Adélard de Bath

Adélard de Bath
Allégorie : Géométrie enseignant les figures régulières, lettrine enluminée de la traduction latine des Éléments d’Euclide par Adélard de Bath (vers 1309–1316).
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Adélard de Bath[1] (Bath, v. 1080 - v. 1160), est un moine bénédictin anglais du XIIe siècle siècle, arabophile (voire traducteur de l'arabe), philosophe, mathématicien et naturaliste. Il est célèbre pour ses versions latines des Éléments d'Euclide et pour son éloge de la raison de l'érudition arabe contre l'autorité des maîtres latins de son temps.

Il est considéré comme un précurseur de Robert Grosseteste et de Roger Bacon, et sa dernière biographe le qualifie de First English Scientist.

Sommaire

Biographie

On connait peu de la vie d'Adélard. Fils d'un certain Fastrad, il fut membre de la suite de l'évêque de Bath et Wells, Jean de Villula (1088-1122), dit aussi Jean de Tours. Adélard fit ses études à Tours, puis enseignât à Laon. Son « neveu », du dialogue des Questions naturelles, est peut-être un jeune noble qui y étudia sous sa direction[2]. Un mathématicien, Ocreatus ou O'Creath, le qualifie de « mon maître » (magistrum suum) dans le prologue d'un ouvrage sur les chiffres arabes[3] (Prologus N. Ocreati in Helceph[4]).

Adélard se rendit en Italie méridionale et en Sicile pour s'instruire sur la culture grecque, selon son traité Sur le même et le différent dédié à l'évêque Guillaume de Syracuse (mort en 1115 ou 1116[5]). De même, et comme indiqué dans les Questions naturelles, il aurait voyagé dans le Royaume de Jérusalem et à Tarse (Cilicie) en vue d'étudier les sciences arabes. Même sans certitude[6], il est probable qu'Adélard ait séjourné dans ces pays plusieurs années à ces fins[2], et même à Tolède, à Antioche, à Damas, en Égypte, en Arabie ou en Grèce.

La studia Arabum

Après son retour à Bath, il établit à l'intention de ses étudiants et de ses protecteurs de nombreuses traductions latines d'ouvrages en arabe, probablement avec l'aide de Pierre Alfonsi, en tout cas en rapport avec les traductions réalisées autour de Tolède[2]. À ce sujet, Charles Brunett (1990) signale que rien n'indique qu'Adélard traduisait directement de l'arabe ou même qu'il le lisait couramment.

Pour Clara Foz (1998, p. 46), « le fait que cet Anglais fasse constamment référence dans ses œuvres aux arabum studia, c'est-à-dire aux études arabes qu'il n'a de cesse d'opposer au savoir routinier de ceux qui s'en tiennent aux maîtres latins, aux autorités, témoigne du choc que la découverte des travaux scientifiques arabes a représenté pour le milieu des lettrés latins du XIIe siècle ; il témoigne également du conflit résultant de l'incompatibilité existant entre le "bagage culturel" des lettrés latin du XIIe siècle et les connaissances auxquelles leurs travaux de traductions leurs permirent d'acceder. »

« Les maîtres arabes m'ont appris une chose, c'est à me laisser guider par la raison, tandis que toi tu es ébloui par l'apparence de l'autorité et guidé par d'autres brides (qui ne sont pas celle de la raison). Car, en réalité, à quoi sert l'autorité si ce n'est de bride ? »

— Questions naturelles, Ch. VI[7]

Un jalon de la philosophie occidentale

En plus d'appeler à recourir aux sources arabes et grecques du savoir et de réflexion, Benoît Patar (2006) note qu'Adélard « affirme le caractère foncièrement mortel de l'homme, le péché n'ayant joué qu'un rôle secondaire au niveau de la destinée de l'espèce ».

Éléments d'Euclide

La plus ancienne traduction latine des Éléments parvenue jusqu'à nous est celle d’Adélard d'après un original arabe[8]. Ses versions latines des Éléments d'Euclide ont vraisemblablement été réalisées à l'intention de ses étudiants[9]. Connues alors sous le titre de Geometrica, on en connait trois variantes[10] probablement rédigés par d'autres auteurs[11]. Pour Charles Brunett (1997), ces textes d'Adélard ou qui lui ont été attribués, sont considérés comme le « point de départ à la spéculation géométrique en Occident ».

On sait que Campanus de Novare et Roger Bacon l'ont consultée, et que Thierry, membre de l'École de Chartres, l'a intégrée à son encyclopédie des arts, l'Heptateuque (Heptateuchon).

Autres traités et versions latines

Éditions de traductions 
  • De opere astrolapsus (Traité de l'astrolabe), traduction vers 1149-1150 de l'Arithmétique (ou Livre de l'addition et de la soustraction d'après le calcul indien) d'al-Khawarizmi, dédié à Henri II ;
  • une traduction des Tables astronomiques (ou Table indienne) du même, probablement d'après la version de Pierre Alfonsi[6] ;
  • Centiloquium, traduction d'après un texte arabe du pseudo-Ptolémée (peut être d'Ahmad ibn Yusuf, l'auteur du Commentaire[12]) ;
  • un abrégé de Introductorium magnum ad Astronomiam (Grande Introduction à la science de l'astrologie) d'Albumasar ;
  • une traduction du Traité sur les talismans de Thābit ibn Qurra.
Traités 
  • Regule abaci (De l'abaque) ;
  • De avibus (Traité des oiseaux) ;
  • Quaestiones naturales seu physicae (Questions naturelles), un traité des sciences arabes, rédigé entre 1105 et 1116 ;
  • De eodem et diverso (Sur le même et le différent), un traité philosophique de forme épistolaire, avant 1109 ? ;
  • De cura accipitrum, un traité de fauconnerie, dédié à Henri II.

Bibliographie

Voir le détail des éditions dans Cochrane 1995 et Folkerts 1989 (pour Euclide) ; ou aussi dans Patar 2006 et Caveing 1991.

  • (la) Johannes de Tinemue’s Redaction of Euclid’s Elements, the so-called Adelard III Version, éd. Hubert Lambert Ludovic Busard, Stuttgart, 2001 (ISBN 978-3-515-07975-4) (compte rendu) ; voir aussi ses autres éd. d'Euclide.
  • (la) (en) Adelard of Bath, Conversations with his nephew : On the same and the different, Questions on natural science, and on birds, éd. et trad. anglaise par Charles Burnett et al., Cambridge (GB) et New York, 1998 (ISBN 978-0-521-39471-0).
  • (ar) (la) (en) Abū Maʿšar, The abbreviation of The introduction to astrology : together with the medieval Latin translation of Adelard of Bath [Madkhal ilá ʿilm aḥkām al-nujūm], éd. et trad. par Charles Burnett, Keiji Yamamoto et Michio Yano, Leiden et New York, 1994 (ISBN 978-90-04-09997-5).
  • (la) Adelard of Bath, De cura accipitrum, éd. par Adriaan Ernst Hugo Swaen, Groningen (NL), 1937.
  • (he) (en) Adelard of Bath, Natural Questions, éd. hébraïque et trad. anglaise par Hermann Gollancz, dans Berechiah ha-Naqdan, Dodi Ve-Nechdi (Uncle & Nephew) [c. 1137], Londres, 1920 (en ligne).
  • (la) Die astronomischen tafeln des Muḥammed ibn Mūsā al-Khwārizmī in der bearbeitung des Maslama ibn Aḥmed al-Madjrīṭī und der latein. Uebersetzung des Athelhard von Bath, éd. par Heinrich Suter avec la collab. de A. Bjørnbo et R. Besthorn, Copenhague, 1914 ; repr. Francfort-sur-le-Main, 1997.

Sur Adélard de Bath

  • (en) Louise Cochrane, Adelard of Bath : The First English Scientist, Londres, 1995 (ISBN 978-0-7141-1748-5).
  • (en) Charles Burnett, Adelard of Bath and the Arabs, dans Rencontres de cultures dans la philosophie médiévale [Congrès. Cassino (Italie). 1989], sous la dir. de Jacqueline Hamesse et Marta Fattori, Louvain-la-Neuve et Cassino, 1990, p. 90-107 (Publication de l'Institut d'études médiévales. 2e série, 11) (ISSN 0774-9295).
  • (en) Menso Folkerts, Euclid in Medieval Europe, Munich, 1989 (en ligne) ; repr. 2006 (ISBN 978-0-86078-957-4).
  • (en) (fr) Adelard of Bath : an english scientist and arabist of the early twelfth century [Colloque au Warburg Institute, mai 1984], sous la dir. de Charles Burnett, Londres, 1987 (ISBN 978-0-85481-070-3).
  • (en) Charles Homer Haskins, Studies in the History of Medieval Science, Cambridge, 1924 : repr. 1927, chapitre Adelard of Bath, p. 20-42 (en ligne payant).

Notices et comptes rendus

  • (fr) Benoît Patar, Dictionnaire des philosophes médiévaux, Longueuil (Québec), 2006, s. v. Adelard of Bath, p. 29-31 avec bibliogr. (ISBN 978-2-7621-2741-6) (en ligne).
  • (fr) Clara Foz, Le traducteur, l'Église et le roi (Espagne, XIIe et XIIIe siècles), Arras et Ottawa, 1998, s. v. Adelard of Bath, p. 45-46 (ISBN 978-2-7603-0462-8) (en ligne).
  • (fr) Charles Brunett, Adélard de Bath, dans Dictionnaire encyclopédique du Moyen Âge, 1, sous la dir. d'André Vauchez, Paris, 1997, p. 16-17 (ISBN 978-2-204-05790-5).
  • (fr) Maurice Caveing, Les traductions latines médiévales des Eléments d'Euclide : à propos de deux publications récentes, dans Revue d'histoire des sciences, 44-2, Paris, 1991, p. 235-239 avec un bilan des éd. d'Adélard (en ligne).
  • (fr) Victor Mortet, Ch. H. Haskins. Adelard of Bath, reprinted from The English historical review, July 1911 [compte rendu], dans Bibliothèque de l'école des chartes, 73-1, Paris, 1912, p. 103-105 (en ligne).

Sur le contexte médiéval

  • (fr) Les relations culturelles entre chrétiens et musulmans au Moyen Âge, quelles leçons en tirer de nos jours ? [Colloque du 20 octobre 2004], sous la dir. de Max Lejbowicz, Turnhout, 2005 (ISBN 978-2-503-51803-9) (commentaires suppl.).
  • (en) Norman Daniel, The Arabs and mediaeval Europe, Londres et New York, 1979 [1re éd. 1975] (ISBN 978-0-582-78088-0 et 9781597400343).

Notes

  1. Nommé aussi Aethehard, Adelardus Barthonensis, Adelardus Barthensis et Adelardus Bardunensis, selon José Sangrador Gil, Los colaboradores judíos en la Escuela de traductores de Toledo, Washington (D.C.), 1974, p. 23.
  2. a, b et c Charles Brunett 1997.
  3. Clara Foz 1998. Cf. Franz Woepcke, Mémoire sur la propagation des chiffres indiens, dans Journal Asiatique, (6e série) 1, Paris, 1863, p. 27-79, 234-290 et 442-529, part. p. 518 (en ligne) ; éd. par F. Sezgin, Francfort, 1986.
  4. Charles Henry, Prologus N. Ocreati in Helceph ad Adelardum Batensem magistrum suum. Fragment sur la multiplication et la division, dans Abhandlungen zur Geschichte der Mathematik, 3, Leipzig, 1880, p. 131 et passim.
  5. Charles-Victor Langlois, Travaux de Gh.-H. Haskins sur la littérature scientifique en latin du XIIe siècle, dans Journal des savants, Paris, 1919, p. 57-73 et part. p. 62-63 pour Adélard (en ligne).
  6. a et b Clara Foz 1998.
  7. « Ego enim aliud a magistris Arabicis ratione duce didici; tu vero aliud, auctoritatis pictura captus, capistrum sequeris. Quid enim aliud auctoritas dicenda est quam capistrum?  » (éd. Burnett, 1998, p. 102). Cf. la trad. anglaise par Hermann Gollancz, p. 98 (en ligne) ; cité en français par Dinora Corsi (trad. de l'italien par Lada Hordynsky-Caillat et Odile Redon), dans Médiévales, 14, 1988, p. 51 n. 11.
  8. Cf. Bertrand Russell, A History of Western Philosophy [lire en ligne], p. 203 .
  9. Charles Brunett 1990.
  10. Selon Clara Foz (1998) « une première, dite version I, complète et fondée sur un texte arabe, une deuxième (version II), plus schématique et moins complète, également fondée sur une version arabe, et une troisième, qui s'apparente plutôt à un commentaire ». Menso Folkerts (1989) note que la seule information sur l'auteur de la version III (probablement écrite ou compilée après la mort d'Adélard, à la fin du XIIe siècle) est l'attribution ambiguë de Roger Bacon editio specialis Alardi Bathoniensis.
  11. Cf. le détail des attributions récentes dans Max Lejbowicz, « Jürgen Schönbeck, Euklid. Um 300 v. Chr. », Cahiers de recherches médiévales, Comptes rendus (par année de publication des ouvrages), 2003.
  12. Voir plus précisément les communications de Jean-Patrice Boudet et de Giuseppe Bezza au colloque Autorités usurpées et doubles attributions au Moyen Âge et à la Renaissance, Tours, à paraître.

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