Diglossie

Diglossie

En sociolinguistique, la diglossie désigne l'état dans lequel se trouvent deux variétés linguistiques coexistant sur un territoire donné et ayant, pour des motifs historiques et politiques, des statuts et des fonctions sociales distinctes, l'une étant représentée comme supérieure et l’autre inférieure au sein de la population. Les deux variétés peuvent être des dialectes d'une même langue ou bien appartenir à deux langues différentes.

Ce phénomène donne lieu à des situations de tension linguistique, le plus souvent implicite, généralement caractérisées par l'apparition de variétés « hautes » et « basses » de langage[1]. Un aspect de la diglossie est la distribution complémentaire où, dans une série de situations, seulement la variété « haute (H) » (par exemple en contexte formel, à l'écrit ou pour certains usages culturels et littéraires) est acceptable et dans une autre seulement la variété « basse (B) » (en privé, à l'oral, pour la poésie, le folklore…).

La notion a été utilisée et développée par des auteurs critiquant le terme de « bilinguisme », jugé trop imprécis, source de confusion et dont l'utilisation masque en fin de compte des réalités sociales complexes et dynamiques. Ils envisagent ainsi le bilinguisme uniquement du point de vue de l'individu : le bilinguisme est l'état individuel de l'acteur capable de mobiliser plusieurs variétés de langage. Au contraire, la diglossie est un phénomène sociétal, caractéristisé par la coexistence et la répartition socialement codifiée de plusieurs variétés.

Il existe ainsi, du moins théoriquement, des situations de diglossie avec ou sans bilinguisme, et réciproquement.

Sommaire

Présentation

Le terme a d'abord été synonyme de bilinguisme avant d'être utilisé par le linguiste William Marçais en 1930 dans sa Diglossie arabe.[réf. nécessaire]

Charles A. Ferguson en 1959 a caractérisé ces pratiques en stipulant plusieurs faits. D’abord la variété « haute » est utilisée lors du culte, dans les lettres, dans les discours, à l’université, … et jouit d’un prestige social accompagné d’une littérature reconnue et admirée dans une forme très standardisée (grammaire, dictionnaire, …) fréquemment apprise à l’école. Ensuite la variété « basse » fonctionne dans les conversations familières, dans la littérature populaire, dans le folklore, souvent uniquement orale, elle est acquise naturellement comme première langue du locuteur. L’exemple du latin au Moyen Âge, qui était la langue « haute » et le latin vulgaire la langue « basse », est probant. Fishman ajoute en 1967[2] qu’il peut y avoir diglossie entre plus de deux codes sans obligation de relation génétique commune.

La situation diglossique est évolutive et variée. Elle entre souvent dans une dynamique conflictuelle: à terme une des deux variétés l’emporte, parfois après des siècles. Soit la prestigieuse standardisée comme c’est le cas en France par rapport aux dialectes régionaux soit c’est la basse comme ce fut le cas en Grèce encore assez récemment où la variété « haute » est devenue une langue morte. En tout cas un phénomène d’assimilation ou de normalisation s’effectue.

La diglossie concerne également la présence sur un territoire donné de deux langues (par exemple le français et l’anglais au Canada).

On peut aussi parler de la présence de deux variantes développées de la langue écrite dans un même pays (par exemple le nynorsk et le bokmål en Norvège).

Au Maroc on peut même parler de trois diglossies distinctes : la diglossie arabe standard – arabe dialectal, la diglossie arabe dialectal – amazighe(berbère) et la diglossie arabe standard – français.

L’idée même de diglossie a été présente dans des luttes de réhabilitation des langues dites minoritaires, parlées pour certaines d’entre elles dans la vie de tous les jours par une proportion importante de la population d’un territoire, parfois majoritaire, par exemple le francoprovençal dans la Vallée d’Aoste, le basque et le catalan.

En outre, à l’intérieur des grands centres urbains, partout en expansion en Afrique, peut avoir lieu une situation qui n’est pas typologiquement diglossique mais qui peut relever d’une dynamique diglossique.

Origines

Les diglossies peuvent avoir des origines variées. Un cas possible d'émergence d'une situation diglossique est celui d'une communauté dont un groupe, rattaché aux classes socialement élevées, commence à adopter, dans certains contextes seulement ou de façon permanente, une variété linguistique (parfois exogène) plus prestigieuse. D'abord limitée à une petite élite, elle s'étend peu à peu aux grands centres urbains pour commencer, puis aux villes intermédiaires, et peut finir par s'imposer dans tout le territoire concerné. Une diglossie peut persister plusieurs siècles comme c'est fréquemment le cas. Elle peut toutefois disparaître suite à l'apparition de sous-variétés mixtes entre les deux variétés en conflit ou en cas de profonds bouleversements sociaux. Dans d'autres cas, si ses effets ne sont pas contrebalancés, elle peut tendre à terme à la marginalisation, l'assimilation et la disparition de la langue autochtone de la communauté. C'est sur cet aspect de la diglossie qu'ont particulièrement travaillé les écoles sociolinguistiques catalane et occitane. Les premiers ont en particulier considéré qu'il n'y avait que deux issues possibles à la diglossie : la normalisation ou l'assimilation.

Rapports en diglossie et bilinguisme

Diglossie et bilinguisme

Tous les membres de la communauté connaissent la forme haute et la forme basse: entre l’espagnol castillan et le guarani au Paraguay, entre l’espagnol castillan et le catalan enEspagne).

Bilinguisme sans diglossie

Plusieurs personnes connaissent deux langues dans une société sans qu’il existe d’usage spécifique pour les formes linguistiques distinctes. Cela se retrouve dans des contextes instables à forte mobilité sociale comme l’Europe romane des Temps Modernes ou des situations intermédiaires entre une diglossie et une autre organisation de la communauté linguistique.

Diglossie sans bilinguisme

A l’intérieur d’une communauté il existe une division fonctionnelle des usages entre les deux formes linguistiques et les groupes sociaux sont intégralement séparés. C’était souvent le cas dans les colonies européennes où les colons s’occupaient peu des pratiques indigènes. Il n’y avait d’ailleurs que de très rares traducteurs, à peines bilingues. On peut citer également la Russie tsariste où la noblesse ne pratiquait que le français.

Ni diglossie ni bilinguisme

Ce cas de figure ne peut exister que lors d’une absence totale de contact des langues. On peut imaginer que cela a inévitablement existé dans l’histoire de l’Humanité et sans doute que cela se passe encore aujourd’hui dans une contrée perdue et parfaitement isolée.

Les idéologies diglossiques

Critiques

La notion de diglossie a elle-même été critiquée par certains auteurs qui estiment qu'elle manque d'objectivité, étant donné qu'elle reproduit en un sens le schéma social dont elle est précisément censée analyser le mécanisme en intégrant à sa terminologie les représentations subjectives de « langue haute » et « langue basse ».

Exemples de situations diglossiques

Cas de l'arabe

Les pays d'Afrique du Nord sont caractérisés par une situation diglossique entre l'arabe classique, langue prestigieuse et de culture, et l'arabe dialectal, populaire.

Outre ce fait, la juxtaposition de deux variantes d'une même langue (l'arabe) en Afrique du Nord, caractérise parfaitement la diglossie telle qu'elle est définie par Ferguson (1959). La présence de l'arabe dialectal, langue d'usage quotidien, dans le milieu familial aussi bien que dans le milieu public, et l'arabe classique dont l'usage est limité aux médias étatiques et à l'école (car il est la langue d'enseignement), illustre cette situation diglossique.

Ainsi le dialectal, utilisé dans la vie quotidienne par la majorité de la population, n'a aucun statut officiel, au contraire de l’arabe classique, utilisé dans l'enseignement et les médias. Réservé aux situations formelles, il se trouve de ce fait privilégié par rapport aux autres langues présentes en Afrique du Nord (les dialectes régionaux et le berbère). L'arabe classique tient également son prestige du fait qu'il est la langue du Coran.

Aujourd'hui des voix s'élèvent dans les pays du Maghreb (à l'exemple de l'écrivain Kateb Yacine en Algérie) pour revendiquer un statut officiel pour l'arabe dialectal.

Suite à une lutte acharnée menée pour sa revalorisation, le tamazight, la langue ancestrale des berbères, les premiers habitants d'Afrique du Nord, et, encore aujourd'hui, langue maternelle d'une petite moitié de la population, a été progressivement reconnue par les pouvoirs en place, car en plus de son introduction dans les médias, elle est également enseignée à l'école et déclarée langue nationale (en Algérie) ou langue officielle (au Maroc).

Cas du catalan

Rafael Ninyoles et Lluís Vicent Aracil, pères de la sociolinguistique catalane, ont introduit le concept de diglossie pour caractériser le conflit linguistique existant entre catalan et castillan au Pays valencien, en Espagne[3]. Ninyoles entend par cette distinction terminologique dénoncer ce qu'il nomme le « mythe » ou la « fiction du bilinguisme » valencien, représentation très diffusée dans la population et qui opère une confusion entre la situation des comarques intérieures du pays, qui parlent un castillan autochtone, proche de l'aragonais, implanté lors de la Reconquista, et celle des centres urbains où un castillan importé de Castille a peu à peu, à partir du XVIe siècle, substitué le valencien, variété de catalan propre à la communauté, dans un premier temps auprès des classes sociales supérieures (l'aristocratie, puis les écrivains et intellectuels) cherchant à se démarquer socialement de la majorité, avant de s'étendre socialement et géographiquement, de façon particulièrement significative durant le franquisme, qui mène une politique ouvertement répressive à l'encontre des langues régionales.

Depuis, de nombreux travaux de sociolinguistique catalane ont exploré le concept de diglossie et l’ont appliqué, avec plus ou moins de reconnaissance, à l'ensemble du domaine linguistique du catalan[3].

La diglossie en France

La France a connu et connaît encore de telles situations diglossiques, marquées par l'opposition entre une langue régionale, plus ou moins vivace, et le français comme ce fut le cas il n'y a pas si longtemps entre le français et le latin vivant qui se disputaient chacun la prééminence.

On la rencontre ainsi en Alsace, au Pays basque, en Corse et dans une bien moindre mesure en Bretagne, dans les aires catalane, dans les aires franco-provençal, occitane et flamande.

En Martinique, en Guadeloupe,en Guyane et à La Réunion cette situation existe aussi.

Dans les universités de chacune de ces régions, la sociolinguistique a pris pour objet d'analyse le conflit diglossique et ses conséquences. L'apport de ces travaux est capital pour la compréhension d'un phénomène jusqu'à récemment assez peu étudié.

En Grèce

Deux modalités de grec moderne se trouvent en conflit diglossique[4] : d'une part la Katharévousa, langue artificielle et prestigieuse, adoptée par une minorité de la population et restée seule langue officielle jusqu'en 1976, et d'autre part le grec démotique, langue populaire et autochtone.

La Katharévousa, très marginalisée actuellement, reste utilisée dans certains milieux conservateurs.

La situation en Haïti

Un exemple d'une situation diglossique est celle du Créole haïtien dans sa cohabitation avec le français. Presque toute la population d'Haïti parle le créole, mais la classe sociale dominante possède souvent une connaissance appropriée de langue française, tandis que la population générale ne parle souvent que le créole. Il ne faut pas confondre le français et le créole haïtien comme étant deux variétés d'une langue, mais bien en tant que deux langues bien distinctes-le créole ayant subi une resyntactification des structures de la grammaire. Donc, il ne peut pas s'agir de diglossie entre variétés structurellement proches, mais bien d'une diglossie entre deux langues, dont une n'est parlée que par une partie de la population qui jouit du prestige de la pratique d'une des langues présentes sur le territoire haïtien, dans ce cas le français.

Cas de la Suisse alémanique

Article détaillé : Suisse allemand.

Les dialectes allemands de Suisse sont largement parlés, quoiqu'on écrive presque uniquement en allemand standard.

Notes et références

  1. Louis-Jean Calvet, La sociolinguistique, Paris, Puf, 1993, p. 36.
  2. Ibidem, p. 37.
  3. a et b (ca)Francesc Vallverdú, Hi ha o no hi ha diglòssia a Catalunya? Anàlisi d'un problema conceptual, Hemeroteca Científica Catalana, Institut d'Estudis Catalans.
  4. (en)Entrée « Diglossia » de l'Encyclopædia Britannica, version en ligne disponible au 04/02/2010.

Annexes

Bibliographie

  • Henri Boyer, Langues en conflit : Études sociolinguistiques, Paris, L'Harmattan, coll. « Logiques sociales », 1991, 274 p. (ISBN 978-2-7384-1084-9) (LCCN 91209426) 
  • Henri Boyer, Caroline Natali, L'éducation bilingue au Paraguay ou comment sortir de la diglossie, Ela[1] 3/6 (n°143), p. 333-353.
  • Louis-Jean Calvet, Linguistique et colonialisme: petit traité de glottophagie, 1974
  • (en)Charles A. Ferguson, Diglossia, Revue Word n° 15, 1959
  • Joshua Fishman, Sociolinguistique, 1972
  • Luci Nussbaum, Les défis de l'école pour le maintien et la transmission du catalan en Catalogne, Ela 3/2006 (n° 143), p. 355-369.
  • (ca) Rafael LLuís Ninyoles, Conflicte lingüístic valencià : Substitució lingüística i ideologies diglòssiques, Valence, Eliseu Climent, coll. « L'ham », 1985, 2e éd. (1re éd. 1969), 142 p. (ISBN 978-84-7502-121-8) 
  • (es) Rafael Lluís Ninyoles, Idioma y Poder Social, Madrid, Editorial Tecnos, coll. « Ciencias Sociales / Sociología », 1972 
  • Andrée Tabouret-Keller, A propos de la notion de diglossie, Langage et société[2] 4/2006 (n° 118), p. 109-128.

Articles connexes

Liens externes


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