Ergotisme

Ergotisme
Ergotisme
Classification et ressources externes
CIM-10 T62.2
CIM-9 988.2
DiseasesDB 30715
MeSH D004881

L’ergotisme est le résultat d’un empoisonnement à long terme habituellement suite à l’ingestion d’alcaloïdes produits par l'ergot du seigle (Claviceps purpurea), un champignon qui infecte le seigle et d’autres céréales. Plus récemment, il a pu être lié à l'administration de certains médicaments dérivés de l’ergoline.

L'ergotisme est également connu sous le nom de mal des ardents et feu de Saint-Antoine. L’intoxication par l’ergot est l'une des explications médicales et psychologiques de la sorcellerie ou de la possession démoniaque.

Sommaire

Causes

Les toxiques dérivés de l’ergoline se trouvent dans les médicaments synthétisés à partir de l'ergot de seigle (comme la méthylergométrine, l’ergotamine, ou, auparavant, l’ergoline). Les effets indésirables se produisent soit à haute dose, soit à dose moyenne avec une potentialisation[1] par d’autre produits comme l’azithromycine.

Traditionnellement, l’absorption alimentaire de produits céréaliers contaminés par le champignon Claviceps purpurea ou ergot du seigle pouvait également provoquer l’ergotisme. Lorsqu’il est écrasé par les meules, l'ergot se transforme en poudre rouge, bien visible sur la plante en herbe mais passant facilement inaperçu dans la farine de seigle de teinte foncée. Dans les pays peu développés, l’ergotisme survient encore ; une épidémie a été rapportée en Éthiopie en 2001 suite à l’ingestion d’orge contaminé. Chaque fois qu'on trouve la combinaison d’un temps humide, de températures fraîches, d’un retard dans les moissons des cultures de plaine et une consommation de seigle, la survenue d'un foyer est possible. La Russie a été particulièrement touchée.

Enfin, les alcaloïdes peuvent aussi passer de la mère à l'enfant par la lactation, provoquant l’ergotisme chez les nourrissons.

Symptômes

Les symptômes peuvent être divisés en deux groupes, les signes convulsifs et les signes gangréneux.

Forme convulsive

Les symptômes convulsifs comprennent des crises de convulsions et des spasmes douloureux, des diarrhées, des paresthésies, des démangeaisons, des maux de tête, des nausées et des vomissements. Habituellement, les effets gastro-intestinaux précédent les effets nerveux. En plus des convulsions, il peut exister des hallucinations ressemblant à celles déclenchées par le LSD (diéthylamide de l'acide lysergique, dont l’ergotamine, l’alcaloïde de l'ergot, est un précurseur immédiat avec lequel il partage certaines similitudes structurelles), et des troubles psychiatriques comme la manie ou la psychose. Les symptômes convulsifs sont causés par des alcaloïdes comme l’ergoline.

Forme gangréneuse

La gangrène sèche est le résultat d'une vasoconstriction induite par des alcaloïdes comme l’ergotamine et l’ergocristine du champignon. Elle affecte les structures distales les plus mal vascularisées, telles que les doigts et les orteils. Les symptômes comprennent une desquamation, un affaiblissement des pouls périphériques, une perte de sensibilité des extrémités, des œdèmes et, finalement, la nécrose des tissus touchés.

Histoire

Des épidémies historiques d'ergotisme ont été identifiées, même si les références des auteurs classiques sont difficiles à interpréter. Le seigle, principal vecteur de l’ergotisme, ne s’est pas beaucoup diffusé autour de la Méditerranée. Lorsque Fuchs différencia en 1834 les références à l’ergotisme de celles concernant l’érysipèle et d'autres affections, il retrouva la première mention de l'ergotisme dans les Annales Xantenses de l'année 857 : « une Grande peste de pustules oedématiées a consumé la population atteinte d’une pourriture répugnante, de sorte que leurs membres ont été gangrénés et sont tombés avant qu’ils meurent ». Des recherches archéologiques ont permis de retrouver une tablette assyrienne d'environ 600 avant J.-C. faisant allusion à "une pustule nuisible dans des épis de céréales"[2].

Des chroniqueurs comme Adémar de Chabannes, Geoffroy du Breuil de Vigeois ou Raoul Glaber enregistrent des épidémies, notamment celle de 994 dans le Limousin. Le saint invoqué à Limoges était saint Martial ; pour avoir sauvé la ville de cette maladie, le saint fait l'objet d'ostensions qui ont lieu tous les sept ans.

Retable d'Issenheim provenant du couvent des Antonins

La plus ancienne mention de la maladie est celle que fait Flodoard pour l'année 945 dans ses Annales décrit la "Peste du feu" qui sévit à Paris[3] : les malheureux avaient l'impression que leurs membres brûlaient, leurs chairs tombaient en lambeaux et leurs os cassaient[4].
Pendant cette période troublée, on voyait la persécution ignée - ignis sacer, ignis gehennae - réapparaître à chaque période de famine.
Les descriptions de la famine sont terribles. Raoul Glaber écrit que dans l'année 994 "les riches pâlirent, les pauvres rongèrent les racines des forêts. Sur les chemins, les forts saisissaient les faibles, les rôtissaient, les mangeaient. Il y en a un qui osa étaler de la chair humaine à vendre dans le marché de Tournus". La maladie revint pendant tout le XIe siècle : en Champagne, en 1039, dans le Limousin, en 1070, en Lorraine, en 1089, dans la région de Cambrai en 1129 où 12 000 personnes moururent. Les foules de miséreux se précipitent vers les tombeaux des saints. À Limoges, vers le tombeau de saint Martial. Quand le mal revient en Limousin, la foule va à Arnac-Pompadour et transfère les reliques de saint Pardoux à Limoges. Le mal réapparaît en Limousin en 1092 - 1094, le clergé décide alors de faire des processions dans les villages avec les reliques de saint Pardoux. La maladie s'arrête. Des villages se placent alors sous la protection du saint.
C'est en 1089 qu'un seigneur du Dauphiné, Gaston de Valloire, ramena les ossements de l'anachorète de la Thébaïde, saint Antoine qui avait vaincu les feux de la tentation, et dont le fils, Guérin, avait été guéri du mal des ardents. Les reliques sont déposées dans une chapelle à La Motte-aux-Bois, près de Vienne, qui va prendre le nom de Saint-Antoine-l'Abbaye.

À cette époque, l’empoisonnement gangréneux était connue sous le nom de « feu sacré » (ignis sacer) ou « feu de Saint-Antoine », du nom de moines de l’ordre des Antonins, car nombre des victimes se rendaient en pèlerinage auprès des reliques de Saint-Antoine, à Saint-Antoine-l'Abbaye (Isère, en France), dans l'espoir d'être guéries, mais aussi en raison des sensations de brûlures ressenties dans les membres des malades[5] auxquelles on doit l'autre nom de la maladie « mal des Ardents ». Ces pèlerinages étaient souvent couronnés de succès, le pèlerin s'éloignant de la source de pain fabriqué à partir du seigle ergoté le temps que les stocks soient écoulés et on attribuait la guérison à Saint-Antoine, le saint patron des ergotiques. La maladie frappait l'été, au moment où l’on consommait la nouvelle récolte.

Selon Snorri Sturluson, dans son Heimskringla, le roi Magnus, fils du roi Harald Sigurtharson, qui était le demi-frère du Saint roi Olaf II de Norvège, est décédé des suites de l’ergotisme peu après la bataille d'Hastings.

Une première mention de l'ergot a été faite par un médecin allemand, en 1582, Lonitzer, comme remède utilisé par les sages-femmes pour les accouchements.
L’ergot, nommé d’après l'éperon qu’il forme sur la plante, a été identifié et désigné ainsi par Denis Dodart, qui a signalé le rapport entre l’ergot de seigle et l'empoisonnement du pain dans une lettre adressée à l’Académie royale des Sciences en 1676. John Ray a mentionné l’ergot pour la première fois en anglais l'année suivante.
François Quesnay, le médecin de la Pompadour, s'est intéressé à la "gangrène des Solognots" et découvrit que la maladie était due à la consommation d'un seigle avarié. Dans les périodes de famine, les paysans consommaient "des grains corrompus et réduits en forme d'ergot de chapon" pour composer leur pain ou leurs bouillies.
L'ergot est encore signalé en 1808 par un médecin américain, Stearns, comme agent oxytocique dans "Account of the Pulvis Parturiens". En 1824, Hosack a montré le danger de l'usage de l'ergot pour accélérer les accouchements. L'ergot n'est alors réservé que pour le contrôle des hémorragies post-partum.
Le cycle du champignon n'a été décrit qu'en 1853 par les frères Tuslane. En 1875, Charles Tanret, à Paris, isole le premier alcaloïde cristallisé, nommé "ergotinine", mais il se montra inactif dans les essais pharmacologiques.
Dès 1918, Arthur Stoll du laboratoire Sandoz, a commencé à identifier l'"ergotamine", le premier des douze alcaloïdes toxiques contenus dans le champignon, cliviceps purpurea, responsable de l'altération et qui se montra actif dans les essais pharmacologiques. Des chimistes américains, Dudley et Moir, vont, en 1935, découvrir la structure de l'ergot de seigle : l'acide lysergique. D'autres recherches vont être faites dans cette période sur la chimie des alcaloïdes (Jacobs, Craig, Smith, Timmis, ...) avec des essais cliniques de Rothlin et Cerletti en Suisse. Ces recherches vont être poursuivies par Albert Hofmann, chez Sandoz, qui synthétise en 1938, des dérivés de cet acide pour élaborer des médicaments régulant la pression sanguine. Cette recherche va l'amener à découvrir accidentellement, en 1943, les propriétés hallucinogènes d'une de ces molécules, le LSD avec le professeur Ernst Rothlin.

Les plus grandes épidémies d'ergotisme sont survenues au XIXe siècle. À partir du XVIIe siècle, du fait des avancées des sciences, on comprend que le pain provoquant l'ergotisme contient de l'ergot. La vigilance augmente et les intoxications diminuent dans les pays développés en raison de la surveillance attentive dont le seigle a fait l’objet[6]On va cribler le seigle pour vérifier les récoltes.

Il existe des preuves selon lesquelles l’intoxication par l'ergot a eu une utilisation rituelle au cours de sacrifices humains pratiqués sur certains hommes des tourbières[7]. L’homme de Grauballe et l’homme de Tollund, retrouvés dans des marais de tourbe, ont été si bien préservés que de grandes quantités de céréales et herbes putréfiées ont été extraites de leur estomac, indiquant clairement une ingestion forcée utilisée pour une forme primitive de sédation.

Durant l'été 1951, une série d'intoxications alimentaires frappe la France, dont la plus sérieuse à partir du 17 août à Pont-Saint-Esprit, où elle fait sept morts, 50 internés dans des hôpitaux psychiatriques et 250 personnes affligées de symptômes plus ou moins graves ou durables[8],[9],[10]. Le corps médical pense alors que le « pain maudit » aurait pu contenir de l'ergot du seigle, mais sans en avoir la preuve.

Références

  1. augmentation de l'effet d'un médicament par l'absorption d'un autre médicament (potentialisation).
  2. Chimie thérapeutique (1968) A. Hofmann : Recherches sur les alcaloïdes peptidiques d'ergot semisynthétiques
  3. Réseau Addictions Val de Marne Ouest : Petite histoire du LSD
  4. Marcel Sendrail - Histoire culturelle de la maladie - pp. 233-235 - Éditions Payot - Toulouse - 1980 - (ISBN 2-7089-2394-3)
  5. Murphy et al. 2006.
  6. Albert Hofmann, LSD mon enfant terrible, Esprit frappeur, 1989 (réimpr. 1997, 2003) (ISBN 2-84405-196-0) .
  7. Timothy Taylor, 2003, The Buried Soul: How Humans Invented Death, Fourth Estate Ltd.
  8. R.-L. Bouchet, « L'affaire du "pain maudit" de Pont-Saint-Esprit », Phytoma défense des cultures, décembre 1980.
  9. Le pain maudit, Steven L. Kaplan, 2008.
  10. Cet épisode a fait l'objet d'un téléfilm intitulé Le Pain du diable.

Articles connexes

Bibliographie

  • Régis Delaigue, Le Feu de Saint-Antoine et l'étonnante intoxication ergotée, s. l. Editions Armine-Ediculture-France, 2e édition, 2002.
  • Murphy P., Hendrich S., Landgren C. et Bryant C., 2006, « Food Mycotoxins: an update », Journal of Food Science, vol. 71, n° 5, 51-65.

Liens externes



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