Cuirassés

Cuirassés

Cuirassé

Un cuirassé est un grand navire de guerre doté d'un épais blindage, dont l'armement principal est formé de pièces d'artillerie du plus gros calibre. Par rapport aux croiseurs, ils sont plus grands, possèdent un meilleur blindage et un armement plus puissant.

Les cuirassés ont considérablement évolué au cours du temps, les nouveaux navires s'adaptant continuellement aux avancées technologiques pour rester au niveau des marines étrangères. En anglais, le mot battleship apparaît vers 1794[1], contraction de line of battle ship (« navire de ligne de bataille », et désigne les navires de ligne, qui dominaient à l'époque les marines à voiles. En français, le mot « cuirassé » apparaît plutôt vers les années 1860 pour désigner les premiers cuirassés à coque en fer[2] ; le nom de battleship devient standard dans les pays anglophones à partir des années 1880[3]. À partir des années 1890, il désigne les cuirassés pré-Dreadnought, en référence à la révolution du HMS Dreadnought en 1906.

Les cuirassés forment autant un type séparé de navires de guerre qu'un symbole de pouvoir et de fierté nationale, et de domination navale[4]. Pendant plusieurs décennies, le nombre et les capacités des cuirassés d'une marine étaient des facteurs déterminants dans les relations diplomatiques et les stratégies militaires. Ainsi, la course aux armements des années 1900 avec la construction accélérée de cuirassés fut un des facteurs importants à l'origine de la Première Guerre mondiale, durant laquelle la bataille du Jutland vit l'affrontement de nombreux cuirassés. Après la guerre, des traités limitent la construction de ces navires, ce qui n'empêcha pas le déploiement de cuirassés aussi bien récents que plus vieux durant la Seconde Guerre mondiale.

Toutefois, certains historiens remettent en cause l'utilité de ces navires. Hormis pendant la bataille du Jutland, il y eut peu d'affrontements entre cuirassés. Et en dépit de leur grande puissance de feu et de leur blindage, ils restaient vulnérables à des armes plus légères, portées par de plus petits bateaux, comme les torpilles et les mines, puis plus tard les avions et les missiles guidés[5]. Les cuirassés ont peu à peu été remplacés par les porte-avions en tant que principal navire des groupes de combat à partir de la Seconde Guerre mondiale. Seuls les États-Unis en ont conservé durant la guerre froide en tant que navires de soutien ; les derniers cuirassés, de la classe Iowa, ont été désarmés en 1990 et rayés des registres en mars 2006.

La puissance de feu d'un cuirassé démontrée par l’USS Iowa.

Sommaire

Les navires de ligne

Article détaillé : Navire de ligne.
Évolution de la taille des navires de ligne de premier rang de la Royal Navy de 1630 à 1875.
Le Napoléon (1850), le premier navire de ligne propulsé à la vapeur.

Les navires de ligne, à l'époque de la marine à voile, étaient de grands navires de guerres à voiles, sans blindage, possédant jusqu'à 120 canons à fût lisse et de caronades. Ils représentaient l'évolution progressive des navires à voiles depuis le XVe siècle ; mais, en-dehors de l'augmentation de taille, ils n'avaient que peu changé entre l'adoption de la ligne de bataille au début du XVIIe siècle et la fin de la marine à voile vers les années 1830.

Le grand nombre de canons et le tir par bordée permettait aux navires de ligne d'endommager gravement n'importe quel navire en bois, en défonçant la coque et les mâts en tuant l'équipage. Cependant, la portée des canons n'excédait pas quelques centaines de mètres et les évolutions restaient limitées par le vent.

Le premier changement majeur fut l'introduction de la machine à vapeur en tant que système de propulsion auxiliaire. La vapeur fut progressivement introduite dans les marines durant la première moitié du XIXe siècle, au départ pour les frégates et autres bateaux de petites dimensions. La marine française installe pour la première fois la propulsion à vapeur sur un navire de ligne en 1850 : Le Napoléon[6]. Il était armé comme les autres navires de ligne, mais ses machines à vapeur lui permettaient d'atteindre une vitesse de 12 nœuds quelles que soient les conditions de vent, ce qui lui conférait un avantage décisif en cas d'engagement. La vapeur accéléra l'accroissement de la taille des navires de ligne. Au final, seuls la France et le Royaume-Uni ne disposaient de flottes à navires à hélice ; d'autres pays possédaient des flottes composées de navires de lignes à hélice et de frégates à roues à aubes, comme la Russie, la Turquie, la Suède, Naples, la Prusse, le Danemark et l'Autriche[4].

Les premiers cuirassés

Le HMS Warrior (1860), actuellement à Portsmouth.
Article détaillé : Cuirassé à coque en fer.

L'adoption de la vapeur n'est qu'une des avancées technologiques qui ont révolutionné les navires de guerre du XIXe siècle. Le navire de ligne est bientôt remplacé par les premiers cuirassés, à coque en fer : propulsés à la vapeur, protégés par un blindage métallique, et armés de canons tirant des obus explosifs. Le premier navire de la Royal Navy ainsi équipé est le HMS Warrior de 1860[7].

Obus explosifs

Les anciennes coques en bois résistaient plutôt bien aux boulets de canon, comme l'avait démontré la bataille de Lissa, où le navire de ligne autrichien Kaiser pénètre un champ de bataille confus, éperonne un cuirassé italien et reçoit une bordée de plusieurs boulets de 300 livres ; il perd sa figure de proue et son mât de misaine, prend feu, mais se trouve tout de même prêt pour le combat dès le jour suivant[8]. Par contre, les canons qui tirent des obus explosifs ou incendiaires représentaient une plus grande menace pour les navires en bois, et ces armes commencent à être utilisées massivement à partir des années 1840. Durant la guerre de Crimée, la flotte russe de la mer Noire détruit une flottille de navires turcs en bois avec des obus explosifs à la bataille de Sinop, en 1853. Plus tard durant cette même guerre, des batteries flottantes cuirassées françaises utilisent des armes similaires contre les défenses de Kinburn[9].

Le blindage

Le navire français La Gloire, premier cuirassé de haute mer.
Le Redoutable de 1876, le premier cuirassé à utiliser l'acier comme matériau de construction principal[10].

Le développement des obus explosifs rend nécessaire l'utilisation de plaques de blindage métalliques. En 1859, la France lance le navire La Gloire, premier cuirassé de haute mer. Elle possède un profil de navire de ligne, réduit à un pont pour réduire le poids. Bien qu'elle ait été construite en bois et soit propulsée principalement à la voile, La Gloire dispose d'une hélice et sa coque est protégée par une couche de blindage en fer[11]. La Gloire déclenche la réaction de la Royal Navy, soucieuse de préserver son avantage technologique : la frégate HMS Warrior plus puissamment armée est lancée quatorze mois plus tard ; les deux pays démarrent alors un programme de construction de nouveaux cuirassés et convertissent leurs anciens navires de lignes en frégates blindées[12]. Deux ans après, l'Italie l'Autriche, l'Espagne et la Russie ont tous commandé de tels navires, et au moment du combat de Hampton Roads, au moins huit marines possèdent des cuirassés[4].

Les marines essayent différentes positions pour la position des canons : en tourelles (comme sur le Monitor), en batteries centrales ou en barbettes, ou en utilisant l'éperon comme arme principale. Au fur et à mesure que les machines à vapeur évoluent, les mâts sont progressivement enlevés. Au milieu des années 1870, l'acier commence à être utilisé comme matériau de construction, avec le fer et le bois. Le Redoutable, mis sur cale en 1873 et lancé en 1876, est le premier navire au monde à utiliser l'acier comme principal matériau de construction[13].

Les pré-Dreadnought

Le pré-Dreadnought Mikasa, navire-amiral de la marine impériale japonaise, à la bataille de Tsushima en 1905.
Diagramme du HMS Agamemnon, un pré-Dreadnought typique.

A la fin du XIXe siècle, les cuirassés des différentes marines finissent par se ressembler de plus en plus, et un type commun émergé, appelé de nos jours « pré-Dreadnought ». Il s'agit de navires dotés d'un lourd blindage, disposant de diverses batteries de canons en tourelles, et sans voiles. Un pré-Dreadnought typique déplace 15 000 à 17 000 tonnes, atteint une vitesse de 16 nœuds et possède un armement de quatre canons de 12 pouces en deux tourelles avant et arrière, plus une batterie secondaire au milieu du navire avec différents calibres[3]. Un exemple plus ancien de navire avec le même genre de caractéristiques est la classe Devastation britannique de 1871[14]. Mais ce n'est pas avant les années 1880 que ce type se répand significativement[5] ; il est amélioré dans les années 1890 avec l'adoption de la construction en acier.

Des canons lents de 12 pouces sont leur armement principal, destinés au combat entre cuirassés. Les batteries intermédiaires et secondaires ont deux rôles : contre les grands navires, on pense qu'un « déluge de feu » provenant de ces armes à tir rapide pourrait distraire les canonniers ennemis en endommageant la superstructure ; on pense aussi qu'elles sont plus efficaces contre les plus petites unités comme les croiseurs. De plus petits canons (moins de 12 livres) sont réservés à la protection du navire contre les torpilleurs et destroyers[15].

Au début de l'ère pré-Dreadnought, la Grande-Bretagne tente d'affirmer sa supériorité navale. Durant les années précédentes, elle était convaincue de sa suprématie, et les projets navals de grande ampleur étaient critiqués par les politiciens de tous bords[4]. Toutefois, en 1888, la peur d'une guerre avec la France et l'accroissement de la flotte russe font redémarrer la construction navale : le British Naval Defence Act de 1889 entraine la construction de huit nouveaux cuirassés. On adopte le principe que la flotte britannique doit être plus puissante que les deux autres flottes les plus puissantes après elle. Alors que cette politique est censée décourager la construction de cuirassés en France et en Russie, ces deux nations n'arrêtent pas d'agrandir leur flotte avec de nombreux pré-Dreadnought dans les années 1890[4].

Dans les dernières années du XIXe siècle et au tout début du XXe siècle, la course à la construction des cuirassés devient définie par l'opposition entre le Royaume-Uni et l'Allemagne. Les lois allemandes de 1890 et 1898 autorisent la construction d'une flotte de 38 cuirassés, ce qui menace l'équilibre naval[4]. Si la Grande-Bretagne répond par davantage de nouveaux navires, elle n'en a pas moins perdu une grande partie de sa suprématie à la fin de l'ère pré-Dreadnought. En 1883, le Royaume-Uni possède 38 cuirassés, deux fois plus que la France et à peu près autant que le reste du monde réuni. En 1897, cette avance est considérablement réduite, non seulement du fait de la compétition avec la France, l'Allemagne et la Russie, mais aussi du développement de flottes de cuirassés en Italie, aux États-Unis et au Japon[16]. Les autres flottes (Turquie, Espagne, Suède, Danemark, Norvège, Pays-Bas, Chili et Brésil) sont composées surtout de croiseurs lourds, de cuirassés côtiers ou de Monitors[17].

Les pré-Dreadnought continuent à innover : les tourelles, le blindage et les machines à vapeur sont constamment améliorés, des tubes lance-torpille font leur arrivée. Quelques navires (dont les classes Kearsarge et Virginia américaines) essaient de superposer des batteries secondaires de 8 pouces sur des batteries principales de 12 pouces, pour réduire le poids. Les résultats sont mitigés : le recul et la déflagration rendent la batterie secondaire inutilisable, et il n'est possible de tirer séparément, ce qui limite leur intérêt tactique[18].

L'ère des Dreadnought

Article détaillé : Dreadnought.

En 1906, le lancement du révolutionnaire HMS Dreadnought rend les cuirassés existant obsolètes. Créé suite aux pressions de l'amiral John Fisher, il combine un armement de dix canons de 12 pouces (305 mm), une vitesse et un blindage sans précédent. Il entraine la ré-évaluation de tous les programmes de construction navale des autres pays. Si le concept du navire all-big-gun (littéralement « gros calibres uniquement ») existe depuis plusieurs années, et si les Japonais ont commencé à construire un tel navire dès 1904[19], le Dreadnought inaugure une nouvelle course aux armements, principalement entre la Grande-Bretagne et l'Allemagne mais aussi sur la scène mondiale, alors que cette nouvelle classe de navires devient un élément crucial de la puissance nationale.

Les développements techniques continuent pendant toute « l'ère Dreadnought », notamment en ce qui concerne l'armement, le blindage et la propulsion. Dix ans après le lancement du Dreadnought apparaissent de nouveaux navires bien plus puissants, les « super-Dreadnought ».

Origines du Dreadnought

Vittorio Cuniberti
Le Satsuma de la marine impériale japonaise, premier navire conçu suivant le principe all-big-gun.

Le général Vittorio Cuniberti, architecte naval principal de la marine italienne, propose le premier le concept du cuirassé all-big-gun en 1903. Quand la marine italienne (à l'époque, la Regia Marina) décide de ne pas suivre son idée, il publie un article dans Jane's proposant un futur cuirassé britannique « idéal », un navire lourdement blindé de 17 000 tonnes, armé d'une batterie principale monocalibre (12 canons de 12 pouces), avec un blindage de 300 mm en ceinture, et pouvant atteindre une vitesse de 24 nœuds[20].

Le Satsuma de la marine impériale japonaise, conçu en 1904 et mis sur cale en 1905, devient le premier navire au monde conçu suivant le principe all-big-gun, bien que son armement ne soit pas entièrement terminé en raison de la pénurie de canons anglais Armstrong de 12 pouces. Le Satsuma conserve des machines à vapeur à triple expansion, tandis que son navire-jumeau Aki, lancé en 1911, utilise des turbines.

Un navire américain, le conçu en 1905, se réclame aussi du titre de « premier Dreadnought », mais il n'est lancé qu'en 1908 avec son jumeau le Michigan. Ils utilisent tous deux des machines à triple expansion, mais leurs batteries principales sont mieux disposées, sans les tourelles latérales du Dreadnought.

La guerre russo-japonaise (1904-1905) donne l'occasion de valider le concept all-big-gun. Aux batailles de la mer Jaune et de Tsushima, des flottes de pré-Dreadnought échangent des tirs d'obus de 12 pouces à 7 à 11 km de distance, au-delà de la portée des batteries secondaires. Si l'on entend souvent que ces engagements ont démontré la supériorité des gros calibres sur les plus petits, certains historiens suggèrent que les batteries secondaires leur étaient aussi utiles[4]. Le premier Lord de l'Amirauté britannique Jackie Fisher est quant à lui convaincu du besoin de navires rapides et puissants, suivant le concept all-big-gun. Tsushima ne fait que le renforcer dans sa conviction qu'il faut standardiser le canon de 12 pouces[4]. Il se préoccupe surtout des sous-marins et des destroyers équipés de torpilles, dont la portée est alors supérieure aux canons des cuirassés : la vitesse est pour lui un facteur essentiel[4]. L'option préférée de Fisher est son « bébé », le croiseur de bataille : légèrement blindé mais lourdement armé avec huit canons de 12 pouces, et atteignant 25 nœuds grâce aux turbines à vapeur.

Profil du Dreadnought

Afin de prouver l'efficacité de cette technologie, le Dreadnought est mis sur cale en 1905 et lancé en 1906. Il porte dix canons de 12 pouces, une ceinture de blindage de 11 pouces (280 mm), et pour la première fois (pour un grand navire) est équipé de turbines à vapeur. Les canons sont montés sur cinq tourelles doubles, deux à l'avant, une à l'arrière, et deux sur les flancs, d'où un maître-bau double de celui de n'importe quel autre navire existant à l'époque. Il garde quelques canons de 12 livres (3 pouces) à tir rapide, contre les destroyers et les torpilleurs. Son blindage est suffisamment épais pour affronter avec succès n'importe quel autre navire[21].

Le Dreadnought devait être suivi par trois croiseurs de bataille de classe Invincible ; leur construction est retardée pour pouvoir utiliser l'expérience du Dreadnought dans leur conception. L'intention de Fisher était de produire le Dreadnought en tant que dernier cuirassé de la Royal Navy[4], mais le navire connait tellement de succès que personne ne veut passer à une flotte de croiseurs de bataille. Le navire lui-même n'est pas exempt de défauts : les tourelles latérales créent de trop grands efforts sur la coque lors de tir en bordée, et le haut du blindage le plus épais se retrouve sous la flottaison à pleine charge), mais la Royal Navy commande six navires similaires, de classe Bellerophon et St Vincent.

Course aux armements

En 1897, avant la révolution du Dreadnought, la Royal Navy possède 62 cuirassés en construction ou commandés, soit 26 d'avance sur la France et de 50 sur l'Allemagne[22]. En 1906, cette avance s'est réduite à un seul navire, le Dreadnought. Ce navire marque le début d'une course aux armements avec de grandes conséquences stratégiques. Les principales puissances navales commencent à construire leurs propres Dreadnoughts pour rattraper le Royaume-Uni : la possession d'un tel navire assure alors un statut particulier au pays, comme la possession d'armes nucléaires à la fin du XXe siècle[4]. L'Allemagne, la France, la Russie, l'Italie, l'Autriche et les États-Unis commencent tous la construction de Dreadnoughts ; les puissances secondaires comme l'empire Ottoman, l'Argentine, le Brésil et la Chine en commandent aux chantiers anglais et américains[23]. En 1901, les sept premières puissances maritimes alignent 88 cuirassés. À la veille de la première guerre mondiale, les mêmes états augmentés de l'Autriche-Hongrie disposent de 149 pré-dreadnoughts, de 68 dreadnoughts et croiseurs de bataille, sur le point d'être rejoint par 63 navires de ligne en construction [24].

Première Guerre mondiale

La Première Guerre mondiale fait figure de contrepoint à la course aux Dreadnoughts : pratiquement aucun affrontement majeur de cuirassés comparable à la bataille de Tsushima. Le rôle des cuirassés reste marginal comparé aux luttes territoriales en France et en Russie, et comparé à la première bataille de l'Atlantique, bataille entre les sous-marins allemands et les navires de commerce britanniques.

La géographie permet à la Royal Navy de garder relativement facilement la flotte allemande dans la mer du Nord. Les deux camps savent que le Royaume-Uni aurait l'avantage en cas de confrontation entre cuirassés, en raison du nombre supérieur de Dreadnoughts ; la stratégie allemande est donc de provoquer un engagement dans des conditions favorables, par exemple en ne permettant qu'à une partie de la flotte britannique d'intervenir, ou de combattre près des côtes allemandes où les torpilleurs et les sous-marins peuvent aider à équilibrer le combat[25].

Durant les deux premières années du conflit, les affrontements en mer du Nord se limitent à des escarmouches entre croiseurs de bataille comme à la bataille de Dogger Bank, et à des raids sur la côte anglaise. Pendant l'été, une tentative d'engager les navires anglais sur un terrain favorable débouche sur la bataille du Jutland, au résultat moins net que prévu[26].

Sur les autres théâtres navals, aucune bataille décisive n'a lieu. En mer Noire, les cuirassés russes et turcs s'affrontent par escarmouches, sans plus. Dans la Baltique, les actions sont pour la plupart limitées à des attaques de convois à la pose de mines défensives ; le seul affrontement notable entre cuirassés est la bataille du détroit de Muhu où un pré-Dreadnought russe est coulé. L'Adriatique est en quelques sorte le reflet de la mer Noire : la flotte de Dreadnought austro-hongroise y est bloquée par les flottes française et anglaise. Dans la Méditerranée, la plus importante utilisation de cuirassés a lieu lors de l'attaque amphibie à Gallipoli.

Le cours de la guerre illustre aussi la vulnérabilité des cuirassés contre des armes plus légères. En septembre 1914, la menace des sous-marins est démontrée par des attaques sur des croiseurs britanniques ; le U-9 allemand coule trois croiseurs lourds britanniques en moins d'une heure. Les mines représentent un danger sérieux durant les premiers mois, comme lorsque le super-Dreadnought Audacious est touché par l'une d'entre elles. Dès la fin octobre 1914, la stratégie britannique en mer du Nord a changé pour réduire les risques liés aux attaques de U-boots[27]. D'autres attaques de sous-marins après le Jutland provoquent une certaine paranoïa au Royaume-Uni à propos de la vulnérabilité des cuirassés. Dès octobre 1916, la Royal Navy abandonne quasiment la mer du Nord : la Grand Fleet ne doit pas aller au sud des îles Farne, à moins d'être protégée par des destroyers.

Du côté allemand, la Hochseeflotte est résolue à ne pas engager les Britanniques sans l'assistance de sous-marins ; ceux-ci étant utilisés pour attaquer les navires de commerce, la flotte reste au port pour le restant de la guerre[28]. Sur les autres théâtres, les petites unités arrivent aussi à endommager voire détruire des Dreadnoughts. Les deux Dreadnoughts autrichiens perdus en 1918 ont été coulés par des torpilleurs et des hommes-grenouilles. Les navires alliés perdus à Gallipoli ont été coulés par des mines et des torpilles[29], tandis qu'un pré-Dreadnought turc a été attaqué dans les Dardanelles par un sous-marin britannique.

L'entre-deux-guerres

Durant l'entre-deux-guerres, les cuirassés sont soumis à de fortes restrictions internationales, dans le but d'empêcher une nouvelle course aux armements.

Pendant plusieurs années, les cuirassés allemands cessent d'exister. L'armistice de 1918 entraine le désarmement d'une grande partie de la flotte de haute mer allemande, qui doit être placée dans un port neutre ; faute de pouvoir trouver un tel port, les navires restent sous contrôle britannique à Scapa Flow, en Écosse. Le traité de Versailles prévoit que les navires doivent être donnés aux Britanniques, mais les équipages allemands sabordent la plupart des navires le 21 juin 1919, peu avant la signature du traité. Celui-ci limite la taille de marine allemande, pour l'empêcher de construire ou acquérir un grand navire de guerre[30].

Si les nations victorieuses ne sont pas limitées par le traité de Versailles, de nombreuses marines sont affectées par les années de guerre. Face à la possibilité d'une course aux armements avec les États-Unis, le Royaume-Uni conclut le traité de Washington de 1922, qui limite le nombre et le type de cuirassés que chaque marine peut posséder. La Grande-Bretagne arrive donc à égalité avec les États-Unis, et abandonne son alliance avec le Japon[31]. Le traité de Washington est suivi par plusieurs traités navals comme les conférences navales de Genève (1927 et 1932) les traités navals de Londres (1930 et 1936), qui limitent tous les cuirassés. Ils prennent fin le 1er septembre 1939 avec le début de la Seconde Guerre mondiale, mais les classifications de navires s'appliquent toujours[32]. Les limitations de ces traités signifient que moins de nouveaux cuirassés sont lancés entre 1919 et 1939 qu'entre 1905 et 1914. Le tonnage des navires est aussi limité : certains projets restent dans les cartons comme le cuirassé N3 britannique, la classe South Dakota américaine (les coques sont mises sur cale mais ne sont pas finies) et la classe Kii japonaise.

Débuts des porte-avions

Tests de bombardements sur le Ostfriesland, septembre 1921

Dès 1914, l'amiral britannique Percy Scott prévoit que les cuirassés seront supplantés par les avions[33]. À la fin de la Première Guerre mondiale, les avions ont commencé à être équipés de torpilles[34]. Les Britanniques envisagent même une attaque sur la flotte allemande en 1918 avec un avion torpilleur Sopwith Cuckoo.

Dans les années 1920, le général Billy Mitchell de l'United States Army Air Corps, qui pense que les forces aériennes ont rendu les marines obsolètes, affirme devant le Congrès que « mille bombardiers peuvent être construits et mis en service pour le prix d'un seul cuirassé » et qu'un escadron de ces bombardiers peut couler un cuirassé, ce qui permet une meilleure utilisation du budget de la défense[35]. Malgré les oppositions de l'US Navy, il obtient l'autorisation de conduire une série d'essais de bombardements : en 1921, il bombarde et coule de nombreux navires dont le cuirassé allemand « insubmersible » et le pré-Dreadnought américain .

Bien que Mitchell ait voulu recréer des « conditions de guerre », les navires sont obsolètes, ne possèdent pas de système de contrôle des dommages et ne représentent que des cibles immobiles et sans défense. Lors du bombardement du Ostfriesland, les ingénieurs de la Navy devaient pouvoir examiner les effets des différentes armes ; mais les aviateurs de Mitchell n'en tiennent pas compte et coulent le navire en quelques minutes dans une attaque coordonnée. Michell en conclut que « aucun navire de surface ne peut naviguer là où les forces aériennes basées à terre peuvent intervenir ». Si les essais de Mitchell ne sont pas si concluants, ils discréditent les partisans du cuirassé.

Réarmement

Diagramme des cuirassés britanniques de classe Nelson.

Dans les années 1930, la Royal Navy, l'US Navy et la marine impériale japonaise modernisent leurs cuirassés de la guerre. Un des aspects de cette reconstruction est la mise en place de tours suffisamment hautes et stables pour soutenir les instruments de visée pour guider les artilleurs. Certains navires britanniques reçoivent la grande superstructure appelée Queen Anne's castle (« le château de la reine Anne »), comme sur le Queen Elizabeth, ou le Warspite qui pouvaient bénéficier de nouvelles tours similaires au King George V. Les Japonais reconstruisent tous leurs cuirassés ainsi que leurs croiseurs de bataille, avec une superstructure typique en « pagode » ; le Hiei possède un passerelle plus moderne qui inspirera plus tard celle du Yamato. Les États-Unis essayent des mâts en trépied, puis des mâts en « cage ». Les visées optiques seront plus tard rendues obsolètes par le radar.

Cependant, même quand les menaces de guerre redeviennent importantes à la fin des années 1930, la construction de cuirassés n'atteint pas le niveau qu'elle avait avant la Première Guerre mondiale : la « pause » imposée par les traités a réduit la capacité des chantiers navals. Le développement du bombardier stratégique signifie que la marine n'est plus le seul moyen de projection de puissance à longue distance. De plus, le développement des porte-avions signifie que les cuirassés ont un concurrent face aux ressources financières et matérielles disponibles.

En Allemagne, l'ambitieux plan Z de réarmement naval est abandonné en faveur d'une stratégie privilégiant les sous-marins, en utilisant les croiseurs de bataille et les cuirassés de classe Bismarck pour l'attaque des navires de commerce. En Grande-Bretagne, il y a davantage besoin de défenses anti-aériennes et d'escorte de convois ; les plans de réarmement portent sur cinq navires cuirassés de la classe King George V. En Méditerranée, les marines restent plus fidèles au cuirassé. La France souhaite construire six cuirassés de classe Richelieu, et les Italiens deux puissants navires de classe Littorio ; aucune de ces marines ne construit de porte-avions notable. Les États-Unis préfèrent ne consacrer qu'un faible budget aux porte-avions jusqu'à la classe South Dakota. Quant au Japon, même s'il donne la priorité aux porte-avions, commence tout de même la construction des trois cuirassés géants de classe Yamato (bien que l'un d'entre eux ait été transformé en porte-avions)[5].

Au début de la guerre civile espagnole, la marine espagnole comprend deux petits Dreadnoughts, España et Jaime I. À ce moment, España est en réserve à la base de El Ferrol (nord-ouest) et tombe aux mains des nationalistes en juillet 1936. L'équipage du Jaime I tue ses officiers dans une mutinerie et rejoint la marine républicaine, équilibrant les forces navales. Cependant, la marine républicaine manque d'officiers expérimentés, et les cuirassés restent confinés à des rôles secondaires : blocus, escorte de convois, bombardement côtiers, mais peu de combats de surface[36]. En avril 1937, España touche une mine et coule sans grandes pertes humaines ; en mai 1937, Jaime I est endommagé par une attaque aérienne nationaliste et un échouement. Au port pour réparations, le navire est à nouveau touché par plusieurs bombes lors d'attaques aériennes ; il est remorqué dans un port plus sûr, mais subit une explosion pendant le remorquage et coule, causant 300 morts. Plusieurs navires importants italiens et allemands participent au blocus. Le 29 mai 1937, deux avions républicains arrivent à bombarder le cuirassé de poche allemand Deutschland près d'Ibiza, causant de grands dommages et de nombreuses pertes humaines. L’Admiral Scheer réplique deux jours plus tard en bombardant Almería ; la destruction ainsi causée et l'« incident Deutshland » qui en résulte cause la fin du soutien allemand et italien à la non-intervention[37].

Seconde Guerre mondiale

Monument aux héros de l'escadron de la flotte russe de la mer noire, 1941 - 1944, incluant le navire Sevastopol en haut, au centre.

Ce sont les cuirassés allemands — des pré-Dreadnoughts obsolètes — qui tirent les premiers obus de la Seconde Guerre mondiale, avec le bombardement la garnison polonaise à Westerplatte[38] ; la reddition japonaise a lieu à bord d'un cuirassé américain, le Missouri. Mais entre ces deux événements, il apparaît clairement que les cuirassés sont désormais auxiliaires, et que les porte-avions sont devenus les nouveaux navires-amiraux des flottes de guerre.

Les cuirassés jouent quand même un rôle dans les engagements majeurs de l'Atlantique, du Pacifique et de la Méditerranée. Dans l'Atlantique, les Allemands essayent d'utiliser leurs cuirassés pour attaquer des navires de commerce loin des zones de combat habituelles, mais peu de combats entre cuirassés surviennent. La bataille de l'Atlantique se joue davantage entre les sous-marins et les destroyers, tandis que dans le Pacifique la plupart des engagements sont dominés par les porte-avions.

Dans les premières années de la guerre, les cuirassés et les croiseurs de bataille défient les prédictions affirmant que les avions surpasseraient la marine. Le Scharnhorst et le Gneisenau arrivent à couler par surprise le porte-avions Glorious à l'ouest de la Norvège en juin 1940[39]. Lors de la bataille de Mers el Kébir, les Britanniques attaquent les navires français avec des tirs d'obus depuis les cuirassés, puis poursuivent les navires français qui ont pu s'échapper avec des avions lancés depuis leurs porte-avions.

Tarente et Bismarck

Le Tirpitz.

Plusieurs engagements voient les cuirassés menacés par des avions embarqués, fin 1940 et en 1941.

Le premier exemple de la puissance de l'aéronavale est la bataille de Tarente, où les avions britanniques attaquent la flotte italienne qui y est stationnée, la nuit du 11 au 12 novembre 1940. Avec une poignée d'avions, la Royal Navy réussit à couler un cuirassé et à en endommager deux autres. Cette attaque force la marine italienne à changer sa tactique, ce qui n'empêche pas sa défaite à la bataille du cap Matapan.

Dans l'Atlantique, l'Allemagne veut utiliser ses cuirassés — le Bismarck et le Tirpitz — et ses croiseurs de bataille pour influencer la bataille de l'Atlantique en détruisant les convois ravitaillant le Royaume-Uni. Celui-ci riposte en affectant davantage de navires à la protection des convois et en essayant de rechercher et détruire les navires allemands en utilisant l'aviation, qu'elle soit embarquée ou basée à terre, et par des actes de sabotage. Le 24 mai 1941, en essayant d'entrer dans l'Atlantique Nord, le cuirassé Bismarck et le croiseur lourd "Prinz Eugen" sont pris en chasse par le cuirassé britannique HMS Prince of Wales et le croiseur de bataille HMS Hood. Ce dernier est coulé après 5 mn de bataille et apres avoir reçu un obus dans ses réserves de munitions, mais le Prinz Eugen et le Prince of Wales reçoivent trois obus chacun, ce qui force le croiseur lourd allemand à se diriger vers le port de Brest[40]. La Royal Navy prend en chasse le Bismarck ; une attaque d'un bombardier-torpilleur Swordfish du porte-avions Ark Royal détruit son gouvernail et permet aux cuirassés britanniques, le "Rodney" et le "King georges V" de le rattraper ; C'est seulement après 2H00 d'échange d'obus que le Bismarck est coulé le 27 mai[41].

Les batailles du Pacifique

Le Pennsylvania menant le cuirassé et les croiseurs Louisville, Portland, et Columbia aux Philippines, janvier 1945.

Dans plusieurs des batailles cruciales du Pacifique, comme par exemple la bataille de la mer de Corail ou celle de Midway, les cuirassés sont soit absents soit relégués au second plan par les porte-avions, qui lancent des vagues d'attaques successives à plusieurs centaines de kilomètres de loin. Les cuirassés ont principalement un rôle de bombardement côtier lors des débarquements et de défense anti-aérienne pour protéger les porte-avions. Même les plus grands cuirassés jamais construits, les Yamato japonais, qui portent neuf canons de 460 mm, n'ont que peu de chances de montrer leur potentiel ; les principales raisons sont les faiblesses techniques (notamment leur vitesse trop faible pour rester avec les porte-avions), une doctrine navale erronée (les Japonais attendent la « bataille décisive » qui n'est jamais arrivée), et une mauvaise disposition pendant les batailles, comme à Midway.

Pearl Harbor

Un canot à moteur porte secours aux marins de l'USS West Virginia en feu, cuirassé de la marine de guerre américaine torpillé durant l'attaque sur Pearl Harbor

Avant que les hostilités ne débutent dans le Pacifique, la préparation pré-guerre est centrée sur les Dreadnoughts. La Royal Navy ne peut pas placer autant de grands navires que les Japonais en Asie du Sud-Est, pour ne pas dégarnir l'Atlantique et la mer du Nord. Winston Churchill pense pouvoir améliorer la situation en Europe, et alloue deux navires à la défense des colonies asiatiques comme compromis. La marine américaine accepte d'envoyer sa Flotte du Pacifique avec huit cuirassés à Singapour, au cas où les hostilités avec le Japon débutent.

Le 7 décembre 1941, les Japonais lancent l'attaque sur Pearl Harbor. En peu de temps, cinq des huit cuirassés américains sont coulés ou en train de couler, le reste est endommagé. En une attaque aérienne, les Japonais ont réussi à neutraliser la force cuirassée américaine du Pacifique, et ont donc prouvé la théorie de Mitchell : comme à Tarente, ces navires sont vulnérables au mouillage. Toutefois, les porte-avions américains étant au large, ils ne sont pas affectés par l'attaque ; ils prendront la relève dans le Pacifique.

Les deux navires britanniques, le cuirassé HMS Prince of Wales et le croiseur de bataille HMS Repulse sont quant à eux attaqués par l'aviation japonaise et coulés, démontrant encore la vulnérabilité des cuirassés sans escorte aérienne. Les deux navires sont en route pour renforcer la défense de Singapour quand ils sont attaqués par des bombardiers et chasseurs japonais le 10 décembre 1941. Le Prince of Wales est le premier cuirassé coulé par un avion, tout en étant en route et capable de se défendre[42].

Midway

Si la bataille de Midway est généralement vue comme une victoire des porte-avions, elle montre aussi des faiblesses dans l'organisation japonaise. Yamamoto considère que les cuirassés sont ses unités les plus importantes et les place trop à l'arrière, suivant la pratique traditionnelle ; ils sont ainsi incapables d'aider Nagumo, et de toutes façons trop lents pour pouvoir aider le reste du groupe de combat. Cependant, quand les porte-avions de Nagumo sont coulés, Yamamoto perd une occasion de rattraper la situation : malgré leur potentiel, les porte-avions restent sans défense la nuit et, si les cuirassés étaient restés près des porte-avions la nuit du 6 au 7 juin, le Yamato aurait pu infliger de lourdes pertes aux forces de Fletcher[43]

Guadalcanal

Le Yamato (vu ici en 1941) et le Musashi de la marine impériale japonaise sont les plus grands cuirassés jamais construits.

Quand les États-Unis entrent en guerre en décembre 1941, plus aucun cuirassé n'est disponible dans le Pacifique : huit sont coulés ou gravement endommagés à Pearl Harbor, et ne peuvent de toutes façons pas accompagner les porte-avions. Les cuirassés rapides de la classe North Carolina et South Dakota sont toujours en essais, et ne seront prêts qu'à l'été 1942 ; ils procureront une couverture anti-aérienne cruciale durant la bataille des Salomon orientales et celle des îles Santa Cruz.

En revanche, la marine impériale japonaise possède une douzaine de cuirassés en opération dans le Pacifique, mais choisit de ne pas les déployer dans les grandes batailles. Les navires de classe Fuso et Ise, malgré leurs équipements modernes et leur grande vitesse, n'ont qu'un rôle d'entraînement et de protection territoriale, tandis que le Nagato et les navires de classe Yamato sont conservés pour la « bataille décisive » de Yamamoto, qui n'aura jamais lieu. Finalement, les seuls cuirassés japonais à participer réellement au combat au début de la guerre sont ceux de classe Kongō, qui servent surtout d'escorte aux porte-avions[44].

Pendant la dernière partie de la bataille de Guadalcanal à l'automne 1942, les Japonais et les États-Unis sont tous deux obligés d'engager leurs cuirassés au combat, étant donné le besoin d'opérations de nuit et l'épuisement des forces aéronavales. Pendant la bataille navale de Guadalcanal, le 13 novembre, les cuirassés japonais Hiei et Kirishima sont repoussés par les croiseurs et destroyers américains. Les États-Unis perdent plusieurs navires, mais le Hiei subit de nombreux dommages et l'équipage abandonne le navire. Le soir du 15 novembre, les cuirassés américains South Dakota et Washington détruisent le Kirishima.

C'est également à Guadalcanal que les cuirassés prouvent leur utilité lors des bombardements dévastateurs sur l'aéroport de l'île.

Golfe de Leyte

Après la bataille de la mer des Philippines, les pertes élevées dans l'aviation rendent les porte-avions inefficaces et forcent les Japonais à engager leurs Dreadnoughts, aussi bien les plus récents que d'autres plus anciens, dans la bataille du golfe de Leyte. L'objective de cette « bataille décisive » est d'arrêter la capture des Philippines par les Alliés : cette capture signifierait la fin de l'approvisionnement pétrolier de l'Empire japonais et donc de la marine. La bataille de Samar, le 25 octobre 1944, prouve que les cuirassés restent une arme puissante. Les porte-avions d'escorte de l'US Navy échappent de peu aux canons des cuirassés Yamato, Kongō, Haruna et Nagato et de leurs croiseurs. Les destroyers et avions américains engagent les cuirassés, permettant aux porte-avions de s'échapper. Curieusement, les Japonais rompent également l'engagement, bien que très près de leur but : la force amphibie américaine à Leyte.

Dans le golfe de Leyte, le 25 octobre 1944, six cuirassés, menés par l'amiral Jesse Oldendorf de la 7e flotte américaine, coulent le cuirassé Yamashiro de l'amiral Shoji Nishimura, et auraient coulé le Fusō s'il n'avait pas déjà été coupé en deux par des torpilles lancées des destroyers durant la bataille du détroit de Surigao un peu auparavant. C'est la dernière fois que des cuirassés s'affrontent directement. Le jour précédent, le Musashi est coulé dans une attaque aérienne, bien avant qu'il ne puisse arriver à portée de canon des navires américains.

Batailles soviétiques et finlandaises

Durant la guerre d'Hiver, les cuirassés soviétiques Marat et Oktyabrskaya Revolutsiya essayent à plusieurs reprises de neutraliser les batteries côtières finlandaises afin de renforcer le blocus naval. Ils n'infligent toutefois que peu de dommages ; les Finlandais répliquent et touchent au moins une fois le Marat[45]. Pendant l'assaut allemand en Union soviétique, les cuirassés soviétiques servent à escorter les convois pendant l'évacuation de Tallinn, et sont aussi utilisés comme batteries flottantes pendant le siège de Leningrad[46]. Les champs de mines allemands et finlandais ainsi que les filets sous-marins restreignent le trafic soviétique dans le golfe de Finlande, obligeant les plus gros navires à rester au port[47],[48]. Le Marat est finalement coulé au mouillage par un Stuka allemand piloté par Hans-Ulrich Rudel le 23 septembre 1944. L'épave continue à servir de batterie flottante pendant le reste du siège. Le Marat est renfloué plus tard, et les deux cuirassés restent au service jusque dans les années 1950[49].

Rôle d'appui-feu

Puisque les grands navires allemands sont coulés ou obligés de rester au port, l'appui-feu devient la première mission des cuirassés alliés de l'Atlantique. Ainsi, le USS Massachusetts couvre l'invasion alliée du Maroc en mettant hors service le Jean Bart français le 27 octobre 1942. Pendant l'opération Neptune, le 6 juin 1944, six cuirassés appuient par leurs tirs les débarquements à terre.

Pendant le même débarquement, deux Dreadnoughts[50] sont aussi sacrifiés pour servir de digue de protection pour les ports Mulberry.

Défense aérienne

Un Kamikaze dans un Zero, juste avant qu'il ne touche le Missouri.

L'attaque sur le HMS Prince of Wales en 1941 a démontré que même les plus modernes des cuirassés sont vulnérables face aux avions ; c'est la patrouille aérienne qui se révèle être la meilleure forme de protection dans ce cas. Toutefois, les cuirassés rapides arrivent aussi à se défendre honorablement et à repousser les avions ennemis qui auraient traversé la couverture aérienne. Le North Carolina et le South Dakota le prouvent à la bataille des Salomon orientales ainsi qu'à celle des îles Santa Cruz : le North Carolina abat entre 7 et 14 avions tandis que le South Dakota en abat 26 à 32. Avec trop peu d'avions pour obtenir une couverture aérienne efficace, la présence de ces cuirassés reste indispensable.

En 1944, l'amiral Raymond A. Spruance réarrange la disposition des forces : la première ligne de défense est une patrouille aérienne de combat, dirigée par radar ; si un attaquant la pénètre, il doit faire face à un tir anti-aérien depuis une ligne de croiseurs et de cuirassés. Durant la bataille de la mer des Philippines, les pertes japonaises sont si élevées que leurs avions n'arrivent à infliger aucun dommage à leur cible, les porte-avions[51]. le rapport de force a cependant considérablement changé depuis 1942, les pilotes américains étant plus expérimentés et les navires plus récents.

Canons anti-aériens

Au début de la Seconde Guerre mondiale, la plupart des cuirassés comportent plusieurs batteries de canons anti-aériens, souvent du même type que sur les plus petits navires (comme les canons légers Bofors 40 mm et les Oerlikon 20 mm sur les navires Alliés) mais en plus grand nombre. Le développement du radar et du détonateur de proximité améliorent ces armes.

Durant l'entre-deux-guerres, les cuirassés — et notamment les Américains et les Britanniques — ont abandonné la casemate au profit des batteries doubles en tourelles, de calibre 5 ou 6 pouces. Les batteries secondaires sont d'abord conçues pour repousser les destroyers et torpilleurs attaquant à grande vitesse, mais c'est la menace aérienne qui finit par préoccuper davantage les cuirassés, en particulier les bombardiers-torpilleurs. L'idée étant qu'un cuirassé ait peu de chances d'affronter en même temps des destroyers et des avions, et qu'avoir deux types de canons prendrait trop de place, des canons du même calibre sont employés face aux deux menaces. Cela permet aussi de simplifier l'approvisionnement de ces armes, la disposition du blindage, etc.

Le cuirassé de classe Nelson (qui incorpore plusieurs concepts du croiseur de bataille G3) est le premier navire à inclure une telle batterie secondaire, utilisé à la fois contre des forces de surface et les avions. Si ces canons ont une plus faible cadence de tir que les canons anti-aériens habituels, leur plus longue portée et leur plus grande puissance arrivent à toucher plus facilement les avions ennemis ; ils font leurs preuves face aux Kamikazes japonais à la fin de la Seconde Guerre mondiale. En tirant dans l'eau, ils créent aussi de grandes gerbes d'eau qui submergent les avions torpilleurs (qui volent au ras de la mer) sous des tonnes d'eau.

Les navires allemands en restent au format traditionnel : des batteries secondaires anti-navires et des batteries lourdes anti-aériennes. Le Bismarck possède par exemple une batterie secondaire de douze canons de 150 mm et une autre de seize canons de 105 mm contre les menaces aériennes ; la première ne peut être tirée contre les avions faute de pouvoir atteindre une élévation suffisante. Cette disposition complique l'approvisionnement, prend plus de place et réduit la quantité de chacune des armes.

La marine impériale japonaise connait les mêmes problèmes que les Allemands : les canons secondaires de ses cuirassés sont trop lents pour suivre les avions[52]. Les Japonais utilisent même, sur leur classe Yamato, les obus anti-aériens San Shiki (« ruche ») modèle 13 pour les canons principaux : en théorie, ils auraient pu créer un tir de barrage contre les avions, bien qu'il semble que ça n'ait pas été un succès[53].

Blindage

Suite à la bataille du Jutland et à la Première Guerre mondiale en général, les architectes navals commencent à concevoir un blindage adapté également aux menaces aérienne et sous-marine. Les cinq navires américains de la classe Tennessee et Tennessee ont ainsi des œuvres vives bien mieux protégées par rapport aux cuirassés précédents. Le projet de croiseur de bataille G3 inclut un système de défense anti-torpilles, utilisé plus tard sur les navires de classe Nelson.

Les cuirassés comportaient déjà une ceinture blindée pour la protection sous-marine contre les torpilles ou les obus frappant sous la flottaison ; après le Jutland, ils possèdent aussi un système de défense anti-torpilles[54]. Avec l'adoption de la propulsion turbo-électrique, les espaces intérieurs sont réarrangés, les salles des machines mieux subdivisées et réduites afin d'offrir plus d'espace dans les flancs du navire, où l'on trouve un ensemble de vides, de réservoirs et de cloisons faiblement blindées[55]. À l'inverse, les croiseurs et les porte-avions plus faiblement blindés comptent principalement sur un grand nombre de compartiments étanches pour empêcher une brèche d'envahir le navire.

Durant l'attaque sur le Yamato, d'après un documentaire de PBS, les bombardiers américains reçoivent pour ordres de viser la proue ou la poupe, là où la ceinture blindée s'arrête. Les chasseurs saturent les canons anti-aériens, les bombardiers pilonnent le pont supérieur pour détruire ces canons et les systèmes de contrôle de tir, et les torpilleurs ont ainsi le champ libre. Les pilotes doivent aussi viser en priorité un seul côté du navire, causant de multiples brèches et un envahissement difficile à freiner, aboutissant au chavirage du navire. Un coup à la proue est potentiellement mortel, puisque l'entrée d'eau combinée à la grande vitesse du navire peut déchirer tout l'avant ainsi que les cloisons étanches : c'est la cause de la perte du Musashi[56]. Le Bismarck et le Prince of Wales sont quant à eux touchés à la poupe, ce qui endommage leurs hélices et safrans.

Puisque les ponts sont aussi blindés, l'aéronavale britannique prévoit d'utiliser des bombes perforantes pour pénétrer le blindage du Tirpitz pendant l'opération Tungsten[57]. Mais les bombes ne sont pas larguées d'une altitude suffisante, et le Tirpitz ne subit des dommages que sur ses superstructures tandis que ses ponts demeurent intacts[58]. De même, les Kamikazes japonais ne sont efficaces que contre les navires plus faiblement blindés[59].

Le blindage ne peut toutefois suivre les développements des armements. Par exemple, le blindage des Iowa et South Dakota est conçu pour absorder l'énergie d'une explosion sous-marine de 700 livres (317 kg) de TNT, soit l'évaluation haute des armes japonaises par les États-Unis dans les années 1930. Mais les Japonais disposent en réalité de torpilles de type 93 contenant une charge équivalente à 891 livres (405 kg) de TNT. Et aucun blindage n'aurait pu sauver le Tirpitz de la bombe Tallboy de 12 000 livres (5,4 tonnes)[60],[61].

Attaques innovantes

L'Axe essaie d'autres méthodes que les vagues aériennes pour attaquer les cuirassés. Les Italiens envoient des hommes-grenouilles fixer des charges explosives sur les navires et arrivent ainsi à couler le HMS Valiant et le dans les eaux peu profondes du port d'Alexandrie, les mettant hors de combat jusqu'en 1942. Les Italiens essaient aussi les « torpilles humaines » et de petits bateaux d'assaut : bourrés d'explosifs, dirigés vers leur cible, ils foncent sur elle tandis que leur pilote s'éjecte littéralement du bateau[62].

Les Allemands développent un ensemble d'armes ad-hoc comme la bombe guidée Fritz X qui connaît quelques succès. Le 9 septembre 1943, les Allemands arrivent à couler le cuirassé italien Roma et à endommager gravement son navire-jumeau Italia, alors prêts à se rendre. Une semaine après, les Allemands utilisent à nouveau la Fritz X contre le cuirassé britannique [63].

Les Britanniques essaient quant à eux de détruire les cuirassés au port avec des sous-marins de poche et des bombes surpuissantes larguées par les bombardiers stratégiques ; le Tirpitz en fera les frais lors de l'opération Source, attaqué par des sous-marins britanniques de classe X, et des bombardiers durant l'opération Tungsten.

Guerre froide

Explosion Baker pendant l'opération Crossroads.

Après la Seconde Guerre mondiale, la plupart des grandes marines conservent leurs cuirassés, mais il paraît évident qu'ils ne valent plus leur prix considérable. La guerre a montré que les combats entre cuirassés sont exceptionnels, la distance lors des engagements étant devenue plus élevée, rendant les canons de fort calibre obsolètes. Le blindage d'un cuirassé est également obsolète face à la menace nucléaire : des missiles à charge nucléaire d'une portée de plus de 100 km sont montés dès la fin des années 1950 sur les destroyers soviétiques de classe Kildin et sur les sous-marins de classe Whiskey.

Les cuirassés restants connaissent différents sorts. Le USS Arkansas et le Nagato sont coulés pendant les essais nucléaires de l'opération Crossroads en 1946. Les deux navires résistent au souffle de l'explosion mais pas aux explosions sous-marines. Le cuirassé italien Giulio Cesare est pris par les Soviétiques et renommé Novorossiysk ; il est coulé par une mine allemande dans la mer Noire le 19 octobre 1955. Les deux navires de classe Andrea Doria sont démolis à la fin des années 1950. Le Lorraine français est démoli en 1954, le Richelieu en 1964 et le Jean Bart en 1970. Les quatre navires de classe King George V britannique sont démolis en 1957 et le Vanguard en 1960 ; tous les autres cuirassés britanniques sont démolis à la fin des années 1940. En Union soviétique, le Petropavlovsk est démoli en 1953, le Sevastopol en 1957 et le Oktyabrskaya Revolutsiya en 1959. Au Brésil, le Minas Gerais est démoli en 1954 et le São Paulo coule lors de son voyage vers le chantier de démolition, pris dans une tempête, en 1951. L'Argentine garde ses deux navires de classe Rivadavia jusqu'en 1956 et le Chili garde le Almirante Latorre jusqu'en 1959. Le Yavuz turc est démoli en 1976 ; les Suédois gardent quelques petits cuirassés pour la défense côtière, dont le qui survit jusqu'en 1970. L'Union soviétique prévoit de construire des croiseurs de bataille, mais ce projet est annulé avec la mort de Staline. Quelques vieux navires de ligne sont utilisés comme bases flottantes ou dépôts.

Le USS Missouri lance un Tomahawk.

Les navires américains de classe Iowa continuent à être utilisés comme appui-feu. Les Marines considèrent que l'appui-feu d'un navire est plus précis, plus efficace et moins coûteux que les frappes aériennes. Le radar et les contrôles de tir par ordinateur permettent de viser la cible avec davantage de précision. Les États-Unis remettent en service les quatre Iowa pendant la guerre de Corée, et le pendant la guerre du Vietnam. Ils sont principalement utilisés pour des bombardements côtiers : le New Jersey tire sept fois plus d'obus contre des cibles à terre pendant la guerre du Viêt Nam que pendant la Seconde Guerre mondiale[64].

Dans les années 1980, les quatre Iowa sont à nouveau remis en service, d'une part en raison de la volonté du secrétaire d'état à la marine John F. Lehman de construire une « marine de 600 navires », d'autre part suite à la mise en service du croiseur de bataille soviétique Kirov. À plusieurs occasions, ces cuirassés ont un rôle de soutien dans les groupes aéronavals, voire mènent leur propre groupe de combat. Ils sont modernisés par l'ajout de missiles Tomahawk. Le New Jersey bombarde le Liban en 1983-84, tandis que le Missouri et le Wisconsin tirent leurs canons de 16 pouces et des missiles contre des cibles à terre pendant la guerre du Golfe en 1991. Le Wisconsin sert de plate-forme de commandement pour les missiles TLAM (Tomahawk anti-cibles terrestres) dans le golfe Persique, dirige les séquences de lancement qui marquent le début de l'opération Tempête du Désert, et tire un total de 4 missiles pendant les deux premiers jours de la campagne. Il s'agit de la dernière opération en temps de guerre menée par un cuirassé. Durant la guerre du Golfe, la principale menace contre les cuirassés est représentée par les batteries de missiles à terre irakiens : le Missouri est ainsi la cible de deux missiles Silkworm, qui n'atteignent toutefois pas leur but.

Les quatre Iowa sont retirés du service actif au début des années 1990 : ce sont alors les derniers cuirassés en service. Le Wisconsin et le Iowa sont maintenus jusqu'à l'année fiscale 2006 dans un état tel qu'ils puissent être remis rapidement en service en tant que navires d'appui-feu, en attendant le développement de navires de remplacement dédiés à ce rôle[65]. Pour les Marines, l'état actuel des forces de surface ne permet pas un soutien adéquat en cas d'assaut amphibie ou d'opérations à terre[66].

Actuellement

Le Texas américain de 1912 est le seul exemple préservé d'un Dreadnought datant de l'époque du véritable HMS Dreadnought.

Avec le désarmement du dernier des Iowa, aucun cuirassé n'est en service dans le monde, même en réserve. Quelques-uns sont préservés comme navires musées, à flot ou en cale sèche. Les États-Unis en ont quelques-uns : les , North Carolina, , , Wisconsin, Missouri et Texas. Le Missouri et le New Jersey sont des musées à Pearl Harbor et Camden ; le Wisconsin est un musée à Norfolk, et a été récemment rayé de la flotte. Le seul autre véritable cuirassé visible est le pré-Dreadnought japonais Mikasa. Quelques cuirassés primitifs et navires de lignes à voiles sont aussi préservés, dont le HMS Victory, le HMS Warrior, le Vasa suédois, le Buffel et le Schorpioen néerlandais et le trophée de guerre chilien Huáscar. On peut également noter le Mary Rose, ancêtre des navires de ligne.

Les cuirassés dans la doctrine navale

Doctrine

Les cuirassés ont été une des représentations de la puissance navale des pays. Pour Alfred Mahan et ses partisans, une marine forte était un élément-clé de la réussite d'une nation, et le contrôle des mers était vital pour la projection de puissance sur mer et sur terre. Dans la théorie de Mahan, les cuirassés ont pour rôle d'éliminer les ennemis des mers[67]. Tandis que les rôles d'escorte, de blocus et de raids peuvent être accomplis par des croiseurs ou d'autres navires semblables, la présence de cuirassés présentait une menace potentielle. Mahan dit ainsi que la victoire ne peut être atteinte que par des engagements entre cuirassés[68], théorie qui aboutit à l'hypothèse de la « bataille décisive » dans la marine japonaise, tandis que la guerre de course (développée par la Jeune École) ne peut aboutir, pour Mahan.

Mahan eut beaucoup d'influence dans les cercles navals et politiques pendant l'ère des cuirassés[69],[4] ; il souhaitait créer une grande flotte constituée de cuirassés aussi puissants que possible. Ce mouvement prit de l'ampleur jusqu'à atteindre une portée internationale à la fin des années 1890[4] et être adopté par la plupart des grandes marines. L'opinion de Mahan influença beaucoup la course aux armements qui s'ensuivit ainsi que les traités visant à limiter les cuirassés dans l'entre-deux-guerres.

Un concept lié était la « flotte en puissance » : l'idée qu'une flotte de cuirassés puisse, par sa simple présence, décourager un ennemi même s'il possédait de plus grandes ressources. Ainsi, un conflit pourrait être remporté sans qu'une seule bataille décisive ne survienne. Cette théorie eut un impact même sur les plus petites marines, qui désiraient avoir ainsi un impact stratégique notable[70].

Tactiques

Si le rôle des cuirassés dans les deux guerres mondiales reflétait la pense de Mahan, en pratique le déploiement des cuirassés a été plus complexe. Contrairement aux anciens navires de ligne, les cuirassés du XXe siècle sont plus vulnérables aux torpilles et aux mines, armes pouvant être utilisées même par de petits bateaux. La Jeune École des années 1870 et 1880 recommande de placer les torpilleurs au côtés des cuirassés ; ils se cacheraient derrière eux et ne sortiraient que protégés par la fumée des canons afin de lancer leurs torpilles[4]. Ce concept est mis à mal par le développement d'obus sans fumée, la menace des torpilleurs et plus tard des sous-marins reste présente. Dans les années 1890, la Royal Navy développe les premiers destroyers, conçus pour intercepter les torpilleurs : ce sont eux qui deviendront les escorteurs des cuirassés.

La doctrine des cuirassés place davantage d'importance sur le groupe de combat. Afin que ce groupe de combat puisse engager un ennemi qui fuit le combat (ou pour pouvoir éviter la confrontation avec une flotte plus puissante), les cuirassés avaient besoin de meilleurs moyens de localiser l'ennemi au-delà de l'horizon. Des navires de reconnaissance sont utilisés pour cela, comme les croiseurs de bataille, des croiseurs, destroyers, puis des sous-marins, ballons et avions. La radio permet de localiser l'ennemi en interceptant et en triangulant ses communications. Ainsi, la plupart du temps, les cuirassés ne sortirent que protégés par des escadrons de destroyers et de croiseurs. Les campagnes en mer du Nord pendant la Première Guerre mondiale ont illustré à quel point les mines et les torpilles ont pu représenter une menace réelle malgré ces protections.

Impact diplomatique et stratégique

La présence de cuirassés dans la flotte d'un pays eut un grand impact tant psychologique que diplomatique ; elle est comparable à la possession d'armes nucléaires de nos jours, en ce que le pays possédant un cuirassé acquérait un statut au niveau international[4].

Même durant la guerre froide, l'impact psychologique des cuirassés resta important. En 1946, le USS Missouri est envoyé ramener la dépouille de l'ambassadeur turc, et sa présence près de la Turquie et de la Grèce empêcha en partie une poussée soviétique vers les Balkans[71]. En septembre 1983, quand les milices druzes des montagnes Shouf au Liban tirent sur des casques bleus américains, l'arrivée du New Jersey met fin aux tirs. Plus tard, les tirs du New Jersey finissent par tuer des chefs de cette milice[72].

Annexes

Références

  • (en) Cet article est partiellement ou en totalité issu d’une traduction de l’article de Wikipédia en anglais intitulé « Battleship ».
  • Erik et al Appel, Finland i krig 1939–1940 - första delen, Schildts förlag Ab, Espoo, Finland, 2001, p. 261 
  • (en) E. H. H. Archibald, The Fighting Ship in the Royal Navy 1897–1984, Blandford, 1984 
  • Albert et al Axell, Kamikaze - Japans självmordspiloter, Historiska media, Lund, Sweden, 2004, p. 316 
  • (en) D. K. Brown, Warrior to Dreadnought: Warship Development 1860–1905, Book Sales, 2003 
  • (en) D. K. Brown, The Grand Fleet: Warship Design and Development 1906–1922, Caxton Editions, 2003, p. 208 
  • Kai et al Brunila, Finland i krig 1940–1944 - andra delen, Schildts förlag Ab, Espoo, Finland, 2000, p. 285 
  • (en) Robert (Ed.) and Gray, Randal (Author) Gardiner, Conway's All the World's Fighting Ships, 1906–1921, Naval Institute Press, 1985, p. 439 
  • (en) Robert (Ed.) Gardiner, Conway’s All the World’s Fighting Ships, 1922–1946, Conway Maritime Press, 1980 
  • (en) Robert (Ed.) and Lambert, Andrew (Ed.) Gardiner, Steam, Steel and Shellfire: The steam warship 1815–1905 - Conway's History of the Ship, Book Sales, p. 192 
  • (en) Tony Gibbons, The Complete Encyclopedia of Battleships and Battlecruisers - A Technical Directory of all the World's Capital Ships from 1860 to the Present Day, Salamander Books Ltd, London, UK, 1983, p. 272 
  • René Greger, Schlachtschiffe der Welt, Motorbuch Verlag, Stuttgart, Stuttgart, 1993, p. 260 
  • (en) Bernard and Grove, Eric Ireland, Jane's War At Sea 1897–1997, Harper Collins Publishers, London, 1997, p. 256 
  • Alf R. Jacobsen, Dödligt angrepp - miniubåtsräden mot slagskeppet Tirpitz, Natur & Kultur, Stockholm, Sweden, 2005, p. 282 
  • (en) Paul M. Kennedy, The Rise and Fall of British Naval Mastery, London, 1983 
  • (en) Andrew Lambert, Battleships in Transition - The Creation of the Steam Battlefleet 1815–1860, Conway Maritime Press, London, 1984, p. 161 
  • H. T. Lenton, Krigsfartyg efter 1860, Forum AB, Stockholm, Sweden, 1971, p. 160 
  • Jan et al Linder, Ofredens hav - Östersjön 1939–1992, Svenska Tryckericentralen AB, Avesta, Sweden, 2002, p. 224 
  • (en) Robert Massie, Castles of Steel - Britain, Germany and the Winning of the Great War at Sea, Pimlico, London, 2005 
  • (en) Robert L. O'Connell, Sacred Vessels: the Cult of the Battleship and the Rise of the U.S. Navy, Westview Press, Boulder, 1991 
  • (en) Oscar Parkes, British Battleships, first published Seeley Service & Co, 1957, published United States Naval Institute Press, 1990 
  • Anthony (Foreword) Preston, Jane's Fighting Ships of World War II, Random House Ltd, London, UK, 1989, p. 320 
  • (en) Scott J. Russel, The Fleet of the Future, London, 1861 
  • (en) Lawrence Sondhaus, Naval Warfare 1815–1914, London, 2001 
  • Paul Stilwell, Battleships, MetroBooks, New Your, USA, 2001, p. 160 
  • Michael et al Tamelander, Slagskeppet Tirpitz - kampen om Norra Ishavet, Norstedts Förlag, 2006, p. 363 
  • A. J. P. (Red.) et al Taylor, 1900-talet: Vår tids historia i ord och bild; Part 12, Bokfrämjandet, Helsingborg, 1975, p. 159 
  • Claes-Göran Wetterholm, Dödens hav - Östersjön 1945, Bokförlaget Prisma, Stockholm, Sweden, 2002, p. 279 
  • (en) H. W. Wilson, Ironclads in Action - Vol 1, London, 1898 
  • Niklas et al Zetterling, Bismarck - Kampen om Atlanten, Nordstedts förlag, Stockholm, Sweden, 2004, p. 312 
  • Corbett, Sir Julian. "Maritime Operations In The Russo-Japanese War 1904–1905." (1994). Originally Classified and in two volumnes. ISBN 1-5575-0129-7.

Notes

  1. "battleship", The Oxford English Dictionary, 2e édition, 1989, OED Online, Oxford University Press, 4 avril 2000.
  2. Entrée « cuirassé » du portail lexical [lire en ligne].
  3. a  et b J. Stoll, Steaming in the Dark?, Journal of Conflict Resolution Vol. 36 no 2, juin 1992.
  4. a , b , c , d , e , f , g , h , i , j , k , l , m , n  et o L. Sondhaus, Naval Warfare 1815–1914, (ISBN 0-415-21478-5)
  5. a , b  et c H. T. Lenton, Krigsfartyg efter 1860, 1971
  6. « Napoleon (90 guns), the first purpose-designed screw line of battleships », Steam, Steel and Shellfire, Conway's History of the Ship, p. 39.
  7. The HMS Warrior Story, Permanent Joint Headquarters, Northwood [lire en ligne].
  8. H. W. Wilson, Ironclads in Action - Vol 1, London, 1898, p. 240
  9. Andrew Lambert, Battleships in Transition, pp. 92–96
  10. Gibbons, op. cit., p. 93
  11. Tony Gibbons, The Complete Encyclopedia of Battleships, pp. 28–29
  12. Gibbons, op. cit., pp. 30–31.
  13. Conway Marine, Steam, Steel and Shellfire, p. 96.
  14. Tony Gibbons, The Complete Encyclopedia of Battleships, p. 101
  15. Richard Hill, War at Sea in the Ironclad Age, (ISBN 0-304-35273-X).
  16. Kennedy, op. cit., p. 209
  17. Anthony Preston, Jane's Fighting Ships of World War II
  18. Anthony Preston, Battleships of World War I, New York City: Galahad Books, 1972.
  19. Gibbons, op. cit., p.168.
  20. Vittorio Cuniberti, « An Ideal Battleship for the British Fleet », All The World’s Fighting Ships, 1903, pp. 407–409.
  21. Gibbons, op. cit., pp. 170–171
  22. Paul M. Kennedy, The Rise and Fall of British Naval Mastery, (ISBN 0-333-35094-4) p. 209
  23. John Keegan, The First World War, (ISBN 0-7126-6645-1), p. 281.
  24. Phillipe Masson, Marines et Océans, 1982, (ISBN 2-11-080768-7), p. 148
  25. John Keegan, The First World War, (ISBN 0-7126-6645-1), p. 289
  26. Bernard Ireland, Jane's War At Sea, pp. 88–95.
  27. Robert Massie, Castles of Steel, London, 2005, pp. 127–145.
  28. Paul Kennedy, The Rise and Fall of British Naval Mastery, (ISBN 0-333-35094-4), pp. 247–249.
  29. Le HMS Majestic et le HMS Triumph ont été torpillés par le U-21 ; le a été torpillé par le torpilleur turc Muavenet.
  30. Bernard Ireland, Jane's War At Sea, p. 118.
  31. Kennedy, op. it., p. 277.
  32. Bernard Ireland, Jane's War At Sea, pp. 124–126, 139–142
  33. Kennedy, op. cit., p. 199
  34. Source : Guinness Book of Air Facts and Feats 3e édition, 1977.
  35. J. Walter Boyne, « The Spirit of Billy Mitchell », dans Air Force Magazine Online: Journal of the Air Force Association, 1996 [lire en ligne].
  36. Gibbons, op. cit. p.195
  37. René Greger, Schlachtschiffe der Welt, p. 251.
  38. Gibbons, op. cit., p. 163.
  39. Gibbons, op. cit., pp. 246–247.
  40. Gibbons, op. cit., pp. 228–229.
  41. Niklas Zetterling, Bismarck, pp. 248–260.
  42. Albert Axell, Kamikaze, p. 14.
  43. Willmott, Barrier and the Javelin, passim.
  44. Gibbons, op. cit., pp. 262–263.
  45. Erik Appel, Finland i krig 1939–1940, p. 182.
  46. Jan Linder, Ofredens hav, pp. 50–51.
  47. Jan Linder, op. cit., pp. 50–51.
  48. Kai Brunila, Finland i krig 1940–1944, pp. 100–108, 220–225.
  49. René Greger, Schlachtschiffe der Welt, pp. 201.
  50. HMS Centurion et FNFL Courbet.
  51. Voir [1]
  52. Japanese Naval Ordnance (CombinedFleet.com)
  53. Jap Yamoto bat, Ibiblio.org [lire en ligne].
  54. Best Battleship: Underwater Protection (CombinedFleet.com)
  55. A Survey of the American "Standard Type" Battleship (navweaps.com)
  56. The Loss of Battleship KONGO: As told in Chapter "November Woes" of "Total Eclipse: The Last Battles of the IJN - Leyte to Kure 1944 to 1945". (CombinedFleet.com)
  57. Best Battleship: Armor (CombinedFleet.com)
  58. Tirpitz: The History
  59. Albert Axell, Kamikaze, pp. 205–213
  60. Michael Tamelander, Slagskeppet Tirpitz
  61. Alf R. Jacobsen, Dödligt angrepp
  62. A. J. P. Taylor, 1900-talet, p. 139
  63. Bernard Ireland, Jane's War At Sea, pp. 190–191
  64. Bernard Brett, History of World Seapower, (ISBN 0-603-03723-2) p. 236
  65. Federation of American Scientists, Iowa Class Battleship [lire en ligne]
  66. United States General Accounting Office, Naval Surface Fires Support [lire en ligne], Federation of American Scientists.
  67. Robert K. Massie, Castles of Steel, London, 2005 (ISBN 1-844-134113).
  68. A.T. Mahan, Influence of Sea Power on History, 1660–1783, Boston, Little Brown, passim.
  69. Kennedy, op. cit., p. 2, p. 200, p. 206 et al.
  70. "Fleet In Being", Globalsecurity.org
  71. Naval Historical Centre, USS Missouri, Directory of American Fighting Ships [lire en ligne].
  72. Directory of American Fighting Ships, USS New Jersey [lire en ligne].

Pour aller plus loin

Articles connexes

Liens externes

Bibliographie

Quelques ouvrages en français :

  • James Phinney Baxter, Naissance du cuirassé, 1935, Éditions de la nouvelle Revue critique.
  • Henri Le Masson, De "La gloire" au "Richelieu", 1946, Horizons de France.
  • Eric Gille, 100 ans de cuirassés français, 1999, Marines Éditions, (ISBN 2-909-675-50-5)
  • Bernard Ireland, La révolution maritime, du cuirassé au porte-avions 1914-1945, 2005, atlas des Guerres, Éditions Autrement, (ISBN 2-7467-0664-4)

Sur les autres projets Wikimedia :

  • Portail du monde maritime Portail du monde maritime
  • Portail de l’histoire militaire Portail de l’histoire militaire

Ce document provient de « Cuirass%C3%A9 ».

Wikimedia Foundation. 2010.

Contenu soumis à la licence CC-BY-SA. Source : Article Cuirassés de Wikipédia en français (auteurs)

Игры ⚽ Нужна курсовая?

Regardez d'autres dictionnaires:

  • Cuirasses — Cuirass Cui*rass (kw[ e]*r[.a]s , or kw[=e] r[a^]s; 277), n.; pl. {Cuirasses}( [e^]z). [F.cuirasse, orig., a breastplate of leather, for OF. cuir[ e]e, cuirie influenced by It. corazza, or Sp. coraza, fr. an assumed LL. coriacea, fr. L. coriaceus …   The Collaborative International Dictionary of English

  • Liste des cuirassés allemands — Cuirassés de type Dreadnought de la flotte de haute mer allemande La marine de guerre allemande en particulier la Kaiserliche Marine de l Allemagne impériale et la Kriegsmarine du Troisième Reich a construit plusieurs séries de cuirassés entre… …   Wikipédia en Français

  • Croiseurs cuirassés — Croiseur Un croiseur est un navire de guerre, aujourd hui, le plus puissant et le plus grand des bâtiments de combat, exception faite des porte aéronefs. Historiquement, il était considéré comme un navire susceptible d opérer individuellement, en …   Wikipédia en Français

  • Liste des cuirassés français — Ceci est la liste des cuirassés de la Marine française entre 1859 et 1945. Nota : les dates indiquées sont la date de lancement des navires Le terme de cuirassé tire son origine des années 1880 à la construction de la Classe Colossus, navire …   Wikipédia en Français

  • Liste des cuirassés de la Marine impériale de Russie — Enseigne de la VMF Russe Liste des cuirassés, des dreadnoughts de la Marine impériale de Russie par classe, avec l année de mise en service et du démantèlement. Certains de ces cuirassés servirent dans la Flotte impériale du Japon, d autres dans… …   Wikipédia en Français

  • Liste des cuirassés italiens — Sur les autres projets Wikimedia : « Cuirassés italiens », sur Wikimedia Commons (ressources multimédia) Liste des cuirassés italiens pour la période de 1860 à 1956. Sommaire 1 Cuirassés à coque en fer …   Wikipédia en Français

  • Liste des cuirassés japonais — Sur les autres projets Wikimedia : « Cuirassés japonais », sur Wikimedia Commons (ressources multimédia) Ceci est la liste des cuirassés de la marine impériale japonaise de 1860 à 1945. Sommaire 1 Premiers cuirassés …   Wikipédia en Français

  • Liste des cuirassés et croiseurs de bataille coulés pendant la Seconde Guerre mondiale — Cette page donne la liste des cuirassés et croiseurs de bataille coulés pendant la Seconde Guerre mondiale. Liste des cuirassés et croiseurs de bataille coulés pendant la Seconde Guerre mondiale Nom Pays jour et mois Année Lieu dégâts Pays… …   Wikipédia en Français

  • Cochons et cuirassés — Données clés Titre original Buta to gunkan Réalisation Shohei Imamura Scénario Hisashi Yamauchi Acteurs principaux Jitsuko Yoshimura Yôko Minamida Pays d’origine …   Wikipédia en Français

  • Liste des classes de cuirassés — Liste des classes de cuirassés. Les caractéristiques des navires sont celles de lancement (année, déplacement...). Les navires non terminés (en tant que cuirassé) ne figurent pas dans cette liste. Sommaire 1 Cuirassé à Coque en fer 2 Pré… …   Wikipédia en Français

Share the article and excerpts

Direct link
Do a right-click on the link above
and select “Copy Link”