Espèce invasive

Espèce invasive
Cette espèce, Miconia calvescens, originaire d'Amérique centrale est jugée responsable dans l'accélération de l'érosion de certaines îles du Pacifique, tel que l'archipel d'Hawaii
Les "tortues de Floride" (Trachemys spp.) et autres émydidées nord-américaines, relâchée par leurs propriétaires dans la nature quand elles deviennent trop grandes, concurrencent fortement les espèces natives à l'Europe, comme la cistude
L'eau utilisée et transportée comme ballast est un des principaux vecteurs d'espèces invasives, par les navires de transport intercontinental d'abord, mais éventuellement par des bateaux plus petits telles que les péniches

Une espèce invasive ou espèce envahissante exogène[1] est une espèce vivante exotique[2] qui devient un agent de perturbation nuisible à la biodiversité autochtone des écosystèmes naturels ou semi naturels parmi lesquels elle s’est établie. Les phénomènes d'invasion biologique sont aujourd'hui considérés par l'ONU comme une des grandes causes de régression de la biodiversité, avec la pollution, la fragmentation écologique des écosystèmes et l'ensemble constitué par la chasse, la pêche et la surexploitation de certaines espèces.

« Le qualificatif d'espèce invasive est associé à une espèce, à une sous-espèce ou à une entité d’un niveau taxonomique inférieur qui se trouve à l’extérieur de son aire de répartition ou de son aire de dispersion potentielle (c'est-à-dire hors du domaine géographique qu’elle occupe naturellement ou peut occuper sans interventions humaines par introduction ou démarches particulières) et est applicable à toute partie d’un individu (gamète ou propagule) susceptible de survivre et de se reproduire »[3]

En réalité, il faudrait parler de « population invasive » et non d'espèce invasive, et chez certaines espèces, seules quelques sous-espèces sont devenues invasives (ex : Codium fragile ssp. tomentosoides, au sein des Codium).

La biodiversité est en soi un facteur de résilience et de limitation de l'invasivité de nombreuses espèces introduites[4],[5]. L'artificialisation d'un milieu est facteur d'invasivité d'espèces qui ne le seraient pas ailleurs[6].

Sommaire

Apparition de la notion

La notion écologique d'espèce invasive est récente. Pour la comprendre, il faut savoir que les équilibres entre espèces au sein des écosystèmes, à échelle de temps humaine au moins, sont relativement bien établis. Sans intervention humaine, les phénomènes d'extension brutale de l'aire de répartition d'une espèce (dite invasive) sont extrêmement rares. L'homme, depuis qu'il a développé la chasse, l'agriculture et l'élevage, et plus encore depuis qu'il dispose de moyens techniques lui permettant d'être présent et de se déplacer rapidement sur tous les continents, est devenu le principal vecteur de déplacement d'espèces, volontairement ou accidentellement. Certaines ne sont devenues envahissantes que quand la chasse a fait disparaître leur prédateur ou que l'homme leur a offert une alimentation facile ou nouveau milieu facile à coloniser (par exemple pour le sanglier qui bénéficie de cultures et forêts monospécifiques notamment). Parfois elles colonisent simplement l'aire de répartition et la niche écologique d'espèces que l'homme a fait disparaître ou a affaibli. Beaucoup d'espèces introduites l'ont été involontairement ; le ballastage et déballastage des navires de commerce, le transport par les coques de péniches et de navires par exemple, est un vecteur d'introduction d'espèces qui a d'abord été ignoré, puis sous-estimé, et contre lequel peu de mesures sont prises. Certains comme Charles-François Boudouresque préfèrent parler d' espèces introduites pour marquer ce fait, mais toutes les espèces introduites ne se naturalisent pas, ni ne produisent une invasion biologique. Certaines demeurent très dépendantes des conditions artificielles provoquées par l'homme.

Les populations naturalisées échappent souvent au contrôle humain, mais toutes ne deviennent pas invasives. On estime[7] qu'environ une espèce introduite sur mille devient invasive, c'est-à-dire induit un impact écologique (cf. définition) mais cette notion a tout d'abord été une notion anthropique parce ce sont les impacts économiques ou sociaux sérieux que les humains ont remarqué en premier lieu.

Articles connexes : Invasion biologique et plante envahissante.

Jardins botaniques et espèces invasives

Selon une analyse des données disponibles relatives à 34 des 100 espèces réputées les plus envahissantes du monde (selon l'UICN /Union internationale pour la conservation de la Nature), sur la base de cas documentés pour la période allant de 1800 au milieu des années 1900, les jardins botaniques seraient en partie responsables de la propagation de plus de 50 % des espèces invasives;
Pour 19 des 34 plantes étudiées, les points de départ des invasions ont très probablement été des jardins botaniques[8].

En 2001 Une sorte de code de bonnes pratiques visant à limiter le risque d’évasions accidentelles, dit « Déclaration de St Louis ». Le Chicago Botanic Garden (CBG) remplace les espèces invasives par d’autres et a cessé ses échanges de graines avec d’autres jardins botaniques, mais la « Déclaration de St Louis » n’était signé que par 10 des 461 jardins botaniques des États-Unis[9].


Surveillance

Des observatoires de la biodiversité ou divers organismes tels que les conservatoires botaniques[10], agences de l'eau [11], Museums, ONG et naturalistes surveillent de plus en plus l'apparition et la diffusion des espèces invasives.

La dendrochronologie est depuis peu appliquée à certaines herbacées (vivaces)[12]. Elle peut aider à rétrospectivement mieux comprendre la dynamique d'une population d'espèce invasive et d'affiner des scenarii de progression future[12].

Impacts sur la biodiversité

Certaines plantes ou espèces (animal, champignon) introduites devenues très invasives ont des impacts considérables sur la biodiversité, soit par la concurrence qu'elles exercent pour l'espace où elles croissent (ex : Caulerpa taxifolia en Méditerranée) soit indirectement par des substances écotoxiques ou inhibitrices qu'elles émettent pour d'autres espèces, ou simplement parce qu'elles ne sont pas consommables par les herbivores natifs ou d'autres animaux autochtones. Elles posent aussi des problèmes de pollution génétique par hybridation ou d'épidémies (zoonoses et parasitoses en particulier). En modifiant les facteurs écologiques, parfois sur de grande surfaces.
Elles sont selon le Millenium Ecosystems Assessment (2005) la seconde cause de régression de la biodiversité et elles ont causé la moitié des disparitions identifiées depuis 400 ans.
A titre d'exemple, la renouée du Japon, invasive des berges de cours d'eau et de certains talus d'infrastructure fait significativement reculer la biodiversité là où elle s'étend en taches très monospécifiques. Il était visible que sa progression se faisait toujours au détriment de la flore locale (herbacées notamment), mais une étude récente a montré que la diversité en vertébrés et surtout en invertébrés en pâtissent aussi : l'abondance totale des invertébrés chute en moyenne d’environ 40 % sur les cours d'eau inventoriés, tandis que le nombre de leurs groupes (taxons) chute lui de 20 à 30 %. Secondairement - comme d'autres plantes invasives - la renouée fait reculer les populations d’amphibiens, reptiles, et oiseaux ainsi que de nombreux mammifères des habitats ripicoles, car ces derniers dépendent directement ou indirectement des espèces herbacées autochtones et/ou des invertébrés associés pour leur survie[13]. De plus, la renouée s'installe plus facilement sur des néo-sols et milieux dégradés et pauvres en biodiversité.

Selon Jacques Tassin, les invasions biologiques sont un peu facilement implicitement accusées « d’appauvrir les milieux naturels, alors qu'elles ne sont souvent que les révélatrices de dégradations liées à l’Homme » [14].

Impacts écoépidémiologiques

On sait que de manière générale un nombre élevé d'espèces natives (biodiversité) limite les risques de grandes épidémies[15],[16].
Le risque de persistance d'une maladie varie néanmoins selon les relations préateur-proie et de compétition entre espèces[17]. Le nombre d'espèces-hôtes pour un pathogène ou parasite a également une importance[18]

Les espèce envahissantes présentent des dynamiques de population très particulières, qui modifient parfois fortement la dynamique des agents pathogènes enzootique, en cassant les équilibres écoépidémiologiques en place[19]. Leur contribution à la diffusion de pathogènes et de maladies émergentes pourrait avoir été sous-estimée tant au sein de l'humanité (pour des maladies émergentes telles que le West Nile Virus par exemple[20],[21]), que pour le monde sauvage[22]. Elles pourraient ainsi parfois accélérer, aggraver certaines zoonoses (ex  : l'écureuil gris invasif transporte un microbe qui tue l'écureuil roux). Elles peuvent aussi accroitre certains risques épidémiologiques pour l'humanité. Par exemple la prévalence des hantavirus augmente statistiquement nettement dans les zones où la biodiversité des rongeurs est plus faible[23].

Selon les modèles théoriques quand une espèce invasive naïve entre dans un système hôte-parasite établi, ce nouvel hôte peut tantôt réduire («diluer») ou augmenter («spill-back") la transmission des agents pathogènes pour les espèes-hôtes indigènes. Les données empiriques sont assez rares, notamment concernant les agents pathogènes des animaux. A titre d'exemple, le Buggy Creek virus (BCRV) (alphavirus transportés par des arthropodes et transmis via la piqûre de Oeciacus vicarius) à l'hirondelles à front blanc (Petrochelidon pyrrhonota ) dont la reproduction est coloniale) a été étudié de ce point de vue. Dans l'ouest du Nebraska, le moineau domestique (Passer domesticus) a envahi des falaises qui abritaient des colonies de reproduction d'hirondelles (il y a environ 40 ans). Ils ont été exposés au virus BCRV. Une étude a évalué l'impact de cette exposition et comment l'ajout de moineaux domestiques à ce système hôte-parasite a affecté la prévalence et l'amplification d'une lignée "aviaire" du virus BCRV. Les chercheurs ont constaté que la prévalence de l'infection chez les moineaux été huit fois celle des hirondelles à front blanc. Et les hirondelles nichant dans une colonie mixte étaient beaucoup moins susceptibles d'être infectées que les moineaux dans les colonies monospécifiques. Les moineaux infectés par le BCRV étaient en outre infectés avec des titres (teneur des prélèvements en virus) plus élevés que ceux des hirondelles à front blanc (et donc a priori plus contagieux ou diffusants). Le BCRV recherchés chez les insectes sur le site a été positivement associée à la prévalence du virus chez les moineaux domestiques, mais non avec la prévalence du virus chez les hirondelles falaise.
Dans ce cas, l'introduction d'une espèce hôte très sensibles au virus, a conduit à pérenniser l'épizootie. Les moineau envahissants ont sans doute un certain avantage (dilution du risque) à se mélangeant avec des hirondelles qui résistent mieux qu'eux au microbe, mais peuvent augmenter la probabilité que les hirondelles soient infectées[24].

En Europe

De nombreuses espèces manifestent des comportements invasif en Europe, dont beaucoup d'espèces aquatiques[25]. Début 2004, le Conseil de l'Europe a publié une « Stratégie européenne relative aux espèces exotiques envahissantes[26] » (dans le cadre de la Convention de Berne), mais fin 2008 14 États membres n'avaient pas encore de stratégies ou de plans visant à réduire les impacts des espèces invasives (ni des génotypes allochtones), bien que certains aient évoqué ces espèces dans leur stratégie nationale en matière de biodiversité. Ces espèces ont pourtant un coût élevé : les dégâts induits par ces espèces s'élèveraient à 12 milliards d'€/an pour l'Europe[27]. En Italie, de 1995 à 2000, la dégradation des berges par le rat musqué et les dégâts agricoles collatéraux étaient estimés à environ 11 millions € (en dépit d'un plan de lutte de 3 millions €), la Grande-Bretagne a du dépenser environ 150 millions €/an, rien que pour la lutte contre 30 plantes exotiques invasives, alors qu'elle perdait 3,8 milliards €/an en récoltes perdues.

  • Un règlement du Conseil de 2007 traite des espèces envahissantes dans l'aquaculture Règlement[28].
  • Le projet européen DAISIE[29] a évalué pour 15 pays européens, de 2005 à 2008, l’importance des espèces exotique établie en Europe (animaux, végétaux, champignons), avec pour la première fois une attention particulière portée aux invertébrés terrestres et aux champignons (travail coordonné par l'INRA) ; Les chercheurs ont été surpris d’identifier 1 517 espèces exotiques (insectes surtout, mais aussi acariens, vers, mollusques terrestres) déjà établies en Europe. Cet inventaire n’est pas exhaustif, ces espèces étant souvent d'abord discrètes et difficiles à détecter que les animaux et plantes supérieures.
    Selon l’INRA, en moyenne 19 espèces d’invertébrés exotiques supplémentaires se sont introduites et ont développé des populations viables à invasives en Europe chaque année pour la période 2000-2007 C’est presque le double du taux moyen mesuré (10/an) de 1950 et 1975. Fin 2008, selon le Daisie ; sur environ 10.000 espèces invasives recensées en Europe, 11% auraient un impact écologique et 13% un impact économique. L’Asie est devenue le premier continent d’origine, avant l’Amérique du Nord. Moins de 10 % de ces organismes auraient été délibérément introduits (par exemple comme agent de lutte biologique ou NAC). La majorité serait arrivée avec des marchandises ou passagers involontairement « contaminés ».
    Le commerce des plantes ornementales exotiques (sous toutes leurs formes) serait selon l’INRA une voie privilégiée d’invasion biologique. L’étude montre que les milieux riches en biodiversité et à haut taux de naturalité semblent plus épargnés par les invasions, alors que les milieux très anthropisés sont ceux qui accueillent la majorité des espèces exotiques (champs, parcs et jardins, habitations). Le réchauffement climatique semble avoir favorisé l’implantation croissante au moins dans l’Europe du sud d’espèces d’origine subtropicale ou tropicale.
    Selon DAISY[30]La majorité de ces espèces étudiées (1.341 espèces, soit 86% du total) ont été introduites involontairement par les importations de marchandises et la circulation des véhicules ou des hommes. 218 espèces (soit 14% au moment de l'étude) ont cependant été introduites tout à fait intentionnellement, dans la quasi-totalité des cas à des fins de lutte biologique et essentiellement pour l'horticulture et les cultures ornementales (468 spp., soit 29%), les évadés plus ou moins non intentionnelles (par exemple issues des serres (204 espèces, soit 13%) suivent, devant les ravageurs des produits stockés (201 espèces, soit 12%) et les passagers clandestins (95 espèces, soit 6%), la forêt et les ravageurs des cultures (90 spp. et 70 spp., 6% et 4%). Pour 431 espèces (soit 27%), la voie d'introduction en Europe reste inconnue. La voie « sans aide », c'est-à-dire de dispersion spontanée d'une espèce exotique dans une nouvelle région, ou à partir d'une zone d'origine ou d'une zone où elle a été récemment introduite est probable pour certains arthropodes en Europe continentale, bien que n'étant pas précisément documentés dans les données. Les aspects spatio-temporels sont en cours d'étude, de même que les vecteurs et implications pour la gestion des espèces exotiques. L'identification et l'alerte, ainsi que les moyens de fermer les "voies d'invasion" sont des éléments importants de toute stratégie visant à réduire la pression des propagules des arthropodes souvent de petite taille et involontairement transférés. Cela exige une coordination et des responsabilités claires pour tous les secteurs impliqués dans l'élaboration de politiques et de toutes les parties prenantes associées.
    Une base de donnée Daisie-europe-aliens est librement consultable par le public.
  • La Commission Européenne a lancé une consultation[31] en ligne (ouverte à tous) ; du 3 mars au 5 mai 2008 et prévoit une communication pour la fin 2008, qui devrait se traduire par des mesures européennes pour analyser et traiter ce problème.
  • Selon les experts réunis au Congrès Congrès Neobiota 2010[32], le coût annuel des dégâts induits par ces espèces pourrait atteindre, voire dépasser 12 milliards d'euros/an. La Commission européenne a confirmé qu'une stratégie sur les espèces exotiques envahissantes est en cours de rédaction[33] suite aux annonces faites en 2008[34].
  • En France, un arrêté ministériel du 30 juillet 2010 visant diverses espèces réputées invasives interdit l’introduction de certaines espèces dans le milieu naturel métropolitain[35].

En zone tropicale

Dans ces zones les îles sont particulièrement touchées et vulnérables. En juillet 2005, une « initiative sur les espèces exotiques envahissantes dans les collectivités françaises d’outre-mer » a été lancée par le Comité français de l’UICN et le MEDAD qui doit produire un rapport et état des lieux complet sur la menace des invasions biologiques en France d'outre-mer, avec un réseau de plus de 100 experts et l’appui de 10 coordinateurs locaux.

Dans les forêts, les coupes rases favorisent la diffusion d'espèces invasives telles que Lantana camara dans certaines parties de l'Afrique, d'autant plus que la trouée dans la canopée est vaste ou mise en connexion avec d'autres[36]

Le rôle des transports longue-distance

Les espèces invasives introduites avec les eaux de ballast ou sous les coques de navires sont de plus en plus nombreuses. Les trains, camions et voitures en transportent aussi. Et une étude[37] de 2007 de l’université d’Oxford a montré que dans des régions au climat comparable, plus on s'approche d'une zone desservie par des lignes aériennes, plus augmente le risque d’invasion par des espèces étrangères animales, avec une «fenêtre d’invasion» en juin-août, a priori du fait du nombre de vols et de passagers qui augmente et de conditions climatiques favorables. 800 lignes aériennes ont été étudiées du 1er mai 2005 au 30 avril 2006 (soit 3 millions de vols environ).

Exemples

Les exemples d'espèces invasives ayant provoqué des crises économiques plus ou moins importantes ne manquent pas :

Dans un contexte où les déplacements humains sont toujours plus nombreux, l'impact climatique des activités humaines toujours plus fort et la tentation de recours aux organismes génétiquement modifiés toujours plus grande, le risque d'une augmentation des phénomènes d'espèces invasives avec ses conséquences sur la biodiversité est bien réel. Il a d'ailleurs commencé à être pris en compte au cours de la Conférence de Rio en 1992. Elles sont aujourd'hui la deuxième cause de régression de la biodiversité.

Exemples de cas d'invasions par des espèces introduites

Espèces invasives et effet Allee

Les espèces invasives peuvent réguler leur croissance et s’étendre dans leur nouvel habitat en causant des perturbations dans leur communauté biologique locale. Tous les taxons peuvent selon le contexte devenir une espèce invasive[A 1].

D’autre part, l’effet Allee est défini en écologie comme une relation positive entre tout composant de la fitness individuelle et l’effectif (ou la densité) de conspécifiques[A 2].

Approche théorique

La plupart des espèces invasives sont introduites en petits effectifs à des localisations différentes. Il a été démontré que les espèces sujettes à l’effet Allee ne pourront jamais s’établir à moins d’être introduites avec un effectif initial suffisamment grand (au moins supérieur au seuil de l’effet Allee). Dans le cas où elles seraient introduites en nombre légèrement inférieur au seuil d’Allee, elles devraient pouvoir s’établir grâce à des effets de stochasticité démographique. En revanche, pour les modèles déterministes, la population devrait s’éteindre lorsque les effectifs se situent sous ce seuil[A 1].

Plusieurs phénomènes qui apparaissent lors d’invasion peuvent être dus à l’effet Allee : Par exemple, le Range Pinning, soit la vitesse d’invasion nulle, s’explique par la seule existence d’un effet Allee dans le cadre d’un espace discret (espace divisé en patchs), sans aucun gradient environnemental (conditions homogènes du milieu) et pour des patchs équivalents dans leurs propriétés biotiques et abiotiques[A 3]. Ce mécanisme s’exprime comme une fonction du taux de dispersion et du rapport entre seuil d’Allee et capacité de charge des patchs. En espace continu homogène, une vitesse d'invasion nulle ne peut exister que s'il existe un rapport exact d'1/2 entre la capacité de charge du milieu et le seuil d'Allee de la population[A 3].

On note d’autre part que plus l’effet Allee est sévère, plus la vitesse de la vague de dispersion de l’espèce invasive sera lente[A 4].

Quelques exemples

L’effet Allee a été détecté dans les plantes invasives, comme par exemple une Asclépiadacée, la vigne adventice Vincetoxicum rossicum[A 5] ou la spartine à feuilles alternes Spartina alterniflora[A 6], dans les insectes invasifs comme Bombyx disparate Lymantria dispar[A 7], dans des espèces invasives aquatiques comme la moule zébrée Dreissena polymorpha[A 8].

Les preuves empiriques pour l’implication de l’effet Allee dans les espèces invasives sont encore assez rares bien que le nombre d’exemples s’est accru dans les dernières années[A 9].

Gestion

Le temps entre l’introduction initiale et l'établissement de l’espèce invasive (lag time) peut simplement être causé par la combinaison entre l’effet Allee et les processus de stochasticité de la population[A 1]. Cette donnée est à prendre en compte lors de la mise en place de programme de gestion des espèces invasives. Un effet Allee non reconnu peut causer une estimation erronée des risques d’invasion[A 9].

On ne peut pas dire qu’une espèce n’est pas invasive parce que de petites introductions aléatoires n’ont pas amené à une invasion ; répétées dans le temps, ces petites introductions réparties aléatoirement dans différents patchs peuvent devenir suffisamment étendues pour dépasser la densité géographique critique permettant ainsi à l’espèce invasive de brutalement devenir pandémique[A 3]. Ainsi, l’invasion dans un espace discret combiné à un effet Allee se manifeste par une série d’évènements locaux et brusques[A 3]. De plus, pour une espèce invasive avec un fort effet Allee, l’éradication est facilitée car il est seulement nécessaire de réduire la densité de la population sous le seuil d’Allee[A 7].

La présence de l’effet Allee permet d’utiliser un agent spécialiste de l’espèce plutôt qu’un généraliste : les prédateurs généralistes peuvent ralentir ou arrêter la dispersion de n’importe quel invasif, mais les prédateurs spécialistes ne peuvent affecter que les populations sujettes à un effet Allee et peuvent ralentir la dispersion dans le cas d’un effet Allee non critique et l’arrêter dans le cas d’un effet critique[A 10].

En conclusion, la meilleure stratégie de gestion dépend du type d’effet Allee (fort et faible), du budget annuel disponible et des objectifs mis en place dans le programme de gestion[A 6].

Usages

Voir aussi

Notes et références

  1. D’après l’U.I.C.N. (Union Internationale pour la Conservation de la Nature)
  2. ou allochtone ou non indigène ou exogène ou étrangère
  3. Pascal et al., 2000.
  4. Kennedy, T.A., Naeem, S., Howe, K.M., Knops, J.M.H., Tilman, D. & Reich, P. (2002) Biodiversity as a barrier to ecological invasion. Nature, 417, 636–638.(Résumé)
  5. Stachowicz, J.J., Fried, H., Whitlatch, R.B. & Osman, R.W. (2002) Biodiversity, invasion resistance, and marine ecosystem function: reconciling pattern and process. Ecology, 83, 2575–2590. ([2575:BIRAME2.0.CO;2 Résumé])
  6. Fabio Bulleri et laura Airoldi,  ; Artificial marine structures facilitate the spread of a non-indigenous green alga, Codium fragile ssp. tomentosoides, in the north Adriatic Sea ; Journal of Applied Ecology ; Volume 42, Issue 6, pages 1063–1072, online: 2005/10/31 ; Version papier December 2005. DOI: 10.1111/j.1365-2664.2005.01096.x (Article complet)
  7. Williamson M., 1996. Biological invasions. Chapman & Hall, London, UK : 256 pp.
  8. brève du 17 Mars 2011 par Andy Coghlan : "Botanic gardens blamed for spreading plant invaders" sur le site www.newscientist.com, à son tour cité par Tela Botanica Rubrique « Points de vue » en ligne mercredi 23 mars 2011
  9. Lettre d’information du Conservatoire botanique national de Bailleul, Numéro spécial "Invasives", Décembre 2007], [(fr) lire en ligne (page consultée le 8 janvier 2010)]
  10. Voir par exemple les Fiches invasives (animales et végétales) de l'Agence de l'eau Artois-Picardie
  11. a et b Page de waldwissen.net relative aux cernes de croissance chez les herbacées
  12. GERBER E., KREBS C., MURRELL C., MORETTI M., ROCKLIN R., SCHAFFNER U. [2008]. Exotic invasive knotweeds (Fallopia spp.) negatively affect native plant and invertebrate assemblages in European ripirian habitats. Biological Conservation 141 : 646-654 (9 p., 4 fig., 35 réf.).
  13. Jacques Tassin (CIRAD)  ; Plantes et animaux venus d’ailleurs : une brève histoire des invasions biologiques Éditions Orphie ; Avril 2010 ; 125 p. ISBN:978-2-87763-550-9
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  28. Delivering Alien Invasive Species Inventories in Europe
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  31. Neobiota 2010, et (résumé des interventions (282 pages))
  32. Portail européen Espèces invasives
  33. Cf. Suites de la Communication 2008 de la Commission «Vers une stratégie européenne sur les espèces envahissantes»
  34. Arrêté du 30 juillet 2010 interdisant sur le territoire métropolitain l'introduction dans le milieu naturel de certaines espèces d'animaux vertébrés : Journal officiel de la République Française du 10 septembre 2010, édition n°210 Texte de l'arrêté
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  37. a et b Jean Demangeot, Les milieux « naturels » du globe, Paris, Armand Colin, 10e édition, 2002, p.105
  38. Article du journal La nation, n° 148 du 2008 10 16

Références pour Espèces invasives et effet Allee

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  10. Fagan, W.F., Lewis, M.A., Neubert, M.G. & van den Driessche, P. (2002). Invasion theory and biological control. Ecol. Lett.,5, 148–157.

Articles connexes

Liens externes

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Exemples de pays :

Exemples d'espèces :

Bibliographie

  • Rémy, E. , Beck C., Allochtone, autochtone, invasif : catégorisations animales et perception d’autrui, Politix.
  • Christian Lévêque, Faut-il avoir peur des introductions d’espèces ?, (Le Pommier, 2008).
  • Christian Lévêque, Quand les espèces deviennent envahissantes, in Biodiversité. Les menaces sur le vivant (Les dossiers de La Recherche n° 28, août-octobre 2007)


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