Familistere

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Familistère

49° 54′ 15″ N 3° 37′ 31″ E / 49.904282, 3.625402 Étymologiquement « lieu de réunion des familles », construit sur le modèle du phalanstère de Charles Fourier, le Familistère de Guise, dans l'Aisne, est un haut lieu de l’histoire économique et sociale des XIXe et XXe siècles.

Dessin du site industriel avec la fonderie à droite et les bâtiments de vie (le Familistère) à gauche

Sommaire

Le Fondateur : Jean-Baptiste André Godin

Statue de Jean-Baptiste André Godin devant le Familistère
Article détaillé : Jean-Baptiste André Godin.

C'est en 1846 que cet industriel s'installe à Guise pour fonder une entreprise d'appareils de chauffage et de cuisine, les fameux « poëles Godin », dont il est l'inventeur ; fabriqués en fonte, diffusant bien mieux la chaleur que les anciens modèles en tôle, ces appareils ont permis à Godin, d'origine modeste, de faire rapidement fortune et de s'imposer sur un marché en pleine expansion. Mais il a lui-même été simple ouvrier, et a conservé le souvenir des terribles conditions de vie et de travail des salariés de l'industrie – constatées notamment au cours d'un Tour de France qu'il effectue, aux côtés d'un compagnon, entre 1835 et 1837. Il entend par conséquent utiliser sa fortune pour améliorer la vie de ses employés, et proposer ses solutions au problème du paupérisme ouvrier. Disciple de Charles Fourier, il entre en contact avec l'Ecole sociétaire et, en 1854, investit le tiers de sa fortune dans une tentative d'implantation d'une colonie phalanstérienne au Texas menée par Victor Considérant. L'échec de cette expérience le convainc de mettre lui-même en pratique ses idées, progressivement et avec pragmatisme, pour éviter un nouvel échec.

Le Familistère

« Familistère » est le nom donné par Godin aux bâtiments d'habitation qu'il fait construire pour ses ouvriers et leurs familles à partir de 1859 et jusqu'en 1880, probablement à partir de plans de l'architecte fouriériste Victor Calland. Il s'inspire directement du phalanstère de Fourier mais, comme il le fera toujours, effectue un tri dans la théorie pour l'adapter à ses propres idées et surtout pour la rendre plus réalisable. La première étape, la plus urgente, est selon lui d'améliorer les conditions de logement et de vie des familles, en leur apportant les « équivalents de la richesse ».

Les équivalents de la richesse

Cette expression désigne l'ensemble des conditions de confort, de salubrité, que la bourgeoisie s'offre par l'argent et que les Familistériens pourront s'offrir désormais par la coopération. Hygiéniste convaincu, Godin inclut dans ces « équivalents de la richesse » tout ce qui garantit la salubrité du logement. La luminosité des appartements, la circulation de l'air, l'accès à l'eau potable à chaque étage sont des éléments fondamentaux que garantit l'architecture particulière des bâtiments. Le soin du corps est également assuré par la création d'une buanderie, située près du cours d'eau, dans lequel on lave et sèche le linge (évitant ainsi les odeurs d'humidité dans les logements), mais comportant également des douches et une piscine (au plancher mobile, pour permettre aux enfants d'y nager en toute sécurité) dont l'eau, provenant de l'usine toute proche où elle a servi à refroidir les tuyaux, arrive à parfaite température…

Enfin, Godin met en place tout un système de protection sociale en créant des caisses de secours protégeant contre la maladie, les accidents du travail et assurant une retraite aux plus de 60 ans.

Reconstitution d'un appartement tel qu'il était au début du XXe siècle pour un salarié et sa famille

La coopération comme principe

Si Godin se proclame fouriériste, il n'est pas pour autant un disciple fervent qui applique aveuglément une théorie : tout dans Fourier n'est pas applicable, loin de là, et d'autres que lui influencent la pensée de Godin. On retrouve, dans le Familistère, l'influence d'un mouvement coopératif ancien, et en particulier l'application des principes de la coopération anglaise, théorisés par Robert Owen et les « Equitables pionniers » de Rochdale. Ces principes apparaissent dans le fonctionnement des économats, magasins coopératifs installés par Godin en face du Familistère, dans lesquels les produits de première nécessité y sont vendus au comptant, et dont les bénéfices sont répartis équitablement entre les acheteurs. Mais on retrouve tout particulièrement cette influence dans l'importance que Godin accorde à l'éducation des enfants mais aussi des adultes. Il fait construire des écoles, mixtes et obligatoires jusqu'à 14 ans (à l'époque, la loi autorise le travail des enfants à partir de 10 ans), un théâtre, une bibliothèque, et multiplie lui-même les conférences pour enseigner à ses salariés les bienfaits de la coopération.

Le culte du Travail

Anticlérical virulent, Godin pratique cependant un déisme très personnel, évoquant un Être suprême bienveillant ; il croit de façon ardente que le Travail, toute activité ayant pour but de transformer la matière afin de vivre mieux, est la raison profonde de l'existence de l'Homme, et par conséquent d'atteindre l'essence humaine, une certaine part de divin. S'opposant aux principes mêmes du capitalisme, il estime que l'ouvrier devrait posséder le statut social le plus élevé, puisque c'est lui qui travaille, que c'est lui qui produit les richesses. Au-delà des aspects matériels de l'œuvre, le Familistère doit amener à une élévation morale et intellectuelle du travailleur, lui permettre de retrouver l'estime de soi et son indépendance vis-à-vis de la société bourgeoise.

L'éducation à l'économie sociale va dans ce sens, mais également l'architecture même des bâtiments : à l'intérieur des cours, les balcons qui donnent accès aux appartements sont créés pour être des lieux de rencontre permanents entre ouvriers, quelle que soit leur position dans l'usine, manœuvre, employé de bureau ou cadre, afin de donner naissance à une réelle fraternité entre Familistériens. Les fenêtres intérieures, la promiscuité, sont pensées comme des éléments d'émulation : la vue d'un intérieur bien tenu doit vous pousser à vous-même entretenir votre logement, d'autant plus que le regard de l'autre, et sa désapprobation, sont considérés comme la meilleure des sanctions. Cette architecture particulière, décrite par ses détracteurs comme « carcérale », est donc voulue, afin de permettre une auto-discipline et une responsabilisation des habitants qui rendent inutile toute forme de police.

Cette notion de responsabilisation n'est pas anecdotique : elle est à la base de l'œuvre de Godin, pour qui l'amélioration des conditions de vie n'est qu'une première étape. Il s'agit, à terme, de permettre aux ouvriers de se libérer de toute dépendance vis-à-vis du patronat, d'abolir le salariat et de lui substituer l'Association.

L'Association du Capital et du Travail ou Société du Familistère

Fondée en 1880, cette Association transforme l'entreprise en coopérative de production; les bénéfices sont utilisés pour financer les diverses œuvres sociales (écoles, caisses de secours), puis le reliquat est distribué entre les ouvriers, proportionnellement au travail fourni pendant l'année. Cependant, les bénéfices ne sont pas distribués en argent, mais sous forme d'actions de la Société : les ouvriers deviennent ainsi propriétaires de l'entreprise. Une fois tout le capital distribué, une forme de roulement s'établit, les plus jeunes recevant de nouvelles actions qui sont remboursées, cette fois en liquidités, aux plus anciens travailleurs. Les ouvriers, membres de l'Association, en sont donc les propriétaires et touchent chaque année un surplus de salaire proportionnel aux bénéfices. Charles Fourier avait théorisé une répartition équitable des richesses, permettant de récompenser à leur juste valeur le Capital, le Travail, et le Talent : Godin s'en inspire directement pour organiser l'Association. Il ne s'agit pas de donner la même chose à tous, mais bien de distribuer les richesses selon les mérites de chacun. C'est pourquoi il met en place une hiérarchie au sein de l'Association, essentiellement selon l'ancienneté : au sommet les associés (au moins 5 ans de présence), puis les participants et les sociétaires. Enfin, il reste les auxiliaires, travailleurs saisonniers ou occasionnels qui n'ont pas travaillé assez longtemps pour pouvoir appartenir à la Société. Chaque échelon est franchi, en théorie, en faisant preuve de mérite au travail, d'implication dans la vie démocratique de l'Association (participation aux différents conseils...) ; pour être nommé sociétaire ou associé, il faut vivre au Familistère. Enfin, seuls les associés participent à l'assemblée générale. À chaque niveau correspond une plus grande part des bénéfices, une meilleure protection sociale, une meilleure retraite. La création de cette Association, de même que la construction du Familistère, lui attire la sympathie de nombreux réformateurs sociaux, mais aussi de nombreux ennemis : clergé offensé par la mixité et la promiscuité des logements, commerçants menacés par les bas prix pratiqués dans les économats, patrons dénonçant le socialisme de Godin, mais aussi parmi l'extrême-gauche marxiste, considérant l'œuvre de Godin comme une forme de paternalisme, séduisant les ouvriers pour mieux les détourner de la Révolution et de leur émancipation.

Le devenir de l'Association

Après la mort de Godin en 1888, l'Association continue de fonctionner. Prospère notamment grâce au renom de la marque « Godin », l'entreprise se maintient parmi les premières du marché jusqu'aux années 1960. Sur le plan social, les choses restent également en l'état : bien que Godin ait toujours considéré l'Association comme une étape devant toujours progresser, les différents gérants qui lui font suite se concentrent sur la nécessité de conserver intacte l'œuvre du « Fondateur » : ainsi, aucun nouveau bâtiment n'est ajouté au Familistère. Les logements devenant très vite insuffisants pour accueillir de nouveaux ouvriers, une préférence est établie, les enfants de Familistériens devenant prioritaires pour l'obtention d'un appartement. Cette hérédité des logements entraîne des tensions, les associés apparaissant parfois comme une aristocratie satisfaite de ses privilèges et ne cherchant pas à les partager. La disparition progressive d'un véritable « esprit coopérateur » parmi les membres de l'Association est parfois vue comme une des raisons de sa disparition en 1968. Confrontée à des difficultés économiques, cherchant à se rapprocher avec une maison concurrente, l'entreprise se transforme en juin 1968 en société anonyme. Elle est alors intégrée dans le groupe Le Creuset. La marque Godin a aujourd'hui été transférée à la société « Cheminées Philippe ».

Vue de l'aile gauche du Familistère

Les logements ont été vendus en 1968. Quelques anciens Familistériens y vivent toujours. Classés « Monuments historiques » en 1990, les bâtiments font depuis 2000 l'objet d'une restauration menée par la ville de Guise et le département de l'Aisne. Le programme de valorisation Utopia, organisé par le syndicat mixte, a permis entre autres de rendre accessibles à la visite les économats et la buanderie-piscine, laissés à l'abandon depuis 1968.

Intérieur du Familistère, vue d'époque
Intérieur du Familistère en 2005

Le site de Guise comprend donc deux volets indissociables : le lieu de production, l’usine Godin sur la rive droite de l’Oise, et le « Palais social » où était organisée la vie des ouvriers et de leurs familles.

Le Familistère en chiffres[1]

  • 10 millions de briques sont nécessaires à la construction des trois pavillons du Palais Social.
  • 30 000 m² de surfaces sont offerts par l’ensemble des trois pavillons.
  • 1 kilomètre de coursives parcourt les trois pavillons du Palais.
  • 500 fenêtres percent les façades des trois unités d’habitation.
  • 495 appartements sont aménagés dans l’ensemble des cinq pavillons du Familistère avant 1918.
  • 1748 personnes habitent au Familistère en 1889.
  • 50 berceaux peuvent être installés dans la nourricerie du Familistère.
  • 796 invités participent au banquet de la cinquième fête du Travail dans la cour du pavillon central en 1872.
  • 1000 spectateurs prennent place au théâtre en 1914.
  • 1526 employés travaillent dans les usines de la Société du Familistère en 1887.
  • 2500 est le nombre de record d’employés de l’Association du Familistère de Guise et à Bruxelles en 1930.
  • 4000 modèles d’appareils et d’accessoires sont fabriqués par la Société du Familistère en 1914.
  • 210.000 appareils sont expédiés par les usines de Guise et Bruxelles en 1913-1914.
  • 664, c’est le nombre de pages qui composent le livre Solutions Sociales publié par Godin en 1871.

Notes et références

  1. Prospectus touristique du Familistère

Voir aussi

Liens externes

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