Affaire Tantoura

Affaire Tantoura

Affaire Tantoura

Position de Al-Tantoura, principale localité de la dernière poche de résistance palestinienne (vers le 20 mai 1948) de la bande côtière, sur la route Tel-Aviv - Haïfa.

L'Affaire Tantura fait référence à une thèse controversée qui secoua le milieu académique et la population israélienne au cours de l'année 2000. Elle a principalement opposé les historiens Ilan Pappé et Yoav Gelber.

Sommaire

Déroulement de l'affaire

Ilan Pappé.

Un certain nombre de massacre commis par les forces israéliennes au cours de la guerre de 1948 ont été recensés par les historiens israéliens, et font aujourd'hui relativement consensus[1], surtout grâce à l'ouverture des archives de Tsahal sur la période. Le plus connu est celui de Deir Yassine.

Un étudiant de maîtrise de l'Université de Haïfa, Teddy Katz, alors âgé d'une quarantaine d'année, présenta un travail de fin d'Études qui révélait qu'un massacre supplémentaire avait été commis au cours de la Guerre de Palestine de 1948. Selon son travail, entre 200 et 250 civils arabes auraient été tués par des soldats de la Brigade Alexandroni lors de la prise du village de al-Tantura et lors des jours qui suivirent. Son travail était basé principalement sur le recueil d'environ 200 témoignages oraux recueillis au cours d'interviews réalisés par ses soins.

Initialement, Katz reçut une note de 97/100 pour son travail. Toutefois, suite à la publication du résultat de ses recherches dans la presse, une plainte fut déposée en justice par des vétérans de la Brigade dont certains interviewés par Teddy Katz. Selon eux, ses témoignages auraient été fabriqués. L'avocat des soldats prouva que certaines retranscriptions n'avaient pas été fidèles. Katz accepta de se rétracter, reconnaissant son tort, ce qui y mit un terme au procès mais il changea d'avis le lendemain sans toutefois que le juge accepte ce revirement. Les circonstances de ce revirement sont controversées.

Dans le même temps, l'Université de Haïfa lui retira son grade, lui demanda de réécrire une nouvelle thèse et de la présenter dans les 6 mois. Son travail fut reexaminé par plusieurs historiens israéliens dont Yoav Gelber et Ilan Pappé. Le travail de Katz fut critiqué pour la mauvaise méthodologie employée qui consistait à ne recueillir que des témoignages sans essayer de les recouper par d'autres sources. On trouva également quelques enregistrements dont la retranscription n'était pas correcte.

Positions d'historiens

L'affrontement Pappé - Gelber

Ilan Pappé prit la défense de Katz, reprenant la thèse à son compte et défendant la méthodologie utilisée par Katz et indiquant qu'il était tout à fait correct de se baser sur des témoignages oraux. L'affaire dérapa rapidement. Pappé publia sur son site internet une retranscription des témoignages, quittant ainsi, selon ses détracteurs, le strict contexte académique pour mettre l'affaire sur la place publique et la politiser. En 2003, Pappé indique que « les soldats se sont retrouvés avec tous ces palestiniens à leur merci. C’est alors qu’ils ont décidé de les massacrer pour s’en débarrasser. Ils ne voulaient pas se retrouver avec des prisonniers de guerre[2] ».

Yoav Gelber vilipenda l'attitude de Pappé, tant sur la forme que sur le fond. Pour lui, l'affaire Tantura a définitivement mis un terme au crédit à accorder en tant qu'historien à Ilan Pappé. Il critique vigoureusement la thèse de Katz, parlant de « conjectures, mensonges et désinformation pure et simple[3] ». Pour Gelber, le principe d'un travail ne se basant que sur des témoignages (de civils et de militaires) n'est par principe pas acceptable.

L'affaire est encore compliquée par les préférences politiques affirmées par les deux principaux protagonistes de l'affaire, qui prêtent le flanc aux accusations de partialités idéologiques.

« Gelber s'est défini lui-même comme un partisan du Tsomet[4] » (ou Tzomet), un petit parti ultra-nationaliste laïque de la droite israélienne. Ce parti est favorable à l'annexion des territoires palestiniens, et est hostile à tout compromis territorial avec les Palestiniens[5]. Il a été longtemps dirigé par l'ancien chef d'état-major de Tsahal, Rafaël Eitan. Cependant, les préférences idéologiques de Gelber ne l'amènent pas à contester par principe que certains massacres aient pu être commis. Il admet ainsi que plus de 250 habitants ont été exécutés après les combats[6] de l'opération Dani.

De son côté, Pappé n'est pas sioniste, et était membre en 2002 du Parti communiste israélien[4]. Ses positions générales sur l'attitude d'Israël vis-à-vis des palestiniens sont extrêmement critiques.

Réactions des autres historiens

Benny Morris

Suite à cette polémique, Pappé-Gelber, l'affaire Tantura a suscité des réactions fortes en Israël et à l'étranger [7].

La plupart des historiens israéliens ont préférés ne pas se prononcer ouvertement sur le fond, entre autres du fait de la difficulté à traiter la querelle méthodologique Gelber-Pappé : peut-on baser un travail d'historien uniquement sur des témoignages ?

D'un coté ceux-ci apparaissent comme parfois peu fiables. D'un autre côté, comme l'admet Benny Morris « les massacreurs laissent rarement des rapports écrits sur leurs crimes[8] ».

Concernant les événements de Tantura, Benny Morris a au final pris le parti contre les résultats de l'étude, mais plus sur la base de la méthodologie que sur le fond. Il critique en particulier le recours exclusif de Katz à des témoignages oraux, et note que les cassettes d'entretiens montre que Katz essaie fortement d'orienter les réponses de ses interviewés[8]. Après avoir analysé l'ensemble des documents écrits datant de l'époque, il en conclue qu'aucune preuve formelle d'un massacre n'existe. Il cite cependant divers documents laissant entendre que des actes de violences ont eu lieu après les combats, mais que ces documents sont trop imprécis pour qu'on puisse définir ces violences. Morris critique le caractère tranché des affirmation de Katz sur le massacre, mais considère qu'on ne peut cependant totalement écarter l'hypothèse[8].

Ce qui est devenu la thèse d'Ilan Pappé ne semble à ce niveau n'avoir le soutien complet d'aucun historien israélien, même parmi les « Nouveaux Historiens ». Il dispose par contre du soutien des historiens palestiniens. En France, Dominique Vidal semble accorder crédit aux recherches de Teddy Katz et à la version d'Ilan Pappé. Dans le cadre de l'affaire, Tom Segev a cependant apporté un soutien très prudent à Ilan Pappé[9], mais sans se prononcer clairement sur le fonds.

L'Affaire Tantura est devenu un sujet de controverse supplémentaire parmi les commentateurs du conflit israélo-palestinien, instrumentalisé tantôt pour présenter un négationnisme supposé[10] dans le chef du milieu académique israélien, tantôt pour argumenter que les thèses des nouveaux historiens, en particulier d'Ilan Pappé, ne sont que des « fabrications » à des fins politiques.

Documentation

L'ensemble des documents relatifs à l'affaire ont été rassemblés sur le répertoire on-line du Prof. Censor de l'Université de Beersheba.

Dans Yoav Gelber, Palestine 1948, 2006 et Ilan Pappé, The Ethnic Cleansing of Palestine, 2007, les 2 auteurs présentent leur version des événements d'al-Tantura.

Voir aussi

Articles connexes

Références

  1. Voir en particulier Yoav Gelber, Palestine 1948, Sussex Academic Press, Brighton, 2006, ISBN 1845190750 ou Benny Morris, Victimes : histoire revisitée du conflit arabo-sioniste, Editions complexe, 2003, ISBN 2870279388
  2. « Une dissidence israélienne », Interview de Ilan Pappé du mardi 7 janvier 2003, par Radio Orient. »
  3. Folklore versus History: The Tantura Blood Libel » du 2 décembre 2005, publié sur le répertoire de l'université de Beer-Sheva consacré à l'affaire.
  4. a  et b « His colleagues call him a traitor », Tom Segev, Haaretz du 23 mai 2002.
  5. Voir la présentation du parti sur the Jewish virtual library.
  6. Yoav Gelber, Palestine 1948, p.318
  7. Réactions suite à la polémique
  8. a , b  et c « The Tantura "Massacre" », publié le 9 février 2004 dans le Jerusalem report, consultable sur le répertoire de l'université de Beer-Sheva consacré à l'affaire.
  9. His colleagues call him a traitor, article de Tom Segev, 24/05/2002, Haaretz.
  10. Présentation du négationnisme supposé
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