grévy, successeur de Mac Mahon.

C'est en effet en 1879 que les républicains obtiennent la majorité au Sénat et que Mac Mahon démissionne, remplacé par Jules Grévy. Jules Grévy renonce à exercer le droit de dissolution, droit dont les lois constitutionnelles de 1875 le dotent pourtant, au motif que l'Assemblée, élue au suffrage universel, possèderait une plus grande légitimité que le président de la République. C'est le désaveu final du « monarque républicain » prévu par les lois constitutionnelles en vue d'une restauration qui n'est jamais venue. Le basculement du Sénat rend totalement impossible la dissolution, et la pratique des institutions de Grévy fait du président une simple figure, influente, mais dépourvue de pouvoirs réels[1].

Répercussions

Jean-Jacques Chevallier conclut ainsi ses pages sur cette crise :

« Sur cette interprétation de la Constitution de 1875 se clôt l'épisode dit du 16 mai, qui couvre en réalité plusieurs mois. Sur le plan institutionnel, c'est bien l'échec du parlementarisme dualiste d'essence orléaniste : deux pouvoirs égaux s'affrontant, avec une action personnelle du chef de l'État, dirigée éventuellement contre son propre ministère. Non seulement ce dualisme orléaniste de centre droit est battu, mais l'institution elle-même de la dissolution se trouve désormais grevée d'une hypothèque d'antirépublicanisme dont elle ne se relèvera pas au cours du régime (alors que, dans un parlementarisme authentique, cette institution est la contrepartie normale et même nécessaire de la responsabilité ministérielle)[2]. »

La crise du 16 mai donne donc aux lois constitutionnelles de 1875 leur interprétation définitive.

Dans la mythologie républicaine, le 16 mai est à ranger avec le 18 brumaire ou le 2 décembre 1851, dates honnies[1].

Pour autant, le dualisme professé par Mac Mahon — un gouvernement responsable devant le président de la République et le parlement en même temps, doublé d'un pouvoir exécutif fort personnalisé par le chef de l'État — ne saurait être qualifié de coup d'État. La lettre de la constitution conforte le dualisme parlementaire et la puissance du président, hérités de la tradition orléaniste dont les constituants se sont largement inspirés.

Mais la disparition de la dissolution et l'effacement du président, consécutifs à la crise du 16 mai, font dévier la pratique institutionnelle depuis l'orléanisme vers la tradition révolutionnaire, où la chambre est la pièce maîtresse du jeu politique[1], et où les ministères sont soumis à ses mouvements d'humeur, puisque la dissolution ne peut plus les protéger[1]. En ce sens, la crise du 16 mai 1877 marque le début effectif du basculement du régime depuis le parlementarisme rationalisé vers le parlementarisme absolu.

Notes

Sources

  1. a, b, c, d, e, f, g, h, i, j, k, l et m Marcel Morabito, Histoire constitutionnelle de la France (1789-1958), éd. Montchrestien, Paris, 2004, 8e édition.
  2. a, b, c, d, e, f, g, h, i, j, k, l, m, n, o et p Jean-Jacques Chevallier, Histoire des institutions et des régimes politiques de la France de 1789 à 1958, éd. Armand Colin, coll. « Classic », Paris, 2001, 9e édition.
  3. a et b Dominique Lejeune, La France des débuts de la IIIe République (1870-1896), éd. Armand Colin, Paris, 1994.
  4. a, b, c, d et e Léon Muel, Gouvernements, ministères et constitutions de la France de 1789 à 1895, éd. Guillaumin et Cie, Paris, 1893.
  5. Extrait de l'intervention de Gambetta.
  6. a, b, c et d Jean-Marie Mayeur, La vie politique sous la Troisième République, éd. du Seuil 1984.
  7. a, b et c Page sur le discours de Lille, site internet de l'Assemblée nationale.
  8. Message du président aux chambres.

Notes diverses

  1. Proclamée le 4 septembre 1871, la république a été définitivement installée en droit en janvier 1875 seulement.
  2. a, b et c Article Élections législatives sous la Troisième République.
  3. Cela signifie que le parlement refuse d'investir le gouvernement.
  4. Ce qui a pour effet de mettre fin à la session parlementaire en cours, et d'empêcher les chambres de se réunir.
  5. Les sources divergent : M. Morabito et J.-J. Chevallier parlent de 323, le Quid 2006 de 313, différents sites internet donnent le même chiffre, l'Assemblée nationale donnent un total de 534 députés (contre 521 ou 531 suivant que l'on utilise le premier ou le second résultat)… L'ordre de grandeur reste de toute façon le même.

Voir aussi

Bibliographie

Ouvrage utilisé pour la rédaction de l'article : Ouvrage utilisé comme source pour la rédaction de cet article

  • Jean-Jacques Chevallier, Histoire des institutions et des régimes politiques de la France de 1789 à 1958, éd. Armand Collin, Paris, 2001, 9e édition (ISBN 2247045286)Ouvrage utilisé pour la rédaction de l'article.
  • Dominique Lejeune, La France des débuts de la IIIe République, 1870-1896, éd. Armand Colin, Paris, 2007, 4e édition.
  • Jean-Marie Mayeur, La vie politique sous la troisième République, 1870-1940, Paris, Seuil, 1984, 443 p. — Ouvrage utilisé pour la rédaction de l'article
  • Marcel Morabito, Histoire constitutionnelle de la France (1789-1958), éd. Montchrestien, Paris, 2004, 8e édition (ISBN 2707613894)Ouvrage utilisé pour la rédaction de l'article
  • Léon Muel, Gouvernements, ministères et constitutions de la France de 1789 à 1895, éd. Guillaumin et Cie, Paris, 1893 [lire sur Gallica] — Ouvrage utilisé pour la rédaction de l'article
  • Michel Winock, La Fièvre hexagonale. Les grandes crises politiques de 1871 à 1968, éd. du Seuil, Paris, 1995.
  • Émile de Marcère, Le seize mai et la fin du septennat, Plon, 1900.

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