Affaire Finaly

Affaire Finaly

L’affaire Finaly se déroule de 1945 à 1953 et concerne la garde de deux enfants juifs dont les parents ont été déportés de France. Au cours de la Seconde Guerre mondiale, le couple Finaly, qui vit dans la région de Grenoble, confie ses deux enfants à une institution catholique. Les parents sont déportés et tués dans un camp de concentration nazi ; les enfants sont alors placés chez une tutrice catholique qui refuse plus tard de les rendre à leur famille proche, sous prétexte qu'ils ont été baptisés. Rendue publique, l'affaire implique de nombreuses personnalités catholiques, juives et gouvernementales, ainsi que de multiples actions judiciaires.

Les enfants Finaly sont finalement confiés à leur famille proche en 1953. Cette affaire détériore, de façon importante et pendant de nombreuses années, les relations entre les autorités religieuses juives et catholiques.

Sommaire

Les faits

Fritz Finaly, médecin juif autrichien et sa femme Annie, née Schwarz, se réfugient en France à La Tronche, près de Grenoble en 1938, à la suite de l’Anschluss. Ils donnent naissance à deux enfants : Robert le 14 avril 1941 et Gérald le 3 juillet 1942. Les enfants sont circoncis et se voient attribuer comme second prénom des prénoms hébraïques : Ruben pour Robert et Guédalia pour Gérald. Le 14 février 1944, les époux Finaly sont arrêtés par la Gestapo et déportés à Auschwitz où ils meurent.

Se sentant menacés, Annie et Fritz Finaly avaient caché leurs deux enfants âgés respectivement de deux et trois ans, à la pouponnière St-Vincent de Paul à Meylan, près de Grenoble, mettant une de leurs amies, Madame Poupaert dans le secret. Celle-ci, craignant que les enfants ne soient découverts, demande l'aide du couvent des religieuses de Notre-Dame de Sion, à Grenoble, dirigé en 1944 par Mère Clotilde. En raison du très jeune âge des enfants, les religieuses ne peuvent les garder dans leur pensionnat, et les confient à une ancienne résistante, fervente catholique, mademoiselle Antoinette Brun, directrice de la crèche municipale de Grenoble.

À la fin de la guerre, en février 1945, Margarete Fischl, sœur du docteur Finaly et vivant en Nouvelle-Zélande, se met à la recherche de ses neveux qu’elle sait avoir échappé à la déportation, par le truchement de l’Œuvre de secours aux enfants (OSE), l’une des organisations juives qui recherchent assidûment les enfants cachés ou disparus. Elle demande à un ancien résistant, Moïse Keller, de l'aider dans ses démarches. Puis une belle-sœur de Fritz Finaly, Augusta, qui rentre en Autriche, fait un détour par Grenoble et rend visite aux enfants, accompagnée par une représentante de l’OSE. Mlle Brun refuse de les restituer, se fait nommer légalement tutrice des deux enfants « à titre provisoire ». Elle fait traîner les choses, espérant que le temps jouera en sa faveur et que les tantes abandonneront leurs démarches. Elle fait finalement baptiser Robert et Gérald, le 28 mars 1948 dans l’église de Vif. Mme Fischl et sa sœur Mme Rosner, qui vit en Israël, font porter l’affaire en justice. La procédure dure plusieurs années, et après plusieurs appels, la justice française ordonne le 29 janvier 1953 que la garde des enfants soit rendue à leur famille, et l'arrestation de Mlle Brun pour séquestration d’enfants.

Entre temps, le Consistoire central et les deux grands rabbins, Henri Schilli et Jacob Kaplan interviennent auprès des autorités politiques et religieuses, alertant également la presse écrite. Mais les deux enfants ont disparu et leur photo est publiée dans la presse. Avant son arrestation, la supérieure de Notre-Dame de Sion les confie à l'établissement de Notre-Dame de Sion de Marseille, au collège des pères de Timon-David Notre-Dame de la Viste à Saint-Louis et au curé de la paroisse de Saint-Michel l’Archange à Marseille, puis au collège Saint-Louis-de-Gonzague de Bayonne sous la responsabilité de l’abbé Barthélemy Setoain. Cela faisait de nombreux mois que Mlle Brun n'a plus les enfants avec elle, la « garde réelle » des enfants étant assumée par Notre-Dame de Sion de Grenoble.

Les enfants sont reconnus par le directeur du collège, mais avant que la police n'intervienne, ils sont conduits par des passeurs au Pays basque espagnol. L’affaire prend alors une dimension internationale, car Franco entend tirer profit de la situation, et il fait contrôler par le gouverneur (équivalent du préfet) de la province le séjour des enfants, que l’Église considère devoir élever dans la religion catholique.

L'affaire tourne au scandale en France, et touche particulièrement la communauté juive française. La presse de gauche et anticléricale s'implique fortement, ainsi que la presse catholique progressiste qui condamne la conduite d'une partie du clergé. Devant la tournure des évènements, le cardinal Pierre Gerlier, archevêque de Lyon, décide de négocier avec le grand-rabbin Kaplan et avec la famille des enfants. Le 6 mars 1953, un accord est signé au terme duquel les deux enfants doivent être restitués à leur famille le plus rapidement possible. En contrepartie, la famille s'engage à retirer ses plaintes contre les religieux. Le grand-rabbin de France Jacob Kaplan se porte garant de ce retrait. La résistante française (nommée plus tard Juste parmi les nations) Germaine Ribière, qui a la confiance des communautés juive et catholique, joue un rôle de premier plan lors de tous ces pourparlers.

Au mois de juin 1953, deux religieux basques espagnols prennent l'initiative de remettre les enfants Finaly aux autorités consulaires françaises, en contradiction avec les autorités civiles et religieuses espagnoles. Les enfants rejoignent ensuite leur famille en Israël. Ruben devient plus tard médecin, et Guédalia entame une carrière militaire.

Réactions

Le Consistoire central et le rabbin Kaplan ont dès 1953 remercié le cardinal Gerlier pour son action déterminante dans le retour des enfants Finaly.

Comme le raconte Germain Latour dans son livre Les deux orphelins : l'affaire Finaly, 1945-1953, cette affaire, bien loin d'être une affaire "privée" opposant Mlle Brun à la famille Finaly est une tentative pour l'Église catholique au travers de la congrégation Notre-Dame de Sion d'arracher deux jeunes enfants qu'elle a fait baptiser (seulement en 1948, soit sans justification de protection des enfants face aux autorités allemandes ou françaises) à leur famille naturelle qui déjà les réclamait. Il faut préciser que les deux parents des garçons les avaient fait circoncire dès leur naissance, ce qui démontre qu'ils souhaitaient que leurs fils soient élevés comme juifs. Très rapidement, Rome prend position contre la restitution des enfants en raison du baptême de ces derniers et le cardinal Gerlier de Lyon est chargé de relayer ce message. Tout est fait par les autorités religieuses pour empêcher le retour des enfants. On ne doit qu'à l'obstination et au dévouement de Moïse Keller, ami d'un des oncles des enfants, une issue heureuse à cette affaire. Mais il a fallu huit années de procès et rebondissements.

Catherine Poujol, chercheur à l'Université libre de Bruxelles (CIERL), spécialiste de l’histoire des relations judéo-chrétiennes, a mis en doute la sincérité du Cardinal Gerlier, suite à la découverte d’une note du Vatican du 23 octobre 1946, remise au Cardinal Gerlier le 30 avril 1947. Cette note, publiée sans l'autorisation de C.Poujol, fin 2004, par l’historien italien Alberto Melloni dans le Corriere della Sera et reprise dans La Croix et le Monde, dit textuellement :

« Au sujet des enfants juifs, qui pendant l’occupation allemande ont été confiés aux institutions et aux familles catholiques et qui sont réclamés par des institutions juives pour leur être remis, la Sainte Congrégation du Saint Office a donné une décision que l’on peut résumer ainsi :

  1. Éviter autant que possible de répondre par écrit aux autorités juives, mais le faire oralement.
  2. Toutes les fois qu’il sera nécessaire de répondre, il faudra dire que l’Église doit faire ses investigations pour étudier chaque cas en particulier.
  3. Les enfants qui ont été baptisés ne pourraient être confiés aux institutions qui ne seraient pas à même d’assurer leur éducation chrétienne.
  4. Pour les enfants qui n’ont plus de parents, étant donné que l’Église s’est chargée d’eux, il ne convient pas qu’ils soient abandonnés par l’Église ou confiés à des personnes qui n’auraient aucun droit sur eux, au moins jusqu’à ce qu’ils soient en mesure de disposer d’eux-mêmes. Ceci évidemment, pour les enfants qui n’auraient pas été baptisés.
  5. Si les enfants ont été confiés par les parents, et si les parents les réclament maintenant, pourvu que les enfants n’aient pas reçu le baptême, ils pourront être rendus.
À noter que cette décision de la Sainte Congrégation du Saint Office a été approuvée par le Saint Père » [1].

Pour Gianni Valente, ce texte « se révèle en fin de compte être une dernière reproduction non littérale des indications du Vatican, une note préparée elle aussi par la nonciature, à l’usage des évêques français »[2].

À partir de l'étude des archives du Cardinal Gerlier mais surtout du journal inédit du moine Elizondo qui est à l'origine du retour en France des enfants Finaly, Catherine Poujol soutient que le Cardinal Gerlier, obéissant aux instructions du pape Pie XII, a joué un double jeu et peut être tenu comme responsable de l’enlèvement des deux enfants et de leur fuite en Espagne. Il aurait lui-même averti l’évêque de Bayonne Mgr Léon-Albert Terrier et lui aurait demandé de placer les enfants en Espagne sous l'autorité du cardinal de Tolède. En réalité c'est le secrétaire de l'évêque de Bayonne, l'abbé Etchegaray (futur cardinal), qui supervisera le passage clandestin des enfants en Espagne dans la nuit du 12 au 13 février 1953 et remettra aux passeurs une lettre nullement destinée au Primat d'Espagne mais à un ecclésiastique français résidant à Madrid très introduit auprès de la hiérarchie religieuse espagnole et auprès des cercles de pouvoir du Général Franco.

Les suites de l’affaire

Les rapports de l’Église catholique avec le judaïsme restent très tendus pendant plusieurs années, puis tendent à se normaliser. Le 26 mars 1954, le président catholique et les trois vice-présidents, juif, protestant et orthodoxe de la fédération d'associations Amitié Judéo-Chrétienne déclarent que :

« Un baptême contre la volonté des parents est condamnable, que les complicités pour soustraire les enfants à leur famille sont scandaleuses et que tout doit être fait pour empêcher la répétition d’une telle situation. »

Filmographie

En 2007, le documentaire L'Affaire Finaly est réalisé par David Korn-Brzoza et écrit par Noël Mamère, Alain Moreau et David Korn-Brzoza[3]. Il est produit par la société de production Program33 pour France 3.

Un téléfilm retraçant l'affaire Finaly, tourné en avril 2008 pour France 2, est diffusé le 25 novembre 2008. Le rôle de Mademoiselle Brun y est tenu par Charlotte de Turckheim.

Bibliographie

  • Les enfants cachés, l'affaire Finaly, bande-dessinée par Fabien Lacaf, dessinateur, et Catherine Poujol, scénariste, 2007, éditions Berg International
  • Les enfants cachés: l'affaire Finaly (1945-1953) par Catherine Poujol & Co, 2006, éditions Berg International
  • Les deux orphelins: l'affaire Finaly, 1945-1953, par Germain Latour, 2006, éditions Fayard
  • Position divergente des prélats catholiques sur le baptême des enfants Finaly (1945-1953) par Catherine Poujol, Bulletin du Centre de Recherche Français de Jérusalem, n°16, 2005, page 45 à 119 edition.cens.cnrs.fr
  • L'affaire Finaly, pistes nouvelles par Catherine Poujol, 2004, Archives Juives n°37/2
  • L’affaire Finaly par Jacob Kaplan, 1993, Éditions du Cerf, coll. l'histoire à vif
  • L'affaire Finaly telle que je l'ai vécue par Moïse Keller, 1960, éditions Fischbacher
  • L'affaire Finaly, revue Esprit, 1953
  • L’affaire Finaly, par Paul Demann, Cahiers sioniens, mars 1953, n°1, pp. 76–105.
  • L’affaire Finaly. Des faits. Des textes. Des dates. par Wladimir Rabinovitch, 2009, Collection « essais », éditions Transhumances

Notes et références

  1. Catherine Poujol, « Positions divergentes des prélats catholiques sur le baptême des enfants Finaly », Bulletin du centre de recherche français de Jérusalem (n°16, pages: 95 - 119), 2005. Consulté le 21 mai 2008
  2. Gianni Valente, « Pie XII, Roncalli et les enfants juifs. Les faits et les préjugés », 30 Giorni, février 2005
  3. Documentaire L'Affaire Finaly - FIPA compétition 2008

Annexes

Articles connexes

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